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Le développement de l'industrie musicale en Grande-Bretagne de l'entre-deux-guerres aux années Beatles : une trajectoire d'innovation globale?

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par Matthieu MARCHAND
Université Michel de Montaigne - Bordeaux III - Master Histoire 2012
  

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B/ Les signes avant-coureurs d'une future révolution musicale et structurelle

Si on continue sur le registre de la musique populaire, la bande magnétique, en complémentarité du 45-tours et de la radio, transforma elle aussi l'art de l'enregistrement. Elle allait jusqu'à constituer un des facteurs principaux de l'explosion du rock aux États-Unis203,

199 Cf. COTRO, Vincent, « Jazz : les enjeux du support enregistré » in DONIN, Nicolas, STIEGLER, Bernard (Dir.), Révolutions industrielles de la musique, Paris, Fayard, Cahiers de médiologie / IRCAM, n° 18, 2004, 228 p.

200 Ibid., p. 53.

201 Il est important de préciser que dans la musique classique, le compositeur est présenté comme le maillon essentiel tandis que dans les musiques populaires, l'accent est plutôt mis sur le performer. À ce titre, il est logique que les techniques interviennent de façon plus systématique puisque ces dernières intensifient, amplifient la performance.

202 DELALANDE, François, « Le paradigme électroacoustique » in NATTIEZ, Jean-Jacques, op. cit., p. 543.

203 Comme le montre Richard Peterson, ce n'est pas uniquement sous le talent d'un Elvis Presley, ni sous l'effet d'une demande des enfants du baby-boom (ils avaient alors à peine 10 ans) que le rock est né en 1955, mais bien plutôt parce qu'une conjonction technologique, précisément un mariage du disque, de la bande magnétique et de

qui intervient dans le milieu des années cinquante, par des signes avant coureurs que l'industrie du disque n'a pas su apercevoir. J'ai choisi ici encore à titre exceptionnel de d'abord prendre en compte le modèle étasunien204 afin d'aborder avec précision la fusion radicale qui s'est opérée entre l'innovation technologique et les mutations de l'industrie musicale, phénomène moins évident dans le cas anglais pour des raisons qu'il convient d'expliquer. De plus, l'émergence du rock, comme le jazz quelques années auparavant, fut une rupture majeure dans l'histoire de la musique au XXe siècle parce qu'elle constitua un nouveau paradigme205. Un paradigme est un changement radical dans un système établi de normes et de valeurs. Il se caractérise par l'intégration de « routines » 206 qui vont déterminer le système de production, de distribution et de réception et, à la différence d'une vision traditionnelle sur l'innovation, le paradigme ne se limite pas à de simples innovations techniques. Le changement intervient dans un paradigme lorsqu'un nouveau système en conteste l'ancien. Au départ marginaux, les acteurs de ce changement provoquent un renversement à partir du moment où l'ancien système n'est plus en mesure de contrôler les mécanismes qui déstabilisent les routines établies. En l'occurrence, si le rock est au départ ignoré par les majors, ce n'est pas uniquement pour des raisons esthétiques mais bien parce que les normes du paradigme étaient dépassées, sans forcément que les acteurs ne disposent de la clairvoyance nécessaire pour s'en rendre compte à temps. Quatre phases peuvent être distinguées dans la construction d'un paradigme :

la radio (la FFC - Federal Communications Commission - décide d'attribuer au niveau local les ondes radiophoniques), a permis cette éclosion. PETERSON, Richard A., « Mais pourquoi donc en 1955 ? Comment expliquer la naissance du rock » in MIGNON, Patrick, HENNION, Antoine (Dir.), Rock : de l'histoire au mythe, Paris, Anthropos, coll. « Vibrations », 1991, p. 20.

204 Pour une étude plus approfondie de l'histoire de la musique populaire enregistrée aux États-Unis, je renvoie à : PETERSON, Richard A., BERGER, David G., « Cycles in symbol production : the case of popular music » (1975). Les deux auteurs distinguèrent une succession de cinq phases entre 1948 et 1973.

205 Il s'agit de l'un des plus importants mais ce ne fut en aucun cas le premier : par exemple, le début de notre période, l'entre-deux-guerres, correspond à un moment où le phonographe et le disque entrent dans une période de construction d'un nouveau paradigme au regard du précédent, à un moment où l'écrit et la partition dominaient encore au sein des pratiques musicales.

206 Je renvoie ici à la thèse de Corinne Tanguy : Apprentissage et innovation : le phénomène des routines (1996).

Figure 18

Nouveauté ignorée

Confrontation
des systèmes
ancien/nouveau

Nouveauté combattue

Nouveauté acceptée

D'après TSCHMUCK, Peter, Creativity and innovation in the music industry, Dordrecht, Springer, 2006, p. 211.

Concrètement, rappelons-nous de la cassette Scotch, mise au point par la 3M. Cette invention primordiale fut rapidement accaparée par les stations de radio américaines car elle leur permettait de préenregistrer leur programme. Autant les majors rejetèrent l'usage de la cassette magnétique, craignant que les consommateurs ne se servent des bandes les moins onéreuses pour enregistrer directement à partir des émissions de radio, autant elles en profitèrent également pour freiner la diffusion de la nouvelle technologie en refusant d'utiliser dans leurs propres studios la bande magnétique comme procédé d'enregistrement. À l'inverse, les petites compagnies tenaient ici une opportunité pour enregistrer leur répertoire sur cassette et ainsi l'offrir dans cette forme aux stations de radios 207. La nouvelle technologie a l'avantage de réduire les coûts de dépense nécessaires à la construction d'un studio d'enregistrement car le magnétophone est léger, pratique et peu coûteux comparé à un appareil de lecture sur disque ; le ruban magnétique, efficace et réutilisable à volonté, est un support économique. Entre 1947 et 1949, son usage se généralisa dans les studios professionnels, libérant l'enregistrement de la linéarité temporelle à laquelle il était assujetti et lui apportant beaucoup de souplesse208. Quant aux 45-tours, légers et plus résistants, ils étaient le plus souvent envoyés par la poste aux stations de radio, via l'intermédiaire de petites marques, et pouvaient être écoutés facilement par le public sur les juke-box qui, à partir du début des années cinquante, s'adaptent facilement aux différents formats du disque. Par conséquent, le nombre de petits labels indépendants explose pour les seuls États-Unis, passant

207 TSCHMUCK, Peter, op. cit., p. 93. Le magnétophone est utilisé pour la radiodiffusion à la BBC en 1932.

208 Parmi les nombreux avantages du ruban magnétique : la longue durée des prises, une écoute immédiate, une copie immédiate, une opération sur le son, le montage, le mixage et l'enregistrement multipiste. Pour plus de précisions, consulter HAINS, Jacques, op. cit., pp. 918-919. De même, si la bande magnétique a conquis les studios d'enregistrement, il faut cependant attendre le système Philips, présenté en 1963 à Berlin, qui permet de miniaturiser l'équipement, enfermer bobines et rubans dans un boîtier ou une cassette.

de 11 à 200 sociétés entre 1949 et 1954209. Ces nouveaux venus, à l'image par exemple des labels Motown ou Stax, firent souvent oeuvre de pionniers en explorant des créneaux délaissés par les grosses sociétés qui, elles, se cantonnaient dans le répertoire standard.

C'est cette conjonction entre différents facteurs et acteurs qui a ainsi permis l'émergence d'une constellation de possibilités nouvelles nécessaires à l'explosion des labels indépendants et à la modification des réseaux de distribution. À l'inverse, la situation est différente en Angleterre ; non pas que les inventions de l'après-guerre furent négligées, au contraire, la radiodiffusion y est ici beaucoup plus réglementée et on assiste à une coopération entre les grandes firmes et petites stations. En bref, les routines établies sont mieux à même de faire face à l'émergence du nouveau paradigme venu des États-Unis. À titre comparatif, si les industries américaines atteignent leur plus bas niveau de concentration au début des années soixante, il n'existe en Grande-Bretagne que quatre labels d'importance nationale à côté des leaders du marché que sont Decca et EMI : Pye, Oriole, Ember et Top Rank, alors qu'aux États-Unis l'explosion des petits labels fait doubler les ventes entre 1954 et 1959.

Conclusion du chapitre :

Ainsi, à la fin des années cinquante, avec le microsillon, le ruban magnétique et la stéréophonie, l'enregistrement arrive réellement à maturité et le disque devient un concurrent du concert. Alors que depuis l'entre-deux-guerres, les interprètes étaient déjà des stars quand ils enregistraient sur des disques en raison de la promotion par le concert, ce n'est désormais plus forcément la règle. De plus, parce que la musique fixée sur le disque est faite « en différé », en prenant son temps et sans se priver des artifices du montage, on peut désormais espérer pour l'époque une recherche obsessive de la perfection sonore, avec comme objectif une qualité de reproduction telle que le son enregistré ne puisse être distingué du son réel210. En bref, la place faite à l'écoute y est de plus en plus déterminante.

Par conséquent, si l'on souhaite s'attarder sur une réflexion plus aboutie, la notion de paradigme tel que Thomas S. Kuhn211 nous la définie à propos de l'histoire des sciences explicite notre propos. Ce dernier décrit dans ce domaine l'articulation d'un ensemble d'éléments hétérogènes, et examine en particulier comment un faisceau de contraintes,

209 Idem, p. 919.

210 Ibid, p. 916.

211 Cf. KUHN, Thomas S., La structure des révolutions scientifiques (1962).

techniques, matérielles et sociales peut avoir une incidence sur des contenus. François Delalande note l'aisance d'un rapprochement entre sciences et musique :

« D'un point de vue très général, le cas des paradigmes technologiques en musique n'est pas fondamentalement différent [de celui des sciences] : des techniques (par exemple l'écriture et l'exécution instrumentale d'un côté, les techniques électroacoustiques de l'autre), des canaux de diffusion (maisons d'édition, organisations de concerts, ou bien sociétés de production de disques, chaînes de radio), des rôles sociaux (chefs, professeurs, théoriciens, ou responsables de centres de recherches, directeurs artistiques de maisons de disques, etc.) : le technique, le social et le proprement musical ont partie liée. »212

Ce sont ces bouleversements internes à l'industrie du disque, amorcés à toute fin de ce chapitre, que je vais tenter développer dans les parties suivantes.

95

212 DELALANDE, François, Le son des musiques : entre technologie et esthétique, op. cit., pp. 42-43.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery