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Le développement de l'industrie musicale en Grande-Bretagne de l'entre-deux-guerres aux années Beatles : une trajectoire d'innovation globale?

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par Matthieu MARCHAND
Université Michel de Montaigne - Bordeaux III - Master Histoire 2012
  

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B/ Un catalogue en constante évolution

Après s'être attardé sur des aspects quantitatifs, il faut désormais se centrer sur des aspects plus qualitatifs : si la production de musique est en constante augmentation, elle ne répond pas seulement à une hausse de la consommation mais elle s'adapte également à un univers de goûts personnels, au sein d'un dialogue étroit entre le public et les firmes : « L'accessibilité rend possible l'ajustement entre une production et des goûts qu'elle aiguise par les découvertes et les comparaisons qu'elle permet. » 125 Le lien avec l'innovation technique est là encore évident puisque avec l'allongement des durées d'enregistrement, les compagnies Gramophone et Columbia ont su s'adapter pour répondre aux besoins qu'elles avaient d'offrir au public un catalogue de choix, lié à la musique « sérieuse ».

Au début du XXe siècle, l'opéra (est en général tout ce qui se rattache à l'enregistrement vocal) est en premier concerné : genre musical en vogue à l'époque, il est aussi celui qui s'accommode le mieux aux propriétés sonores alors assez réduites du phonographe (v. Chapitre 1). L'exemple très célèbre du ténor Enrico Caruso est encore aujourd'hui cité à de

124 Ce second schéma s'inscrit dans la continuité chronologique du précédent et attire l'attention sur deux points : la croissance exponentielle à partir de la seconde moitié des années 1920 (1925 est l'année de la « révolution électrique »), puis une phase de récession conséquente à la crise de 1929.

125 Idem, p. 245.

nombreuses reprises : connu pour avoir été l'un des premiers artistes à avoir enregistré pour la Gramophone Company le 11 avril 1902 à Milan, il obtint une renommée internationale (« Vesti la giubba » en 1903), confirmée après la guerre avec l'un de ses plus grands succès, « O Sole Mio », enregistré en 1916. De plus, la fortune que Caruso gagna au fil du temps (il grava 265 titres dont 31 furent publiés après sa mort126) grâce aux royalties et le chiffre d'affaire d'environ 8 millions de livres qu'il généra pour la firme poussa ces contemporains à faire de même. Ainsi, les sopranos Nellie Melba et Adelina Patti réalisèrent leurs premiers disques respectivement en 1904 et en 1906. L'essor de cette politique éditoriale de la Gramophone Company à échelle internationale s'accentue après la guerre, soutenu par le ralliement des mélomanes et l'éclosion des revues spécialisées. Parmi celles-ci, le témoignage de la Talking Machine News en 1905 est révélateur : « Beaucoup a été fait pour accroître la réputation de la machine parlante et ce, en incitant les artistes connus à chanter et à jouer sur les disques. Il n'y a pas le moindre doute sur le fait que les personnes qui ont tout d'abord raillé et méprisé ces instruments ont changé d'avis et de sentiment quand elles ont appris que Melba, Caruso, de Reszke, Suzanne Adams, Ben Davies, Kubelik, Kocian et bien d'autres avaient sorti des disques. »127 Les rapports de courtisanerie entretenus par les firmes pour s'approprier des contrats exclusifs et de longue durée aux artistes d'opéra les plus connus dans le monde de la musique sous-entend le fait que la réputation de ces artistes en terme culturel servirait à la maison de disques elle-même.

Par la suite, c'est au tour de la musique instrumentale d'être concernée128 dans les années vingt, décennie du boom discographique. L'introduction de l'électricité et les recherches dans ce domaine129 furent une rampe de lancement pour ce style de musique (il comprend la musique d'orchestre mais aussi la musique de chambre puisqu'une rubrique « String Quartet » est ouverte au lendemain de la guerre par HMV), qui atteint la première place en nombre d'enregistrements au cours de la Seconde guerre mondiale, alors même que l'opéra ne cesse de régresser pour se fondre dans la moyenne au début des années cinquante. Deux firmes en particulier se spécialisèrent : Columbia et, dans une moindre mesure, Decca.

126 LESUEUR, Daniel, op. cit., p. 45.

127 Our Expert, « Helps and Hints », Talking Machine News, mai 1905, vol. III, n° 1, p. 9 cité dans OSBORNE, Richard, op. cit., pp. 76-77.

128 En 1913, pour la première fois, un orchestre et un chef réputé (Arthur Nikisch et le Philharmonique de Berlin) enregistrent une symphonie entière, la Cinquième de Beethoven.

129 En 1923, la Gramophone Company lance son propre département de recherche et de développement.

Columbia se fit une réputation dans l'enregistrement d'orchestres130 mais surtout dans la redécouverte d'oeuvres appartenant au passé. En 1927, elle entreprend pour les cents ans de la mort de Beethoven une ambitieuse série d'enregistrements électriques des symphonies du compositeur, dont les cinq dernières sous la direction de Felix Weingartner, et fera de même l'année suivante pour Schubert. Cette notion de re-découverte est primordiale, dans la mesure où la notion d'oeuvre demeure une catégorie centrale de la vie musicale depuis le XIXe siècle, en lien avec l'esthétique romantique et post-romantique pour laquelle le respect (et la vénération) de l'oeuvre telle qu'elle a été pensée par son créateur sont fondamentaux131. Le prisme de l'innovation permet donc de montrer jusqu'à quel point l'histoire de la musique proprement dite ne se mesure pas uniquement avec l'apparition de nouveaux genres qui viendraient se substituer aux anciens, mais qu'en outre il pousse à comprendre comment tout un pan de la musique ancienne fut lui aussi réinvesti par la nouvelle technologie132. En 1924, Columbia se prévaut de la production suivante, réalisée au cours des dix-huit mois précédents : les Planètes de Gustav Holst, les Symphonies n° 3, 7 et 8 de Beethoven, la n° 6 de Tchaïkovski (dite « Pathétique »), le Bourgeois Gentilhomme de Strauss, le Quatuor en Ut majeur de Mozart, le Quatuor en Ré majeur de Haydn, une Suite pour Flûte et Orchestre de Bach133. L'année précédente, elle avait déjà, selon Joe Batten, convertit un grand nombre d'auditeurs à la musique de chambre enregistrée en publiant les premiers enregistrements du quatuor Léner134. Enfin, au début des années trente, la même Columbia entreprend son History of Music by Ear and Eye, supervisée par Percy Scholes, et qui couvre de façon empirique la musique occidentale du chant médiéval à Varèse.

À la même époque, Parlophone propose ses Two Thousand Years of Music, anthologie placée sous la direction d'un universitaire, Curt Sachs. Quant à Decca, elle lance à son tour en 1929 une série d'enregistrements (le Sea Drift de Frederick Delius, Orphée aux Enfers de Jacques Offenbach, le Jutich Medley de Percy Grainger, etc.) et l'année suivante, elle obtient des droits pour exploiter le riche catalogue de musique classique de Polydor. Vers le milieu des années trente, elle ajoute à son catalogue des artistes classiques comme Henry Wood, Clifford Curzon, Hamilton Harty et Boyd Neel. Les années trente marquent également un renouveau du catalogue pour le groupe EMI (v. infra), d'autant qu'après l'accession d'Hitler

130 Dès 1905, Columbia avait lancée la série « Grands opéras records » puis, en 1910, elle se chargea de produire les premiers enregistrements de musique symphonique alors que le microphone n'existait pas encore.

131 MAISONNEUVE, Sophie, op. cit., p. 251.

132 À titre comparatif, on retrouve les mêmes similitudes à l'heure actuelle avec le mouvement des « remasterisations ».

133 The Gramophone, août 1924, vol. II, n° 3, p. XI.

134 Cf. BATTEN, Joseph, Joe Batten's book : the story of sound recording, 1956, p. 65.

au pouvoir le 30 janvier 1933, toute une vague de musiciens cherchent refuge à Londres. Quelques artistes majeurs sont également signés : Arturo Toscanini, Wilhelm Furtwängler, Edward Elgar ou encore Thomas Beecham. De plus, EMI pouvait compter sur un fidèle public de mélomanes : un système de souscriptions permit de réaliser des projets d'envergure et d'enregistrer un répertoire moins connu. Après le succès de la Hugo Wolf Society, naquirent la Beethoven Sonata Society, pour laquelle Arthur Schnabel enregistra sur disque les trente-deux sonates, et la Bach Society, qui commanda à Albert Schweitzer l'intégrale pour orgue, à Pablo Casals les suites pour violoncelle seul et à Wanda Landowska les Variations Golberg au clavecin.

Figure 10

Évolution du nombre de compositeurs dans les catalogues Pathé et HMV135

Tiré de : MAISONNEUVE, Sophie, L'invention du disque 1877-1949 : genèse de l'usage des médias

musicaux contemporains, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2009, p. 248.

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