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Le développement de l'industrie musicale en Grande-Bretagne de l'entre-deux-guerres aux années Beatles : une trajectoire d'innovation globale?

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par Matthieu MARCHAND
Université Michel de Montaigne - Bordeaux III - Master Histoire 2012
  

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CHAPITRE 2 : DE L'AUDITEUR AU CONSOMMATEUR : UN
PROCESSUS COMPLEXE

Dès la fin des années vingt, acheter un disque est devenu une pratique largement partagée, où la question de la qualité de l'enregistrement occupe une place tout aussi importante que la simple information sur les dernières publications. Dans une perspective économique rapide, on pourrait donc dire que le consommateur de musique est né, posant les bases d'une industrie qui se consolide de plus en plus. En réalité, la trajectoire est complexe car nécessitant un effort constant de la part des industries du disque pour s'approprier l'auditeur et lui faire prendre conscience des atouts du phonographe. La reproduction sonore a élargit l'espace commun, créa de nouveaux liens sociaux et intensifia la continuité entre le domestique (l'intime) et la sphère publique (le collectif). Assurément, l'introduction de l'électricité en 1925 y est pour beaucoup : sans elle, il aurait été difficile de démocratiser une invention qui jusqu'alors se cantonnait à des défauts techniques handicapants.

I/ L'écoute « à domicile » et ses formalités

L'inscription du phonographe au sein des foyers anglais est à la fois le fruit de sa confirmation et de son appropriation par le consommateur, mais aussi la conséquence des stratégies d'« adaptation »52 mises au point par les firmes pour que la machine parlante puisse s'insérer dans un univers de consommation en formation. Il faut donc s'interroger sur la place nouvelle prise par le gramophone dans l'émergence d'une écoute « à domicile ». Cette étape

52 AKRICH, Madeleine, CALLON, Michel, LATOUR, Bruno, « À quoi tient le succès des innovations ? 2 : Le choix des porte-parole », Gérer et comprendre, Annales des Mines, 1988, n° 12, pp. 14-29.

est primordiale si l'on souhaite comprendre les mécanismes qui ont fait du secteur du disque un espace propice au développement industriel.

A/ Le phonographe comme objet de loisir

Si écouter de la musique « chez soi » paraît tenir de l'évidence à l'heure actuelle, il n'en n'est rien à une époque où l'industrie du disque vient à peine d'éclore, et où l'usage même du phonographe reste à confirmer. Seul Emile Berliner, qui était un passionné de musique, pensait à un usage domestique de la machine parlante. Or, avec la montée en puissance de l'organisation scientifique du travail, qui s'impose en Europe dans la première décennie du XXe siècle, il se construit par une utilisation rationnelle du temps un découpage de plus en plus précis entre un temps consacré au travail et à l'activité de production capitaliste, et un autre consacré au non-travail, c'est-à-dire aux loisirs53. Ce temps consacré aux loisirs s'inscrit au sein d'une période en proie à des mutations socioculturelles qui bouleversèrent les habitudes « du quotidien ». Il serait erroné de croire que le phonographe s'installe dans les domiciles pour uniquement combler un vide existant. À l'inverse, il existe tout un univers préexistant auquel les firmes ont du tenir compte pour octroyer à la machine parlante la place qui lui revient, à savoir celle du premier dispositif de communication à entrer dans les années 1890 au sein de la sphère privée, et qui tente de conjuguer le divertissement à la mise à disposition d'une écoute « cultivée ». Cet argument nous renvoie au modèle du concert, déjà évoqué auparavant. Ceci dit, il se conjugue avec un autre propos utilisé dans l'argumentaire des firmes, celui de la présentation de la variété des situations d'écoute à domicile, afin de persuader le consommateur de la richesse des ressources de l'appareil, ce sur quoi je vais davantage m'attarder maintenant en commençant par une citation :

« Control the volume of your Gramophone with the Edison-Bell « sympathetic » [...] gramophone needle [...].

For the drawing room, it generates just the volume you want.

For dancing at home you cannot improve it.

For dinner and for mealtimes it provides a quiet and unobstrusive tone while

53 TOURNÈS, Ludovic, « Le temps maîtrisé : l'enregistrement sonore et les mutations de la sensibilité musicale », Vingtième siècle. Revue d'histoire, 2006/4, n° 92, p. 6.

34

For the Sick-Room it can be made so soothing as to suit the actual requirements of the most serious cases. »54

En libérant l'auditeur des cadres spatio-temporelles restreints de l'époque, le phonographe « à domicile » permet dès lors de rendre accessible un univers hautement désirable et légitime. Au départ, seule la culture bourgeoise est concernée en raison des prix prohibitifs. En outre, il arrivait à la bourgeoisie, dans un effort de construction d'une culture raffinée ou recherchée (v. annexe 2), d'organiser des réunions mondaines au cours desquelles un « programme » musical était élaboré selon les souhaits du maître de maison, qui devenait le temps d'une soirée l'impresario de la performance. Les prémices d'une consommation musicale sont dès lors envisagés. Publié en 1923, l'ouvrage d'A. Marshall et E. Compton Mackenzie, Gramophone Nights, propose trente et un programmes aux auditeurs - un par soir, tous les jours du mois, à reprendre chaque mois : « La question du plaisir et de la production d'une esthétique d'écoute nouvelle, liée à un dispositif inédit, est au centre du projet. »55

Le phonographe et le disque induisent également une mutation primordiale, celle la disparition de la vue, qui requiert l'invention d'une écoute comme pratique musicale qui ne soit qu'« acousmatique » (Pierre Schaeffer) ou, pour reprendre l'expression anglaise, « aurale ». Ce terme est plus riche que le précédent : il introduit des consonances, stimulantes et complexes dans leurs implications, avec la notion d'« oralité »56. Désormais, l'acte de jouer la musique n'est plus l'une des finalités privilégiées de la partition, mais il disparaît des regards, « à la limite, l'exécution instrumentale, relayée, dans le cas du disque, par les techniques de « prises » successives et de montage, n'est plus qu'un travail d'arrière-boutique dont l'auditeur n'est pas même pas informé »57.

L'essor du gramophone apparaît de façon frappante lorsqu'on le compare à celui du piano, son principal rival (le parc de pianos en 1910 en Angleterre est évalué à deux ou quatre millions selon Cyril Ehrlich58, à savoir que plus du quart des ménages anglais possédaient un piano), qui fut lui aussi investi commercialement par l'industrie. En Grande-Bretagne, au lendemain de la Grande guerre, sa victoire y est acquise au milieu des années vingt : ainsi, en

54 The Gramophone, décembre 1923, vol. I, n° 7.

55 MAISONNEUVE, Sophie, L'invention du disque 1877-1949 : genèse de l'usage des médias musicaux contemporains, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2009, p. 97.

56 MAISONNEUVE, Sophie, « Du disque comme médium musical » in DONIN, Nicolas, STIEGLER, Bernard (Dir.), Révolutions industrielles de la musique, Paris, Fayard, Cahiers de médiologie / IRCAM, n° 18, 2004, p. 39.

57 DELALANDE, François, « Le paradigme électroacoustique » in NATTIEZ, Jean-Jacques, op. cit., p. 538.

58 Cf. EHRLICH, Cyril, Social emulation and industrial progress : the Victorian piano (1975).

1934, 112 667 gramophones sortent des usines britanniques, contre 42 681 pianos59. Par ailleurs, on sait qu'en 1939 la demande en appareils estimée pour le marché britannique par la seule firme EMI pour prévoir sa production est de 90 000 (contre 50 000 postes de radio)60. En réalité, le pianola, du nom d'une marque déposée par l'Aeolian Company, s'apparentait sur bien des aspects au phonographe. Il fonctionnait par l'intermédiaire d'un système pneumatique devant lequel passait en se déroulant une bande de papier épais, large de quarante centimètres environ, munie de perforations correspondant aux touches61.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille