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Le développement de l'industrie musicale en Grande-Bretagne de l'entre-deux-guerres aux années Beatles : une trajectoire d'innovation globale?

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par Matthieu MARCHAND
Université Michel de Montaigne - Bordeaux III - Master Histoire 2012
  

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B/ Une influence indiscutable qui masque des handicaps structurels

Durant trois années, ces firmes ne font pas du profit et du potentiel commercial leur priorité, l'essentiel étant de satisfaire les nouvelles exigences d'un public ignoré des majors : « Ainsi, les maisons indépendantes britanniques sont d'une importance qui dépasse de très loin leur influence sur le marché : en effet, la formation de nouveaux talents en dépend. »360 La réelle complexité observée dans la typologie des différents types de labels ne doit pas en

359 PICHEVIN, Aymeric, op. cit., p. 28.

360 BUXTON, David, op. cit., p. 141.

358 RUFFAT, Guillaume, ARCHAMBAUD, Cyrille, LE BAIL, Audrey, op. cit., p. 56.

effet pas faire oublier l'essentiel : comme le montre Charlie Gillett361, l'innovation musicale naît en dehors des grandes maisons de disques. Par sa structure artisanale, l'indépendant est mieux adaptée à la nouveauté. Ses décisions sont canalisées par un processus d'apprentissage et d'acquisition des routines, dans la mesure où le contact avec le milieu musical y est bien plus étroit que chez les multinationales du disque. Dans la façon dont elles exécutent la même activité de base (la recherche de nouveaux artistes), les firmes du disque, qu'elles que soient leur taille, vont pouvoir développer des routines qui expliquent mieux pourquoi majors/indépendants sont deux organisations différentes dans leur fonctionnement. Ainsi, la capacité créative et d'expérimentation apprise « sur le tas » par les petits labels peut jouer en leur faveur si les multinationales décident d'user de leur propre routine : éditer et distribuer.

D'un point de vue musical, rappelons également qu'une énorme proportion des artistes qui dominèrent le marché US aux cours des années soixante est d'origine anglaise ; si tous ne sont pas issus de l'avant-garde, tous ont commencé par se lancer sur le marché anglais, le plus souvent pas le biais d'un indépendant. La structure hiérarchique bien particulière des maisons de disques anglaises y est bien entendu pour beaucoup, et leur influence peut également se mesurer sur le long terme avec l'apparition progressive de courants musicaux successifs et typiquement anglais (rock progressif, punk, heavy metal).

160

361 Cf. GILLETT, Charlie, The sound of the city : the rise of rock and roll (1984).

Figure 21

161

Harvest (EMI)

Deram (Decca)

Dawn (Pye)

Neon (RCA)

Island

Vertigo (Philips)

Pink Floyd, Deep Purple, Electric Light Orchestra, Edgar Broughton Band, Barclay James Harvest, Syd Barrett, Roy Harper,

Roger Waters,...

Ten Years After, Procol Harum, Caravan, Egg, East of Eden, Giles Giles & Fripp, Michael Chapman, Curved Air, Camel, Khan,

Darryl Way's Wolf,...

Colosseum, Black Sabbath, Gentle Giant, Uriah Heep, Jade Warrior, Affinity, Gracious!, Beggars Opera, Nucleus, Manfred Mann, Keith Tippett Group, Patho, Magna Carta,...

King Crimson, Jethro Tull, Trafic, Renaissance, Emerson Lake & Palmer,...

Spring, Raw Material, Centipede, Brotherhood of Breath, Mike Brestwook,...

Atomic Rooster, Comus, Jonesy, Fruupp,...

Charisma

Page One Records

Planet Records

The Creation

Reaction Records

Cream, The Who

Track Record

The Who

Threshold Records

Manticore Records

Genesis, Vann der Graaf Generator, Rare Bird, The Nice, Hawkwind,...

The Troggs, Vanity Fair, Plastic Penny

Emerson, Lake & Palmer

The Moody Blues

Labels "semi-indépendants"

Labels de taille moyenne

Labels
indépendants

Revers de la médaille, sur le plan économique, la fragilité structurelle des indépendants et leur spécialisation stylistique/géographique bien trop ciblée ne les mettent pas à l'abri d'un potentiel échec commercial qui aboutit la plupart du temps à la mainmise inévitable des majors, car même la baisse des coûts d'enregistrement n'a pas réglé les problèmes que la fabrication et la distribution à grande échelle posent à un indépendant. En outre, les causes qui font que les indépendants ont une durée d'activité extrêmement brève trouvent leur origine dans la constitution des labels eux-mêmes et surtout dans la répartition en leur sein. Face à des institutions comme Decca, qui existent depuis quarante ans et disposent d'un mode de fonctionnement très organisé, le producteur du label indépendant est à la fois un financier et un commercial, cumulant bien souvent les casquettes de directeur artistique, de producteur délégué et d'ingénieur du son. C'est notamment lui qui apporte les investissements initiaux et gère la carrière de ses artistes (chansons, image de marque, studios, finances, scène, radio, politique commerciale, promotion, etc.). Par exemple, un label comme Page One Records, dont le fondateur, Larry Page, est également manager et producteur, ne peut se consacrer avec la même efficacité à tous ses artistes.

Non seulement la figure du producteur est souvent amenée à traiter avec les grandes maisons de disques pour distribuer ses produits (le prototype du producteur réellement autonome apparaît dans les années soixante-dix, développant un discours néomarxiste de « résistance » au capitalisme362 : plutôt que d'être l'employé d'une firme, il préfère investir lui-même pour réaliser un produit semi-fini, une bande enregistrée, qu'ils vendent par la suite aux firmes pour la fabrication et la distribution363), mais en outre, cette focalisation de l'activité du label sur seulement un ou deux groupes réduit considérablement sa marge de manoeuvre et le place dans une situation délicate, alors qu'encore une fois les majors peuvent compter sur plusieurs valeurs sûres dans leur rangs pour assurer des rentrées d'argent afin de rentabiliser le « risque de création ». Planet Records, par exemple, ne survit pas plus d'une année et durant ses derniers mois d'activité, ne travaille plus que pour The Creation, groupe réputé pour ses prestations scéniques mais qui ne parvient pas à s'imposer dans les charts britanniques, provoquant la fin du label de Shel Talmy. La surenchère des moyens déployés pour certaines productions a aussi raison du label Track Record, qui ne peut plus assumer la production des Who, Sell Out étant enregistré sur deux continents différents tandis qu'en parallèle le groupe impose au label des « frais de bouche » exorbitants. Le succès de Tommy

362 LEBRUN, Barbara, « Majors et labels indépendants : France, Grande-Bretagne, 1960-2000 », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2006/4, n° 92, p. 33.

363 LANGE, André, op. cit., p. 96.

ne suffit pas à inverser la donne et la mort de Jimi Hendrix, autre machine à succès de la maison, précipite la fin de cette entreprise prometteuse. Reaction Records, créé par Robert Stigwood, ne perdure également guère plus d'un an, entre 1966 et 1967.

En résumé, il y a bien complémentarité entre majors et indépendants, mais plutôt complémentarité à double tranchant : bien que fournissant dans quelques cas les fonds nécessaires aux petits labels, ces derniers finissaient par être absorbés par le centre une fois leur travail de « défrichage » de nouveaux talents effectués, à moins que le label périphérique ne grandisse avec lui, ce qui arrive très rarement (une exception notable reste Virgin, label qui se rapproche du centre mais qui conserve encore les traits caractéristiques de la périphérie). Les enjeux entre majors et indépendants et leur dialogue auprès du milieu musical renvoie très clairement au concept de « rationalité limitée »364 : dans un contexte de relance de la créativité musicale, les agents cherchent moins à étudier l'ensemble des possibilités qu'à trouver une solution et des décisions raisonnables dans une situation d'incertitude. Ainsi, plutôt qu'une taille optimale de la firme, il faut plutôt parler d'une distribution efficiente des firmes par la taille. La place des agents au sein des indépendants, parce qu'ils sont en contact ou sortent eux-mêmes du milieu musical, leur permettent également de disposer d'informations nécessaires que les grandes firmes n'ont pas, et qui vont jouer en faveur de la signature de tel ou tel artiste.

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