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La persistance des sciences sociales coloniales en Afrique

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par Jean Barnabé MILALA LUNGALA
Université de Kinshasa RDC - Doctorat 2009
  

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Contre la faillite de la science aujourd'hui ?

Nous allons présenter les conditions pratiques, sociales et historiques de possibilités des sciences sociales au Congo- Kinshasa dans un environnement global de Tiers monde. Les sciences sociales coloniales continuent de poser problèmes comme préalables au changement social en Afrique. Les scientifiques et philosophes sociaux « Tiers-mondistes », ceux de la diaspora africaine aux Etats Unis comme Théophile Obenga, et Yves Valentin Mudimbe, des africanistes comme Jan Vansina, les latino-américains, les chercheurs de l'école sociale de Kinshasa, et bien d'autres se penchent aujourd'hui sur la question de la rénovation des sciences sociales sous sa triple dimension, celle des techniques et des méthode d'analyse, celle des concepts et des théories paradigmatiques ,et enfin celle liée à l'effondrement et à la dévaluation de la « réalité sociale », ainsi qu' à la définition de celle-ci.

Du point de vue du « Tiers-monde », la question de la rénovation des sciences sociales rejoint le débat de la décolonisation épistémologique qui s'est par ailleurs spécialisée en cristallisant les conditions de maintien des sciences sociales comme entreprise académique mondiale, leur ouverture aux formes de connaissances traditionnelles, et leur refondation. Pour les plus exigeants, la rénovation va au-delà de la seconde modernité eurocentrique, représentée notamment par l'approche néo-moderne des sciences sociales de Jürgen Habermas, sous-tendue par l'intention de la philosophie de contribuer à la libération sociale, et à sa propre libération.

Les enjeux sont énormes : entre autres, le débat a opposé ceux qu'on appelle les africanistes eurocentristes et non eurocentristes. Le champ d'application de cette discussion est la formulation des questions dites d' « émancipation » des sciences sociales.

Bernard Mouralis pense à cette suite que la décolonisation en ce qui concerne l'Afrique est encore à faire et qu'elle appelle un vaste programme du devenir du continent africain, programme correspondant à ce que Yves Valentin Mudimbe appelle l'invention de l'Afrique, ou la construction d'une nouvelle Afrique, qui consiste à élaborer un discours scientifique autonome et total pour parler de l'Afrique. Pour Jan Vansina qui s'oppose au constructuvisme de Mudimbe ,il soutient que dans le domaine de l'histoire et dans l'ordre du discours, par rapport au système mondial dans lequel nous sommes embarqués, la période précoloniale permet de reconstruire une histoire autonome de l'Afrique avec des techniques, des objets, des voix et des territoires qui échappent au cadre historique européen, tout en produisant justement un discours historique qui respecte les règles de l'écriture historique. L'enjeu majeur, dans tous les cas, est que les africains doivent construire des discours ou des institutions sur des conceptions et sur des expériences africaines socio- culturelles, traditionnelles ou présentes. 

Pour nombre des penseurs qui se situent dans la mouvance de la Faculté des Sciences sociales et administratives de l'Université de Kinshasa, le constat général est que les sciences sociales s'agrippent encore aux démarches, techniques et méthodes qui fonctionnent comme des dispositifs problématiques de production des connaissances, tout en pérennisant une situation théorique et conceptuelle non critique de plus de cinquante ans de recherche, et des présuppositions non réfléchies du concept de « réalité sociale » qui sont appelées à être réévaluées. La « réalité sociale » reste le véritable objet des sciences sociales.

Bongeli Yeikelo Ya Ato stigmatise la situation persistante d'une crise sociale cyclique  comme le signe évident d'un blocage actuel en sciences sociales sur l'Afrique en général et le Congo en particulier, blocage qui nécessite que l'on s'interroge sur la validité des méthodes, des approches classiques et des a priori du concept de la réalité sociale ou des phénomènes sociaux. En ce qui concerne les « réalités sociales africaines », Bongeli affirme simplement qu'elles sont, par rapport au moyen de ces instruments conceptuels et de ces approches, peu ou mal étudiées et donc difficiles à reconstituer.

Aujourd'hui encore, nous pouvons continuer d'affirmer qu'il existe une relation étroite, par ailleurs nouée il y a bien longtemps, dans le cas d'espèce entre la science coloniale et une construction et les institutions actuelles chez nous : « les institutions...qui survivent aux confins de quelques disciplines ou filières universitaires,...étaient des héritages des sciences coloniales, ou, plus généralement, étaient de l'institutionnalisation des rapports politico -savants entre la métropole et l'Afrique belge ».61(*)

Cette problématique globale de la critique des sciences humaines en Afrique inclut la question pendante de la décolonisation intellectuelle qui doit se résoudre en dépassant le langage de la modernité en philosophie et en se réappropriant le modèle de connaissances dominantes par une critique africaine. C'est une critique historiographique des connaissances.

Pour nous, il ne s'agit pas d'élaborer un autre discours, car dans ces conditions le point de vue africain restera toujours une connaissance subalterne dans une sorte d'épistémologie de frontière qui n'élabore pas une reconstruction inscrite dans un régime d'historicité très longue.

La question de fond de notre analyse est présentée par Jean Kinyongo: « Comment corriger ce que Brunetière qualifiait, au 19 è siècle, de « faillite de la science » à cause de l'impuissance de recherches positives de l'époque à résoudre les problèmes fondamentaux de l'homme et de l'entente entre les hommes ? »62(*) Et il continue, « si René Girard citant Durkheim a raison de soutenir que le spirituel (c'est le point d'orgue de notre livre) doit être à l'origine de tout (cfr. Les choses cachées depuis l'origine du monde) et si Malraux, prophète d'un XXI ème siècle spirituel, a lui aussi raison, alors il nous faut, dit-il, chercher de ce côté -là une manière qui puisse combler le vide de l'humain dans ce monde et, par-là, permettre d'appeler une convergence planétaire des peuples et des nations plus responsables que par le passé. »63(*)

Après l'exposition d'une manière africaine de percevoir l'identité et la vocation historique de l'homme et des peuples ,puisée dans le célèbre mythe de la création de l'univers et de l'homme dans la tradition de Komo chez les Bambara, Kinyongo conclut de cette manière- ci : « ce que doit être notre mission au 3 ème millénaire dépend de la manière dont nous nous comprenons maintenant , de la nouvelle compréhension que nous avons de nous-mêmes, de notre monde , de notre façon de devenir de plus en plus présent au monde ,et de rendre celui -ci de plus en plus présence ».64(*)

« Notre vocation historique, poursuit Kinyongo, en tant que présence fut surtout de bien nommer le monde, les choses et de les appeler à l'existence, nous les avons effectivement appelés à l'existence, mais de manière inadéquate. Nous devons maintenant les appeler et nous appeler à une nouvelle existence pour plus de présence et plus de participation en vue de rendre la vie de nos semblables plus humaines. »65(*) Il faut finalement joindre à l'entreprise de la recherche pour combler le vide de l'humain dans le monde, la construction subséquente d'une réalité sociale à jamais dynamique. « Le stade le plus élevé de la réflexion coïncide avec un progrès dans l'autonomie de l'individu, avec la suppression de la souffrance et avec l'avènement d'un bonheur concret ».66(*)

Ces questions que nous abordons pourraient passer pour être non pertinentes pour autant que la science s'occupe des questions de comment, mais ne faudrait -il pas reposer aujourd'hui dans le contexte des sciences la question véritable du pourquoi ? Parce que, pour nous africains en tout cas, la maîtrise de notre espace vital reste sujette à caution.

Comme le rappelle Pierre Mutunda avec la docte ironie qui le caractérise : notre « société est engagée dans une dérive qui à tout moment peut culminer dans une implosion mentale collective. Désemparés, les hommes et les femmes ne savent plus à quel saint se vouer. (...) Le peuple dépouillé de son identité et du patrimoine ancestral, affamé part ses propres fils qui lui imposent un nouvel esclavage sous l'oeil indifférent de la communauté internationale, voire avec la complicité de l'Occident, chosifié par l'escroquerie de sa classe politique, la cupidité des `opérateurs économiques', la roublardise de ses intellectuels diplômés jusqu'aux dents ,mais incapables de résoudre un seul petit problème sans le concours du ''Blanc'' ,ne sait plus à quels idéaux souscrire, quel prophète suivre ,quels lendemain espérer ».67(*)

Sommes - nous en Afrique Noire installés dans une philosophie de la crise qui, finalement n'a pour mérite que d'être, comme le dit Pierre Mutunda Mwembo, une «  tâche d'une remontée archéologique aux sources d'une historicité qui se chiffre de manière déficitaire. (...) Une telle situation est déjà provoquée par l'afro- pessimisme, cette attitude défaitiste et démobilisatrice qui, `'sur le marché des écrits médiatiques et idéologico -scientifiques,...est une valeur sûre depuis plusieurs décennies'' ».68(*) La montée archéologique aux sources d'une historicité à travers les images mythico-religieuses et les images linguistiques contemporaines du monde, i.e. le formalisme qui est la rationalité à la base des actions modernes a débouché sur la perte de sens et la perte de la liberté à propos de la rationalisation de l'Etat et de l'économie (Marcuse). « Les potentialités sociales des sciences, dit Jürgen Habermas, se sont réduites à l'exercice d'un pouvoir technique et ne peuvent plus être considérées comme les potentialités d'une action éclairée ».69(*)

Puisque nous évoquons l'histoire, nous dirons dans le même sens avec Jürgen Habermas que « l'irrationalité de l'histoire trouve son fondement dans le fait que c'est nous qui la « faisons », sans pouvoir jusqu'à présent le faire en toute conscience. C'est pourquoi on ne fera pas progresser la rationalisation de l'histoire en étendant le pouvoir de contrôle d'hommes..., mais seulement en élevant le niveau de réflexion et en aidant la conscience des individus agissant à progresser dans l'émancipation. »70(*)

Quelle est pour nous la tâche urgente ? Comme le dit encore si bien Mutunda, il a s'agit « de déblayer des voies et moyens pour une reprise de l'initiative historique par l'Africain, une mobilisation des énergies en vue d'assumer l'existence, de l'infléchir en une destinée voulue et maîtrisée, orientée vers une réalisation positive de la vie ».71(*)

* 61 Marc PONCELET, Sciences sociales, colonisation et développement, p.25.

* 62 Jean KINYONGO JEKI, « L'histoire d'un drame », dans Philosophie et destins des peuples, Actes des journées philosophiques de Canisuis, Mars 1999, éditions Loyola, 2000, p.24.

* 63Ibidem.

* 64Ibidem, p.26.

* 65Ibidem.

* 66 Jürgen HABERMAS, Théorie et pratique, p.320.

* 67 Pierre MTUNDA MWEMBO, art.cit. p.47.

* 68 VERLEY, « Crise économique » dans Encyclopédie Univesalis, p.770, cité par Pierre MUTUNDA MWEMBO, art.cit. p.51.

* 69Ibidem, p.320.

* 70 Jürgen HABERMAS, Théorie et pratique, Payot, Hermann Luchterhand Verlag, 1963, éditions Payot et Rivages, 2006, Paris, p.340.

* 71 Pierre MUTUNDA MWEMBO, art.cit., p.51.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams