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Réflexions sur le concept d'états défaillants en droit international

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par Wenceslas MONZALA
Université de Strasbourg - Master II Droit International Public 2012
  

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Paragraphe 1 : La capacité d'action internationale de l'État défaillant

Il faudrait indiquer, d'entrée de jeu, qu'en dépit de l'existence de jure d'une capacité d'action internationale, celle-ci en réalité est, soit neutralisée, soit inefficace, en raison du désordre interne ou de l'absence d'un véritable gouvernement à même d'assurer la visibilité des actions de l'État défaillant sur le plan international. La capacité d'action de l'État défaillant se trouve donc de fait paralysée en premier lieu dans la faculté d'engagement de celui-ci dans des relations bilatérales ou multilatérales (A) et ensuite dans l'exercice du droit de légation (B) qui devrait lui permettre d'entretenir des relations diplomatiques avec les autres membres de la communauté internationale.

A. La capacité de s'engager de l'État défaillant

Cette capacité, dite substantielle,108 car liée à la personnalité de l'État, doit être entendue ici comme l'aptitude de l'État à s'impliquer effectivement dans le processus de création normative en droit international. Tous les Etats disposent donc, sous réserve de restriction de leur fait, de la capacité de s'engager par des actes juridiques unilatéraux (actes tels que l'engagement unilatéral109, la reconnaissance ou l'acquiescement) ou par des actes posés conjointement avec d'autres membres de la société internationale (les traités) créant ainsi des obligations positives internationales ou des situations légales. Ainsi, la capacité de conclure des traités (treaty making power), à laquelle on s'intéressera particulièrement dans ces développements, constitue un attribut fondamental de la personnalité juridique internationale comme l'a si bien mentionné la C.P.J.I., dans l'affaire Vapeur de Wimbledon, érigeant « la faculté de contracter des engagements internationaux » en « un attribut de la souveraineté de l'État »110. Cette évidence a également été rappelée par l'article 6 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités111. Ainsi, l'exercice du treaty making power, même par les Etats défaillants, ne saurait valablement être contesté. Toutefois, les

108 Ibid., p. 232

109 CIJ, Essais nucléaires français, ordonnance en mesures conservatoires, requête Fidji pour intervention et fond, 20 décembre 1974, CIJ, Rec. 1974 ; Voir aussi CPJI, Statut juridique du Groenland oriental, 5 avril 1933, CPJI, Rec, 1933.

110 CPJI, Affaire Du Vapeur Wimbledon, 17 août 1923, Série A, n°1, p. 25

111 Cette disposition se lit comme suit « Tout État a la capacité de conclure des traités ».

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Etats « ne pouvant agir qu'au moyen et l'entremise de la personne de leurs agents et représentants »112, le désordre institutionnel ou parfois l'absence totale de gouvernement dans les Etats défaillants peut rendre difficile l'exercice effectif de ce droit d'action internationale. A titre illustratif, l'absence d'autorité pour ratifier la Convention de Lomé113 du 15 décembre 1989, modifiée par l'accord de partenariat ACP-CE de Cotonou114, a empêché la Somalie de bénéficier de l'aide au développement allouée par le Fond Européen de Développement. Cela, en dépit du fait que cet accord allait jusqu'à envisager une adhésion future de la Somalie suite à l'intervention du Secrétaire Général de l'ONU auprès du Conseil ACP-UE invitant ce dernier à faire preuve de souplesse à l'égard de l'État somalien qui n'a pas pu ratifier ces différents instruments « en raison de circonstances échappant à son contrôle »115. Cette absence d'autorité étatique capable de ratifier les traités internationaux a pénalisé la Somalie dans ses relations avec la Banque Mondiale. L'État somalien n'a pas pu par conséquent bénéficier des nombreux programmes d'aide, mis en place par la Banque Mondiale116. Dans un tout autre domaine, la Somalie s'est vue imposer une opération des Nations Unies à visée humanitaire en raison de l'absence d'un gouvernement qui aurait du souverainement autoriser une telle action. En effet, dans le cadre du respect du principe de non intervention dans les affaires intérieures des Etats117, le Conseil de Sécurité de l'ONU ne peut autoriser une action humanitaire dans un État, en dehors du cadre du chapitre 7 de la Charte, que si ce dernier en a fait la demande à un autre État ou un groupe d'Etats, conformément à la Résolution 387 du 31 mars 1976118. Mais, dans l'exemple somalien, la Résolution 794 (1992)119 a été adoptée par le conseil de sécurité pour imposer à la Somalie, sans représentation devant la communauté internationale, une opération humanitaire.

En outre, que les Etats défaillants aient la capacité de conclure des traités et de s'engager ainsi internationalement, personne ne saurait leur contester cette faculté. Toutefois au regard de l'objet et du but de certains traités, il semblerait légitime de leur refuser le droit de participer à leur conclusion. Cela peut, de manière évidente, s'appliquer aux relations conventionnelles bilatérales dans lesquelles la qualité de l'État peut être prise en compte et lui être opposée par l'autre État contractant. Mais cela peut s'avérer beaucoup plus compliqué dans le cadre des traités multilatéraux et particulièrement ceux dits « d'intérêt général » en considération du « principe de participation universelle »120 pour ce genre de traités qui « portent sur la codification et le développement progressif du droit international ou dont

112 CPJI, Colons allemands en Pologne, avis consultatif du 10 septembre 1923, Série B, n°6, pp. 1, 22.

113 Journal officiel, n° L 84, 28 février 1990.

114 Accord de partenariat entre les membres du groupe des Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et la Communauté européenne et des Etats membres, signé à Cotonou, le 23 juin 2000, Journal officiel, n° L 317, 15 décembre 2000.

115 Décision du Conseil ACP-UE du 28 juin 1996, citée in CJCE, Affaire Somalfruit SpA et Camar SpA c. Ministero delle Finanze et Ministero del Commercio con l'Estero du 27 novembre 1997, C-369/95, Rec. I-6619, §9 - 11.

116 S/1999/882, Rapport du Secrétaire général sur la situation en Somalie, 16 Août 1999, §74.

117 Article 2, §7 de la Charte de Nations Unies

118 S/Res/387 (1976) du 31 mars 1976 : « Rappelant également le droit naturel et légitime de chaque État, dans l'exercice de sa souveraineté, de demander l'assistance de tout autre État ou groupe d'Etats, [...] »

119 S/Res/794 (1992) du 3 décembre 1992

120 MATHY D., « Participation universelle aux traités multilatéraux », RBDI, Vol. VIII, 1972-1, pp. 529 - 567.

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l'objet et le but intéressent la communauté internationale dans son ensemble »121. Même dans un cadre multilatéral, il serait préférable de primer la logique qualitative sur la simple nécessité comptable de faire participer le maximum d'Etats à la conclusion de ces traités. Car il va de soi que seuls les Etats ayant satisfait aux pré-conditions matérielles d'application de ces traités pourront contribuer à leur effectivité. Les traités de protection des Droits de l'Homme peuvent illustrer parfaitement ces propos. Il nous semble d'aucune utilité de faire participer un État défaillant à la conclusion d'un traité de protection des Droits de l'Homme quand on sait par avance qu'un tel État pourra impunément n'en tenir aucun compte ou ne disposera pas d'institutions efficaces pour en assurer l'application122. En raison de l'objet et du but de ces traités, il paraîtrait justifié de dépasser le simple aspect formaliste qui milite pour une plus grande participation d'Etats et d'en refuser ainsi l'adhésion aux Etats défaillants qui n'offrent pas des garanties suffisantes pour en assurer le respect dans leur ordre juridique.

Ces difficultés quant à l'action internationale de l'État défaillant, ne se limitent pas qu'à sa seule faculté de s'engager, elles peuvent aussi se traduire par son incapacité à entretenir des relations diplomatiques et s'assurer par la-même une visibilité internationale.

B. L'ineffectivité du droit de légation de l'État défaillant

Le droit de légation est défini par J. Salmon comme « le droit pour un État souverain d'envoyer et de recevoir des agents diplomatiques »123. Selon la doctrine du droit naturel, le droit de légation constitue, au même titre que le droit de conclure des traités, le droit de guerre ou le droit de légitime défense, un attribut fondamental de tout État124. Mais étant donné que l'établissement des relations diplomatiques suppose nécessairement le consentement et le concours des deux souverainetés intéressées125, ce droit se décline dans la pratique plutôt comme une faculté, ou une capacité reconnue aux Etats. Ainsi, même en situation de défaillance, l'État conserverait toujours cette faculté car à la différence de la guerre, la déliquescence, même durable, des organes étatiques n'entraîne pas systématiquement la rupture des relations diplomatiques ; bien qu'en pratique, les Etats représentés dans ces Etats

121 Voir les discussions relations à l'introduction d'un article 5bis dans le projet de Convention sur le droit des traités, A/Conf.39/C.1/L/74 ; Pour plus de détails sur la question Voir NAHLIK, H., « La Conférence de Vienne sur les droits des traités », AFDI, 1969, pp. 24 et ss.

122 Dans le même sens, voir la critique formulée par le Professeur A. PELLET à l'endroit de ceux qu'il appelle les « droit-de-l'hommistes », PELLET, A., « « Droit-de-l'hommisme » et droit international », discours prononcé à l'occasion de la conférence commémorative GILBERTO AMADO aux Nations Unies à Genève le 18 juillet 2000, disponible sur http://www.alainpellet.eu/Pages/Articles.aspx

123 SALMON, J. (Sous la direction de), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 375

124 ROUSSEAU, Ch., Droit international public, Paris, Sirey, tome 1er, 1970, p. 29. Sur la théorie des droits fondamentaux de l'État, voir Le Fur Louis, « La théorie du droit naturel depuis XVIIIe siècle et la doctrine moderne », RCADI, 1927, III, Vol. 18, pp. 263 - 439 ; PILLET, A., Recherches sur les droits fondamentaux des Etats dans l'ordre des rapports internationaux et sur la solution des conflits qu'ils font naître, Paris, A. Pedone, 1899, p. 107

125 Article 2 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques : « L'établissement des relations diplomatiques entre Etats et l'envoi de missions diplomatiques permanentes se font par consentement mutuel ».

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défaillants aient dû rappeler leur personnel diplomatique en raison du climat d'insécurité générale qui y prévaut. Aussi, si l'État défaillant peut légitimement jouir d'un droit de légation en dépit de sa particularité, l'exercice effectif de ce droit n'est toujours pas garanti. L'absence de gouvernement effectif, car, le plus souvent dans ces Etats, plusieurs gouvernements établis sur une portion du territoire national revendiquent la légitimité de l'action internationale au nom de l'État défaillant, empêche l'envoi des missions diplomatiques et l'entretien de véritables relations diplomatiques avec les Etats étrangers. Dans le cas de la Somalie, par exemple, le changement récurrent de gouvernement a entraîné dans de nombreux Etats accréditaires la fermeture des ambassades de la République de Somalie, faute de véritables lettres d'accréditation de la part du nouveau gouvernement en place qui autoriseraient les agents diplomatiques somaliens à continuer à représenter valablement la Somalie. Par conséquent, les agents diplomatiques somaliens dans les Etats étrangers verront leur capacité d'action limitée et peuvent véritablement se retrouver dans une insécurité juridique. A titre illustratif, le juge britannique a dû limiter la capacité processuelle de l'État somalien devant les tribunaux nationaux en refusant toute représentativité à un ambassadeur, nommé par un premier gouvernement qui ne contrôlait qu'une portion du territoire national, au moment de l'exercice d'une action en réclamation du prix d'une cargaison de riz non livrée : « the former government ofd president Siad Barre had ceased to exist and Mrs Bihi has no accreditation or authority from any other government [...J»126.

Le droit de légation des Etats défaillants est non seulement privé d'effets dans le cadre des relations diplomatiques bilatérales, il l'est également dans la représentation de ces Etats auprès des organisations internationales ou régionales dont ils sont membres. L'absence d'un gouvernement effectif dans un État défaillant peut donc empêcher ce dernier de participer et de défendre ses intérêts lors des travaux de ces organisations internationales. C'est en effet le cas de la Somalie qui n'a pas eu de représentation aux différentes sessions de l'assemblée générale des Nations entre 1992 et 2000. En effet, conformément à la procédure de vérification des pouvoirs, au début de chaque session de l'AGNU, la Commission de Vérification des Pouvoirs doit examiner de manière formelle l'accréditation des représentants des Etats membres et vérifier l'authenticité de l'autorité accréditante (vérifier si l'accréditation a été donnée par un chef d'État, un chef de gouvernement ou un ministre des affaires étrangères, etc.)127. C'est ainsi qu'à l'ouverture de la XLVIIe session, le dernier représentant de la Somalie auprès de l'AGNU n'a pas pu justifier d'un véritable pouvoir de représentation en raison de l'absence de toute autorité gouvernementale du fait des circonstances politiques qui ont suivi le renversement du président de la Somalie Mohamed Siad Barré en 1991. Ce fut le premier cas de vacance de siège dans toute l'histoire de l'AGNU et il est à différencier des situations précédentes du Rwanda, de la Sierra Leone et du Liberia dont les pouvoirs ont été jugés réguliers par la Commission de vérification des pouvoirs, en dépit des troubles politiques que connaissaient ces pays128. Dans le cas somalien, aucun pouvoir n'a été présenté, entre 1992 et 2000, empêchant ainsi la Somalie d'avoir une

126 British High Court, Queen's Bench Division, Somalia v. Woodhouse Drake & Carey, 13 mars 1992, The weekly Law Report, 6 novembre 1992, p. 744, citée par CAHIN G., op. cit., p. 187.

127 Article 27 du Règlement intérieur de l'AGNU

128 Voir SHRAGA, D., « La qualité de membre non représenté : le cas du siège vacant », AFDI, 1999, pp. 649 - 664.

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représentation permanente auprès de l'ONU. Sa seule présence dans l'organisation internationale se réduit à une plaque portant son nom dans la salle de l'AGNU et dans les autres salles de conférence, faute de gouvernement habilité à désigner une personne autorisée à occuper cette place.

En somme, l'État défaillant, en raison des difficultés matérielles inhérentes à sa situation, peut être paralysé dans l'exercice effectif des attributs que lui confère son statut d'État en droit international. Car ces attributs lui sont reconnus de droit par la personnalité juridique dont il dispose et encore plus par l'égalité de souveraineté qu'il partage avec ses pairs, deux éléments qui lui garantissent sa qualité d'État en dépit de sa défaillance.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams