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Le développement de l'industrie musicale en Grande-Bretagne de l'entre-deux-guerres aux années Beatles : une trajectoire d'innovation globale?

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par Matthieu MARCHAND
Université Michel de Montaigne - Bordeaux III - Master Histoire 2012
  

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B/ De nouveaux matériels d'écoute

Alors qu'aux États-Unis, où les foyers sont déjà massivement équipés dès les années 1945 à 1950, les disques sont écoutés dans le salon familial et, de plus en plus, dans la

chambre des enfants. En Europe, où la

reconstruction n'est pas encore achevée, il n'en

va pas toujours de même car le disque est

devenu le support indispensable de nouvelles

formes de sociabilités (salles de concerts, lieux

de danses, lieux de répétitions, réseaux de fans,

etc.) où, sur fond de sonorités et de danses

nouvelles (rock and roll, twist, madison, etc.), la jeunesse apprend et réinvente en même temps les règles de la séduction et de la rencontre : « À cet égard, il n'est sans doute pas exagéré de dire que le 45 tours est, au même titre que la pilule contraceptive, un des objets centraux de la libération sexuelle des années 1960. »261 En parallèle, les lourds gramophones familiaux furent remplacés par des électrophones bons marchés portables dont l'exemple typique est le Dansette lancé par la firme Decca262. Grâce à leurs maniabilités accrues, les mordus de rock ont pu écouter en boucle leurs idoles dans leurs chambres, ralentir la vitesse des platines et reproduire ainsi les disques qu'ils adorés : « Les amateurs de rock firent des supports enregistrés des auxiliaires irremplaçables de la culture populaire : moniteurs les guidant et les corrigeant lors de leurs premiers pas avec un instrument, bibles sonores pour s'initier au vocabulaire d'un genre musical, accompagnateurs

260 FRITH, Simon, GOODWIN, Andrew, et al., On record : rock, pop and the written word, Londres, Routledge, 1990, p. 29.

261 TOURNÈS, Ludovic, Musique! Du phonographe au MP3 (1877-2011), Paris, Éditions Autrement, coll. « Mémoires/Culture », 2011 [1ère éd. : 2008], p. 91.

262 Quelques années plus tard, le même phénomène se reproduisit en France avec les électrophones Philips et les célèbres Teppaz.

fiables et précis, disponibles à tous moments de la journée. Une (partie significative de cette) génération s'initia donc à la musique avec des instructeurs non-humains et sans fréquenter une école spécialisée. » 263 La technologie constitue ainsi un point d'ancrage par l'intermédiaire duquel l'intimité entre la culture populaire, sans distinction sociale, et le monde phonographique s'accentue en peu plus. À la fois plates-formes de sociabilité autour desquelles les amoureux de musique se retrouvent, le disque, les nouveaux appareils d'écoute et les instruments électriques furent dès lors la grappe d'innovation majeure qui permit aux jeunes adolescents anglais de se retrouver en groupe, pour ensuite créer leur propre ensemble, et ce sans forcément passer par une institution professionnelle264. Ces formations essentielles en Grande-Bretagne constituèrent le creuset de bien des mutations musicales qui allaient intervenir durant les années soixante, mais qui à ce titre ne doivent pas tout aux innovations techniques puisque l'Arts Council of Great Britain, qui décentralisa l'activité culturelle au sein des villes ouvrières moyennes (Liverpool, Birmingham, Leeds, etc.) en organisant des actions culturelles spécifiques (concerts, théâtres, etc.) et en encourageant une pratique amateur des arts, trouvera son accomplissement au début des années soixante, à travers le succès de jeunes amateurs que sont les Beatles265.

Bien entendu, il est évident de constater que ces usages divers des tourne-disques n'avaient pas été planifiés par les firmes qui commercialisaient ces machines. Ces innovations n'ont pas de paternité individuelle, elles sont le produit de « l'intelligence collective »266 et, fait capital, ont été performé par des amateurs et non par des innovateurs professionnels. Il n'y aucun de doute sur le fait que les électrophones et les disques furent les vecteurs d'une profonde démocratisation culturelle en même temps qu'ils participent pour beaucoup à l'émergence du rock anglais puisque de simples objets de « consommation culturelle », ils furent transformés par les amateurs en de performants pédagogues, en objets d'acculturation et d'émancipation. C'est pourquoi le sociologue François Ribac précise que « si les surréalistes s'assemblaient autour des livres de Lautréamont, les fans de rock britanniques le faisaient autour des vinyles américains. Pour résumer cette dynamique, les sociologues

263 RIBAC, François, « La circulation et l'usage des supports enregistrés dans les musiques populaires en Ile-de-France », Paris, Programme interministériel « Culture et Territoires », DMDTS, DRAC Ile-de-France, Conseil général de Seine-Saint-Denis, 2007, p. 15. L'auteur insiste également sur le rôle qu'ont ces innovations techniques auprès des futures stars du rock anglais comme Paul McCartney, Keith Richards ou encore Brian Jones, qui ont pu repasser leurs morceaux préférés au point de se les réapproprier.

264 Pour une approche sociologique du disque, Cf. BENNETT, H. Stith, On becoming a rock musician (1980).

265 LEMONNIER, Bertrand, Culture et société en Angleterre de 1939 à nos jours, Paris, Belin, coll. « Histoire Sup », 1997, p. 26.

266 Cf. LÉVY, Pierre, L'intelligence collective : pour une anthropologie du cyberspace (1994).

diraient que les disques de rythm'n'blues furent des liens sociaux et... ils auraient raison ! »267

La musique populaire ne se distingue donc pas seulement de la musique savante en terme de hiérarchie artistique, que l'on oppose biaisée à l`académique, mais plutôt par les conditions d'apprentissage et le type d'outils utilisés. Cette affirmation de toute une génération de jeunes consommateurs a permis au disque de devenir une marchandise de masse, statut qu'il a pu acquérir en surdéterminant son usage de valeur symbolique. La valeur d'usage du disque s'est transformée en valeur d'usage sociale, sous l'influence bien effective de la publicité et des médias de masse, comme nous allons le voir lors d'un prochain chapitre. Les codes attachés autour du disque se sont transformés : cet aspect est nécessaire pour comprendre en quoi il est devenu un symbole-clé auprès de la jeunesse anglaise de l'époque, en supposant dès lors « que l'accession du disque au statut de produit de masse soit due davantage aux stratégies symboliques investies en lui qu'aux qualités inhérentes à la musique ou au « besoin universel » de musique »268.

Conclusion du chapitre :

Sous le leadership de John Lockwood, EMI redevient la gigantesque multinationale qu'elle était avant la crise de 1929. Avec un commerce s'étendant sur plus de trente pays et ses Central Research Laboratories à la pointe de l'innovation et de la recherche, elle est surtout représentative d'un marché du disque toujours plus florissant : son chiffre d'affaires en 1962 atteint 82,5 millions de livres, avec en outre un bénéfice de plus de 4,4 millions et ce, sans pour autant que son commerce d'appareils électriques (télévisions, radios, etc.) ne soit abandonné, signe que le bénéfice dégagé était suffisamment important pour être affecté à des investissements dans de nouvelles activités. Assurément, le pari de Lockwood de prendre partie pour la musique populaire importée d'Amérique avant que ne soit découvert les futurs Beatles y est pour beaucoup, surtout dans un contexte où de nouvelles pratiques sociales s'organisèrent autour du disque. Le rock and roll américain et ses succédanés britanniques ont de toute évidence canalisé durant la période de transition 1945-1959 une partie de l'énergie des adolescents désorientés par les changements économiques et sociaux de l'après guerre.

267 RIBAC, François, op. cit., p. 16.

268 BUXTON, David, Le rock : star-système et société de consommation, Grenoble, La pensée sauvage, 1985, p. 25.

C'est le secteur des nouveaux médias qui va le plus permettre de saisir des opportunités de développement afin d'accroître la visibilité des groupes « pop » qui fleurissent au cours des années soixante (surnommées les swinging sixties), et qui seront au coeur de l'émergence du star-système.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore