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Réflexions sur le concept d'états défaillants en droit international

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par Wenceslas MONZALA
Université de Strasbourg - Master II Droit International Public 2012
  

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Section 2 : L'applicabilité du droit international par les Etats défaillants : un

régime à inventer

Du point de vue de la technique juridique, le régime statutaire des Etats défaillants ne se différencie d'aucune façon de celui des autres Etats. Par conséquent, si l'État défaillant, en dépit de sa particularité, peut jouir des droits qui découlent de son statut, l'application des obligations internationales qui lui incombent, en tant que sujet à part entière du droit international, peut, par contre, se révéler très problématique. En effet, la défaillance étatique peut sérieusement remettre en cause le respect par l'État défaillant de ses obligations internationales (Paragraphe 1). A ce niveau, il faudrait remarquer que l'unité du droit international sur le régime statutaire qui lui est reconnu ne résiste pas dans la recherche des

144 S/PRST/2001/1, Déclaration du président du Conseil de Sécurité sur la situation en Somalie, 11 janvier 2001, disponible sur http://urls.fr/5rh (Consulté le 14 juillet 2012)

145 S/RES1519 (2003) du 16 décembre 2003

146 S/RES/387 (1976) du 31 mars 1976

147 Article 24 du projet d'articles de la CDI sur la responsabilité des Etats, Annexe de la résolution AGNU/26/83 du 12 décembre 2001

148 Article 25 du projet d'articles de la CDI sur la responsabilité des Etats, Annexe de la résolution AGNU/26/83 du 12 décembre 2001

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conséquences juridiques qui découlent de la violation de ces obligations internationales, notamment sur le terrain du droit de la responsabilité internationale (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L'État défaillant face à ses obligations internationales

En règle générale, L'État défaillant, privé d'organes exécutifs, momentanément ou de façon chronique, se trouve dans l'impossibilité d'exécuter ses obligations internationales lato sensu à savoir les obligations conventionnelles ou coutumières découlant du droit international. Mais dans les développements qui vont suivre, seules les obligations conventionnelles retiendront notre attention. En effet, en l'état actuel du droit international, la défaillance étatique n'est pas considérée comme une circonstance d'extinction, de retrait ou de suspension de l'exécution des traités. Il serait alors intéressant de voir comment le droit international appréhende la défaillance étatique dans l'exécution des obligations résultant des traités internationaux (A). Et pour donner plus de visibilité à cette analyse, nous nous intéresserons à la problématique de l'application des obligations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme dans les Etats défaillants (B).

A. L'exécution des obligations conventionnelles par les Etats défaillants

Pour déterminer de quelle manière la défaillance étatique peut impacter l'exécution des traités, il importe de préciser au préalable le statut de ces traités au regard de la situation de défaillance étatique. Il faudrait dire à ce sujet que la défaillance étatique ne remet absolument pas en cause le principe de la continuité de l'État. Par conséquent, la sécurité juridique des relations conventionnelles est protégée par ce principe de continuité de l'État. C'est pourquoi après une Révolution ou un changement de gouvernement, un État ne peut pas déclarer ne pas être lié par les traités qui ont été signés et ratifiés par le gouvernement précédent. De la même manière, une situation de défaillance, qu'il s'agisse d'une simple situation momentanée de désordre institutionnel ou une anarchie chronique dans les institutions gouvernementales, n'entraîne pas une extinction des obligations conventionnelles qui continuent de lier l'État défaillant. A titre d'exemple, la charte somalienne de transition de 2001 réaffirme l'adhésion de la Somalie aux traités internationaux conclus par tous les gouvernements précédents149. Mais si la défaillance étatique n'éteint pas les obligations conventionnelles qui lient l'État défaillant, leur application demeure cependant extrêmement dépendante de l'existence de structures étatiques efficaces. Le respect du principe de la pacta sunt servanda150 qui préside à l'exécution des obligations conventionnelles implique l'existence d'organes étatiques forts dont ne disposent pas les Etats défaillants. Il faudrait

149 Article 3 de la Charte Nationale de Transition citée par la Commission des Nations Unies pour les droits de l'homme dans son rapport sur la situation des droits de l'homme en Somalie, Doc. E/CN/2001/105, 13 mars 2001.

150 Article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

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alors déterminer le régime juridique pouvant régir les obligations conventionnelles incombant aux Etats défaillants. A ce sujet, la défaillance étatique pourrait être perçue comme un des cas exceptionnels prévus par la règle rebus sic stantibus de l'article 62 de la Convention de Vienne. Toutefois les juridictions internationales n'ont pas une interprétation uniforme de l'assimilation de la défaillance étatique à un changement fondamental de circonstances en vertu de la clause rebus sic stantibus. En 1997, la CIJ dans l'affaire Projet Gabcikovo - Nagymaros151, avait écarté les prétentions de la Hongrie, fondées entre autres, sur le changement des conditions politiques en Europe centrale entre 1977 et 1989. Tandis que dans l'affaire A. Racke GmbH & Co152 de 1998, la CJCE avait, quant à elle, considéré la dissolution de la Yougoslavie et la situation de guerre qui a prévalu dans la région comme un changement fondamental des circonstances justifiant la suspension puis la dénonciation par la Communauté Européenne d'un accord la liant à cet État. En effet, cette position de la CJCE pourrait se justifier par le fait que l'existence de structures gouvernementales en état de marche est indispensable à l'exécution des obligations conventionnelles, partant, leur défaillance pourrait être à juste titre considérée comme un changement fondamental de circonstances pouvant justifier l'inexécution des traités. Cependant, cette approche ne saurait être généralisée en raison de la difficulté à saisir le processus de la défaillance étatique. De ce fait, considérer la défaillance étatique comme une circonstance rentrant dans le cadre de la règle rebus sic stantibus ne contribuerait qu'à augmenter l'insécurité juridique dans l'application des obligations résultant des traités conclus avec les Etats défaillants. Néanmoins, la défaillance étatique pourrait être assimilée à un cas de force majeure qui, à défaut de justifier l'extinction des obligations conventionnelles incombant aux Etats défaillants, pourrait devenir une circonstance excluant la responsabilité internationale de l'État défaillant.

En définitive, les dispositions relatives à la non-application des traités se révèlent en l'état insatisfaisantes pour s'appliquer à la particularité de la défaillance étatique. Cette situation justifierait alors la nécessité d'inventer un régime juridique spécifique applicable aux Etats défaillants dans leurs relations conventionnelles bilatérales ou multilatérales. Cette urgence est encore beaucoup plus manifeste face aux difficultés qu'éprouvent les Etats défaillants dans l'application des traités de droits de l'homme et de droit international humanitaire.

B. L'exécution des obligations découlant du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme

Si ces deux corps de règles partagent essentiellement de nombreux points communs en raison de leur finalité, les difficultés que rencontrent les Etats défaillants dans leur application se situent dans des cadres légèrement différents.

151 CIJ, Projet Gabcikovo - Nagymaros (Hongrie c. Slovaquie), arrêt du 25 septembre 1997, CIJ Rec. 1997, pp. 3, 64, §104.

152 CJCE, A Racke Gmbh & co. V. Hauptzollamt Mainz, arrêt du 16 juin 1998, C-162/96, Rec. I-3655

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Pour ce qui est des règles du droit international des droits de l'homme (ci-après DIDH), il faudrait dire que leur caractère objectif, non réciproque et universel font que leur application ne tient aucun compte de la qualité des Etats qui en sont chargés. En effet, les traités de droits de l'homme ont cette particularité de rendre l'État débiteur d'une obligation dont est créancier l'individu placé sous sa juridiction. En vertu des traités de protection des droits de l'homme dont est partie l'État, ce dernier devient le principal garant des droits dont bénéficie sa population. L'État est donc la véritable « raison d'être » des traités de protection des droits de l'homme153. Et pour assurer efficacement ce rôle, l'État doit disposer d'organes suffisamment forts afin d'apporter une protection maximale aux droits garantis. Cependant, comme a du le constater la Commission des droits de l'homme, les Etats défaillants, à l'instar de la Somalie et de l'Afghanistan, ne disposent pas d'une administration à même de respecter et de protéger ces droits et, par conséquent, leur adhésion aux instruments de protection des droits de l'homme n'auront aucun effet pratique154. Or, l'une des particularités des traités de droits de l'homme réside dans le fait que leur application n'autorise aucune suspension même en période de crise grave du moins en ce qui concerne un noyau dur de droits dont la protection est rendue incompressible155. Ce principe a été aussi consacré par l'article 60 §5 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités qui exclut la possibilité de suspendre en conséquence de leur violation, l'application des « dispositions relatives à la protection de la personne humaine contenues dans des traités de caractère humanitaire ». La CIJ, pour sa part, a érigé ce principe au rang d'un « principe juridique général »156 rendant ainsi impossible la suspension des traités de droits de l'homme dans les situations de défaillance étatique, comme pourraient l'être les autres traités interétatiques. D'ailleurs, le simple fait que ces Etats soient157 régulièrement conviés à participer aux séances de travail des organes de contrôle des traités de droits de l'homme, vient aussi confirmer que l'application de ces traités n'était pas suspendue, en dépit de nombreuses violations souvent constatées.

Mais si la défaillance étatique n'entraîne pas la suspension des obligations résultant des traités de droits de l'homme, leur applicabilité n'en demeure pas moins un véritable défi pour les Etats défaillants. En effet, dans les Etats défaillants, l'État n'est pas toujours le seul agent transgresseur des règles de DIDH. Il est très souvent concurrencé en cela par le rôle sinistre joué par les milices et les différents groupes armés qui sont souvent à l'origine des violations graves et massives des droits de l'homme dans les Etats défaillants. Ainsi, la difficulté pour l'État défaillant d'assurer l'application des traités de droits de l'homme se trouve encore accrue par le fait que ces entités « ne sont pas, à strictement parler,

153 MUTUA M., « Savages, victims, and saviors : the metaphor of Human Rights», Harvard International Law Journal, Vol. 42, n°1, Winter 2001, pp. 201 - 245, 203.

154 Rapport sur la situation des droits de l'homme en Somalie, E/CN.4/2001/105 du 13 mars 2001. Voir aussi pour la Somalie le Rapport de l'expert indépendant sur la situation en Somalie, E/CN.4/1994/77/Add.1, §22 et pour l'Afghanistan celui du rapporteur spécial pour l'Afghanistan, E/CN.4/1994/53, §44.

155 Toutes les conventions de protection des droits de l'homme consacrent une liste de droits indérogeables en tout temps dont certains ont acquis la valeur de jus cogens, voir par exemple article du pacte international relatif aux droits civils et politiques et l'article 14 al 2 de la Convention européenne des droits de l'homme.

156 CIJ, Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du conseil de sécurité, avis consultatif du 21 juin 1971, CIJ Rec. 1971, pp. 47, §96.

157 UN Doc. A/50/18, Report of the Committe on the Elimination of Racial Discrimination, 22 september 1995, §593 - 596

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juridiquement tenues de respecter les dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme qui sont des instruments adoptés par des Etats, auxquels seuls des Etats peuvent officiellement adhérer ou que seuls des Etats peuvent ratifier » ; par conséquent « les mécanismes de surveillance établis en vertu de ces instruments ne sont pas habilités à contrôler les activités de ces groupes ni à prendre des mesures après avoir pris connaissances de rapports les concernant »158.

Ces mêmes difficultés d'applicabilité des règles du DIDH apparaissent également dans le champ d'application des règles du droit international humanitaire (ci-après DIH). Mais à la différence des règles de DIDH, les règles du DIH lient non seulement les Etats mais également les entités non étatiques qui participent aux conflits qui sont souvent à l'origine de la défaillance étatique. De fait, l'article 3, commun aux quatre conventions de Genève du 12 août 1949, imposent aux parties à un conflit armé non international le respect de certaines règles minimales du DIH. Mais toute la difficulté d'application de ces règles à un État défaillant réside dans la qualification de ces « parties au conflit ». De manière générale, pour avoir la qualité de « partie au conflit », un groupe armé doit présenter un certain degré d'organisation et disposer d'un commandement responsable qui pourra être tenu responsable de l'application des règles du DIH pendant le conflit159. Cette condition d'organisation, indispensable à la satisfaction de la compétence rationae materiae des conventions de Genève sur le DIH, ne saurait être vérifiée au niveau des groupes armés en conflit dans les Etats défaillants. Il peut parfois aussi se révéler difficile d'établir une distinction entre les belligérants et les civils car ces derniers deviennent souvent la cible directe des combats. De ce fait, il peut techniquement s'avérer difficile, voire impossible, de qualifier de tels groupes armés de « parties au conflit » afin de leur appliquer les règles du DIH. Toutefois, la pratique du conseil de sécurité, dans le cadre des conflits en Somalie et au Sierra Leone, a permis de dégager une conception presque coutumière des « parties au conflit » dans les Etats défaillants. Le conseil de sécurité, dans plusieurs résolutions, a retenu l'appellation « parties au conflit » pour qualifier les groupes armés en conflit dans ces Etats défaillants160. Cet assouplissement dans la qualification de ces groupes armés vise essentiellement à faire entrer leur agissement dans le cadre de la compétence matérielle des règles du DIH. Pour paraphraser la CIJ, ceci en raison des « considérations élémentaires d'humanité »161 qui inspirent ces règles et qui doivent s'appliquer même aux acteurs des conflits armés non internationaux ayant lieu dans les Etats défaillants et qui ne rentrent pas toujours dans le champ des conditions de conflictualité posées par les conventions de Genève de 1949 et leurs différents protocoles additionnels.

158 Rapport du Secrétaire Général à la commission des droits de l'homme, règles humanitaires minimales, E/CN.4/1998/87, 5 janvier 1998, §59

159 Article 1 du Protocole II additionnel aux conventions de Genève relatif à la protection des victimes dans un conflit armé non international, Genève le 8 juin 1977, entré en vigueur le 7 décembre 1978.

160 Sur le Libéria SC/RES/788 du 19 novembre 1992 et sur la Somalie SC/RES/814 du 26 mars 1993

161 CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats Unis d'Amérique), arrêt du 27 juin 1986, CIJ Rec. 1986, p. 114, §218 ; CIJ, Aff. Détroit de Corfou (Fond), arrêt du 9 avril 1949, CIJ Rec. 1949, p. 22, § 215.

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Il apparait ainsi de manière incontestable que la défaillance étatique ne permet pas aux Etats d'honorer leurs obligations primaires en particulier celles découlant du DIDH et du DIH. Mais qu'en est-il des obligations secondaires ?

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams