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Redevance incitative et gestion des déchets en habitat social

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par Victor Bailly
Université de Franche-Comté - Master 2 Analyse et gestion des politiques sociales 2012
  

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III. Les représentations du tri

Bien que la grande majorité des usagers ait connaissance de l'injonction au tri, ceux-ci n'ont pas l'impression que leur adhésion au dispositif de collecte sélective constitue un enjeu crucial pour le fonctionnement de la chaîne du tri. Souvent, ils ignorent presque tout du

164 Ibid., p. 56.

165 Un locataire rencontré sur l'immeuble n°1 est un réfugié politique veuf qui vit avec ses quatre enfants. Malgré son adhésion de principe au tri due au fait qu'il cherche à se distinguer de la population de la cité Brulard en faisant valoir ses qualités d'« homme instruit » qui a exercé de hautes fonctions dans son pays d'origine, il ne parvient pas à instaurer de façon régulière ce geste au sein de son foyer.

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devenir des déchets après qu'ils aient été collectés par la benne à ordures ménagères. Face à un système relativement opaque, les usagers bâtissent des représentations déresponsabilisantes qui légitiment leur retrait vis-à-vis des politiques de recyclage.

« Le porte-à-porte ça marque parce que c'est vrai qu'on a pu parler et vous avez pu m'expliquer dans la vie de tous les jours à quel point c'est important [de trier] en fait. Et on se rend pas compte qu'on est un petit maillon, à vrai dire, de cette chaîne. Et en fait c'est ça, moi je pense que les gens ils se rendent pas compte à quel point [ils ont une importance dans la chaîne]. ». (Locataire de l'immeuble n°1, 26 ans, au chômage, a toujours vécu à la cité Brulard, partage l'appartement de sa mère)

Certains usagers, notamment les perplexes, développent un imaginaire valorisant davantage le fait de ne pas trier par rapport au fait de trier. En effet, ayant conscience que les déchets peuvent constituer une ressource, ils adoptent des représentations selon lesquelles l'ensemble du gisement d'ordures ménagères collecté est systématiquement retrié par des machines et des travailleurs en usine. Ils appliquent ainsi leurs propres schèmes de perception au système de traitement des déchets et valorisent ainsi leur non engagement dans les opérations de collecte sélective.

« "On trie mal et on crée des emplois !". [Rires] Sérieusement je me suis dit ça. Je me disais "Bon, je fais la faignante, je trie pas mais bon au moins il y a des gens ils sont payés." » (Locataire de l'immeuble n°1, 26 ans, au chômage, a toujours vécu à la cité Brulard, partage l'appartement de sa mère)

Ainsi, une grande part des usagers ne se définit pas comme acteur de la chaîne du tri et tend à méconnaitre les enjeux d'une problématique dont ils pensent pouvoir légitimement se désintéresser. Ce désintérêt est accentué par la perte de confiance dans le politique qui alimente une méfiance vis-à-vis des actions institutionnelles.

Les usagers émettent des suspicions sur les coûts du SPED car, d'une part, ils sont réticents à payer pour faire enlever leurs déchets (dépense négative) et, d'autre part, ne perçoivent pas l'ensemble des coûts afférents à ce service. Généralement, ils perçoivent seulement les coûts de collecte qui constituent la partie visible du service, alors que les coûts de traitements conservent une dimension occulte. Or, depuis la mise en place des politiques de recyclage, les coûts du SPED ont explosé, notamment la part dépensée pour le traitement des déchets (augmentation de la TGAP, mise aux normes des incinérateurs, coûts du recyclage). Selon l'opinion commune, la vente de matières issues des collectes sélectives aurait dû permettre de faire baisser les coûts du SPED alors qu'en réalité c'est l'inverse qui s'est produit. Ainsi, la plupart des usagers se représente le recyclage comme une activité forcément

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rémunératrice. De ce fait, ils ne comprennent pas que la collectivité leur demande d'opérer gratuitement ce qu'ils considèrent comme un « travail » alors que celle-ci revend par la suite les matières triées166. L'impression qu'ont les usagers d'être toujours davantage sollicités, tant sur le plan financier que sur le plan matériel, s'accompagne d'une critique virulente d'un système de production qui créée « toujours plus d'objets "sans se préoccuper du besoin réel des gens" »167 et qui n'a pas l'air d'être autant mis à contribution que les consommateurs.

« On peut se dire : "Voilà pourquoi je ne trie pas ! Vous me prenez pour un bleu ! Je paye, je paye, je paye, je paye, je paye. Vous me demandez de vous donner et vous me vendez derrière. Parce que les cartons que j'ai acheté, je vous les ai donné et vous vous me le revendez derrière. Parce que quand je vais acheter ma télévision, c'est mon carton que je vous ai donné et je le rachète mon carton, deux fois." » (Gardien de l'immeuble n°1, Grand Besançon Habitat, cité Brulard)

Les usagers ont donc l'impression d'être floués, voire exploités par un système perçu comme lucratif qu'ils doivent à la fois financer et faire fonctionner gracieusement en triant. Ce sentiment d'être trompés se ressent de façon encore plus profonde au niveau de la gestion des encombrants : laisser un meuble n'importe où avec insouciance est un comportement admis par de nombreux locataires car c'est un moyen de ne pas être dupe, de ne pas faire profil bas face à des augmentations de charges qui leur paraissent injustifiées. La complexité et l'opacité du détail des charges locatives qu'ils reçoivent chaque année suscitent la méfiance vis-à-vis du bailleur et la méconnaissance de ce que recouvre précisément chaque catégorie de dépenses. A une rationalité économico-administrative promue par les acteurs institutionnels (bailleurs et CAGB) qui préconise un dépôt direct en déchetterie des encombrants par les usagers afin de réduire les charges locatives d'ordures ménagères168, répond une tactique des locataires qui consiste à « profiter » un minimum du service d'enlèvement des encombrants mis en place par le bailleur pour éviter d'avoir l'impression d'être floué. Ceci crée donc un cercle vicieux : plus les locataires déposent des encombrants en pied d'immeuble et plus les

166 Certes les collectivités encaissent des recettes sur la vente des matériaux et perçoivent des soutiens financiers d'Eco-Emballages, mais ces rentrées d'argent ne compensent pas les dépenses engagées pour collecter les déchets recyclables et les traiter en centre de tri.

167 LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op. cit., p. 51.

168 Le dépôt en déchetterie est gratuit pour les particuliers alors que l'encombrant laissé en pied d'immeuble aura un impact important sur les charges locatives : d'abord, des agents du bailleur ou de l'entreprise de nettoyage sont payés pour collecter ces objets et les stocker dans un local ; ensuite, le bailleur rémunère une entreprise pour qu'elle emmène cet amas d'encombrants en déchetterie ; enfin, le dépôt en déchetterie est payant pour les professionnels, donc l'entreprise facture ce coût au bailleur. Les gardiens et les conseillers en habitat collectif s'évertuent à sensibiliser les locataires sur le fait que la gestion des encombrants par le bailleur alourdit les charges locatives.

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charges locatives augmentent ; plus les charges locatives augmentent et plus les locataires n'ont aucun remord à déposer des encombrants en pied d'immeuble.

Alors qu'en milieu urbain relégué le tri est parfois considéré comme un travail, les usagers ne perçoivent aucune contrepartie qui pourrait les inciter à accomplir ce geste. Rappelons d'abord que le mécanisme d'incitation financière au coeur de la redevance ne touche pas directement les usagers en habitat collectif. En plus de cette perte d'incitativité qui empêche toute rétribution économique des comportements « vertueux » des locataires en habitat vertical (baisse de la facture), notre enquête de terrain nous a prouvé que les modes d'habiter et les sociabilités propres à ces milieux bloquent également toute rétribution symbolique. En effet, si les habitants d'une maison individuelle ou le copropriétaire d'une résidence cossue peuvent se prévaloir de leur qualité de « voisins respectueux » ou de « citoyens modèles » lorsqu'ils trient leurs ordures, les ressources symboliques qui permettent de valoriser le geste de tri apparaissent très modestes en logement HLM et plus particulièrement dans les milieux défavorisés. Ceci s'explique par l'absence de régulation collective, donc de définition d'un usage moyen reconnu et valorisé.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway