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Mourir au Burundi: gestion de la mort et pratiques d'enterrement (de la période pré- coloniale à  nos jours )

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par Emmanuel NIBIZI
Université du Burundi - Licence en histoire 2005
  

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II. 4. 3. Un seul cimetière officiel mais abandonné : Rusabagi

Au Burundi, il n'existe pratiquement pas de cimetière fonctionnel et légal. On constate qu'avant la crise de 1993, le seul cimetière qui remplissait les conditions légales était celui de Rusabagi, en commune Mutimbuzi, entre les zones Maramvya et Mubone, dans la province de Bujumbura rural.106 Actuellement, il n'est plus utilisé à cause de la crise déclenchée il y a 12 ans. Il faut dire que la guerre a rendu l'endroit inaccessible. Les Tutsi ont abandonné ce site de peur d'être tués par des rebelles

106 . Enquête réalisée auprès d'un responsable de l'état civil en Mairie de Bujumbura.

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majoritairement hutu. Les Hutu ont eux-mêmes fui redoutant des attaques des milices tutsi connues sous le nom de « sans échecs » d'où l'abandon du cimetière.

Cependant, jusqu'ici, il n'y a pas d'ordonnance de la fermeture de ce cimetière et la population enterre partout où elle sent la sécurité. C'est le début des cimetières ségrégationnistes.

Photo n° 2: Cimetière de Rusabagi II. 4.4. Des Cimetières ségrégationnistes

Une grande ségrégation caractérise les cimetières surtout de Bujumbura et de ses environs. Il est nécessaire de souligner quelques éléments d'exclusion courants. Il s'agit de l'exclusion liée à la religion, au rang social ou à l'ethnie.

En effet, concernant l'exclusion religieuse, on peut dire qu'au Burundi, il y a une séparation entre les terrains funéraires pour les musulmans et le reste de la communauté (chrétienne et païenne). Pendant la colonisation, les catholiques ont été séparés des païens d'une part et des protestants, d'autre part, et ensuite des musulmans. Ainsi, la lettre n° 508/Just, écrite au Résident de l'Urundi à Kitega par l'Administrateur du territoire de Rutana, le 20 avril 1954 est significative à ce sujet. Selon cette correspondance là où l'on dispose des terres suffisantes, les cimetières

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communaux devraient avoir une superficie de quatre hectares réparties comme suit: 2 hectares réservées aux catholiques, 1,5 hectares pour les païens et 0,5 hectares pour les protestants. 107

Comme on le constate dans cette lettre, on ne prévoit même pas de place pour des musulmans dont "les tombes doivent occuper un emplacement spécifique dans le cimetière, à l'écart des tombes des morts d'autres religions. Il serait souhaitable que cet emplacement représente l'équivalent de la population musulmane résidant sur la commune (...)".108

Notons que cette répartition suivant les confessions posait aussi des problèmes

pour les protestants pour lesquels rien n'était plus prévu par la législation
coutumière. Ainsi, en date du 18 novembre1954, le Représentant Légal de World Gospel Mission à Kayero (Rutana), Monsieur Harold SHINGLEDECKER a adressé une correspondance à l'Administrateur de Territoire de Ruyigi pour l'amener à prévoir un lieu d'inhumation pour cette catégorie de la population. Voici ses propos:

« (...) quelle disposition vous pourvoyez pour l'enterrement des morts protestantes. Est-il possible pour le sous-chef de nous mesurer une partie du cimetière? Nos catéchistes près de Buranga disent qu'il y a des cimetières de l'Etat près de chacune de nos chapelles-écoles. Si nous en pouvons avoir une partie pour nos indigènes (...) ».

La réponse de l'Administrateur territorial semble catégorique à en croire sa lettre du 23 novembre 1954:

"(...) il ne peut être question de créer des cimetières protestants avant que l'arrêté du Mwami relatif à la création de cimetières indigènes n'ait paru."

A Mpanda, par exemple, étant donné que les musulmans constituent une minorité démographique, la place leur réservée est très réduite comparativement à celle occupée par d'autres composantes religieuses.

107. F. Vermuyten, l'Administrateur de Territoire Rutana, lettre au Résident de l'Urundi à Kitega, Archives Nationales, Bujumbura, Kitega AA 152, 1933-1960, liasse 1 (1954-1956).

108. A.A.SAMI, Les Cimetières, normes et pratiques chez les Musulmans et leur implication en Suisse, l'Harmattan, Paris, 2001, p.34

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Selon une circulaire de la Fondation des Cimetières Islamiques Suisses (FCIS) de mars 1993, "les tombes des musulmans doivent occuper un emplacement spécifique dans le cimetière, à l'écart des tombes des morts d'autres religions". 109

Quant au rang social, on remarque toujours que ceux qui ont été bien considérés sur terre, occupent des places d'honneur au cimetière. En guise d'illustration, retenons la place nouvellement réservée aux hauts cadres burundais à Mpanda. Cette partie a été créée avec la mort de feu Ministre de l'intérieur Simon Nyandwi. En multipliant les exemples de ségrégation, on peut évoquer le cas des responsables de l'Eglise catholique, c'est-à-dire les évêques qui sont enterrés à l'intérieur des cathédrales.

Ainsi, les évêques André Makarakiza et Joachim Ruhuna reposent à l'intérieur de la cathédrale de Gitega pendant que les autres membres du clergé (prêtres et soeurs) rejoignent le cimetière commun de Mushasha. Dans ce même ordre d'idée, actuellement les tombes des gens aisés sont en matériaux durables avec une architecture sophistiquée à côté des tombeaux sans identité. Le phénomène, quoique récent pose de sérieux problèmes de reconversion des anciens sites d'inhumation. On assiste de plus en plus à une demande accrue d'espaces supplémentaires destinés à la clôture des tombes. Comme déjà dit, à côté de ces espaces construits et réservés, il existe d'autres sites funéraires dont les tombes ne sont qu'une simple motte de terres surélevée et dont la durée reste éphémère comme si les demeures de ces retraités de la terre sont l'image de l'habitat des vivants qu'ils furent.

Pour ce qui est de la division ethniste des morts, cela a fortement été observé pendant la crise de 1993 surtout dans les cimetières de Mpanda et Kamenge, devenus respectivement pour Tutsi et pour Hutu. Ces pratiques séparatistes et ethnistes aux cimetières étaient le prolongement de la "balkanisation" des quartiers de la capitale en hutuland et en tutsiland.

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