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Réflexions sur le concept d'états défaillants en droit international

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par Wenceslas MONZALA
Université de Strasbourg - Master II Droit International Public 2012
  

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A. Les chapitres VI et VII de la Charte de l'O.N.U.

Bien que constituant une nouvelle génération des opérations de maintien de la paix, les opérations de reconstruction des Etats relèvent du cadre juridique existant qui a toujours été appliqué par l'ONU dans sa mission de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Elles reposent dès lors sur ce que l'ancien secrétaire général de l'ONU, Dag Hammarskjöld, appelait le « chapitre VI et demi » oscillant entre les méthodes traditionnelles du règlement pacifique des différends consacrées par le chapitre VI et une action plus coercitive, moins axée sur le consentement en vertu du chapitre VII de la charte. Ainsi, le fondement des opérations de reconstruction des Etats doit trouver son point d'ancrage autant dans les dispositions du chapitre VI que dans celles du chapitre VII.

En effet, les opérations de reconstruction étatique, s'apparentant davantage à la diplomatie préventive195, s'inscrivent véritablement dans la logique des « procédés de pacification » de premier ordre consacrés par le chapitre VI de la Charte196. Toutefois, dans la mise en oeuvre des opérations de consolidation de la paix, les résolutions adoptées par le conseil de sécurité ou par l'Assemblée générale, ne mentionnent pas expressément la référence au chapitre VI de la Charte. Néanmoins, la détermination du fondement juridique dans le cadre du chapitre VI, pourrait être présupposée dans toutes les résolutions de l'ONU mettant en place des

195 A/47/277 - S/24111, Agenda de la paix, 17 juin 1992, op. cit., § 21.

196 VIRALLY M., L'organisation mondiale, Paris, A. Colin, 1972, p. 419

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opérations de consolidation de la paix. Il ne saurait en être autrement en raison de la nature structurelle de ces opérations dont la réussite nécessite le consentement de tous les acteurs impliqués. Le consensualisme va ainsi servir de socle à la pratique de la consolidation de la paix et pourrait s'entendre d'un double point de vue. Il s'agit d'abord d'une obligation juridique qui participe au respect du principe de l'égalité souveraine qui existe entre les Etats et qui n'autorise d'ingérence d'aucune sorte dans les affaires intérieures des autres Etats conformément au paragraphe 7 de l'article 2 de la Charte197. Le consentement de l'État hôte est requis à plus forte raison du fait des compétences reconnues à ces opérations ; lesquelles compétences touchent parfois à la substance même de la souveraineté de ces Etats. Si la consolidation de la paix peut se concrétiser par des activités de gouvernement dans les Etats défaillants, il serait impératif de recueillir, au préalable, le consentement de ces derniers en considération de la souveraineté de jure qui leur est encore reconnue. Comme l'a souligné la Cour internationale de justice dans l'Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, l'absence du consentement d'un État rend illicite une intervention internationale portant sur des matières dont la libre administration est garantie par le principe de l'égalité de souveraineté entre les Etats198.

Ensuite, l'exigence du consentement de l'État hôte semble également incontournable en ce qu'elle conditionne la réussite pratique des opérations de consolidation de la paix. De manière générale, ces opérations sont mises en place à la suite d'un accord entre les parties au conflit et l'ONU. Ainsi, la bonne exécution de ces accords repose fondamentalement sur une relation consensuelle qui doit exister entre les différents acteurs. C'est la raison pour laquelle le Rapport Brahimi appelle les opérations de consolidation de la paix des « opérations de mise en oeuvre des accords de paix »199. Le concours de l'État défaillant et des autres parties au conflit - les mouvements rebelles par exemple - est indispensable à la bonne exécution de ces accords de paix. La défaillance de l'État ne justifie pas qu'il lui soit appliqué des décisions auxquelles il n'a pas consenti au préalable. L'ancien secrétaire général, M. BOUTROS-GHALI, va dans le même sens quand il considère que « la consolidation de la paix n'est pas une thérapie que l'ONU peut imposer à un patient peu disposé à l'accepter (...) »200.

Toutefois, si le consentement de l'État hôte s'avère indispensable à la réussite de l'opération de consolidation de la paix, il ne constitue pas une nécessité juridique qui conditionne, dans l'absolu, la mise en place de telles opérations. Mais en cas d'échec des procédés pacifiques, le conseil de sécurité peut se dispenser de recueillir le consentement de l'État défaillant et décider de la mise en place d'une opération de consolidation de la paix sur le fondement d'un ensemble de dispositions, contenues dans le chapitre VII, qui lui donnent un pouvoir discrétionnaire d'action en cas de menace à la paix, rupture à la paix ou d'agression. La menace contre la paix, la rupture de la paix ou l'agression, qui doivent au

197 Pour une analyse approfondie des implications de cette disposition, Voir MAMPUYA A., « Historique et contenu de l'article 2§7 », in La pratique de l'exception posée par l'article 2§7 de la Charte des Nations Unies : Que reste-t-il de la clause de compétence nationale ? Civitas Europa n°17, Décembre 2006, p. 29.

198 CIJ, Affaires des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, arrêt du 27 juin 1986, CIJ, Rec. 1986, p. 108, § 205.

199 A/55/305 - S/2000/809 du 2A août 2000, Rapport du Groupe d'étude sur les opérations de paix de l'Organisation des Nations Unies, § 20.

200 A/51/1, Rapport du Secrétaire général sur l'activité de l'Organisation, 20 août 1996, § 1095

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préalable faire l'objet de qualification de la part du Conseil de Sécurité201, constituent ainsi les seules hypothèses dans lesquelles peuvent être appliquées les mesures coercitives contenues dans le chapitre VII de la charte. Dans le cadre des opérations de reconstruction, par rapport à la pratique du conseil de sécurité, une nouvelle condition, qui pourrait justifier une action en vertu du chapitre VII, a vu le jour : la défaillance étatique. Cette dernière n'est certes pas expressément consacrée par le conseil de sécurité dans ses résolutions. Mais il s'en dégage, de par l'attention portée par le conseil à ces Etats défaillants, l'idée que la défaillance étatique englobe plusieurs sources d'instabilité qui ont déjà été consacrées expressément par le conseil de sécurité comme des menaces à la paix et à la sécurité internationales. Il s'agit des atteintes massives aux droits de l'homme, des problèmes de gouvernance politique, de l'instabilité sociale, économique, etc. Cette qualification extensive des menaces à la paix et à la sécurité internationales va conduire le conseil de sécurité à décider de la création de plusieurs opérations de paix aux fins de la reconstruction de certains Etats défaillants en Afrique. Dans sa résolution 814, le conseil de sécurité va retenir les difficultés rencontrées par les autorités somaliennes dans le processus de réconciliation nationale ainsi que l'absence totale de légalité pour fonder la création de l'ONUSOM II202. Dans la résolution 1528, le Conseil de sécurité va considérer la dégradation de la situation économique en Côte d'ivoire comme une menace contre la paix et la sécurité internationales justifiant ainsi la mise sur pied de l'ONUCI203. Enfin, le conseil de sécurité va considérer que l'instabilité politique, sociale et économique d'Haïti représente une menace à la paix et à la sécurité internationales afin de créer la MINUSTAH en 2004204.

Ainsi, en évitant de consacrer l'État défaillant comme une nouvelle catégorie juridique et en fondant son action en vertu du chapitre VII, le conseil de sécurité recourt à des notions telles que les atteintes aux droits de l'homme, la violation du droit international humanitaire, etc. De cette façon, le conseil dispose dorénavant d'un continuum juridique allant du chapitre VI au chapitre VII qui lui permet de justifier ses actions de reconstruction des Etats défaillants. Hormis ce cadre juridique traditionnel des opérations onusiennes de maintien de la paix, il se dégage, de la pratique des Etats, un principe qui peut, à certains égards, constituer un fondement coutumier aux opérations de reconstruction des Etats.

B. L'émergence d'un foncement d'origine coutumière de la pratique de consolidation de la paix

Pour mémoire, il importe de rappeler que l'une des bases, sur lesquelles repose le système de la sécurité collective codifié par la Charte de l'ONU, est le principe de la souveraineté de

201 Article 39 de la Charte : « le conseil de sécurité constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ».

202 Préambule de la résolution S/RES/814 du 26 mars 1993

203 S/RES/1528 du 9 mars 2004, §1.

204 S/RES/1542 du 30 avril 2004, §1.

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ses Etats membres. Dès lors que tout Etat est considéré comme l'égal de l'autre, nul ne peut s'ingérer dans les affaires intérieures d'autrui205. Longtemps considéré comme un principe sacro-saint du droit international, la conception de la souveraineté des Etats n'a cessé d'évoluer autour des problématiques liées au droit d'ingérence humanitaire. Cette reconsidération va se confirmer, dans le discours international, avec l'émergence du concept d'Etats défaillants ayant permis de mettre en lumière la capacité des Etats à assumer véritablement cette souveraineté. En 2001, le rapport de la Commission Evans/Shanoun donnera l'occasion de préciser cette nouvelle conception de la souveraineté des Etats. La souveraineté n'apparaît plus comme un droit qui confère aux Etats la faculté de gérer de façon libre et indépendante leurs affaires intérieures, elle s'analyse désormais comme un devoir qui oblige l'État à assumer une série de responsabilités envers ses citoyens et envers les autres Etats206. En vertu de cette souveraineté fonctionnelle, l'État a désormais la « responsabilité (...) de protéger ses populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité ». Toutefois, « lorsque les autorités nationales n'assurent manifestement pas la protection de leurs populations (...) il incombe (...) à la communauté internationale dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies de mettre en oeuvre les moyens pacifiques appropriés (...) » et, « lorsque ces moyens pacifiques se révèlent inadéquats (...) » de mener « (...) une action collective résolue par l'entremise du Conseil de sécurité (...) »207 afin de protéger les populations de ces fléaux. Ce principe de la responsabilité de protéger, consacré par le document final du sommet mondial de 2005, n'est en réalité que l'écho de trois autres documents majeurs de l'ONU. En premier lieu, dans leur rapport « Un monde plus sûr : notre affaire à tous »208, le groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement mandaté par Kofi Annan avait déjà en 2004 adopté ce principe. Il sera ensuite repris par l'ancien secrétaire général Kofi Annan lui-même dans son rapport intitulé « Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l'homme pour tous »209. Enfin, la responsabilité de protéger s'est trouvée également au coeur du rapport de la CIISE en 2001210. Succédané du concept du droit ou devoir d'ingérence - dont elle n'est qu'une brillante traduction diplomatique211 - le principe de la responsabilité de protéger vient donc légitimer une intervention internationale aux fins de protection des personnes civiles lorsque l'État se révèle défaillant dans l'accomplissement de cette mission. D'après le Rapport Evans/Shanoun, cette responsabilité de protéger peut être fondée, entre autres, sur les dispositions de l'article 24 de la Charte qui consacre la responsabilité principale ou « primordiale »212 du conseil de sécurité dans le maintien de la

205 §1 et §7 de l'article 2 de la Charte de l'ONU.

206 Voir DENG F., Sovereignty as responsability : conflict management in Africa, Washington D.C., Brookings Institution Press, 1996, p. 290

207 A/60/L.1, Document final du sommet mondial de 2005, §138 et 139.

208 A/59/565 Rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement : Un monde plus sûr : notre affaire à tous, 2 décembre 2004, § 201 - 209.

209 A/59/2005, Rapport du secrétaire général du 24 mars 2005, § 135

210 La responsabilité de protéger, Rapport de la commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats, décembre 2001.

211 BOISSON de CHAZOURNES L. et CONDORELLI L., « De la « responsabilité de protéger », ou d'une nouvelle parure d'une notion déjà bien établie », in RGDIP, 2006, pp. 9 - 18.

212 D'après la version espagnole de la charte qui parle de la « (...) responsabilidad primordial de mantener la paz y la seguridad internacionales (...) ».

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paix et de sécurité internationales. Au-delà du conseil de sécurité, cette responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité internationales incombe traditionnellement à tous les Etats qui doivent « respecter et faire respecter »213 les règles protectrices des droits de l'homme, les règles du droit international humanitaire dont la violation massive pourrait mettre en péril la paix et la sécurité internationales. La violation de ces « principes intransgressibles du droit international coutumier »214 en raison de la défaillance d'un État, fonde ainsi la responsabilité des autres Etats à mener une action dans le cadre de la charte des Nations Unies afin de mettre un terme à ces violations. La défaillance étatique, étant désormais constitutive de menace contre la paix et la sécurité internationales215, donne par conséquent toute légitimité à une intervention pacifique ou armée, menée par la communauté internationale en vertu du principe de la responsabilité de protéger.

Cependant, si la justification du principe de la responsabilité de protéger s'appuie sur le droit des Nations Unies, sa consécration en tant que norme du droit international ne s'est pas encore opérée et, à la suite de la Commission Evans/Shanoun, l' « on n'est pas encore suffisamment fondé à affirmer qu'un nouveau principe de droit international coutumier est apparu (...) »216. Le principe de la responsabilité de protéger s'apparente ainsi à une coutume en devenir ; coutume dont l'élément matériel paraît incontestable au regard d' « (...) une pratique croissante des Etats et des organisations régionales, ainsi que les précédents du conseil de sécurité (...) »217. En effet, dans plusieurs résolutions relatives aux situations au Darfour (S/RES/1706 (2006) du 31 août 2006), en Côte d'Ivoire (S/RES/1975 (2011) du 30 mars 2011) ou encore en Lybie (S/RES/1973 (2011) du 17 mars 2011) le conseil de sécurité invoque le principe de la responsabilité de protéger, consacré par les paragraphes 138 et 139 du Document final du Somment mondial de 2005218. Ainsi, à partir de ces dernières résolutions, se développe, dans la pratique du conseil de sécurité et d'autres organisations internationales voire non gouvernementales, l'idée que les Etats, dans leur ensemble, portent une responsabilité de protection tant à l'égard de leurs propres citoyens que de ceux d'autres Etats. Toutefois, l'accession à la normativité de cette pratique est entravée par l'immixtion dans les interventions, au nom de la responsabilité de protéger, des données politiques et matérielles rendant ainsi ces interventions très sélectives, en dehors de toute considération à la protection des populations civiles219. Si la communauté internationale, à travers le conseil de sécurité, a décidé d'assumer sa responsabilité de protection à l'égard des populations ivoiriennes et libyennes, il ressort à l'heure actuelle, de la pratique du conseil de sécurité, que les populations du royaume de Bahreïn et de la Syrie ne « mériteraient » pas cette protection.

213 Article 1 commun aux quatre conventions de Genève

214 CIJ, Avis sur la licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis 8 juillet 1996, Rec. CIJ, 1996,

§79 ; CIJ, Avis du les conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif du 9 juillet 2004, § 157.

215 Voir supra A.) du paragraphe 2

216 Rapport de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats, décembre 2001, p.

16, §2.24

217 Id.

218 A/60/L.1, op. cit. §138 et §139.

219 Voir Géraud de La Pradelle, « Rôles du « droit » et de la « justice » en matière d'interventions humanitaires »,

in ANDERSSON N. et LAGOT D. (Sous la direction de), Responsabilité de protéger et guerres « humanitaires », Le cas de la Libye, Paris, L'Harmattan, 2012, pp. 21 - 38.

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Etant donné que l'application du principe de la responsabilité de protéger est subordonnée à des considérations politiques, la sédimentation et le raffermissement de l'opinio juris de cette pratique ne sont pas véritablement acquis au point de faire de cette pratique, un principe coutumier du droit international220. Les interventions sélectives, sur la base du principe de la responsabilité de protéger, constatées jusque-là ne sont pas de nature à permettre la cristallisation de cette pratique et à le renforcement de son opinio juris au sein de la communauté des Etats.

Mais en dépit de ces considérations ne relevant que de la technique juridique, la maltraitance des individus du fait de la défaillance étatique a toujours justifié une action de la communauté internationale. Les opérations de reconstruction des Etats s'inscrivent dans cette logique et peuvent ainsi justifier de leur légalité, tant au regard du droit des Nations Unies que dans la pratique des Etats et des organisations internationales, même si certaines spécificités se dégagent du régime juridique appliqué à cette nouvelle forme d'opération de paix. Cette innovation se traduit aussi en pratique à travers le caractère multidimensionnel de ces opérations.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault