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Redevance incitative et gestion des déchets en habitat social

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par Victor Bailly
Université de Franche-Comté - Master 2 Analyse et gestion des politiques sociales 2012
  

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II. Les différentes pratiques de tri et les discours afférents

Tout d'abord, contrairement à certains présupposés, tous les usagers ont connaissance de la norme institutionnelle préconisant le tri des déchets via leur confrontation quotidienne au mobilier urbain : au minimum, les usagers remarquent qu'il existe plusieurs types de poubelles (la jaune, la grise, le PAV pour le verre, etc.)152 et donc plusieurs flux de déchets, même si ils ne connaissent pas forcément les modalités d'application du tri. En revanche, tous ne se positionnent pas de la même manière face à l'injonction au tri : certains se trouvent en marge de cette norme, d'autres la méconnaissent et en atténuent la portée, quelques-uns s'efforcent de l'appliquer du mieux qu'ils peuvent.

1. Typologie des usagers en habitat social relégué

Malgré l'hétérogénéité socioculturelle qui caractérise les immeubles n°1 et 2, notre enquête de terrain a permis de mettre à jour différents types de pratiques de gestion des déchets auxquels sont liés des discours et des niveaux d'information spécifiques. Nous proposons ainsi de modéliser la population des usagers en habitat social relégué selon trois

152 « Franchement, mis à part, comme je vous ai dit, j'ai vu il y a quelques années ils ont changé toutes les poubelles en bas, que maintenant il y a du bleu et il y a du jaune, chose qu'il n'y avait pas avant. Ouais, que voilà, comme je vous ai dit les poubelles de verre, les machins, enfin il y a des choses dans la rue bien sûr qui attirent l'oeil et qui fait que tu te poses des questions. Mais j'ai pas été vraiment sensibilisée en fait. [...] Ouais, c'est plus le changement qui a fait que je me suis posée des questions en fait [plutôt] que vraiment les informations, je sais pas moi, aux arrêts de bus ou quoi, machin. J'ai jamais vu des choses comme ça. » (Locataire de l'immeuble n°1,

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profils - les déconnectés, les perplexes et les trieurs assidus - correspondant à des types idéaux153.

Les déconnectés

Il s'agit d'une minorité de la population, principalement constituée de personnes mal intégrées et désignées comme déviantes (primo-arrivants, « cas sociaux »), qui ignorent presque tout de la « bonne » gestion des déchets ménagers au regard des difficultés économiques et sociales auxquelles ils sont confrontés. L'information dont ils disposent sur le sujet est lacunaire, voire inexistante : ils ignorent qu'une redevance incitative a été mise en place et, bien qu'ils perçoivent l'existence d'une collecte sélective, ils n'ont presque aucune notion en matière de tri. Cette population semble tellement « déconnectée » des enjeux inhérents à la gestion des déchets qu'il peut paraître illusoire d'espérer emporter leur adhésion au dispositif mis en place par la CAGB.

Les perplexes

Cette typologie comprend une large majorité de la population qui, lorsqu'on l'interroge sur le tri, évoque spontanément les pratiques déviantes de certains déconnectés (jets de déchets par les fenêtres, dépôts sauvages, etc.) sans même aborder son propre mode de gestion domestique. Ce report de la faute sur les populations marginalisées leur permet d'éviter d'avouer à l'enquêteur qu'ils ne trient pas et, par là même, d'admettre qu'ils sont eux-mêmes déviants par rapport à la norme institutionnelle. Les perplexes sauvent leur honneur154 en déplaçant le stigmate dont est victime l'immeuble ou le quartier dans lequel ils résident, en rejetant les mauvais comportements (jets par les fenêtres, dépôts sauvages) sur les populations mal intégrées. Par la dénonciation du désordre provoqué par certains fauteurs de troubles ils tentent ni plus ni moins de recréer de l'ordre au sein d'une situation vécue comme anomique. Ceci passe par un système d'oppositions qui distingue l'habitant intégré de l'habitant non intégré, les comportements conformes des comportements déviants. Ce discours laisse transparaître une définition et une attente de confirmation d'une norme minimale qu'ils s'évertuent à respecter : mettre les ordures au « bon endroit », c'est-à-dire dans un sac qui sera

153 Nous nous inscrivons dans la définition que Max Weber a donnée de l'idéal-type, c'est-à-dire que cet outil est plus destiné à fournir une grille d'intelligibilité permettant d'approfondir la réflexion sur un phénomène qu'à retranscrire la réalité. La construction d'un idéal-type consiste tout d'abord à relier dans une trame commune, des phénomènes potentiellement disparates de l'expérience, quitte à atténuer ou mettre en avant certains traits de l'objet étudié.

154 CALOGIROU Claire, Sauver son honneur. Rapports sociaux en milieu urbain défavorisé, Paris : L'Harmattan, Logiques sociales, 1989, 150 p.

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proprement déposé dans la poubelle prévue à cet effet, sans forcément trier. A travers la construction d'un tel réquisitoire, les perplexes valorisent une forme d'usage qui est la leur et qu'ils aimeraient voir appliquée par tous pour qu'elle devienne un usage moyen capable de réguler les comportements au niveau de la gestion des déchets.

Par ailleurs, cette population considère que son adhésion au tri est facultative et ne se définit donc pas comme acteur dans la chaîne du tri. Elle entretient une représentation imaginaire selon laquelle les déchets non triés par les ménages sont systématiquement retriées en usine après leur collecte. Néanmoins, une grande partie des perplexes trie ses déchets sporadiquement lorsqu'elle se retrouve dans des situations spécifiques et se situe, dans une certaine mesure, à la croisée des catégories d'usagers que le rapport DETRITUS nomme trieurs partiels et trieurs occasionnels155. Par exemple, une locataire de l'immeuble n°1 témoigne du fait qu'elle triait parfois certaines matières pour des raisons de commodité avant que l'intervention en porte-à-porte d'une conseillère du tri ne l'incite à s'engager dans le tri de façon plus assidue.

« Si je dois descendre avec un gros carton, je vais pas le mettre dans la poubelle bleue alors que

juste devant moi il y a l'image pour qu'il rentre dans la poubelle jaune. [...] Le verre c'est pareil. Enfin si j'ai, je sais pas moi, dix bouteilles en verre, j'allais pas les jeter dans la poubelle en bas, je sais que ça va là-bas. Mais c'était pas assez régulier, c'était pas au quotidien en fait. Alors que maintenant c'est un peu plus. ». (Locataire de l'immeuble n°1, 26 ans, au chômage, a toujours vécu à la cité Brulard, partage l'appartement de sa mère)

Les perplexes ont conscience de payer pour l'enlèvement de leurs ordures ménagères à travers leurs charges locatives mais ils n'ont aucune idée du montant dont ils s'acquittent, ni même du mode de calcul (redevance incitative) et de répartition en vigueur (tantième). Ils ne prêtent guère attention à la communication écrite (affiches, lettres d'information) qu'ils considèrent comme « ne les concernant pas » mais sont sensibles aux interactions directes avec les conseillers du tri. Il s'agit d'une population qui, selon les gardiens, accepte de « jouer le jeu », c'est-à-dire qui fait l'effort de ne pas salir, de ne pas déposer ses déchets n'importe où, de ne pas perturber le système. Les perplexes constituent le public cible pour les opérations de sensibilisation : à travers une communication adaptée il est relativement aisé d'infléchir leurs représentations erronées sur la gestion des déchets et de leur livrer un

155 Les « trieurs partiels » sont les usagers « qui trient certains déchets et pas d'autres mais avec régularité ». Les critères qui les amènent à inclure ou exclure certaines matières du geste de tri sont au nombre de trois : la taille (par exemple, les gros cartons seront triés pour des raisons pratiques puisqu'ils ne rentrent pas dans la poubelle domestique), le degré de souillure (par exemple, la boite de sardine odorante sera exclue du tri) et la dangerosité (par exemple, la bombe aérosol perçue comme un contenant dangereux ne sera pas triée). Quant aux « trieurs occasionnels », il s'agit d'usagers qui trient de façon discontinue dans le temps et souvent de manière incomplète. ETIcs/Université François-Rabelais et Etéicos, op. cit., p. 7.

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argumentaire pour qu'ils s'engagent dans une démarche de tri. En revanche, ils sont généralement critiques face aux opérations de compostage collectif, surtout si celles-ci prennent place sur des immeubles « à problèmes ». Ils se montrent même sceptiques et pessimistes vis-à-vis de ces opérations, considérant qu'il s'agit d'un délire technocratique qui ne répond en rien aux difficultés quotidiennes que rencontre la population locale.

« [Le compostage] j'en vois pas l'utilité. Honnêtement, je pense que c'est plus un truc qui va cramer toutes les semaines, plutôt qu'un truc qui va véritablement servir. Donc non, non. Franchement j'y pense même pas, j'arrive même pas à y croire. [...] Enfin ouais, mettre de l'argent où vraiment on se dit que ça peut être détruit comme ça, bêtement, et jamais réutilisé... Facture inutile j'ai envie de dire. C'est vraiment... C'est bidon. » (Locataire de l'immeuble n°1, 26 ans, au chômage, a toujours vécu à la cité Brulard, partage l'appartement de sa mère)

Les trieurs assidus

La catégorie des trieurs assidus, largement minoritaire, est composée d'habitants qui résident dans le quartier depuis longtemps, se sont approprié leur logement sur le mode de la résidence privée et respectent à la lettre les consignes de tri. Ceux-ci trient de façon complète les différents flux de matière : tri des déchets recyclables, fréquentation des PAV verre, des points relais textiles, des déchèteries, etc. Cette population a ancré le geste de tri dans ses habitudes, ce qui se traduit par une minimisation de l'effort consenti pour la mise en oeuvre de cette pratique : « C'est pas compliqué de faire le tri ! », « C'est pas pour le temps que ça prend... ». Elle s'informe par le biais du bouche-à-oreille (voisins, proches), de la presse locale et est réceptive à la communication écrite. De ce fait, il s'agit bien souvent de la seule frange de la population qui ait connaissance de la mise en place de la redevance incitative bien qu'elle ne sache pas vraiment détailler ses modalités d'application et se positionne donc comme étant en attente d'informations supplémentaires sur ce sujet. Les trieurs assidus se disent intéressés par la mise en place de projets de compostage collectif qui constituent pour eux un prolongement logique de leur engagement dans le tri.

Si les trieurs assidus minimisent l'effort consenti pour pratiquer le tri, force est de reconnaître que ce geste n'est pas donné naturellement et que, par conséquent, il suppose un apprentissage social capable de se concrétiser par la modification du mode d'organisation domestique. Avant d'aborder la question des modalités d'application du geste de tri, détaillons les pratiques qui se réfèrent aux objectifs prioritaires dans la hiérarchie du traitement des déchets consacrée par le Grenelle de l'environnement : la prévention et la réutilisation.

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