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Redevance incitative et gestion des déchets en habitat social

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par Victor Bailly
Université de Franche-Comté - Master 2 Analyse et gestion des politiques sociales 2012
  

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3. Le tri : un processus complexe

Le tri est un processus complexe qui, pour devenir effectif, suppose l'enchaînement de différentes étapes (séparation, stockage, évacuation, dépôt) et l'harmonisation des gestes des différents individus qui composent le foyer. Au final, c'est une organisation domestique rodée qui doit s'instaurer pour permettre la stabilisation du geste de tri.

Tout d'abord, au niveau de la séparation, il faut s'assurer que les membres du ménage partagent les mêmes critères de discrimination. Pour cela, les ménages doivent nécessairement définir, organiser et stabiliser des processus spécifiques pour orienter chaque déchet vers son « bon » emplacement. Par exemple, ceux qui disposent d'un « mémotri » le placent à un endroit stratégique qui leur permet de consulter facilement les consignes de tri en cas de doute.

« La feuille est sur le frigo, il y a ça dans la cuisine où il y a les déchets avant qu'on les ramène dans le balcon, donc non, en général quand je ramène dans le balcon, je sais où ça va parce que je jette un oeil. » (Locataire de l'immeuble n°1, 26 ans, au chômage, a toujours vécu à la cité Brulard, partage l'appartement de sa mère)

Après avoir séparé les déchets selon leur nature, il faut pouvoir les stocker temporairement avant de les évacuer. En habitat collectif, « le stockage constitue une étape cruciale dans le parcours de tri. C'est une des plus problématiques dans le sens où elle impacte directement les espaces de vie, en particulier la cuisine et l'entrée. L'observation des logements met en évidence l'existence de dispositifs techniques de stockage plus ou moins spontanés et complexes entraînant une modification, parfois importante, dans l'organisation des espaces. »157. C'est ce que traduit l'extrait d'entretien précédent à travers l'usage insolite de la préposition « dans » au lieu de « sur » pour désigner l'espace domestique qu'est le balcon. Ce choix lexical n'est pas une erreur de la part de la locataire mais, au contraire, souligne le fait que le balcon soit utilisé comme une pièce de débarras, comme un espace de stockage, et non comme un espace extérieur destiné à prendre l'air, meublé de tables, de chaises ou de plantes d'ornements158. Cet exemple possède une dimension heuristique au niveau de la compréhension des représentations qu'entretiennent les locataires de logements HLM relégués vis-à-vis des espaces de cohabitation. A ce titre, leurs rapports aux parties communes et aux espaces publics diffèrent largement de ceux qu'on retrouve en habitat pavillonnaire. En effet, ces espaces sont fréquemment utilisés comme des prolongements fonctionnels du logement : ils peuvent servir d'espace de stockage pour certains objets déchus

157 Ibid., p. 45

158 Cf. Annexe 1, photo n°9.

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qui impactent fortement l'espace domestique (encombrants, déchets électroniques, poubelle à couches)159. Ainsi, l'interprétation selon laquelle tous les meubles se trouvant sur les paliers ont été abandonnés par leur propriétaire est erronée. Souvent, ceux-ci sont seulement stockés temporairement hors de l'appartement en attendant de trouver une solution d'évacuation160. Du stockage des déchets recyclables à celui des encombrants, les usagers s'efforcent de trouver une place à ces objets tout en minimisant l'impact sur leurs espaces de vie. Ceci se traduit par la mise en invisibilité du déchet qui est relégué sur le palier, « dans » le balcon ou sous l'évier et par l'invention de dispositifs à la fois pratiques et économes en espace161. « Les dispositifs de stockage se construisent autour d'oppositions classiques entre Propre/Sale, Visible/Invisible, Neutre/Odorant, Valorisable/Rebut. »162.

Ensuite, l'évacuation des déchets vers leurs lieux de dépôt suppose à nouveau une forme d'organisation domestique stabilisée : « Déplacer les déchets, les rendre transportables, mettre le nouveau dispositif en visibilité (de façon suffisamment ponctuelle pour ne pas provoquer de désordre dans l'espace domestique) et enfin désigner le membre du foyer en charge de son acheminement jusqu'au lieu de dépôt... Elle implique donc une réorganisation spatiale du déchet, une organisation temporelle proche du "juste à temps", enfin lorsque cela est possible une délégation à un tiers (conjoint ou enfant). Il s'agit donc d'un ensemble d'opérations qui doivent s'enchaîner avec fluidité au risque d'engendrer agacements et rancoeurs. Les pratiques de tri sont très largement dépendantes des conditions de circulation des déchets en fin de parcours. Lorsque l'évacuation devient une charge mentale trop importante, lorsqu'elle nécessite des trajets spécifiques, lorsqu'elle concurrence d'autres priorités (en particulier la sécurité et l'hygiène), cela conduit à une discontinuité des pratiques, parfois à leur abandon. »163.

Enfin, l'évacuation est directement liée à la dernière étape du tri qu'est le dépôt. Pour que celui-ci soit conforme aux attentes des gardiens et de la CAGB il faut, d'une part, que l'usager respecte les consignes de dépôt (déchets résiduels en sac, déchets recyclables en vrac) et, d'autre part, qu'il n'y ait pas de freins potentiels au dépôt empêchant l'usager des mettre ses déchets dans la bonne poubelle (trappe jaune trop exigüe, trappe souillée, dépôts

159 Cf. Annexe 1, photos n°5, 6, 7, 9, 15, 17, 18.

160 Il faut noter que les espaces de stockage que sont les caves ont fréquemment été soustraits à l'usage des locataires pour des raisons de sécurité (incendies à répétition, appropriation par des bandes de jeunes, etc.). C'est le cas sur les immeubles n°1 et 2, ce qui restreint les solutions de stockage d'objets volumineux. De fait, les balcons et les paliers sont désormais investis par les locataires pour pallier à la suppression de leur droit d'usage sur les caves (droit d'usage qui était déjà remis en question par l'insécurité qui y régnait).

161Cf. Annexe 1, photo n°11.

162 Ibid., p. 47.

163 Ibid., p. 50.

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sauvages gênant l'accès aux poubelles, poubelles qui débordent, accès difficile pour les enfants). Certains trieurs assidus connaissant les périodes récurrentes de défaillance du dispositif de dépôt se rendent aux poubelles à des moments stratégiques où les conteneurs sont vides pour ne pas les engorger davantage ou être contraints de procéder à un dépôt non conforme. Aussi, l'observation des bacs par les gardiens révèle que des sacs de déchets bien triés se retrouvent dans les déchets résiduels. En effet, certains locataires séparent, stockent et évacuent de façon différenciée certains flux de déchets, comme par exemple les magazines, mais les déposent dans le bac gris pour des raisons de commodité (trappe jaune trop étroite).

« J'en ai qui amènent les sacs de prospectus dans le bac gris. Et quand tu prends le sac, il y a que des prospectus dedans. Il y a que du tri, que des cartons. Ils sont pas encore dedans. Ils font pas l'effort de se dire : "Je vais vider mon sac" ou encore "Je vais passer par le bac bleu et jeter". ». (Gardien de l'immeuble n°1, Grand Besançon Habitat, cité Brulard)

Cet exemple illustre l'« incidence des choix techniques en matière de dispositifs de collecte, sur les motivations à trier mais aussi sur la quantité et la qualité du tri. »164. Néanmoins, remarquons à travers les propos du gardien de l'immeuble n°1 que les freins inhérents à ces rigidités techniques peuvent être partiellement contournés grâce à l'inventivité des locataires. En effet, ceux-ci ont pris l'habitude de glisser les déchets recyclables volumineux dans le bac jaune en passant leur bras par la trappe grise/bleue qui est plus large.

La complexité du tri réside donc dans la coordination efficace de ces quatre étapes. Si une erreur intervient durant le dépôt, les trois étapes précédentes sont réduites à néant. Aussi, la pratique du tri suppose donc une capacité d'organisation domestique dont les différents foyers que nous avons rencontré durant notre enquête de terrain ne sont pas également dotés165. A ces difficultés pratiques s'ajoutent des représentations sociales du tri propres aux milieux populaires qui ne sont pas réellement propices à la valorisation de ce geste.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo