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Le développement de l'industrie musicale en Grande-Bretagne de l'entre-deux-guerres aux années Beatles : une trajectoire d'innovation globale?

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par Matthieu MARCHAND
Université Michel de Montaigne - Bordeaux III - Master Histoire 2012
  

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III/ Contrats et négociations commerciales à l'heure de la crise de 1929

Lorsque éclate la crise économique de 1929, et que s'effondre le marché mondial, les majors anglo-saxonnes sont d'en l'obligation de fusionner afin de pouvoir faire face à la baisse du pouvoir d'achat et à l'expansion de la radio, un média alors en pleine expansion que les firmes américaines ont surveillé avec méfiance. Alors que les ventes aux États-Unis de 78-tours et celles des appareils s'effondrent145, un nouvel âge s'ouvre, celui de l'intégration des compagnies discographiques au sein de conglomérats multimédias avant la lettre, susceptibles à la fois de réduire le « degré d'incertitude » des firmes à anticiper les débouchés commerciaux, tout en atténuant une concurrence dopée par l'arrivée de la radio.

A/ Une réaction à la crise : la naissance d'EMI (1931)

Le 4 janvier 1929, les parts majoritaires dans Victor que des banques avaient rachetées à Eldridge Johnson en 1925 ($28 millions au total) sont revendues à la Radio Corporation of America (RCA), qui profita de son usine et d'un réseau de distribution bien organisé. La Victor Talking Machine Company devient RCA Victor. Il en sera de même plus tard pour Columbia et CBS. Au cours des années trente, dans les conglomérats ainsi formés, c'est la radio qui apporte de l'argent alors que les ventes de disques et de phonographes sont au plus bas.

J'ai choisi de mettre en avant la cas américain pour bien comprendre que si dans ce cas, les firmes passent sous le contrôle de groupes étrangers au disque, ce n'est pas le cas en Angleterre où l'on voit se constituer un pôle dont le disque reste le coeur de l'activité (v. en l'occurrence la production de disques des Anglais en 1928, devant les Américains, infra). Les relations entre les deux médias (disque/radio) sont alors bien moins tendues. L'industrie phonographique a trouvé un marché relativement stable en cette période d'ouverture du

144 MAISONNEUVE, Sophie, op. cit., pp. 189-190.

145 Aux États-Unis, elles représenteront en 1932 à peine le dixième des scores de 1927 et en Allemagne, passeront de 38 millions d'unités en 1928 à 5 millions en 1935 pour remonter à 18 en 1938. LEFEUVRE, Gildas, Le guide du producteur de disques, Paris, Dixit, 1998, p. 10.

marché (baisse des prix, développement et diversification du répertoire) : le compromis était de faire de la radio un tremplin pour le gramophone, en faisant connaître les artistes146 qui enregistrent pour lui mais aussi en diffusant les nouveautés discographiques dans les foyers. Réciproquement, le recours au disque permet à la radio des économies de moyens, puisqu'il lui évite d'employer un orchestre à temps complet. La coopération se consolide par des liens interpersonnels : dès 1924, Compton Mackenzie est invité par la BBC à présenter des enregistrements de musique classique au cours d'une « Gramophone Hour ». Il est relayé par son beau-frère Christopher Stone. Le succès est tel que les firmes commencent alors à acheter des plages horaires pour la diffusion de leur production147.

Figure 12

Évolution comparée de la production de disques (en millions de dollars)

146 Des artistes comme Bing Crosby ou Jack Hylton ont vu leur célébrité s'accroître grâce au médium radiophonique.

147 FRITH, Simon, op. cit., p. 284.

Figure 13

Évolution comparée de la production de machines parlantes (en millions de dollars)

Tiré de : « Le commerce international des machines parlantes », Machines parlantes et radio, n° 121, décembre 1929, p. 525 cité dans MAISONNEUVE, Sophie, L'invention du disque 1877-1949 : genèse de l'usage des médias musicaux contemporains, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2009, p. 239.

Cependant, le rachat de Victor par RCA obligea la Gramophone Company (HMV) à envisager un changement de stratégie148 : malgré l'acquisition en mars 1929 du plus important producteur de radios de l'époque, Marconiphone, cela ne suffit pas pour faire face à la crise ; alors qu'en 1930, la British Columbia et la Gramophone Company produisaient un gain combiné de £1,45 million, en 1931, elles n'obtiennent seulement que £160 000149. Par conséquent, la même année, Gramophone et Columbia - tout en maintenant leurs productions et labels commerciaux propres - constituent en avril une nouvelle société baptisée Electrical and Musical Industries (EMI). On assiste alors à un foisonnement de labels avec filiales territoriales et productions internationales et locales. EMI contrôle l'année de sa création une cinquantaine d'usines disséminées dans 19 pays. Son capital s'élevait à £6 1/2 million. Elle eut pour premier directeur l'ancien président de la Gramophone Company, Alfred Clark, et comme premier manager, Louis Sterling. De plus, parmi les collaborateurs de Clark, on retrouve alors David Sarnoff, président et fondateur de RCA. L'année de sa fondation, EMI conserve donc des liens très forts avec les États-Unis puisque près de ses deux tiers sont en propriété américaine exclusive, et ce en raison des actionnaires de RCA dans le cas de la

148 N'oublions pas que Victor dépendait à 50% de la Gramophone Company depuis 1920.

149 MARTLAND, Peter, Since records began : EMI - The first 100 years, [Londres], Amadeus Press, 1997, p. 136.

Gramophone Company, et de la banque d'investissement américaine, JP Morgan, dans le cas de Columbia150.

Mais entre temps, qu'était devenue à ce propos Columbia-UK depuis que sa maison mère américaine est été acculée à la faillite à partir de 1923 ? En réalité, le 31 mars 1925, on observe un renversement total des filiations entre une major américaine et sa filiale britannique : la British Columbia rachète le 31 mars 1925 son ancienne société mère pour 2,5 millions de dollars. À partir de 1927, Sterling devient manager de la Columbia-UK (aussi dénommée Columbia Graphophone Company) et Sir George Croydon Marks, directeur de la firme. Avec la formation d'EMI, on aurait pu s'attendre qu'en raison d'un tel déclin, Columbia-US ait pu être incorporée dans le nouveau conglomérat. Cependant, les lois antitrust américaines l'interdisaient : par conséquent, elle passa d'une crise à l'autre jusqu'à son rachat par la compagnie ARC (American Record Corporation), elle-même absorbée en 1938 par le groupe radiophonique CBS (Columbia Broadcasting System). Qui plus est, ses actions ont dû être transférées au consortium Grigsby & Grunow (marque de radios Majestic). À l'opposé, l'ascension de la Columbia Graphophone Company se confirme encore et toujours puisqu'en 1927, elle prend sous son aile l'allemande Carl Lindström ainsi que le label Parlophone (en septembre). Par la suite, elle acquiert l'américaine OKeh, Nipponophone au Japon, mais aussi Pathé en France.

Afin de comprendre comment EMI réussie à maintenir ses positions et les conséquences qui ont nécessairement suivies la fusion de 1931 (v. annexe 6), j'ai choisi d'analyser plus en détails certains cas spécifiques :

Par exemple, en Allemagne, suite à la fusion de leurs maisons-mères, Electrola (associée à Gramophone) et Lindström (liée à Columbia) associent leurs répertoires151. En tant que filiales d'EMI, Lindström et Electrola restent les seules véritablement actives sur le marché allemand152. Dans le même ordre d'idée, afin de ne pas casser les liens qui unissaient respectivement jusqu'alors les labels Regal et Zonophone aux maisons-mères Columbia et Gramophone, les deux labels fusionnent en janvier 1933 pour donner naissance aux Regal Zonophone Records. On observe donc à quel point la fondation d'EMI s'accompagne d'un

150 TSCHMUCK, Peter, Creativity and innovation in the music industry, Dordrecht, Springer, 2006, p. 60.

151 Elles ne fusionneront réellement qu'en 1953.

152 N'oublions pas que la Deutsche Grammophon s'est séparée par le gouvernement allemand de sa maison-mère britannique, la Gramophone Cy, après la guerre. En 1937, elle s'associe avec Telefunken Schallplaten. Cette association durera jusqu'en 1941, année où Telefunken est repris par AEG et Deutsche Grammophon par Siemens.

mouvement de concentration des industries, soucieux de respecter les filiations maisons-mères/maisons-filles de l'« avant-1931 ».

Si on prend le cas français, encore plus intéressant, il est l'objet d'une restructuration quasi-intégrale de son marché du disque en raison de son retard technique sur ses concurrents. Rappelons au passage qu'outre son impact sur le plan strictement musical, la révolution électrique modifia la physionomie du marché mondial, et accentua le recul d'Edison du monde de l'industrie du disque. Adopté par Victor aux États-Unis, le procédé est approprié par l'industrie anglo-saxonne qui se convertie entre 1925 et 1926. Les compagnies anglaises et américaines, outre les filiales qui les lient les unes aux autres, sont donc en position de force. Ainsi, si dès 1926, la British Columbia reprit la majorité des actions de la firme allemande Lindström, c'est pour la faire bénéficier avant tout des avancées technologiques de l'électricité. En outre, elle prit par la même occasion sous son aile la Transocean Trading qui englobait aux Pays-Bas les succursales de Lindström à l'étranger153.

Or, la France est restée dès le départ sur une stratégie défensive qui causa clairement sa perte (v. infra). Sur ces deux principales firmes actives, entre Pathé et la Compagnie française du gramophone, seule cette dernière importa la nouvelle technique en 1926. Pathé, quant à elle, reste la seule dans les années 1926-1927 à toujours commercialiser des disques à gravure verticale des sons (disques à saphir), alors que la plupart des concurrents ont adopté la gravure latérale, qui fonctionne avec un appareil de lecture à aiguille et offre un répertoire bien plus vaste 154 . À partir d'octobre 1928, Pathé passe sous le contrôle financier de l'anglaise Columbia, qui va la faire bénéficier des avancées dues à l'enregistrement électrique. EMI finalise ce processus d'absorption en rationnalisant dès lors la production par une série de mesures visant à ajuster les performances technologiques aux normes anglo-saxonnes, et lui faisant perdre le peu d'autonomie qui lui restait. Entre juin et octobre 1931, les techniciens anglais viennent apporter un nouveau matériel à l'usine Pathé de Chatou, ainsi que pour former les techniciens français. Lors du banquet annuel donné par Pathé à l'automne 1931, ce n'est pas Émile Pathé mais le nouvel administrateur Alfred Willard qui prend la parole devant les représentants de la marque pour tracer les grandes lignes de la stratégie future de l'entreprise. Entre 1928 et 1931, la principale compagnie française est donc passée sous le contrôle capitalistique et technologique anglo-américain, sous l'effet d'une dynamique de

153 TSCHMUCK, Peter, op. cit., p. 48.

154 L'enregistrement à gravure verticale donne un disque à sillon de profondeur variable, modifiant son incrustation avec l'intensité sonore, tandis que la gravure latérale donne un sillon de profondeur constante, mais d'ampleur variable. Le second procédé permet une meilleure définition du son.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery