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Le développement de l'industrie musicale en Grande-Bretagne de l'entre-deux-guerres aux années Beatles : une trajectoire d'innovation globale?

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par Matthieu MARCHAND
Université Michel de Montaigne - Bordeaux III - Master Histoire 2012
  

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III/ L'industrialisation des cultures traditionnelles

L'insertion du phonographe et du disque au sein de dispositifs d'écoute qui existaient déjà constitue une étape nécessaire mise en avant par les firmes pour comprendre comment s'est effectué ce renversement temporel au cours duquel la chanson enregistrée sur disque est devenue l'original et le concert une copie. L'industrie de l'enregistrement et la production du disque sont également entrés en compétition avec un autre type de marché, lui aussi préexistant : le marché des partitions.

A/ La confrontation des marchés

Selon David Buxton, la domination de la marchandise-disque n'avait alors rien d'acquis, rien ne semblait annoncer que le disque allait devenir au cours des années soixante une forme de divertissement banalisé soumis à la pression de la concurrence capitaliste et de la production marchande. Si, comme on vient de le voir, la musique classique se véhiculait par l'intermédiaire du concert, entre autres, la musique populaire, elle, se transmettait par le médium de masse qui était l'écrit, à savoir la partition ou broadsheet (paroles de chansons). La pratique domestique du piano en Angleterre avait qui plus est suscitée la production de royalty songs, dont le tirage des partitions, accompagnées au piano, constituait une part importante des loisirs domestiques.

En Grande-Bretagne, la tradition folk locale, orale, anonyme et communautaire était très largement implantée au cours du XIXe siècle. La culture folk anglaise appartenait à une vie communautaire (arts ruraux, chansons communautaires, danses, jeux, etc.), à un monde concret, familier à tous au sein duquel le matériel utilisé était familier et se transmettait de génération en génération. Le niveau de participation était élevé et, surtout, il n'y avait pas de différences entre un public et son musicien puisque l'implication communautaire était totale. Le musicien n'était pas un créateur de chansons mais le véhicule de l'expression de la culture. À ce titre, à partir du moment où les broadsheet sont devenues une véritable marchandise de masse et l'industrie des partitions, une industrie à part entière : « La reproduction des partitions représentait un premier point d'intervention du capital dans le domaine musical contre la nature purement orale des traditions folk qui, de par leur nature même, résistaient aux tentatives de commercialisation. »38 Avant le phonographe, c'est donc par la partition que fut engagée la conquête universelle des territoires ou, pour le dire dans le langage actuel,

38 BUXTON, David, Le rock : star-système et société de consommation, Grenoble, La pensée sauvage, 1985, p. 31.

l'exportation et la délocalisation de la musique39. Déjà, le principe sur le papier de la notation musicale a permis la distinction juridique entre les éditeurs et les compositeurs, les premiers disposant de « droits d'auteurs » (copyright) qui les reliaient aux musiciens, et les seconds pouvant désormais confier à des interprètes le soin d'exécuter une de leurs oeuvres. Selon Buxton, le laps de temps entre le début de la vente en masse de la partition et le début de la vente en masse du disque est de trente ans à peine (1890-1920).

Le début de notre sujet coïncide donc à un moment où le disque est devenu un médium répandu, se chargeant de commercialiser un univers constitué par trois « nouveaux » genres musicaux (la musique classique est un cas un peu à part pour différentes raisons), bien distincts d'une tradition folklorique conservatrice : le blues, le jazz et le rhythm and blues : « Reaching its peak during the late twenties, the jazz and blues coincided with the adolescent phase of the record industry. »40 Leur apparition aux États-Unis n'est pas anodine puisque les musiques folkloriques y étaient beaucoup moins enracinées qu'en Angleterre. Or, c'est par le disque, cette nouvelle invention, que ces genres musicaux ont pu naître ; en effet, ce dernier exigeait, comme pré-condition pour devenir une marchandise de masse, la destruction des rapports traditionnels entre artiste / public, la disparition des formes individuelles et l'émergence des artistes « individualisés » qui se distinguent par leur personnalité.

Ce phénomène, très progressif, est du dans un premier temps aux processus d'industrialisation et d'urbanisation : la Révolution industrielle écrasa la vieille culture folk et la força à se récréer dans la ville. Le processus fut particulièrement précoce en Grande-Bretagne. La séparation du lieu de résidence d'avec le lieu de travail ont fait éclater les communautés rurales et, par conséquent, la culture se matérialisa dans de nouveaux lieux comme les bars, les tavernes ou encore le music-hall. En 1852, Charles Morton ouvre le premier music-hall londonien41. Cette nouvelle distribution des temps sociaux est essentielle pour comprendre comment les fondements d'une industrie musicale nationale ont pu être posés. En effet, désormais, en confinant la musique populaire dans un lieu, le chanteur avait été individualisé même si les principes de la musique folk ne changeaient pas pour autant : ils traitaient toujours de la vie et de la culture de la classe ouvrière au moyen du spectacle, mais dans un rapport musicien/public beaucoup plus distant. À ce propos le public, et notamment

39 RIBAC, François, « La circulation et l'usage des supports enregistrés dans les musiques populaires en Ile-de-France », Paris, Programme interministériel « Culture et Territoires », DMDTS, DRAC Ile-de-France, Conseil général de Seine-Saint-Denis, 2007, p. 10.

40 COLEMAN, Mark, Playback : from the Victrola to MP3, 100 years of music, machines and money, Cambridge, Perseus Books Group, coll. « Da Capo Press », 2003, p. 29.

41 http://fr.wikipedia.org/wiki/Music-hall

les classes moyennes, ont été réceptives à des musiques « faciles » comme la danse, l'opéra comique, la musique « légère », maillon citadin entre la folk music des campagnes et la musique « sérieuse » des salons42. Cependant, la partition n'avait à ce moment pas encore vraiment été supplantée par le disque puisqu'entre 1900 et 1910, cents partitions se sont vendues à un million d'exemplaires. La réputation des musiciens certes se construisait, mais elle était encore à un niveau trop local pour une exploitation rentable par les disques, alors que le marché des partitions s'adaptait parfaitement pour ces musiciens en grande majorité néophytes. Le chant dans les bars, les music-halls et les troupes itinérantes prédominaient et même avec l'avènement des loisirs, aucun élément n'indique pour autant la cause qui expliquerait pourquoi l'argent des Anglais aurait été dépensé dans des disques plutôt que d'autres objets de consommation.

Les industries de la reproduction musicale s'intéressèrent largement au départ à ces musiques populaires : pour la partition, elles étaient d'exécution aisée et de diffusion facile sur feuilles volantes, pour le disque, comme expliqué précédemment, la qualité acoustique du phonographe imposait aux interprètes des critères de sélection dans le choix des types de musique destinés à être enregistrés. Ainsi, au tournant du siècle, en plus d'un volume sonore relativement faible, la sensibilité acoustique du pavillon, relativement limitée, rend certains instruments plus « phonogéniques » que d'autres, ce qui conduit au choix de répertoires particuliers et/ou à des arrangements (le jazz a pu être lancé par l'enregistrement mécanique parce qu'il utilisait des instruments à vents ou percussifs ; on privilégiait davantage la prédominance des voix de soprano et de ténor, la doublure des cordes par les cuivres, les

formations orchestrales restreintes)43. De même, les

premiers essais d'enregistrements de musique

symphonique étaient peu convaincants ; on revoyait

à la baisse le nombre de musiciens, les violoncelles

et les contrebasses étaient remplacés par des

trombones et des tubes, etc. Le disque n'est donc à

ce moment précis pas placé dans une optique de

commercialisation de masse censée supplanter la partition puisque d'une part, sa valeur d'usage n'était pas stable (il commençait seulement à

42 DE ROUVILLE, Henry, La musique anglaise, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1986, p. ? Au sein du music-hall, il existe déjà un fossé grandissant entre les genres musicaux, s'éloignant des styles victoriens avec les comédies musicales : l'un des compositeurs les plus célèbres fut Sidney Jones.

43 MAISONNEUVE, Sophie, op. cit., pp. 37-38. N'oublions pas cependant que la pratique de l'arrangement est largement répandue et appréciée à l'époque.

être utilisé afin de fixer dans la cire pour l'éternité la parole des hommes et les dialectes traditionnels en voie de disparition, ce qui deviendra plus tard l'ethnomusicologie44), et de plus, les rares morceaux de musique destinés à être lancés sur le marché s'adaptaient parfaitement aux capacités techniques du phonographe ainsi qu'aux genres musicaux populaires alors en vogue. Il y a donc équité entre le disque et la partition.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus