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Réflexions sur le concept d'états défaillants en droit international

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par Wenceslas MONZALA
Université de Strasbourg - Master II Droit International Public 2012
  

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Paragraphe 2 : L'approche développementaliste des Etats défaillants

Cette analyse a été en partie développée avec l'étude de la place du concept d'Etats défaillants dans le discours sécuritaire des Etats-Unis et de l'UE. Elle nous a permis de démontrer que l'évolution qu'a connu ce concept en droit international le positionne désormais à la croisée des chemins entre la politique sécuritaire des acteurs de la scène internationale et leur politique de développement à l'égard des Etats défaillants. Dans les développements qui vont suivre, nous nous placerons dans le champ d'étude qui a vu émerger le concept d'Etats défaillants, à savoir le droit international du développement. Il serait alors intéressant, dans une perspective comparative, de mettre en lumière l'évolution du concept dans le discours des acteurs du développement international. Dans ce contexte, nous nous intéresserons d'abord à l'approche des institutions financières internationales (A) qui sont toujours au premier plan dans le processus de reconstruction des Etats défaillants. Leur pratique peut s'avérer très utile dans l'élaboration des critères de défaillance étatique (B) qui permettront une véritable reconstruction des Etats défaillants.

A. L'approche des institutions financières internationales

Ces IFI désignent le plus souvent des structures non - privées qui interviennent, par le biais de financements, auprès des gouvernements ou du secteur privé des Etats défaillants. Parmi ces IFI, on peut compter les Institutions de Bretton Woods, les banques de développement régional et les autres agences et institutions de développement bilatérales. Nous procéderons, dans cette partie, à l'analyse de l'approche développée par la Banque Mondiale (ci-après BM) et le Comité d'Aide au Développement de l'OCDE (ci-après CAD) en tant que principaux acteurs au développement dans les Etats défaillants.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Après la fin de la guerre froide, ces IFI ont de suite porté une attention particulière à la crise de l'institution étatique. Cet intérêt s'est traduit dans la réalité par le développement des notions de « bonne gouvernance », de « state bulding » qui ont souvent servi dans la recherche de l'efficacité de l'Aide Publique au Développement (APD) provenant de ces IFI. Après le 11/9, elles ont dû s'aligner dans la droite ligne de l'Agenda sécuritaire international qui a posé, comme priorité fondamentale, la lutte contre les menaces à la paix et à la sécurité internationale à travers des actions de développement en direction des Etats défaillants qui en sont souvent la cause. Afin de s'approprier cette mission, elles vont se départir de la conception sécuritaire des Etats défaillants et élaborer d'autres cadres conceptuels pour servir au mieux leurs objectifs de développement. C'est ainsi que la BM va mettre en place en 2002 le Low Income Countries Under Stress Office (ou le groupe d'étude sur les pays à faible revenu ou à difficulté). Le critère d'analyse retenu par la BM est donc le LICUS (Low Income Countries Under Stress) qui désigne les pays « caractérisés par de très faibles politiques, institutions et gouvernances ». Désormais, l'action de la BM ne se bornera plus seulement au transfert de ressources par le mécanisme des APD mais revêtira également une dimension plus politique à travers le renforcement des institutions étatiques, l'établissement de la bonne gouvernance afin de mener à bien les efforts de développement dans les Etats défaillants. Ce n'est qu'en 2005 que la BM va procéder à une réévaluation de ce critère. Le LICUS va ainsi évoluer et tendre vers la définition d'Etats fragiles dans les institutions financières internationales. Cette définition va désormais mettre l'accent sur la construction de la paix et de l'État, devenue un enjeu majeur des activités de développement, tout en prenant en compte la spécificité de chaque pays.

De son côté, le CAD de l'OCDE, après avoir expérimenté plusieurs terminologies, va aussi adhérer au consensus général autour de l'utilisation du concept d'Etats fragiles dans ses actions de développement envers ces Etats. En effet, dans l'objectif de lutter contre la pauvreté et de promouvoir, à cette fin, une gestion efficace de l'aide au développement, le CAD avait alors en 2003 adopté le concept de poor performers countries (ou pays peu performants) puis difficult partnerships (ou partenaires difficiles) pour qualifier les pays qui ne jouent pas un rôle de leader dans l'accomplissement de cet objectif. Il faudra attendre 2005 pour voir apparaître l'expression « Etats fragiles » dans un document officiel du CAD. Il s'agit de la Déclaration de Paris de 2005, sur l'efficacité de l'aide, dans laquelle les Etats fragiles sont définis comme « les pays caractérisés par un manque d'engagement politique et/ou par une faible capacité à développer ou mettre en oeuvre des politiques en faveur des pauvres, par la présence de conflits violents et/ou une faible gouvernance »93.

En somme, dans le cadre des actions de développement menées par les IFI, on peut observer l'émergence d'un consensus international non pas autour du concept d'Etats défaillants mais bien plutôt autour d'une nouvelle élaboration conceptuelle censée traduire au mieux les impératifs de la mission qui leur incombe. Mais dans le fond, on peut remarquer, dans cette approche, le spectre du concept d'Etats défaillants qui appréhende les Etats défaillants ou fragiles comme des sources potentielles d'instabilité de la société internationale. Par conséquent, dans la droite ligne de l'U.S National Strategy Security, l'aide publique au

93 Déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide, OCDE/CAD, 2005

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développement doit être utilisée comme un moyen de parer à ces défaillances. Mais dans l'impossibilité de concilier l'approche sécuritaire et l'approche développementaliste des Etats défaillants, la pratique des IFI a su dégager certains critères d'identification de ces Etats.

B. Vers des critères d'identification des Etats défaillants

Vouloir dégager les critères d'identification des Etats défaillants peut se révéler complexe en raison des écarts plus ou moins considérables qui existent entre toutes les formulations théoriques développées par les auteurs, les Etats, les organisations internationales, les institutions financières internationales, voire certaines organisations non gouvernementales94. Aussi, cet exercice peut-il s'avérer d'autant plus difficile en raison de la différence de culture juridique95 des concepteurs de ces théories mais également en raison de la diversité des critères d'identification qu'ils retiennent pour expliquer la défaillance étatique. Helman et Ratner, par exemple, regroupent, en se fondant sur le critère de la graduation de la défaillance étatique, les Etats défaillants en trois catégories : les failed states, les failing states et les new states established96. R. Rotbert, quant à lui, en se basant sur la capacité des Etats à satisfaire les besoins de leurs populations en termes de services publics, dégage deux catégories d'Etats défaillants : les failing states et les failed states97. Ainsi, du fait de la difficulté à distinguer les critères d'identification élaborés par les auteurs, un même pays peut parfois être catégorisé différemment par deux auteurs différents. A titre d'exemple, HELMAN et RATNER considèrent que la Somalie et le Cambodge sont des failed states98 tandis que ROTBERG décrit la Somalie comme un collapsed State et le Cambodge comme un weak state99.

Mais au-delà de la différence intrinsèque à tous ces critères, on peut remarquer que leur élaboration, tout comme la logique du concept d'Etats défaillants en lui-même, s'appuie en général sur l'analyse fonctionnelle de l'État. Ce serait donc le rapport créancier/débiteur qui existe entre l'État et sa population, dans l'exécution du contrat social les liant, qui peut permettre d'affirmer si l'État est défaillant. Sous cet angle, on peut donc distinguer des Etats qui « ne peuvent pas » et d'autres qui « ne veulent pas » satisfaire aux besoins primaires de leurs populations et ont, de ce fait, failli dans leurs fonctions fondamentales. Ces fonctions ont été dégagées par les IFI notamment la BM100. Elles seront ensuite précisées et classées en

94 A titre d'exemple, nous avons The Fund of Peace qui produit chaque année une indexation des Etats en situation de crise dans le monde.

95 on peut recenser dans la littérature juridique en langue anglaise, française et allemande, plusieurs terminologies qui abordent la question des Etats défaillants. En anglais : quasi-states, fragile states, collapsed states, state failure, weak state; en allemand: der Wegfall effektiver Staatsgewalt, gescheiterter Staat, zerfallender Staat, zerbrochener Staat, prämoderner Staat ; en français : État failli, État mou, État faible, État défaillant.

96 HELMAN et RATNET, op. cit. p.2

97 R. ROTBERG, «The failure and collapse of Nation-states : Breakdown, prevention and repair» in When States fail : Causes and Consequences, Princeton, Princeton University Press, 2003, p. 3.

98 HELMAN et RATNER, Ib., p. 2

99 R. ROTBERG, Ib., p. 46 et 49.

100 Banque Mondiale, L'Etat dans un monde en mutation : rapport sur le développement dans le monde 1997, Eska, Paris, p. 278 ; disponible en langue anglaise sur http://go.worldbank.org/1AF3C6JFZ0

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trois catégories par F. Fukuyama dans son livre State Bulding : Gouvernance et ordre du monde au XXIe siècle101 :

- Fonctions minimales : fourniture des biens publics, défense, santé publique,

amélioration de l'équité, protection des droits de propriété, protection des pauvres. - Fonctions intermédiaires : garantir l'éducation, la protection de l'environnement,

l'assurance sociale, la maîtrise des monopoles, la régulation financière.

- Fonctions activistes : politique industrielle, redistribution du capital.

Toujours selon Fukuyama, ces fonctions doivent être assumées au moyen d'un cadre législatif efficace, une bonne gouvernance et des institutions gouvernementales fiables. D'une manière générale, c'est aussi sur ces critères fonctionnels que s'appuient plusieurs organismes d'indexation des Etats défaillants (ou Etats fragiles selon la terminologie retenue). C'est en effet le cas pour l'Indice International du Risque (ou Country Risk Guide Number), l'Index humain de développement du PNUB ou encore l'Index Freedom House102 et le Failed States Index103 (du Fund of Peace) qui prennent en compte des critères plus généraux comme l'effectivité des droits politiques et des libertés civiles.

En définitive, il faudrait retenir que depuis son élaboration, le concept d'Etats défaillants n'a pu créer un véritable consensus international qu'autour de la seule réalité qu'il prétend décrire. Cette réalité est celle d'une crise de l'institution étatique, dans sa conception wébérienne, à savoir l'incapacité de l'État à « revendiquer avec succès le monopole de la violence légitime [...] » exercées sur « une communauté humaine dans les limites d'un territoire déterminé [...] »104. Ce consensus international s'est aussi établi autour de la menace que représenteraient les Etats défaillants dans l'émergence de nouvelles sources d'instabilité internationale. En revanche, en fonction des différents champs d'étude, plusieurs approches et plusieurs appellations ont servi à décrire cette réalité. Toutes ces dénominations, partant, les approches qui les sous-tendent, ne parviennent pas à donner un contenu juridique précis au concept d'Etats défaillants. Ce manquement peut justifier à certains égards la timidité du droit international dans la définition de leur régime juridique.

101 FUKUYAMA F., State Bulding : Gouvernance et ordre du monde au XXIe siècle, Paris, La table Ronde, 2005, p. 28.

102 Disponible sur http://www.freedomhouse.org/?page=1

103 Voir Annexe 1.

104 WEBER M., op. cit. p. 3.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe