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Les petites constitutions en Afrique: essai de réflexion à  partir des exemples de la Côte d'Ivoire, de la RDC, de la Tunisie et du Togo.

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par Kakessiwa Kokou KOMLAN
Université de Lomé - Master 2 en Droit Public 2015
  

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    UNIVERSITE DE LOME FACULTE DE DROIT

    I

    MEMOIRE DE MASTER II DROIT PUBLIC FONDAMENTAL

    LES PETITES CONSTITUTIONS EN AFRIQUE

    ESSAI DE REFLEXION A PARTIR DES EXEMPLES DE LA COTE D'IVOIRE, DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, DE LA TUNISIE ET DU TOGO.

    Présenté par

    Kakéssiwa K. KOMLAN

    DIRECTEUR DU MEMOIRE

    Kossi SOMALI

    Maître-assistant en Droit Public.

    ANNEE UNIVERSITAIRE 2011-2013

    II

    Mémoire Master II - Les petites constitutions en Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de la Tunisie et du Togo.

    AVERTISSEMENT

    L'Université de Lomé n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans ce document ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

    Mémoire Master II - Les petites constitutions en Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de la Tunisie et du Togo.

    III

    A mon frère ainé Robert Komlanvi EZIGO, cette oeuvre t'est dédiée pour avoir façonné son auteur ainsi que ses connaissances.

    IV

    Mémoire Master II - Les petites constitutions en Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de la Tunisie et du Togo.

    REMERCIEMENTS

    J'adresse mes sincères remerciements à Monsieur Kossi SOMALI qui a répondu favorablement à la curiosité intellectuelle d'un apprenant, en acceptant de diriger ce travail et en dégageant un temps nécessaire toutes les fois qu'il a été sollicité. Sa rigueur intellectuelle et sa passion de la recherche scientifique m'ont grandement inspiré tout au long de cette rédaction. Que ces mots traduisent toute mon admiration de la personne.

    Je tiens également à exprimer toute ma gratitude à Messieurs les professeurs Adama KPODAR et Dodzi KOKOROKO, dont les multiples sacrifices consentis ont abouti à la réussite de notre Master. L'écoute attentive dont ils ont toujours fait preuve et les précieux conseils prodigués ont été déterminants dans la volonté d'entreprendre et de mener à bien ce travail. Qu'ils veuillent bien trouver, dans le présent hommage, l'expression de ma sincère et profonde reconnaissance.

    Le corps enseignant de la Faculté de Droit de l'Université de Lomé et le Centre de Droit Public de Lomé, m'ont permis de bénéficier d'une ambiance de travail à la fois sereine et motivante. Je voudrais ici leur adresser mes remerciements, de même qu'aux documentalistes de la « salle de lecture » qui m'ont apporté une aide précieuse dans mes travaux de recherche.

    Enfin, un grand remerciement à ma famille pour tout le soutien moral et financier dont j'ai bénéficié, et au-delà, tous ceux, collègues et amis, qui, chacun à sa manière, ont contribué, par des aides et des encouragements constants, à l'achèvement de ce document. Puisse Dieu Tout Puissant vous donner la bénédiction nécessaire pour le sain épanouissement de votre existence.

    V

    Mémoire Master II - Les petites constitutions en Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de la Tunisie et du Togo.

    RESUME ET MOTS-CLES

    VI

    Mémoire Master II - Les petites constitutions en Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de la Tunisie et du Togo.

    Résumé

    Les petites constitutions, normes au caractère juridique controversé, sont souvent édictées en période de crise, et participent à un processus de renouvellement constitutionnel, en permettant, lors du passage de la Constitution révolue ou contestée, à la Constitution voulue ou souhaitée, d'assurer un certain degré de formalisation de la production normative et d'organiser les rapports entre les pouvoirs publics pendant la période de la transition ou de crise. Elles se distinguent ainsi d'une Constitution « normale » par leur caractère provisoire, par le faible degré de formalisation qu'elles comportent ainsi que par le fait qu'elles prévoient parfois les conditions de production d'une future Constitution. Même si elles n'ont pas encore intégré les catégories officiellement consacrées par la doctrine constitutionnelle classique, les petites constitutions projettent sur la réflexion en Afrique d'un « droit constitutionnel de crise ».

    Mots-clés

    Constitution - Petite constitution - Constitutionnalisme - Juridicité - Légitimité - Légalité - Gouvernement de fait - Transition - Coup d'état - Révolution.

    VII

    Mémoire Master II - Les petites constitutions en Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de la Tunisie et du Togo.

    SOMMAIRE

    VIII

    Mémoire Master II - Les petites constitutions en Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de la Tunisie et du Togo.

    RESUME ET MOTS-CLES V

    SOMMAIRE VII

    LISTE DES ABREVIATIONS ET SIGLES IX

    INTRODUCTION 1

    PARTIE I. LA CONCEPTION JURIDIQUE DES PETITES CONSTITUTIONS 13

    Chapitre I. La juridicité des petites constitutions 15

    Chapitre II. Les fonctions des petites constitutions 31

    PARTIE II. LA TYPOLOGIE DES PETITES CONSTITUTIONS 44

    Chapitre I. Les petites constitutions issues d'un pouvoir constituant national 47

    Chapitre II. Les petites constitutions issues d'un pouvoir constituant

    international 63

    CONCLUSION 78

    BIBLIOGRAPHIE 82

    TABLE DES MATIERES 94

    IX

    Mémoire Master II - Les petites constitutions en Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de la Tunisie et du Togo.

    LISTE DES ABREVIATIONS ET SIGLES

    Y

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    A.F.D.I. Annuaire français de droit international

    A.N.C. Assemblée nationale constituante tunisien

    A.P.G. Accord politique global

    C.C. Conseil constitutionnel

    C.N.G. Congrès national général

    C.N.T. Conseil national de transition

    C.N.S Conférence Nationale Souveraine

    C.S. Conseil de sécurité des Nations Unies

    Cf. Confer

    Concl. Conclusion

    Déc. Décision

    (Dir.) sous la direction de

    H.C.R. Haut Conseil de la République

    I.S.I.E. Instance supérieure indépendante pour les élections

    J.O.R.T. Journal officiel de la République tunisienne

    L.G.D.J. Librairie générale de droit et de jurisprudence

    N.E.A. Nouvelle édition africaine

    O.N.U Organisation des Nations unies

    Ord. Ordonnance

    Pouvoirs Revue Pouvoirs

    P.U.F. Presses universitaires de France

    R.C.A.D.I. Recueil des cours de l'Académie de droit international

    R.D.C. République Démocratique du Congo

    R.D.P. Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger

    R.F.D.C. Revue française de droit constitutionnel

    R.P.T. Rassemblement du peuple togolais

    R.R.J. Revue de la recherche juridique

    Rec. Recueil de décisions

    T.D.C. Traité de droit constitutionnel

    trad. Traduction

    U.A. Union africaine

    INTRODUCTION

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    S'il est, de nos jours, une interrogation qui traverse avec constance et véhémence la science du droit constitutionnel dans la résolution des conflits et crises politiques1 en Afrique, comme partout ailleurs dans le monde, sur fond d'incertitudes juridiques et institutionnelles, c'est bien celle de la sortie de crise2 par la mise sur pied d'un instrument, destiné à assurer la continuité des pouvoirs publics et permettant la transition3 des ordres juridiques. Cet instrument, c'est les dispositions à prétention constitutionnelle, connues sous le vocable de « petites constitutions »4.

    Ces petites constitutions constituent un objet de recherche théorique nouveau. En réalité, il y a d'intéressants travaux réalisés récemment sur le continent africain qui abordent cette question des petites constitutions, mais la problématique n'est pas épuisée. En effet, les auteurs qui se sont intéressés à la question, l'ont traité de manière restrictive. D'où l'intérêt de la présente contribution, qui se propose de revisiter la thématique essentielle, en Afrique notamment, d'une normativité politique « apprivoisée » par le droit.

    Cependant, l'entreprise n'est pas sans écueil. Le sujet est en effet difficile en raison des contours flous de la notion de « petite constitution » qu'il importe de définir.

    Le nom « petite constitution », attribué pour la première fois à la Constitution polonaise de 1919, a dans un premier temps été conceptualisé en France par Marcel PRELOT, qui l'appliqua à la loi constitutionnelle du 2 novembre 19455 avant de développer le concept dans son Précis d'institutions politiques et de droit constitutionnel en1961. Limitée

    1 Même si une crise politique est un conflit qui naît entre la classe politique, et une crise juridique celle liée soit à l'interprétation de la Constitution ou à son silence, on voit mal la frontière entre les deux. Une crise juridique est nécessairement politique et vice versa.

    2 Voir en ce sens MANDJEM (Y. P.), « Les Gouvernements de transition comme site d'institutionnalisation de la politique dans les ordres politiques en voie de sortie de crise en Afrique », Revue africaine des relations internationales, Vol. 12, no1 & 2, 2009, p. 81.

    3 La transition peut être définie comme un processus, un mouvement qui permet de quitter un état donné pour en atteindre un autre. L'intérêt de la transition est la réalisation de ses objectifs à l'achèvement du processus de passage. Cependant dans le cadre de la présente étude, la transition s'entend de la période qui se situe entre la fin d'un ordre juridique et l'instauration d'un nouvel ordre.

    4 L'adjectif « petite» ne se rapporte pas à la dimension du texte, mais à son horizon temporel. À titre d'exemple, la petite constitution Sud-africaine comporte quinze chapitres, deux cent cinquante et une sections et sept annexes.

    5 Le Gouvernement Provisoire de la République Française, formé à Alger le 3 Juin1943 prévoit, en dehors des formes prévues par les lois constitutionnelles de 1875, la convocation du peuple français en vue de choisir entre le rétablissement des lois constitutionnelles de 1875 et l'investissement d'une Assemblée constituante élue le même jour mais dont l'encadrement de la compétence est laissé au peuple français avec le cas échéant du texte formellement constitutionnel provisoire, promulgué le 2 Novembre 1945.

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    cependant par celui-ci, à des normes formellement constitutionnelles investissant un gouvernement de fait6 dans le cadre d'un « régime semi-constitutionnel »7, la notion de petite constitution fut élargie, plus tard, par le professeur PFERSMANN aux normes « provisoires8, parfois même formalisées, souvent uniquement matérielles, intermédiaires entre la Constitution révolue et la Constitution future encore au stade de projet »9. De cette définition, s'impose une précision.

    Très souvent les auteurs utilisent d'autres appellations pour désigner les petites constitutions. Il s'agit entre autres de « pré-constitution »10, « Constitution provisoire »11 « Constitution intérimaire »12 ou « Constitution transitoire »13. Il convient donc d'opérer une distinction essentielle de ces termes qui peuvent paraître des synonymes. A cet effet, la présente étude considère les termes « pré-constitution » et « Constitution provisoire » comme celles qui permettent de décrire au mieux le phénomène des petites constitutions en mettant en exergue leur fonction de relais14 entre deux ordres juridiques. Quant aux

    6 Selon la définition généralement admise par la doctrine « on entend par gouvernement de facto, un gouvernement créé soit en contradiction avec la constitution existante, soit ipso facto dans le cas de non existence d'un ordre Etatique préalable. L'originalité du gouvernement de fait tient donc à ce qu'il exerce l'autorité gouvernementale en l'absence de tout fondement constitutionnel. Il s'oppose au gouvernement de jure où le pouvoir se trouve exercé conformément à un statut préexistant ». BURDEAU (G.), Traité de sciences politiques, Paris, LGDJ 1969, T4, P. 610.

    7 PRELOT (M.), Précis de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1949, p. 307 et s. ; Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, Précis Dalloz, 1ère éd. ,1961 , 6e éd. , 1975, pp. 290-291 et 523.

    8 L'adjectif « provisoire » est une évolution du terme juridique « provision », datant du XVe siècle. Ce n'est qu'à l'époque de la révolution que le terme provisoire est en entré dans le langage courante. AMSELEK (P.), « Enquête sur la notion de provisoire », RDP, n°1, 2009, pp. 7-9.

    9 PFERSSMANN (O.), in Louis FAVOREU et al., Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, coll. Précis Dalloz Droit public-Science politique, 2003, p. 102 et s.

    10 BEAUD (O.), La puissance de l'Etat, Paris, PUF, 1994, p. 267 ; ZIMMER (W.), « La loi du 3 juin 1958: contribution à l'étude des actes pré-constituants », RDP, 1995, pp. 385 ; THUMEREL (I.), Les périodes de transition constitutionnelle, Thèse de Doctorat en Droit public, Université Lille 2- Droit et santé, 2008, p. 32.

    11 En doctrine, cette appellation a été utilisé par le Doyen VEDEL en 1949, en se référant à la loi française du 2 novembre 1945 portant organisation provisoire des pouvoirs publics. Voir VEDEL (G.), Droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1949, pp. 273-275.

    12 Emmanuel CARTIER utilise cette appellation en désignant la petite constitution sud-africaine de 1993, voir CARTIER (E.), « Les petites Constitutions : contribution à l'analyse du droit constitutionnel transitoire» Revue française de droit constitutionnel, 2007/3 n° 71, p. 518.

    13 PECH (L.), « Les dispositions transitoires en droit constitutionnel», RRJ, 1999, p. 1412.

    14 Emmanuel CARTIER parle d'un « système juridique relais » qui « a comme fonction première de définir un cadre normatif provisoire destiné à assurer, dans l'attente de l'adoption d'une Constitution définitive, la continuité de l'activité juridique de l'Etat ». CARTIER (E.), « Les petites Constitutions : contribution à l'analyse du droit constitutionnel transitoire », op.cit., p. 523.

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    appellations « Constitution intérimaire » et « Constitution transitoire », les termes ne sont pas appropriés. D'une part le mot « intérimaire » évoque l'idée d'assurer, pendant un temps prévu, une fonction dont on n'est pas titulaire15. L'intérim étant prévu par l'ordre juridique en vigueur, le texte intérimaire assure donc la continuité de celui-ci alors que les petites constitutions procèdent d'une rupture avec cet ordre. D'autre part, les normes transitoires ont pour fonction d'aménager progressivement l'entrée en vigueur d'un dispositif définitif déjà édicté alors que, les petites constitutions adoptées dans la phase de transition constitutionnelle ont justement pour but d'organiser l'élaboration d'une Constitution définitive qui n'existe pas encore. Ainsi les petites constitutions seront-elles observées dans le cadre de cette étude comme des « Constitutions de transition » et non des « Constitutions transitoires ». Les deux termes se recoupent largement mais ne se recouvrent pas16.

    Cette précision sur la notion de petite constitution semble donc rejaillir sur le concept même de « Constitution » qu'il convient malgré tout de définir.

    Il faut dire que, l'unanimité est faite autour de la reconnaissance de la Constitution comme étant « le fondement de l'Etat, la base de l'ordre juridique »17. Cependant le concept de Constitution est diversement apprécié par les auteurs selon qu'on la conçoit formellement ou matériellement. Ainsi Raymond CARRE DE MALBERG enseignait-il que la Constitution au sens formelle désigne un instrument « énoncé dans la forme constituante, par l'organe constituant et qui par la suite ne peut être modifiée que par une opération de puissance constituante et au moyen d'une procédure spéciale de révision »18. Aussi, Pierre PACTET écrivait-il que « la Constitution au sens matériel encadre la dévolution et l'exercice du pouvoir public »19. Cette distinction entre le formel et le matériel est aussi fort observable au niveau des petites constitutions.

    15 Voir en ce sens VILLIER (M.), Dictionnaire du Droit Constitutionnel, 4e éd. Armand Collin.

    16 Si toutes les « Constitutions transitoires » sont des « Constitutions de transition », l'inverse n'est pas forcément vrai ; parce-que certaines normes de transition sont adoptées dans l'attente d'une décision définitive qui n'existe pas encore alors que les normes transitoires sont adoptées pour assurer la mise en oeuvre progressive d'une norme définitive qui existe déjà.

    17 KELSEN (H.), « La garantie juridictionnelle de la constitution», RDP 1928, p. 206.

    18 CARRE DE MALBERG (R.), Contribution à la théorie générale de l'Etat, T.2, Paris, Sirey, 1922, p 571 et s.

    19 PACTET (P.), MELIN-SOUCRAMANIEN (F.), Institutions politiques et droit constitutionnel, 27e éd., Paris, Armand Colin, 2009, p. 63.

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    En effet formalisées, elles sont en règle générale des Constitutions de sortie de crise élaborées dans la perspective d'une Constitution définitive respectant certains principes de base et adoptées par une assemblée constituante20. Au sens matériel, elles sont considérées comme un ensemble de règles concernant l'organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics à la suite d'une rupture totale ou partielle avec l'ordre juridique en vigueur. Les petites constitutions au sens matériel du terme, ne réalisent cependant la structuration21 de l'ordre juridique, qui est l'une des fonctions essentielles de toute Constitution, que sur un plan infra-constitutionnel et selon un faible degré de formalisation. Elles sont donc par conséquent, facteur d'insécurité juridique.

    Or, la plupart des petites constitutions ne sont pas édictées en la forme constitutionnelle, mais relèvent le plus souvent de plusieurs actes de formes différentes. C'est pourquoi la question de leur juridicité22 alimente une vive controverse au sein de la doctrine23. C'est donc à cette phase de leur définition qu'une idée sur leur fonction doit être faite.

    On distingue cependant trois catégories de petites constitutions subdivisées en deux grands groupes du point de vue de leur fonction.

    D'abord, il y a le groupe des petites constitutions dont la fonction est de préparer l'adoption d'une Constitution définitive suite à l'abrogation de la Constitution en vigueur, le plus souvent après une révolution24 ou un coup d'Etat25. En effet le succès de

    20 En Afrique du sud par exemple le processus a consisté à dresser un ensemble de trente-quatre principes intangibles annexés à la petite constitution adoptée en 1993, sur la base desquels la Constitution définitive, finalement adoptée en 1996, fut élaborée, sous le contrôle de la Cour constitutionnelle. Sur cette question et les problèmes juridiques qu'elle pose, voir HOURQUEBIE (F.), « La diffusion du constitutionnalisme en Afrique du Sud: une analyse à travers la décision de la Cour constitutionnelle du 6 juin 1995 portant inconstitutionnalité de la peine de mort» p. 3 ; DREYFUS (F.), « La Constitution

    intérimaire d'Afrique du Sud », RFDC no 19, 1994, p. 468.

    21 Elle consiste en la détermination de relations d'ordre entre les parties d'un tout qui justifie l'unité de l'ensemble. L'unité procède ainsi du double rapport qu'entretiennent les parties entre elles et avec le tout. En droit, elle correspond à la forme des relations qu'entre- tiennent les normes à l'intérieur d'un même système juridique. Du point de vue positiviste, l'agencement hiérarchique de plusieurs types de règles définit, indépendamment du contenu de ces règles, l'existence d'une structure.

    22 Cette problématique rejoint la question classique de l'existence et de la nature du pouvoir constituant dit « originaire » auquel l'école positiviste classique dénie tout caractère juridiquement appréhendable.

    23 La doctrine en général est perçue comme l'ensemble de notions considérées comme vraies et par lesquelles on prétend fournir une interprétation des faits, orienter ou diriger l'action de l'homme dans différente matière scientifique.

    24 La révolution, selon le Lexique de termes juridiques, est le soulèvement populaire contre le régime en place.

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    l'insurrection, du coup de force, du coup d'Etat ou de la guerre subversive26 amène la disparition de l'ordonnancement en vigueur. La Constitution est abrogée et tout acte s'y rattachant est désormais sans valeur. On observe alors une situation juridiquement curieuse où le régime régulier antérieur est prolongé par un régime de fait. Ce dernier édicte alors des petites constitutions en vue de l'adoption d'une Constitution définitive. C'est le cas notamment des Constitutions de crise (Chartes de transition et Actes de conférences nationales) après les insurrections et les guerres subversives ; et des déclarations unilatérales de nature martiale après les coups d'Etat.

    Ensuite, il y a le groupe des petites constitutions dont la fonction est de pallier les insuffisances ou les lacunes de l'ordre constitutionnel déjà existant. En effet les acteurs politiques recourent assez fréquemment à des accords ou arrangements politiques pour régler les problèmes juridiques ou politiques nés de la Constitution en vigueur. Ces arrangements qui font partie de ce que la doctrine a appelé le « conventionnalisme politique », sont dans une perspective stratégique, devenus de véritables instruments de résolution de crises et conflits politiques en Afrique.

    Au demeurant, quel que soit leur catégorie, les petites constitutions remplissent une triple fonction étalée dans une triple dimension (passé, présent et futur), qui rend essentiellement compte de leur identité. D'abord par rapport au passé, elles opèrent une rupture avec l'ordre juridique précédent. Ensuite par rapport au présent, elles organisent à titre provisoire les rapports entre les pouvoirs publics. Enfin par rapport au futur, elles attribuent et organisent le pouvoir constituant27. Un texte qui, seulement, établit une rupture avec l'ordre juridique précédent et organise à titre provisoire les rapports entre les pouvoirs publics, n'est donc pas une petite constitution au vrai sens du terme28. Ce dernier

    25 Pour une étude du phénomène de coup d'Etat en Afrique voir VIGNON (Y. B.), « Le coup d'Etat en Afrique noire francophone », in les voyages du droit, Mélange en l'honneur de Dominique BREILLAT, Paris, LGDJ, 2011, pp. 613-620.

    26 La guerre subversive se définit tout simplement comme un conflit armé qui renverse ou détruit l'ordre établi.

    27 Le pouvoir constituant, selon le Lexique de termes juridiques, est le pouvoir qualifié pour établir ou modifier la Constitution. Il y a ainsi le pouvoir constituant originaire (celui qui s'exerce d'une manière inconditionnelle pour doter un Etat d'une Constitution alors qu'il n'en possède pas), et le pouvoir constituant dérivé (celui qui s'applique à la révision de la Constitution déjà en vigueur, selon les règles posées par elle.

    28 C'est le cas par exemple de la Charte Nationale de Transition adoptée le 16 novembre 2014 au Burkina-Faso. Cette charte qui encadre la gestion du pouvoir politique pendant la période de transition qui suit le

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    ne peut alors revendiquer que le titre moins prestigieux de « petites constitution a minima »29. Mais, dans la présente étude, cette distinction « petite constitution » - « petite constitution a minima », ne sera pas observée avec rigueur.

    Dès lors, l'usage de dispositions provisoires sous la forme de petite constitution permettant le passage d'un ordre juridique révolu ou contesté vers celui qui a vocation à être mis en place de manière définitive, a pris depuis quelques temps une part non négligeable dans la théorie constitutionnelle en Afrique. En effet, Nées d'un fait grave dans l'histoire constitutionnelle de la France30, ces petites constitutions s'imposent comme une catégorie fonctionnelle du « droit constitutionnel moderne africain ». Elles essayent, de systématiser au fil du temps, l'approche conceptuelle d'un droit des périodes de transition.

    renversement du régime de Blaise COMPAORE n'envisage pas expressément la construction d'un nouvel ordre constitutionnel. C'est également le cas de l'Accord Politique Global du 20 août 2006 qu'on ne peut que considérer comme une feuille de route constitutionnelle au service des acteurs politiques au Togo.

    29 KPODAR (A.) et KOKOROKO (D.), « Réflexion autour d'une controverse politique : la nature

    juridique de l'Accord Politique Global du 20 août 2006 », focus Info, no 126 du 28 janvier au 11 février 2015, pp. 4-5.

    30 Le 6 juillet 1789, l'Assemblée nationale réunit un comité chargé de rédiger une constitution et adopte le 3 septembre 1789 un décret concernant les bases fondamentales de la constitution, destiné à assurer la continuité des pouvoirs publics et à fixer les principes que doit mettre en oeuvre la future constitution du royaume de France. Cet acte est adopté en la forme d'un décret simple, en violation des règles de production des lois fondamentales du royaume. Il définit les conditions de production de la première constitution formelle de la France, adoptée par l'Assemblée le 3 septembre 1791 et acceptée par le roi le 13.

    De même, par le décret du 10 Août 1791, l'Assemblée législative prononce, en dehors des formes prévues par la constitution de 1791, la suspension du roi et du pouvoir exécutif et prévoit la convocation d'une nouvelle convention nationale. Le Sénat conservateur de l'empire établit le 1er Avril 1814 un gouvernement provisoire « chargé de pourvoir aux besoins de l'Administration et de présenter au Sénat un projet de constitution qui puisse convenir au peuple français » et prononce avec le corps législatif, le 3 Avril, la déchéance de NAPOLEON et de sa famille avant d'appeler LOUIS XVIII au trône par un décret du 6 Avril.

    C'est par un procédé similaire que les chambres prévues par la Charte de 1814 proclament le 3 Août 1830 la vacance du trône de CHARLES X et convoquent le Duc d'Orléans, auquel est confié le gouvernement provisoire avec le titre de « Lieutenant général du royaume » avant d'adopter une nouvelle Charte à laquelle celui-ci prête serment, en dehors de la Charte de 1830.

    En 1848, la chambre des députés, confrontée aux mouvements révolutionnaires et réformistes ainsi qu'à l'abdication de Louis-Philippe en faveur du jeune compte de Paris, nomme à la régence la Duchesse de NEMOUR. Celle-ci doit accepter, sous la pression des événements, la formation d'un gouvernement provisoire qui se présente au peuple de Paris avant de dissoudre la chambre afin de permettre l'élection d'une Assemblée constituante en dehors des formes prévues par la Charte de 1830.

    Selon la même logique mais cette fois à l'initiative d'autorité de fait, le gouvernement provisoire de 1870, formé par « acclamation » convoque le peuple français à des élections générales dans le but de terminer la guerre. L'Assemblée issue de ces élections s'auto-investira de la compétence constituante en dehors de la procédure de révision prévue par la constitution de l'Empire.

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    Un droit matériellement constitutionnel pour la plupart et procédant le plus souvent d'une rupture révolutionnaire ou d'un heurt frontal avec l'ordre juridique en vigueur. Ce qui oblige à légitimer les petites constitutions, en Afrique, en tant que mode alternatif de projection vers un ordre juridique que l'on voudrait en parfaite harmonie avec le temps et la réalité des forces politiques31.

    En effet, dans le cas spécifique des Etats africains, l'observation des cycles constitutionnels débouche sur un constat. A de rares exceptions près, les Constitutions ont une durée de vie relativement courte. Le professeur Maurice AHANHANZO-GLELE, reconnaissait à cet effet que : « l'Afrique adopte, remet en cause, suspend, abroge puis renouvelle la Constitution »32. Au demeurant, cette fluctuation est symptomatique d'un tourbillon de crises qui semble remettre en cause les vertus proclamées du nouveau constitutionnalisme33, qui a pris son envol dans le cadre des transitions démocratiques des années 199034.

    L'Afrique est donc depuis quelques années fragilisée par d'interminables antagonismes qui restent liés à la démocratisation. Ils sont de plusieurs ordres et d'intensités variables. Il s'agit parfois de crises politiques ou de conflits armés provoquant simplement la déstabilisation du système politique ou de l'Etat lui-même. Lorsqu'ils éclatent, ces antagonismes remettent en cause la stabilité politique des Etats et compromettent l'application de la Constitution en vigueur. Les Constitutions qui doivent être en adéquation avec l'ancrage de l'idée de droit qui fonde les valeurs d'une société dans la durée, deviennent à leur tour, source d'inquiétude de dysfonctionnement des institutions, et au pire des cas, de véritables poudrières dégénérant, au moindre mouvement, en crise cristallisée par des conflits armées. Pour expliquer ce paradoxe, Moussa ZAKI estime que « l'urgence et la nécessité qui ont rythmé les Constitutions africaines de deuxième

    31 ZAKI (M.), « Petite constitution et droit transitoire en Afrique », RDP 2012-6-008, no6, p 1667.

    32 AHANHANZO-GLELE (M.), « La Constitution ou loi fondamentale », Encyclopédie juridique de l'Afrique, T 1, Abidjan, NEA, 1982, p. 33.

    33 DU BOIS GAUDUSSON (J.), « Défense et illustration du constitutionnalisme après quinze ans de pratique du pouvoir », in le renouveau du droit constitutionnel, Mélange en l'honneur de Louis FAVOREU, Paris, Dalloz, 2007, p. 609.

    34 La quasi-totalité des Etats d'Afrique subsaharienne francophone a connu un processus de transition dans les années 1990. Cette vague de démocratisation résulte d'une conjonction de facteurs tant externes qu'internes tels que : l'effondrement du bloc soviétique et le durcissement de la conditionnalité démocratique perceptible dans le discours de la Baule.

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    génération, sont incompatibles avec les enjeux et les nouveaux défis auxquels devraient faire face des Etats en proie à des crises souvent profondes : construction et consolidation à la fois de l'Etat de droit, de la démocratie et de la paix, enjeux qui nécessitent une stabilité juridique et institutionnelle, avec des Constitutions qui s'inscrivent dans la durée »35. Mais les études consacrées aux périodes de crises induites par l'inadaptation des textes constitutionnels (notamment les périodes des conférences nationales des années 1990), et les changements anticonstitutionnels de gouvernement (à travers les coups d'Etat), se sont d'avantage penchées sur la transition démocratique36 (le pluralisme politique et l'amélioration des régimes de libertés) que sur la transition des ordres juridiques. Le recours à un instrument « relais », permettant d'organiser « une transition en douceur »37, dans le cadre d'un processus réfléchi et concerté, entre l'ordre juridique révolu ou contesté, et l'ordre juridique attendu, s'avère donc nécessaire. D'où l'importance des petites constitutions dans la consolidation du nouveau constitutionnalisme en Afrique.

    Cependant, la grille d'analyse des récentes pratiques du droit constitutionnel en Afrique révèle des dérives inquiétantes dans l'utilisation d'une catégorie de petite constitution notamment les arrangements politiques ou accords politiques. En effet, si ces derniers doivent avant tout, être interprétés comme des actes politiques conjoncturels de sortie de crise, il n'en demeure pas moins vrai qu'ils constituent en même temps une forme de menace au constitutionnalisme en Afrique. Le professeur Jean DU BOIS DE GAUDUSSON ne déclarait-il pas que « le constitutionnalisme africain est victime de ces nouveaux usages »38? Pour sa part, après avoir relevé que « la portée de ces accords conclus entre acteurs politiques, en dehors du pouvoir constituant, contraste fort bien avec la valeur constitutionnelle qui leur est conférée dans la pratique »39, le professeur Joël AIVO arrive à la conclusion que « dans bien des cas, comme celui en Côte d'Ivoire des accords de Linas-Marcoussis40, d'Accra, de Pretoria et de Ouagadougou, l'application de

    35 ZAKI (M.), « Petite constitution et droit transitoire en Afrique », op.cit., p. 1669.

    36 CONAC (G.), L'Afrique en transition vers le pluralisme politique, Paris, Economica, 1993, 517 p.

    37 ZAKI (M.), « Petite constitution et droit transitoire en Afrique », p. 1669, op.cit.

    38 DU BOIS DE GAUDUSSON (J.), « Défense et illustration du constitutionnalisme en Afrique après quinze ans de pratique du pouvoir», op.cit., p. 621.

    39 AIVO (F. J.), « La crise de normativité de la constitution en Afrique », RDP 2012, no 1, op.cit., p 143.

    40 KPODAR (A.), « Politique et ordre juridique : les problèmes constitutionnels posés par l'accord de Linas-Marcoussis du 23 janvier 2003 », RRJ-Droit prospectif, 2005, no 4-II, pp. 2503-2526.

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    ces instruments prime sur la Constitution »41, et par conséquent « l'on se trouve en présence de textes neutralisant des dispositions constitutionnelles ou prévoyant des révisions de fond42 alors même qu'ils n'ont ni force de loi ni valeur constitutionnelle »43. Le complexe de la « politique saisie par le droit »44 a-t-il cédé le pas à une revanche de celle-ci ?

    C'est donc, à la tentation d'ouvrir une nouvelle réflexion sur les voies et moyens de consolidation du constitutionnalisme face aux crises multiformes que traversent les Etats africains, du fait d'une approche contestable de la Constitution, qu'à juste titre, notre modeste contribution se propose, à partir des exemples concrets, d'analyser ces instruments.

    Au regard de tout ce qui précède, l'interrogation centrale de la présente étude sera celle de la pertinence et de l'intérêt des petites constitutions dans la recherche de solution durable à la crise de constitutionnalisme à laquelle sont confrontés les Etats africains. Celle-ci n'est que la résultante d'une série de questionnements qui peuvent être résumés en ces termes : comment évaluer si ces dispositions prescriptives qui consacrent la fin de l'ordre juridique précédent et déterminent l'avènement de l'ordre juridique futur, ou bien, qui modifient en profondeur l'ordre juridique existant, ont bien une valeur juridique ? Cela revient à poser la question préalable de savoir si les périodes d'interrègne, situées entre la fin d'un ordre constitutionnel et l'entrée en vigueur d'un nouvel ordre, peuvent donner lieu à un ordre juridique globalement efficace et sanctionné ?

    Il faut dire que la période d'interrègne est la phase de structuration de la future Constitution. Elle correspond à une phase a-constitutionnelle45 puisqu'elle est pré-constitutionnelle, si l'on veut s'en tenir à la théorie pure du droit46 de l'éminent juriste

    41 AIVO (F. J.), « La crise de normativité de la constitution en Afrique », p. 143, op.cit.

    42 MELEDJE (F. D.), « Les révisions des constitutions dans les Etats africains francophones. Esquisse de bilan », RDP 1992, no 1, pp. 111-134.

    43 AIVO (F. J.), « La crise de normativité de la constitution en Afrique », op.cit., pp. 143-144.

    44 DU BOIS DE GAUDUSSON (J.) « Défense et illustration du constitutionnalisme en Afrique après quinze ans de pratique du pouvoir », in Le renouveau du constitutionnalisme, Mélange en l'honneur de Louis FAVOREU, op.cit. pp. 609-627.

    45 C'est-à-dire une phase dépourvue d'une loi fondamentale servant de soubassement au pouvoir et déterminant son organisation ainsi que les conditions de son exercice.

    46 KELSEN (H.), Théorie pure du droit, Editions Bruylant, LGDJ, d'après l'édition originale de 1962, 1999, pp. 224-237.

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    Hans KELSEN, qui a tant imprégné notre culture juridique. Ce dernier avec certains auteurs dont Raymond CARRE DE MALBERG, estiment en effet que le Droit n'existe que dans la norme et qu'il répond à une logique propre fondée sur l'idée de validité ; « chaque degré de l'ordre juridique constituant un ensemble et une production de droit vis-à-vis du degré inférieur, et une reproduction du droit vis-à-vis du degré supérieur »47 Mais, aussi attrayante soit-elle pour les juristes, cette « pureté »48 du droit ne semble guère satisfaisante pour toute la doctrine. En effet, selon d'autres auteurs comme le Doyen DUGUIT, dans un contexte aussi spécifique que celui d'une situation post révolutionnaire ou post conflictuelle (comme c'est le cas des Etats objet de notre étude), il ne paraît convaincant ni de ramener le Droit à la seule règle juridique comme le veut KELSEN, ni de l'extraire de son contexte politique et social. Il paraît donc essentiel de nourrir l'explication du Droit, d'éléments contextuels, conduisant ainsi à une redéfinition du concept même de droit constitutionnel et de son objet d'étude, afin de mieux appréhender et comprendre le phénomène des révolutions et par ricochet le phénomène des petites constitutions49. C'est ainsi que DUGUIT et d'autres auteurs ont émis des pistes permettant l'appréhension des petites constitutions comme étant des normes juridiques.

    Dès lors, face aux difficultés d'ancrage du constitutionnalisme dans les Etats africains, l'utilisation des petites constitutions peut constituer une solution dans la construction d'un ordre juridique durable50. En effet comme l'illustrent les cas des Etats témoins de la présente étude, les petites constitutions assurent l'adéquation de la Constitution définitive au contexte socio-politique des Etats. Cependant, le choix des Etats consacrés à cette étude obéit à des considérations relatives d'une part, à la diversité de catégorie des petites constitutions existant sur le continent, et d'autre part, à la diversité des vagues de processus de transition51 déclenchées sur le continent. Toutefois la présente étude essayera d'établir

    47 KELSEN (H.), « La garantie juridictionnelle de la Constitution », RDP, 1928, op.cit., p. 200.

    48 Le mot « pureté » est utilisé ici en faisant référence à l'expression « théorie pure du droit » utilisée par KELSEN.

    49 Le Doyen DUGUIT avait une conception sociale du « droit » que KELSEN n'avait pas. Il est donc la clé, pour ramener les phénomènes révolutionnaires, que KELSEN et CARRE DE MALBERG rejetaient, dans la science du droit. La présente étude se servira donc de DUGUIT comme la clé qui permet l'appréhension des petites constitutions dans la science du droit.

    50 ZAKI (M.), « Petite constitution et droit transitoire en Afrique », op.cit., p. 1671.

    51 Il s'agit notamment de la vague des transitions démocratiques des années 1990 et de la vague des révolutions du monde arabe de 2011 appelées : « le printemps arabe ».

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    des parallèles chaque fois que cela est nécessaire avec d'autres Etats africains ayant adoptés des petites constitutions.

    L'étude des petites constitutions consacrée aux Etats africains présente à cet effet un double intérêt. Dans un premier temps, elle permet d'identifier et de mesurer la capacité, des petites constitutions, à normaliser l'ordre juridique des Etats en crise tout en enrichissant la théorie constitutionnelle en Afrique. Dans un second temps, cette étude permet d'illustrer les réflexions théoriques, en établissant, à partir des cas étudiés, une typologie de ces textes, pour mieux comprendre ce phénomène des petites constitutions.

    Ce sont là, les idées essentielles que la présente étude abordera pour relever la portée réelle de ces instruments dans les Etats africains. Pour y parvenir, cette étude mettra en orbite les caractéristiques de ces textes, dans une approche théorique, à travers leur conception juridique (Première partie), avant de s'appesantir sur leur aspect pratique dans les Etats témoins, à travers l'étude de leur typologie (Deuxième partie).

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    PARTIE I.

    LA CONCEPTION JURIDIQUE DES PETITES CONSTITUTIONS

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    Les petites constitutions ont fait l'objet d'études théoriques assez sporadiques par le passé52. Pourtant, ces textes soulèvent des questions multiples, interrogeant tout particulièrement la théorie constitutionnelle.

    Etudier un texte qui précède l'adoption de la Constitution définitive, oblige tout d'abord à s'interroger sur son caractère juridique. Cependant, la situation de rupture dans l'ordonnancement juridique, à la suite de laquelle surviennent le plus souvent les petites constitutions, laisse présager une contradiction avec la notion même de juridisme.

    En effet, vouloir appréhender le juridisme des petites constitutions, supposerait de réintroduire leur effectivité dans le domaine du droit en dehors de toute relation d'imputation, puisque la chaine de validité, propre à déterminer leur caractère juridique ou non, est rompue53. C'est ainsi que l'appréhension des petites constitutions procédant le plus souvent d'une rupture révolutionnaire ou d'un heurt frontal avec l'ordre juridique en vigueur par la science du droit, alimente une vive controverse au sein de la doctrine.

    Par ailleurs, étant donné que ces textes se distinguent de la Constitution définitive, il est inévitable, en outre, de s'interroger sur leur fonction. En effet, l'incertitude qui accompagne les ruptures juridiques, laisse poindre la nécessité de création d'un nouvel ordre juridique dont un texte provisoire fixera les modalités de production. Les petites constitutions constituent donc un support de l'avènement d'un nouvel ordre juridique.

    Il apparait, alors suffisamment important de déterminer les caractéristiques juridiques des petites constitutions et de mesurer leur rôle dans l'élaboration du nouvel ordre juridique à travers leur juridicité (chapitre I) et leurs fonctions (chapitre II).

    52 BEAUD (O.), La puissance de l'Etat, Paris, PUF, 1994, op.cit., pp. 267-302; ZIMMER (W.), « La loi du 3 juin 1958 : contribution à l'étude des actes pré-constituants », RDP, 1995, op.cit., pp. 383-411.

    53 CARTIER (E.), « Les petites Constitutions : contribution à l'analyse du droit constitutionnel transitoire » op.cit., p. 521.

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    Chapitre I.

    La juridicité des petites constitutions

    Traiter de la juridicité des petites constitutions semble être une entreprise a priori osée voire illusoire en raison de la contradiction, à tout le moins, de l'opposition virtuelle entre le factuel et le juridique qui caractérise la notion54.

    Est-il donc possible, sans tomber dans une analyse vaine et stérile, d'appréhender la juridicité d'un fait ? Car à creuser l'analyse, la nature des petites constitutions supposerait la détermination délicate d'une frontière entre le factuel et le juridique55. Une telle réflexion n'est donc pas aisée pour tout chercheur, animé de la plus belle des passions qui soit56.

    Cette difficulté est révélatrice d'un débat doctrinal sur la nature juridique des petites constitutions (section I). Cependant en prenant en compte le contexte particulier des périodes de transition, elles constitueraient, de par leur objet, de véritables Constitutions. D'où l'importance d'analyser leur valeur constitutionnelle (section II).

    SECTION I. UNE NATURE JURIDIQUE DISCUTEE

    La question de la de la juridicité des petites constitutions divise la doctrine. En effet les discussions sur la nature juridique des petites constitutions opposent les contestataires d'une nature juridique orthodoxe (§ 1) et les tenants d'une catégorie juridique hétérodoxe (§ 2).

    54 Voir EHUENI MANZAN (I.), Les accords politiques dans la résolution des conflits armés internes en Afrique, Thèse de Doctorat en Droit, Université de Cocody-Abidjan, 07 décembre 2011, p. 252.

    55 Emmanuel CARIER disait que : « les petites Constitutions correspondent donc à ces deux hypothèses, selon qu'elles adoptent ou non une forme constitutionnelle. Elles supposent la détermination délicate d'une frontière entre le factuel, ou la force, qui relève de la sociologie et de l'histoire, et sa mise en forme juridique par un acte ». Voir CARTIER (E.), « Les petites Constitutions : contribution à l'analyse du droit constitutionnel transitoire » op.cit., p. 522.

    56 Nous adhérons entièrement à la conception hégélienne qui résume que « rien de grand ne s'est accompli dans ce monde sans passion », in leçon sur la philosophie de l'histoire, librairie philosophique J. VRIN, 1837.

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    § 1. LA CONTESTATION D'UNE NATURE JURIDIQUE ORTHODOXE

    Tout ordre juridique constitutionnel se définit à partir de deux notions, lesquelles constituent les fondements majeurs des arguments des contestataires d'une nature juridique orthodoxe des petites constitutions : il s'agit de la légalité (A) et de la légitimité (B).

    A. Les arguments fondés sur la légalité

    S'interroger sur la juridicité d'une disposition, impose à s'interroger au préalable sur son caractère légal.

    Olivier DUHAMEL et Yves MENY notaient dans leur Dictionnaire constitutionnel que la légalité, c'est « la conformité à la loi telle qu'elle est établie par les organes habilités »57. Notion de droit administratif58, la légalité a été étendue au champ constitutionnel et désigne la conformité à l'ordre constitutionnel positif dans ses deux aspects formel (procédural) et matériel (substantiel) : on parle alors de légalité constitutionnelle ou constitutionnalité59.

    C'est donc ce principe de légalité qui explique la vérité positiviste, selon laquelle le droit constitutionnel présuppose toujours une Constitution en vigueur. En effet soucieux de s'en tenir à la stricte description du droit positif60, l'école positiviste61, fonde l'appréhension de tout autre droit sur la légalité constitutionnelle. D'après donc Hans KELSEN, la disponibilité du droit n'a plus comme source des contenus supra-positifs, comme c'était le cas du droit sacré, mais, « le droit positif cultive son autonomie, en

    57 DUHAMEL (O.) et MENY (Y.), Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1992, p. 565.

    58 En droit Administratif, la légalité se définit comme la soumission de l'Administration au droit. L'Administration impose son pouvoir à travers les actes unilatéraux comme les lois, les décrets, les arrêtés, etc. qui sont des actes de puissance publique par excellence, dans ce sens qu'ils mettent en oeuvre le pouvoir d'Etat. La légalité exige donc qu'une norme établie par l'Administration, doive toujours être conforme à celles qui lui sont supérieures.

    59 FAVOREU (L.), cahier du Conseil Constitutionnel, no 3, Novembre 1997.

    60 Le droit positif est l'ensemble des règles de droit en vigueur dans un pays à un moment donné. Il est opposé au droit naturel et se réduit à une seule dimension, occupant désormais la place de « moyen de gouvernance ». Voir MATEVA (M.), Légitimité et légalité : considérations (sur la Loi et la justice) à l'image de deux grands procès politiques, Thèse de Doctorat en sciences économiques et sociales, Université de Neuchâtel, 2006, p. 10.

    61 « L'école positiviste » désigne ici le positivisme juridique qui est une doctrine selon laquelle le droit n'a pour source unique que la volonté du législateur politique.

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    puisant sa validité dans ses propres ressources, suivant une hiérarchie de normes où la Constitution est au sommet »62.

    Or, la première caractéristique d'une petite constitution est de se situer le plus souvent en rupture par rapport à l'ordre constitutionnel en vigueur. En effet la plupart des petites constitutions permet la violation des conditions de production du droit constitutionnel établies par le système juridique en vigueur. Elles ne sont donc pas formées sous l'empire du droit existant dans l'Etat63. Elles procèdent le plus souvent des phénomènes révolutionnaires. En conséquence, il n'est pas possible de se référer à une norme constitutionnelle pour les analyser. Comme le note le Maître d'école de Strasbourg Raymond CARRE DE MALBERG : « les mouvements révolutionnaires et les coups d'Etat offrent ceci de commun que les uns et les autres constituent des actes de violence et s'opèrent, par conséquent, en dehors du droit établi par la Constitution en vigueur. A la suite d'un bouleversement politique résultant de tels événements, il n'y a plus, ni principes juridiques, ni règles constitutionnelles : on ne se trouve plus ici sur le terrain du droit, mais en présence de la force »64.

    Le positivisme juridique invite donc le constitutionnaliste à exclure de son champ d'analyse le pouvoir constituant d' « ordre extra-juridique »65, puisqu'il ne peut porter son regard, au-delà de la Constitution où il ne subsiste plus que du fait66.

    C'est donc ainsi que le positivisme classique dénie tout caractère juridique aux petites constitutions procédant d'un phénomène révolutionnaire : un « pure fait qui n'est susceptible d'être classé dans aucune catégorie juridique »67, écrivait CARRE DE MALBERG lui-même. « Il n'y a point de place dans la science du droit public pour un

    62 KELSEN (H.), Théorie générale du droit et de l'Etat, (trad. de Béatrice LAROCHE et Valérie FAURE), Bruxelles, Paris, Bruylant, LGDJ, 1997, p. 178.

    63 CARRE DE MALBERG (R.), Contribution à la théorie générale de l'Etat, op.cit., p. 491.

    64 Idem, p. 496.

    65 Révolution et coups d'Etat « sont des procédés constituants d'ordre extra-juridique », ibid., p. 497. A contrario, le pouvoir constituant d'ordre juridique, c'est-à-dire l'acte politique qui modifie la Constitution conformément à la procédure de révision qu'elle prévoit, peut être étudié par le juriste. On constate ainsi que la future distinction doctrinale entre « pouvoir constituant originaire » et « pouvoir constituant dérivé » est présente en substance sous la plume du Maître strasbourgeois.

    66 CARRE DE MALBERG (R.), Contribution à la théorie générale de l'Etat, op.cit. p. 500.

    67 Idem, p. 491.

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    chapitre consacré à une théorie juridique des coups d'Etat ou des révolutions et de leurs effets »68 poursuit-il.

    La théorie positiviste, semble donc empêcher l'attribution du caractère juridique aux petites constitutions, sur le fondement de la légalité. Cependant cette dernière constitue l'un des arguments, au côté de celui fondé sur la légitimité.

    B. Les arguments fondés sur la légitimité

    Hans KELSEN disait que « le fait brut que quelqu'un commande quelque chose n'est jamais une raison suffisante de considérer le commandement en question comme une norme valable, c'est-à-dire obligatoire pour son adressataire »69. Autrement dit, un acte de volonté ne peut jamais par lui-même poser une prescription objectivement obligatoire, c'est à dire produire du droit positif. Il faut nécessairement qu'il soit accepté, c'est à dire légitime. Ainsi l'ordre constitutionnel doit-il être légitime.

    La légitimité est donc liée à l'acceptation volontaire de l'ordre normatif établi, par les membres d'une société politiquement organisée. C'est sans doute la qualité qui s'attache à l'ordre constitutionnel dont l'idéologie et les sources d'inspiration font l'objet d'une adhésion, du moins très majoritaire de la part du corps social.

    La notion de légitimité a cependant été conceptualisée par certains grands maîtres de la sociologie théorique et de la théorie de l'Etat, dont Max WEBER représente incontestablement la figure de proue. Selon donc la conception weberienne, la légitimité d'un ordre représente le fondement de la relation sociale de domination et la garantie interne de sa validité70. Ainsi pour que cet ordre subsiste, WEBER estime que le corps social doit manifester une certaine disposition à être dominé. La manifestation de cette

    68 Ibid., p. 497.

    69 KELSEN (H.), La théorie pure du droit, 2ème éd., trad. EISENMANN (C.), Paris, Dalloz, 1962 (1960), p. 257.

    70 Selon WEBER, la validité de cette légitimité peut principalement revêtir: un caractère rationnel reposant sur la croyance en la légalité des règlements arrêtés et du droit de donner des directives qu'ont ceux qui sont appelés à exercer la domination par ces moyens (domination légale); ou un caractère traditionnel reposant sur la croyance quotidienne en la sainteté de traditions valables de tout temps et en la compétence de ceux qui sont appelés à exercer l'autorité par ces moyens (domination traditionnelle); ou encore un caractère charismatique reposant sur la soumission extraordinaire au caractère sacré, à la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire d'une personne (domination charismatique). Voir WEBER (M.), Economie et société, tome1, Paris, Plon, 1971, p. 222.

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    volonté d'être dominé constitue donc le « pacte social » dont l'ordre établi n'est que la traduction.

    En effet la Constitution est la traduction du « pacte social par lequel les individus abandonnent l'état de nature pour fonder la société politique »71. Les clauses de ce pacte devaient donc être l'expression du consentement de toutes les parties à la convention. Ainsi, la Constitution est-elle l'expression de la volonté du souverain qui se trouve être le corps social, qui l'approuve généralement par la voie référendaire. Par conséquent, 'il ne peut y avoir de Constitution que celle qui fait participer le peuple à sa procédure d'adoption.

    Cependant, l'on doit relever que la procédure d'adoption des petites constitutions ne répond pas, dans la plupart des cas, à ce formalisme qui veut que la Constitution soit adoptée par le peuple. Le plus souvent, les petites constitutions sont négociées et adoptées par des composantes et entités qui ne sont pas formellement mandatées par le peuple, mais par des forces politiques. Donc, ici, le peuple n'est pas le souverain constituant des lors qu'il « n'a exprimé aucune volonté normative », pour paraphraser Olivier CAYLA72

    Or, le pouvoir constituant, un pouvoir générateur d'un nouvel ordre constitutionnel au sein de l'Etat, doit être un pouvoir inconditionné et illimité73. Il doit être, a priori, omnipotent en ce qu'il ne peut, selon l'éminent constitutionnaliste VEDEL, « être lui-même soumis à aucune limitation juridique »74. C'est un pouvoir que le peuple exerce en intervenant soit en amont, pour élaborer le projet constitutionnel, directement ou indirectement par le biais des représentants qu'il a désignés75, soit en aval pour approuver la Constitution.

    71 MBODJ (E-H.) « La constitution de transition et la résolution des conflits en Afrique : l'exemple de la République démocratique du Congo », RDP 2010, no 2, p. 441.

    72 CAYLA (O.), « Le Conseil constitutionnel et la constitutionnalisation de la science du droit», in Le Conseil constitutionnel a quarante ans, Paris, LGDJ, 1998, p. 106.

    73 MBODJ (E-H.) « La constitution de transition et la résolution des conflits en Afrique : l'exemple de la République démocratique du Congo », op.cit. p. 448.

    74 VEDEL (G.), Manuel élémentaire de droit constitutionnel, 1984 pp. 114-115.

    75 DUVERGER faisait remarquer qu' « en pratique le mode normal d'établissement des Constitutions, c'est donc l'élection d'une assemblée spéciale dite assemblée constituante » Il considère en effet qu'une Assemblée constituante qui établirait une Constitution niant la souveraineté nationale et proclamant la légitimité monarchique détruirait la source même de son pouvoir et rendrait nulle, pour ainsi, sa Constitution. Il en est de même du monarque qui octroierait à son peuple une charte reniant la légitimité monarchique et proclamant la souveraineté nationale. DUVERGER (M.), Droit constitutionnel et

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    C'est ainsi que la doctrine positiviste arrive à la conclusion, qu'il ne peut avoir de Constitution que celle acceptée par la nation. Les petites constitutions ne remplissant pas les caractéristiques primaires d'une Constitution « normale », compte tenu de la mise à l'écart du peuple lors de leur processus d'élaboration et d'adoption, les positivistes dénient donc toute possibilité de leur conférer un caractère juridique.

    Cependant, certains auteurs n'adhérant pas à la théorie positiviste et s'intéressant à la légitimité du phénomène révolutionnaire, ont émis des pistes pouvant conduire à affirmer la juridicité de ces actes en tant que catégorie juridique hétérodoxe.

    § 2. L'AFFIRMATION D'UNE CATEGORIE JURIDIQUE HETERODOXE

    Selon une partie de la doctrine, les petites constitutions pourraient être des normes juridiques particulière (A), dont la force juridique doit être précisée (B).

    A. La particularité de la nature juridique des petites constitutions

    Les périodes d'interrègne constitutionnel qui surviennent la plupart du temps à la suite d'une révolution dans l'ordonnancement juridique peuvent-elles donner lieu à un ordre juridique ? Ou bien, le constitutionnaliste peut-il justifier par l'argument du constat empirique l'existence du droit? Ou encore, peut-on affirmer l'existence du droit au sein du phénomène social comme l'affirme le Doyen Léon DUGUIT ?

    D'après donc DUGUIT, le droit correspond à la « solidarité sociale », qu'il observe comme la véritable loi qui détermine le phénomène social. Cette solidarité sociale, selon le Doyen, est produite spontanément au sein du phénomène social en dehors de toute autre volonté supérieure aux volontés individuelles, mais en liaison avec ce qu'il appelle la « conscience juridique »76. Il estime à cet effet que « la conscience chez la masse des individus d'un groupe donné que telle règle morale ou économique est essentielle pour le maintien de la solidarité sociale, la conscience qu'il est juste de la sanctionner, sont les

    Institutions politiques, T1. Théorie générale des régimes politiques, Paris, PUF, Coll. Thémis, 4e éd. 1959, pp. 217-219.

    76 « La force obligatoire de la norme juridique n'implique aucunement l'existence d'une volonté supérieure s'imposant à une volonté subordonnée ; elle implique seulement dans la masse des esprits la conscience de son caractère obligatoire, ce que j'ai appelé d'un mot la conscience juridique », DUGUIT (L.), Traité de Droit Constitutionnel, Tome 1, p. 191.

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    éléments essentiels de la formation et de la transformation de la règle de droit »77. La solidarité sociale est donc selon la doctrine réaliste de DUGUIT, le fondement de validité de tout droit positif.

    De ce point de vue, il serait évident que pour DUGUIT, la révolution est dans beaucoup de ses aspects, non pas un pur fait78, mais un phénomène juridique. En effet comme le démontrait le professeur Yao Biova VIGNON, lors d'un cours sur les « Libertés publiques » qu'il dispensait à la Faculté de droit de l'Université de Lomé, : « la révolution naît au moment où la conception sur laquelle est basée l'organisation des pouvoirs publics d'un pays donné, à un moment donné, ne rencontre plus d'écho dans la conscience des citoyens et qu'une nouvelle conception du pouvoir politique surgit dont le but est précisément de remplacer les autorités établies pour introduire dans l'organisation sociale, les principes directeurs qui correspondent à cette nouvelle conception »79. L'éminent professeur arrive ainsi à la conclusion que : « quand un peuple cesse de trouver son droit et sa justice dans une vision du monde qu'il estime périmée, et lorsque ses nouvelles aspirations se cristallisent dans une doctrine qui le séduit, ce n'est pas seulement la force qui s'introduit pour un temps dans la vie publique. Mais c'est un droit nouveau qui s'affirme » 80.

    Alors, il n'y a pas de vide juridique entre deux Constitutions. HAURIOU disait à cet effet que « le mouvement du droit va du discontinu au continu, chaque fois qu'un évènement le rejette du côté de la discontinuité, il recommence aussitôt à s'orienter vers la continuité qui n'est peut- être, ici, qu'une forme de l'inertie »81. Les petites constitutions participent donc de ce processus dynamique. Elles contribuent à la discontinuité constitutionnelle, établissant une rupture avec l'ordre précédent, tout en représentant en même temps la première manifestation formelle de cette inlassable continuité du droit, qui

    77 Idem, p 125.

    78 Pour KELSEN : « la révolution [juridique] (...) est toute modification de la Constitution ou tout changement ou substitution de Constitution (...) qui ne sont pas opérés conformément aux dispositions de la constitution en vigueur ». En revanche, si le renversement de l'ordre constitutionnel en vigueur s'opère conformément aux normes de l'ordre constitutionnel précédent, il s'agit d'une « révolution légale ».

    79 Voir le cours du professeur Yao Biova VIGNON intitulé « Libertés publiques et Droits de l'Homme », dispensé à la Faculté de Droit de l'Université de Lomé durant l'année académique 2007-2008.

    80 Idem.

    81 HAURIOU (M), Précis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 2e éd, 1929, pp. 24-255.

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    recherche sans arrêt un nouvel équilibre là où l'ancien équilibre a été rompu, d'où leur nature particulière.

    La qualité de norme juridique des petites constitutions aura permis de cerner les traits caractéristiques de ces instruments dont la force juridique doit être précisée.

    B. La force juridique des petites constitutions

    La question de la force juridique des petites constitutions constitue une problématique polémique puisque bon nombre d'auteurs leur dénient toute nature juridique et par voie de conséquence toute force juridique. Or, tel qu'il a été montré plus haut, une telle position recèle des insuffisances évidentes. Il convient donc de relever le caractère obligatoire des petites constitutions pour attester de leur force juridique.

    Il faut dire que la lecture des dispositions des petites constitutions laisse apparaître une adresse à l'attention des différents acteurs impliqués dans le processus de transition, à observer celles-ci. Cette adresse est assortie d'une obligation de ne pas compromettre leur mise en oeuvre. En effet l'obligation de respect des petites constitutions, à l'égard de tous les acteurs voire de toutes les personnes physiques ou morales résidant ou non sur le territoire, est de plus en plus exigée. Cette obligation implique, entre autre, pour les autorités de la transition, l'obligation d'information et de sensibilisation des populations afin de les amener à adhérer pleinement au processus de sortie de crise et l'interdiction de toute propagande notamment médiatique, tendant à nuire à l'esprit de la cohésion et de l'unité nationale. Par ailleurs, le devoir de respect des petites constitutions se décline en un engagement des autorités de la transition à entretenir un esprit permanent de conjugaison de leurs efforts en vue de renforcer l'éthique et la moralité républicaines dans le respect de la dignité et des droits fondamentaux. C'est ainsi que, comme pour toute norme juridique, des sanctions sont envisagées en cas de leur violation.

    Il faut d'abord relever que la notion de sanction a été diversement magnifiée dans la théorie juridique. En effet l'analyse de la doctrine révèle plusieurs conceptions essentiellement basées sur son rapport avec le droit. Certains auteurs estiment que la sanction est une condition d'existence du droit, que le droit est « un ordre de contrainte »82.

    82 KELSEN (H.), «Théorie générale du droit international public. Problèmes choisis», RCADI, t. 42, 1932-

    IV, p. 124. Il affirme à ce propos: « Le droit est un ordre de contrainte. (...) Si la société ne connaissait

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    « De ce point de vue, la sanction peut être définie comme étant la contrainte matérielle destinée à éviter la violation d'une règle de conduite, une contrainte qui constitue le fondement du caractère obligatoire de cette règle »83. D'autres auteurs, par contre, considèrent la sanction comme la garantie de l'effectivité du droit, un « moyen extérieur d'en assurer la positivité »84. Selon cette conception, la sanction ne se confond pas avec le droit et celui-ci existe même sans une sanction organisée de sa violation.

    Mais le plus souvent, la sanction apparaît comme le critère de la règle de droit. Cependant, elle emporte une portée réelle : c'est la responsabilité. La responsabilité est donc l'institution par laquelle un sujet de droit est appelé à répondre de ses éventuelles violations d'une règle de droit. En droit interne, il existe deux types de responsabilité : celle civile, qui entraîne l'obligation de réparer, et celle pénale qui implique la punition du coupable. En définitive, l'auteur d'une violation des dispositions de la période de transition constitutionnelle sera donc tenu pour responsable, faisant ainsi des petites constitutions, de véritable règle de droit.

    Une fois donc établie la nature juridique des petites constitutions, il faut arguer de la valeur constitutionnelle qui leur est conférée.

    SECTION II. UNE VALEUR CONSTITUTIONNELLE AVEREE

    Les petites constitutions s'avèrent des normes de valeur constitutionnelle en période de crise. Il convient donc de déterminer d'une part le fondement de cette valeur constitutionnelle (§ 1) et de montrer d'autre part ses manifestations (§ 2).

    plus la contrainte, le règlement des actions humaines cesserait d'être du droit... Telle est en effet la forme essentielle de toute règle de droit : unir deux faits, dont l'un est la conduite socialement nuisible, et l'autre, la sanction». Il précise que « Si on ne la rapporte pas ainsi à l'acte de contrainte, à la sanction, la norme qui prescrit l'acte socialement désirable peut encore avoir un sens moral : elle n'a certainement plus le caractère juridique »; idem, p. 125.

    83 EHUENI MANZAN (I.), Les accords politiques dans la résolution des conflits armés internes en Afrique, Thèse de Doctorat en Droit, Université de Cocody-Abidjan, 07 décembre 2011, op.cit., p.301.

    84 BOURQUIN (M.), « Règles générales du droit de la paix », RCADI, t. 35, 1931-I, p. 202. Pour cet auteur, le rôle de la sanction est plus large que la seule coercition tendant au retour de à la légalité parce

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    § 1. LE FONDEMENT DE LA VALEUR CONSTITUTIONNELLE DES PETITES CONSTITUTIONS

    En prenant en compte le contexte particulier de l'ordre juridique de la transition, une valeur constitutionnelle des petites constitutions s'avère, non sur le fondement de leur forme (A), mais de leurs objets (B).

    A. L'abandon de la forme dans la reconnaissance d'une valeur constitutionnelle des petites constitutions

    D'un point de vue formel, l'appellation « Constitution » semble fort déplacée pour ces dispositions de transition.

    En effet, contrairement aux Constitutions normales dont l'élaboration et l'adoption respectent un formalisme bien défini85, les petites constitutions revêtent des formes très différentes, constitutionnelles mais aussi infra-constitutionnelles (lois, décrets, proclamations ou simple déclarations86), adoptés souvent, sans passer par une procédure spécifique.

    Ainsi lorsque l'on considère les régimes de transition institués à l'occasion des « Conférences nationales »87 qui ont essentiellement marqué les Etats africains francophones durant la dernière décennie du vingtième siècle, et ceux institués lors des récents renversements anticonstitutionnels de régime en Afrique, l'on constate que les

    85 L'élaboration des Constitution est l'oeuvre du pouvoir constituant dit originaire. On distingue cependant deux modes d'élaboration à savoir le mode autoritaire et le mode démocratique qui est la plus répandue. Selon donc ce dernier mode, le peuple étant souverain, le pouvoir constituant originaire lui appartient. Il peut l'exercer par l'intermédiaire de ses représentants et de façon plus exceptionnelle, en étant consulté par référendum. Voir FOILLARD (P.), Droit constitutionnel et Institutions politiques, Centre de publication universitaire, 1999, pp 34-36.

    86 Parfois elle est appelée « Acte portant Loi constitutionnelle » (dans la plupart des pays qui ont connu les transitions démocratique de 1990, dont le Togo), « Constitution intérimaire » (en Afrique du Sud en 1993, au Burundi en 2004), parfois « Déclaration constitutionnelle » (en Egypte et au Lybie en 2011), ou « Constitution de la transition » (en République démocratique du Congo en 2003, au Sud-Soudan en 2011), ou encore « Feuille de route pour la fin de la transition » (en Somalie en 2012), « Loi constituante » (en Tunisie en 2011), ou encore « Charte constitutionnelle de transition » (en République centrafricaine en 2013, et au Burkina Faso en 2014).

    87 C'est l'ex-président béninois Mathieu KEREKOU, qui inventa le terme et la formule institutionnelle. Ces Conférences nationales ont permis d'évacuer symboliquement les conflits et crises en Afrique, en offrant un espace public de la parole ; ce qui conduit certains observateurs à les comparer, à tort ou à raison, à la célèbre palabre africaine. Voir en ce sens BANEGAS (R.), La Démocratie à pas de caméléon - Transition et imaginaires politiques au Bénin, Karthala-CERI, Collection Recherches internationales, 2003, p. 164-171.

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    dispositions organisant ces transitions ont souvent pris la forme d'ordonnance88 ou de charte89. L'on doit alors souligner que même si les soubassements d'une Constitution normale ne sont pas remplis dans la plupart des cas, toutes ces qualifications sont bien souvent avancées pour tenir compte de la nécessité de doter la transition d'un instrument juridique de valeur constitutionnelle.

    Par ailleurs, l'adjectif « petite » apposé au terme « Constitution » peut aussi sembler insolite. En effet, la Constitution, entendue comme la norme ultime dont résulte le critère de l'appartenance d'une norme donnée à un système juridique, ne se caractérise pas a priori par un rapport quantitatif mais qualitatif : c'est-à-dire non pas par rapport à sa longueur ou au nombre de ses articles mais par rapport à sa fonction objectivement importante puisqu'elle consiste à déterminer à la fois l'autonomie du système juridique et la normativité de ses composantes, c'est-à-dire leur validité.

    Alors, si bien que l'expression « grande constitution » au sens qualitatif du terme, relèverait du pléonasme et celle de « petite constitution » de l'antinomie, les petites constitutions peuvent revendiquer une importance de taille, même si leur forme ne permet pas une appréhension nette de leur valeur constitutionnelle parce que ne respectant pas les caractéristiques primaires d'une Constitution normale90.

    En prenant donc en compte le contexte particulier de l'ordre juridique transitionnel, l'on doit renoncer à appréhender la valeur constitutionnelle des petites constitutions à partir de leur forme et se résoudre à l'appréhender par rapport à leurs objets.

    88 C'est l'exemple du Décret-loi constitutionnel no 003 du 27 mai 1997 relatif à l'organisation et à l'exercice du pouvoir en République Démocratique du Congo, pris par Président Laurent Désiré KABILA lors de sa victoire sur le régime de MOBUTU.

    89 C'est également l'exemple des chartes ou des déclarations adoptées par les régimes de transition à la suite des récentes révolutions survenues en Afrique, notamment en Tunisie, en Egypte, en Lybie, en Centrafrique et au Burkina-Faso.

    90 Voir en ce sens CARTIER (E.), « Les petites Constitutions : contribution à l'analyse du droit constitutionnel transitoire » Revue française de droit constitutionnel, 2007/3 n° 71, op.cit. p. 514.

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    B. La prise en compte de l'objet des petites constitutions dans la reconnaissance d'une valeur constitutionnelle

    Un texte acquiert la valeur constitutionnelle dans trois cas bien précis. Soit il est l'oeuvre du pouvoir constituant ou d'une Assemblée constituante désignée par le peuple91, soit il traite d'une matière qui relève de la compétence du pouvoir constituant92, ou soit, il a été consacré par le juge constitutionnel comme tel93. Hormis donc la troisième hypothèse, les petites constitutions répondent largement aux deux premières.

    Cependant, pour que l'acte normatif adopté dans la phase de transition puisse être considéré comme une véritable Constitution, il faut qu'il formalise trois décisions à la fois, à savoir : la décision dé-constituante, la décision constituante, et la décision constitutive de l'ordre juridique transitoire.

    La décision dé-constituante met fin au régime constitutionnel précédent94, la décision constituante attribue et organise le pouvoir constituant95, et la décision constitutive crée l'ordre juridique transitoire, en instituant et en réglementant les pouvoirs publics provisoires et en établissant les règles sur la production des normes96. La présence des trois éléments est donc essentielle pour attribuer à un texte ou à un ensemble de texte la valeur constitutionnelle. En effet, un acte qui, seulement, établit le changement de Constitution et

    91 C'est-à-dire que, soit le texte est mis en place par le constituant originaire, ou soit, il révise ou modifie suivant une procédure consacrée, une norme constitutionnelle déjà en vigueur. Voir en ce sens KPODAR (A.) et KOKOROKO (D.), « Réflexion autour d'une controverse politique : la nature juridique de l'Accord Politique Global du 20 août 2006 », pp.4-5, op.cit.

    92 Certains textes contiennent des dispositions à caractère constitutionnel parce qu'ils abordent des questions d'intérêt national, entre autres : le fonctionnement régulier des institutions républicaines, le respect des droits humains, le régime politique, la nomination et les prérogatives du Premier ministre, les conditions d'éligibilité du Président de la République, ou la durée du mandat présidentiel.

    93 Voir en ce sens la décision « Liberté d'association » du 16 juillet 1971, par laquelle le Conseil Constitutionnel français a reconnu valeur constitutionnelle à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, et au préambule de la Constitution de 1946.

    94 Voir sur ce point BEAUD (O.), La puissance de l'Etat, op.cit., p. 265

    95 Olivier BEAUD appelle cette décision « décision attributive du pouvoir constituant », Idem, p. 265.

    96 Prenant en compte les trois objets typiques de la Constitution provisoire, Emmanuel. CARTIER inscrit ces textes dans une triple dimension temporelle : par rapport au passé, dans une dynamique de rupture et continuité par rapport à l'ordre juridique précédent ; par rapport au présent : « elles organisent à titre provisoire les rapports entre les pouvoirs publics » ; par rapport au futur : « elles participent à la détermination du pouvoir constituant originaire en définissant les modalités de production de la Constitution définitive ». CARTIER (E.), « Les petites Constitutions », op.cit., p. 517.

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    pré- constituant »97, qui participe à la création de la Constitution définitive dans la phase de transition. Sinon cet acte serait réduit à une simple « codification de la procédure constituante »98.

    Cependant, les petites constitutions formalisent, à la fois, les trois décisions. D'abord elles établissent une rupture avec l'ordre juridique précédent, ensuite réglementent les conditions de dévolution et d'exercice du pouvoir dans la période de transition, et enfin organise la procédure constituante en vue de l'adoption d'une Constitution définitive.

    Alors, selon qu'elles adoptent une forme constitutionnelle ou matérielle, les petites constitutions organisent les pouvoirs et structurent les rapports de production et de validité entre les normes99. Elles constituent ainsi la norme fondamentale de l'ordre juridique de la transition. Leur valeur constitutionnelle dont la manifestation mérite une analyse particulière dans la suite de ce développement, ne fait donc plus de doute.

    § 2. LA MANIFESTATION DE LA VALEUR CONSTITUTIONNELLE

    Cette valeur constitutionnelle des petites constitutions se manifeste à travers, d'une part leur suprématie normative dans la période de crise (A), et d'autre part l'attitude du juge constitutionnel à leur égard (B).

    A. La suprématie normative des petites constitutions

    S'il est une tendance lourde dans l'ordre juridique des Etats en crise, c'est que l'adoption des petites constitutions se fait soit au détriment, soit en lieu et place du constitutionnalisme comme l'illustrent nombre d'exemples sur le continent africain100.

    97 BEAUD (O.), La puissance de l'Etat, op.cit., p. 267.

    98 Idem, p. 273.

    99 La formalisation est en effet définie par Emmanuel CARTIER comme « un processus normatif permettant la structuration d'un ordre juridique donné en aménageant les rapports de production et de validité entre ses différentes composantes » (CARTIER, « Les petites Constitutions », op.cit., p. 523). V. aussi : PFERSMANN (O.), in Louis. FAVOREU et al., Droit constitutionnel, op.cit., p. 101.

    100 Sans être exhaustif, il s'agit des exemples du Rwanda avec les Accords d'Arusha du 15 août 1993, de la République Démocratique du Congo avec l'Accord global et inclusif de Sun City du 17 décembre 2002, de la Côte d'Ivoire avec les Accords de Linas Marcoussis du 23 janvier 2003, du Madagascar avec l'Accord de Maputo du 8 août 2009 et du Togo avec l'Accord politique global du 20 août 2006.

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    En effet au Rwanda, en dehors du compromis qu'il réalise entre la majorité et l'opposition, l'Accord de paix d'Arusha, modifie la Constitution du 10 juin 1991 dont désormais le domaine matériel est élargi à des règles établies en dehors du pouvoir constituant et des modalités appropriées: « les deux parties signataires acceptent que la Constitution du 10juin 1991 et l'accord de paix d'Arusha constituent indissolublement la loi fondamentale qui régit le pays durant la période de transition »'0'. En Côte d'Ivoire, l'application de l'accord de Marcoussis qui a considérablement modifié la distribution des pouvoirs organisés par la Constitution du 1er août 2000, a généré des nouvelles règles étrangères à la Constitution et eu pour conséquence, au plan strictement juridique, le gel partiel de cette dernière. En république Démocratique du Congo, la Constitution de transition qui sort de l'Accord global et inclusif de Sun City du 17 décembre 2002, même atypique au regard des théories classiques, n'est pas moins une Constitution. Ce texte tient son rang de norme fondamentale, d'un point de vue matériel. Ainsi, dans bien des cas, les petites constitutions s'imposent102.

    En effet, les dispositions de ces petites constitutions affectent de manière substantielle l'organisation de l'Etat et la répartition de ses pouvoirs comme une loi fondamentale, établie selon l'orthodoxie constitutionnelle.

    A la lumière de ces développements, il apparaît que, les petites constitutions, qu'elles abrogent ou modifient la Constitution, prennent un ascendant incontestable sur toute autre norme, dans la période de crise. Cette suprématie normative en période de crise témoigne de la manifestation de leur valeur constitutionnelle dont l'attitude du juge constitutionnelle rend également compte.

    101 Article 3 des Accords de paix d'Arusha du 15 août 1993.

    102 En réalité, dans certains cas, ces petites constitutions doivent aussi s'interpréter comme « un constitutionnalisme de crise ». Les accords de paix dans plusieurs pays, parce qu'ils constituent le statut de l'Etat en crise ou en reconstruction, s'appliquent en définitive comme des Constitutions matérielles. En effet ces petites constitutions créent des institutions de transition ou reconstituent les pouvoirs classiques de l'Etat, ou encore érigent carrément de nouveaux principes fondamentaux, modifient la forme de l'Etat en créant désormais comme ce fut le cas au Soudan, un Etat fédéral par l'autonomisation d'une région.

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    B. L'attitude du juge constitutionnel à l'égard des petites constitutions

    La question de l'attitude du juge à l'égard des petites constitutions mérite la réflexion. En effet, l'on doit marquer un temps d'arrêt pour répondre à cette interrogation qui mobilise tant l'attention des juristes : le juge peut-il sanctionner la violation des petites constitutions ?

    Il faut dire que dans les transitions, où la Constitution en vigueur est révolue et une petite constitution est élaborée en vue de l'adoption d'une Constitution définitive, le problème ne se pose pas. Les Cours constitutionnelles de ces transitions, si elles existent, appliquent les nouveaux principes énoncés dans les petites constitutions, afin de garantir la compréhension correcte et authentique du sens de leur valeur constitutionnelle comme ce fut le cas dans la transition sud-africaine103. Dans ce cas, le juge sanctionne la violation des petites constitutions.

    Cependant, dans les crises qui ont occasionné l'adoption d'une petite constitution notamment un accord politique, en dehors de la Constitution en vigueur, la question de la sanction de leur violation par le juge, conduit à une réponse mitigée.

    En effet, les accords politiques étant essentiellement des normes politiques, le juge constitutionnel semble étranger à ce corpus normatif qu'il considère comme des normes internationales104. Ainsi les accords politiques semblent-ils transcender sa compétence. Cependant, lorsque leurs dispositions sont insérées dans l'ordonnancement juridique de

    103 La situation sud-africaine est en effet révélatrice en ce qui concerne l'attitude du juge constitutionnel à l'égard des petites constitutions dans le processus de transition. En Afrique du Sud, la Cour constitutionnelle avait fonction à vérifier que la Constitution définitive (celle qui deviendra la Constitution de 1996) n'était pas en contradiction avec les 34 principes constitutionnels fondamentaux qui compose la petite constitution sud-africaine et qui devaient guider l'Assemblée constituante. Ce contrôle a été exercé par la Cour de manière très scrupuleuse. Les juges constitutionnels ont ainsi refusé la validation du premier texte constitutionnel, en obligeant l'Assemblée constituante à lui apporter de nombreuses modifications sur le fondement des 34 principes.

    104 C'est l'exemple du juge constitutionnel ivoirien qui déclare que : « considérant que les normes et dispositions internationales acceptées par les organes nationaux compétents ont une autorité supérieur à celle des lois et décisions juridictionnelles internes sous réserve de leur application par l'autre partie ». Voir le Discours du 06 mai 2011, de l'ancien Président du Conseil constitutionnel ivoirien, Paul Yao N'DRE, lors de la cérémonie d'investiture du Président OUATTARA.

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    l'Etat en crise en tant que lois ou règlements régulièrement adoptés, leur violation tombe sous le coup de la loi105.

    Par ailleurs, même si les dispositions des accords politiques ne sont pas insérées dans l'ordonnancement juridique des Etats en crise, ces derniers influent beaucoup l'action du juge constitutionnel106. En effet dans la mise en oeuvre de l'Etat de droit dans la période de crise, le juge a, à affirmer, à défaut d'une constitutionnalité irréprochable, une constitutionnalité pragmatique prise entre deux tenants extrêmes : celle d'un « tout-au-constitutionnel » qui suppose une légalité parfaite, mais abstraite car non susceptible d'application à cause de la crise, et celle engendrée par l'accord politique.

    Dans tous les cas, la manifestation de la valeur constitutionnelle des petites constitutions débouche sur un constat d'évidence : à côté du droit constitutionnel commun, existe un droit constitutionnel des circonstances exceptionnelles. Quelle sont donc les fonctions de ce droit ?

    105 EHUENI MANZAN (I.), Les accords politiques dans la résolution des conflits armés internes en Afrique, Thèse de Doctorat en Droit, Université de Cocody-Abidjan, 07 décembre 2011, op.cit., p. 303.

    106 Le juge constitutionnel togolais s'est référé à l'Accord Politique Global (APG) en tant qu'instrument devant guider son interprétation dans le règlement de la crise politique que traversait le Togo. En effet le juge avait considéré que : « Le choix des représentants des partis politiques extra-parlementaires et des organisations de la société civile au sein de la CENI nécessite une référence à l'APG du 20 août 2006, accord qui fonde le consensus national sur les questions d'intérêt national ». Voir Décision noC-003/09 du 09 juillet 2009, Affaire saisine des députés de l'Union des Forces de Changement (UFC).

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    Chapitre II.

    Les fonctions des petites constitutions

    Etant donné que les petites constitutions se distinguent d'une Constitution normale, non seulement par rapport à leur durée prédéterminée, mais également par rapport aux objectifs qu'elles remplissent, il est inévitable de s'interroger sur leur fonction.

    En effet les objets qui caractérisent les petites constitutions illustrent bien l'intention du pouvoir constituant provisoire, d'établir un ordre juridique capable d'assurer la transition d'un ordre constitutionnel donné à un nouvel ordre, dans un Etat en crise. Les fonctions des petites constitutions sont donc particulières.

    Cependant, les deux fonctions fondamentales d'une petite constitution sont, d'une part, celle d'assurer la continuité de l'Etat dans la période de transition suivant la rupture avec la Constitution existante (Section 1), et d'autre part, celle de résoudre les crises politiques (Section 2).

    SECTION I. L'ASSURANCE DE LA CONTINUITE DE L'ETAT

    En ce qu'il importe à la suite des ruptures juridiques, d'éviter des vides qui créeraient un instant de non-droit ou de négation de droit, pour peu qu'on les décortique, la raison d'être des petites constitutions est d'assurer la continuité de l'Etat tant au plan juridique (§ 1) que politique (§ 2).

    § 1. AU PLAN JURIDIQUE : L'ORGANISATION DE LA TRANSITION CONSTITUTIONNELLE

    Dans l'attente de l'adoption d'une Constitution définitive, les petites constitutions ont comme fonction de formaliser un ordre juridique provisoire destiné à assurer la continuité de l'activité juridique de l'Etat (A), et d'encadrer la procédure constituante en vue de l'élaboration d'une Constitution définitive (B).

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    A. La formalisation de l'ordre juridique provisoire

    La formalisation peut être définie en droit comme un processus normatif permettant la structuration d'un ordre juridique donné en aménageant les rapports de production et de validité entre ses différentes composantes107. La formalisation est donc nécessaire à la cohérence de l'ordre juridique. Cependant, le degré de structuration de l'ordre juridique dépend de la forme adoptée par la petite constitution.

    En effet adoptées en la forme infra-constitutionnelle (cas des petites constitutions matérielles), les petites constitutions comprennent un faible degré de formalisation. Ceci en raison des circonstances qui bien souvent aboutissent à la concentration des compétences normatives par un même organe. Ce faible degré de formalisation favorise l'instabilité des contenus normatifs et se traduit par une insécurité juridique propre à inciter les autorités à clôturer le processus transitoire108. Ainsi, les petites constitutions matérielles ne permettent-elles qu'une structuration partielle de l'ordre juridique auquel manque encore la détermination de la forme constitutionnelle permettant la clôture du processus transitoire dans sa dimension constituante.

    Par contre, adoptées en la forme constitutionnelle (cas des petites constitutions formelles), les petites constitutions opèrent une différenciation formelle plus importante et suffisante entre les normes infra-constitutionnelles109. En effet elles déterminent les relations d'ordre entre les normes infra-constitutionnelles d'un ensemble, justifiant ainsi l'unité de l'ordre juridique. Cette unité procède alors du double rapport qu'entretiennent les normes infra-constitutionnelles entre elles d'une part, et avec l'ensemble d'autre part.

    Cependant, du point de vue positiviste, l'agencement hiérarchique de plusieurs types de règles, indépendamment de leur contenu, est un mécanisme nécessaire de structuration pré-

    107 Selon Otto PFERSMANN, la formalisation correspond à « une technique juridique qui modifie la hiérarchie des normes et permet en même temps d'organiser cette même hiérarchie », PFERSMANN (O.), in Louis FAVOREU et al., Droit constitutionnel, op.cit., p. 103.

    108 Voir en ce sens JOUANJAN (O.), « La suspension de la Constitution de 1793 », Droits n°17, La Révolution française et le droit, 1993, p.125 et s.

    109 Il en est ainsi des lois constitutionnelles de 1875 ainsi que de la loi du 2 novembre 1945, mais pas des actes édictés sur la base des actes constitutionnels du maréchal PETAIN. Le maréchal PETAIN, chef du gouvernement français de la République, en s'autoproclamant « chef de l'Etat français » par l'acte constitutionnel n°1 du 11 juillet 1940, s'investit de la compétence constituante dont l'exercice ne nécessite pas d'autre formalisme que sa propre signature selon la formule lapidaire générique « Le chef de l'Etat décrète ».

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    constituante de l'ordre juridique naissant. Cette intelligibilité pré-constituante est en effet nécessaire à la compréhension du contenu et de la combinaison des composantes de l'ordre juridique nouveau. Ainsi, parfois, de manière à opérer rapidement une formalisation suffisante de l'ordre juridique transitoire, gage de stabilité juridique, les organes au pouvoir optent-ils pour la résurrection des textes constitutionnels révolus, issus d'un régime considéré comme en partie ou totalement légitime110. Les petites constitutions formelles permettent donc la formalisation totale de l'ordre juridique provisoire en déterminant de manière ultime les modalités de production de ses composantes.

    Cependant, qu'elles soient matérielles ou formelles, les petites constitutions participent à la définition des modalités de production de la Constitution définitive en encadrant la procédure constituante.

    B. L'encadrement de la procédure constituante

    L'adoption d'une nouvelle Constitution suppose toujours une procédure constituante mettant en évidence l'intervention d'un pouvoir constituant.

    Par l'encadrement de la procédure constituante donc, la petite constitution contribue en bonne partie à légitimer le texte constitutionnel définitif. En effet par ses normes, elle établit une procédure constituante, habilite le pouvoir constituant, et parfois fixe des principes substantiels qui devront être respectés par ce dernier. La petite constitution permet alors d'ancrer la validation des actes du pouvoir constituant dans un système juridique offrant une stabilité et une cohérence minimales propres à assurer la confiance et l'ordre dans l'organisation des fonctions de l'Etat dans la période de la transition.

    Ainsi conformément à la petite constitution et aux principes de légitimité sur lequel son action repose, l'organe investi du pouvoir constituant complètera la structuration de l'ordonnancement juridique en déterminant les conditions de production de la Constitution définitive. La petite constitution est donc un révélateur formidable de l'identité réelle du

    110

    C'est le cas par exemple de la transition constitutionnelle en Grèce après la chute du régime des colonels où la Constitution de 1952 est remise en vigueur, amputée de ses dispositions relatives à la forme monarchique du régime, par l'article 1er de l'acte constitutionnel « A », dit « statutaire », du 1er août 1974.40 Il en est de même pour l'Afghanistan à la chute du régime des Talibans où le « gouvernement islamiste de transition » formé en juin 2002 conformément aux accords inter-afghans de Bonn du 5 décembre 2001, fonctionna selon les principes de la Constitution de 1964 remise en vigueur début février 2002, à l'exception des passages faisant référence à la monarchie.

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    pouvoir constituant et de « la nature plus ou moins libérale de la future Constitution »111. Elle dévoile à cet effet les stratégies mises en place par les autorités de la transition pour générer dans les citoyens la croyance en la légalité de la procédure. Cependant, ces stratégies sont multiples mais quelques-unes retiendront notre attention :

    La première stratégie consiste à donner l'apparence qu'une partie de la procédure constituante est fondée sur les normes de l'ordre juridique précédent. Il s'agit d'une fiction tendant assurer l'obéissance des citoyens et donc l'effectivité de l'ordre juridique créé. Ainsi, la procédure constituante régie par la petite constitution acquière une légitimité qu'elle transmet par ricochet à la Constitution définitive.

    La deuxième stratégie consiste à ressusciter des textes constitutionnels révolus, issus d'un ordre juridique précédent considéré comme légitime, et de les modifier. Le texte constitutionnel ressuscité, constitue de fait un texte nouveau, et notamment, une Constitution provisoire fondatrice d'un nouvel ordre juridique. La croyance en la légalité du texte que cette stratégie induit, alimente en revanche la légitimité de la procédure constituante et donc de la Constitution définitive qui sera adoptée.

    Par ailleurs dans le cadre de la fondation des régimes démocratiques, les petites constitutions adoptent encore d'autres stratégies. En effet, en démocratie, la légitimité de la norme constitutionnelle passe par l'attribution au peuple du pouvoir constituant. En ce sens, les petites constitutions organisent des procédures constituantes prévoyant parfois l'organisation d'un référendum. Cela permet au peuple de se saisir du pouvoir constituant, et génère dans les citoyens la croyance de pouvoir limiter les rédacteurs du texte constitutionnel.

    En outre l'élection au suffrage universel, d'une assemblée constituante accorde au peuple la possibilité de choisir ses propres représentants pour l'élaboration de la Constitution définitive. La participation à l'Assemblée constituante contribue de façon déterminante à produire « un mouvement d'adhésion des citoyens indissociable d'un sentiment de valorisation d'eux-mêmes »112, gage de légitimité et d'effectivité de l'ordre constitutionnel définitif.

    111 BEAUD (O.), La puissance de l'Etat, op.cit., p. 264.

    112 ROSANVALLON (P.), La Légitimité démocratique, Paris, Seuil, 2010, p. 21.

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    En définitive l'encadrement de la procédure constituante par les petites constitutions permet d'attribuer une apparence de légalité démocratique à la procédure constituante, et de pallier ainsi l'éventuel déficit de légitimité113 du pouvoir politique dont l'organisation est aussi assurée par la petite constitution.

    § 2. AU PLAN POLITIQUE : L'ORGANISATION DES POUVOIRS POLITIQUES DE LA TRANSITION

    Les petites constitutions assurent l'organisation des pouvoirs politiques en période de transition en instituant un exécutif régulier (A) et en déterminant l'organe législatif de la transition (B).

    A. L'institution d'un exécutif régulier de transition

    Conformément à la petite constitution, est désigné, et formé, un Chef d'Etat de transition et un gouvernement provisoire. Le Chef de l'Etat veille au respect de la Constitution de transition, assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat. Il veille à la mise en oeuvre de la feuille de route de la transition par le gouvernement provisoire formé.

    Cependant, l'organisation du pouvoir exécutif de la transition démontre le souci de procéder à sa légitimation. Suite donc à l'adoption de la petite constitution, le gouvernement de la transition cesse d'être « de fait » puisqu'il crée un ordre constitutionnel, qui devient le baromètre de la légalité de ses actions114. Il faut alors

    113 Selon les théories de la légitimité élaborées par Jürgen HABERMAS et Bernard MANIN, « la norme n'est légitime que si elle est fondée sur des raisons publiques résultant d'un processus de délibération inclusif et équitable, auquel tous les citoyens peuvent participer et dans lequel ils sont amenés à coopérer librement » (BLONDIAUX L.et SINTOMER Y. « L'impératif délibératif », Politix, n°57, p. 18). En ce sens, nous partageons la conviction de Bernard MANIN selon laquelle « la décision légitime n'est pas la volonté de tous, mais celle qui résulte de la délibération de tous : c'est le processus de formation des volontés qui confère sa légitimité au résultat, non les volontés déjà formées » (MANIN B., « Volonté générale ou délibération ? Esquisse d'une théorie de la délibération politique », Le Débat, 1985, n° 33, p. 82).

    114

    Maurice DUVERGER dans son article sur les gouvernements de fait parle de légitimité de ces gouvernements et non pas de légalité, puisqu'il ne considère pas que le gouvernement provisoire fonde un ordre juridique. S'il affirme que les « principes affirmés par un gouvernement de fait (...) peuvent s'analyser, juridiquement, comme une sorte de Constitution coutumière provisoire et rigide », il n'arrive pas aux conséquences ultimes de son analyse affirmant que ces principes sont bien créateurs d'un ordre juridique intermédiaire. Ainsi, pour lui, « un gouvernement est légal dans la mesure où il se conforme aux principes juridiques régulièrement exprimés et formulés dans une Constitution. Un

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    rappeler que dans les périodes incertaines de transition, la légalité de l'action gouvernementale est une condition essentielle pour que le gouvernement provisoire acquière la légitimité indispensable à son action. Ainsi, la légitimité de l'exécutif provisoire dépend essentiellement de deux facteurs :

    D'abord, puisque l'exécutif provisoire s'engage, s'autolimite au travers de la norme constitutionnelle de la transition, sa légitimité est fondée sur la légalité de ses actions, c'est-à-dire sur la conformité de ses actes aux règles qu'il a lui-même édictées.

    Ensuite, plus la petite constitution est en adéquation avec les aspirations du peuple, plus le pouvoir en place sera perçu comme légitime, suscitant l'adhésion et donc l'obéissance des citoyens.

    Cependant l'étude attentive du processus de transition des pays en crise laisse apparaître que l'implication de la communauté internationale n'est pas à ignorer. Le processus repose le plus souvent sur un certain nombre de fait qui rendent compte d'une réelle emprise des instances internationales. Il est donc intéressant de noter que l'organe qui conduit la transition, notamment l'exécutif, est soumis à une légitimation internationale. La légitimation internationale de l'exécutif de la transition est donc nécessaire non seulement à sa viabilité, mais aussi à sa validité.

    L'exécutif n'étant pas le seul pouvoir politique de la transition, il est important de souligner que la petite constitution détermine également l'organe législatif.

    B. La détermination de l'organe législatif

    Très souvent les coups d'Etat et les mouvements révolutionnaires entrainent la suppression de la structure législative existante. La décision de supprimer l'Assemblée nationale est généralement portée à la connaissance du peuple en même temps que lui est annoncé le coup d'Etat contre les autorités légales ou à l'aboutissement de la révolution. Ce faisant, la suppression de la structure législative qui accompagne généralement les autorités de fait répond à l'écho invariable de rompre avec les logiques de l'ancien régime. Ces mesures radicales touchant l'organe législatif bien qu'exceptionnellement

    gouvernement de fait est légitime dans la mesure où il se conforme à des principes juridiques non encore inscrits dans une Constitution régulière », DUVERGER (M.), « Contribution à l'étude de la légitimité des gouvernements de fait », RDP, n°61, 1945 p. 81.

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    commandées par les exigences du moment n'en sont donc pas moins révélatrices d'une volonté manifeste des nouvelles autorités d'épouser une nouvelle conception du pouvoir politique.

    On assiste alors à l'élaboration d'une assemblée provisoire qui, des fois, concentre en son sein le pouvoir législatif et le pouvoir constituant.

    En effet, dans la période de transition, la petite constitution détermine l'organe législatif qui dans la plupart des cas est en même temps investi du pouvoir constituant. Il faut dire que non seulement cet organe est compétent pour connaitre des matières qui sont du ressort de la loi dans la période transitoire, il est le plus souvent aussi chargé d'élaborer la future Constitution. C'est donc l'exemple de la Tunisie et de la Centrafrique, pour ne citer que ceux-là, qui, conformément à leurs petites constitutions, instituèrent chacune un organe législatif-constituant dénommé : Conseil National de Transition (CNT).

    Cependant, même si l'organe législatif-constituant de la transition n'agit pas au nom du peuple souverain, mais au non d'un consensus national, le plus souvent une attribution tout à fait spécifique lui est assignée : celle de l'élection du Chef de l'Etat de la transition.

    Dans tous les cas, il faut dire qu'en cas de rupture avec l'ordre juridique existant, la petite constitution assure la continuité de l'activité juridique de l'Etat, en organisant la transition constitutionnelle ainsi que les pouvoirs politiques de la transition. A côté donc de cette fonction, en existe une autre : c'est celle de la résolution des crises politiques.

    SECTION II. LA RESOLUTION DES CRISES POLITIQUES

    Dans la plupart des Etats africains, les désaccords entre les acteurs politiques créent un climat de crises permanentes. Ainsi, parce que les Constitutions existantes se sont révélées incapables de juguler les crises politiques (§ 1), les acteurs politiques recourent assez fréquemment à des petites constitutions, notamment des accords politiques, pour réadapter la Constitution existante à ces crises (§ 1).

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    § 1. L'INCAPACITE DES CONSTITUTIONS EXISTANTES A JUGULER LES CRISES POLITIQUES

    Les manifestations de l'incapacité des Constitutions africaines à juguler les crises politiques apparaissent au grand jour. Elles se traduisent d'une part par les lacunes de ces dernières (A), et d'autre part, par la perte de confiance des acteurs politiques à leur égard (B).

    A. Les lacunes des Constitutions existantes

    La plupart des Constitutions africaines passent difficilement l'épreuve de leur mise en application parce qu'elles ont été élaborées à l'issue d'un processus mal maîtrisé. A cet effet, elles caractérisent par tant de lacunes et d'insuffisances. Les raisons tiennent, fondamentalement au fait que ces dernières sont le plus souvent « rédigées sous l'emprise de la nécessité pour tenter de relever sur le champ des défis exceptionnels »115. Constitutions de l'urgence, produites à coups de renforts, leur déconnexion des réalités qu'elles sont pourtant censées régir est patente116 et constitue sans doute la source de leur ineffectivité et de leur incapacité à juguler les crises.

    On découvre alors matière à conflits potentiels, derrière les insuffisances et les lacunes de ces textes, d'autant plus qu'on observe, en Afrique, que la vie politique se détache ou diffère bien souvent des principes posés dans les Constitutions. En effet, loin de répondre à un souci de modernisation de la vie sociale à travers les rapports du citoyen à l'Etat et aux autorités qui le gouvernent, les Constitutions africaines sont plutôt vécues comme des instruments au service d'enjeux politiques et partisans. Elles ne tranchent donc véritablement que des principes et des problèmes, assez théoriques et abstraits, de la source du pouvoir mais se borne en ce qui concerne son exercice à tracer des perspectives

    115 Alioune SALL relève à cet égard que « dès le début des années quatre-vingt dix (...) les Constitutions ont été abrogées ou modifiées en Côte d'Ivoire (avril 1991), au Rwanda (mai 1991) au Burkina Faso (juin 1991), en Mauritanie (juillet 1991), au Mali (août 1991), au Sénégal (octobre 1991), au Congo (mars 1992), à Madagascar (août 1992), à Djibouti (septembre 1992), au Niger (décembre 1992) », in « Processus démocratique et bicéphalisme du pouvoir exécutif en Afrique noire francophone: un essai de bilan », RJPIC, 2006, pp. 412-460.

    116 Elles sont plutôt vécues comme des instruments au service d'enjeux politiques et partisans. Souvent les calculs des acteurs déterminent, au moment de leur conception, la forme du régime politique et l'équilibre des pouvoirs. Voir ZAKI (M.), « Petite constitution et droit transitoire en Afrique », RDP 2012-6-008, no 6, op.cit. p 1699

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    d'avenir et à indiquer ce qui doit être. Par conséquent, l'observation montre que la réalité de la pratique politique ne correspond pas toujours, ni même souvent, à l'optimisme des schémas constitutionnels117.

    Le caractère lacunaire des Constitutions africaines est donc remarquable. C'est d'ailleurs ce qui explique largement ce que la doctrine qualifie de « crise du constitutionnalisme africain ».

    Cependant, lorsque la pratique politique ne correspond pas aux schémas constitutionnels, la Constitution est indigne de confiance.

    B. La perte de confiance des acteurs politiques à l'égard des Constitutions existantes

    La Constitution apparait comme une charte fondamentale traduisant, au-delà de son contenu, l'état du consensus entre gouvernants et gouvernés, et surtout entre les acteurs en charge de sa gestion118

    Mais, les arguments de cette thèse se heurtent empiriquement à une objection fondée sur l'instrumentalisation manifeste de la norme constitutionnelle dans la plupart des Etats africains. En effet, la pratique constitutionnelle en Afrique remontre en majorité au jugement des juristes, des révisions frauduleuses et impopulaires, conduites en l'absence de tout consensus et obtenues parfois au forceps119.

    117 PACTET (P.), Institutions politique : Droit constitutionnel, 20e éd, Paris, Armand Collin, 2001, p 66.

    118 Voir sur cette notion, REMOND (R.), « La gestion des constitutions », Pouvoirs, 1989, no 50, pp. 43-51.

    119 Comme celle que conduisent au Togo, avec une vitesse inédite et un empressement suspect, les députés du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT) en février 2005 à la suite de l'annonce du décès du président Eyadema GNASSINGBE. En effet, dans l'exécution des manoeuvres politiques visant à corriger les règles de dévolution du pouvoir en cas de vacance pour décès du chef d'État en fonction, l'Assemblée nationale convoquée précipitamment, procède en pleine nuit à la modification des articles 65 et 144 de la Constitution du 14 octobre 1992. Ces révisions, pour le moins spectaculaires, eurent pour conséquence directe d'empêcher Monsieur NATCHABA, président de l'Assemblée nationale et successeur désigné par les textes, d'accéder par intérim à la tête de l'État et propulsent contre toute logique Faure GNASSINGBE, fils du président défunt, à la présidence ainsi laissée vacante. Mais face à la réprobation nationale et internationale, notamment aux sanctions prises par la Communauté Economique des États d'Afrique de l'Ouest et confirmées par l'Union Africaine, Faure GNASSINGBE dût démissionner. L'ordre constitutionnel fut alors rétabli et permit l'organisation dans les délais prescrits d'élections pluralistes au terme desquels Faure GNASSINGBE fut proclamé élu. Cf. DIOP (El-H. O.), « Autopsie d'une crise de succession constitutionnelle du chef de l'Etat en Afrique. L'expérience togolaise (5-26 février 2005) », Politeia, 2005, no 7, pp. 115-173.

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    En effet la plupart des révisions constitutionnelles opérées en Afrique depuis 1996, sont caractérisées par leur aspect tendancieux et politiquement tactique. En majorité, elles se particularisent par leur objet peu licite et controversé. Ainsi la majorité des auteurs pensent-ils que la démarche peu consensuelle de ces révisions dissimule à peine une logique de passage en force et insistent sur les conditions « douteuses »120 de ces révisions «facilitées par la violation des règles prévues en la matière »121. Cependant, « ces modifications taillées sur mesure »122, ces « révisions pirates »123, expriment la main basse du pouvoir politique sur la procédure de révision ainsi que sa trop grande marge de manoeuvre dans la reformulation des dispositions constitutionnelles124.

    Ce sont donc essentiellement ces genres de révisions qui affadissent l'éclat de la Constitution et la présentent comme une norme instrumentalisée et manipulée125. En effet ces révisions non seulement s'assimilent à la banalisation de la Constitution126, mais contribuent surtout à entretenir une crise de confiance des acteurs politiques à l'égard de cette dernière. La Constitution indigne de confiance ne peut donc plus juguler les crises.

    C'est ainsi que l'adoption des petites constitutions intervient pour pallier aux insuffisances des Constitutions en vue de les réadapter aux crises.

    § 2. LA READAPTATION DES CONSTITUTIONS EXISTANTES AUX CRISES POLITIQUES PAR LES PETITES CONSTITUTIONS

    A y regarder de près, pour réadapter les constitutions existantes aux crises, les petites constitutions contribuent à créer un droit constitutionnel adapté à la circonstance (A). Cependant dans les cas où la Constitution existante n'est pas abrogée, la petites constitution assure donc la sauvegarde de cette dernière (B).

    120 AHADZI-NONOU (K.), « Les nouvelles tendances du constitutionnalisme africain. Le cas des Etats d'Afrique noire francophone », Afrique juridique et politique, vol. 1, n0 2, 2002, p. 43.

    121 Idem., p. 43.

    122 Ibid., p. 44.

    123 Ibid., p. 40

    124 MELEDJE (F. D.), « Les révisions des constitutions dans les Etats africains francophones : esquisse de bilan », op.cit., pp. 111-134.

    125 MOUANGUE KOBILA (J.), « Peut-on parler d'un reflux du constitutionnalisme au Cameroun? », Recht in Afrika, 2010, p. 38.

    126 AIVO (F. J.), « La crise de normativité de la constitution en Afrique », op.cit. p.148.

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    A. La création d'un droit constitutionnel circonstanciel

    A n'en point douter, les petites constitutions créent un droit constitutionnel des situations de crise127.

    En effet, dans les cas où la Constitution en vigueur est abrogée, la petite constitution devient la Loi fondamentale de la période de transition. Cependant dans les cas où la Constitution en vigueur est seulement contestée, comme ceux de la plupart des Etats africains, la logique juridique aurait consisté à régler les crises politiques dans le cadre de la normativité constitutionnelle. Mais, les Constitutions africaines, pour la plupart se sont révélées incapables. C'est ainsi que la défaillance des mécanismes constitutionnels africains de résolution des crises a déterminé la mobilisation de ressources complètement étrangères à la Constitution : il s'agit des accords politiques.

    Selon une définition esquissée par Jean-Louis ATANGANA-AMOUGOU, les accords politiques peuvent s'entendre de « tout accord conclu entre les protagonistes d'une crise politique interne ayant pour but de la résorber, quelle que soit sa dénomination »128. Il faut ainsi préciser qu'ils ont pour vocation de régir le fonctionnement des institutions du moins jusqu'à la fin de la crise ou conflit politique. Ils visent donc à réadapter le fonctionnement des différents pouvoirs aux intérêts et aux forces en présence afin de stabiliser les institutions. Ce qui semble les consacrer comme de véritables droits pendant la période de crise. En effet par leur fonction et leur répétition, les accords politiques participent en Afrique à la naissance d'un processus de formation d'un droit constitutionnel en devenir dont le résultat final serait l'existence à côté du droit constitutionnel général, d'un droit constitutionnel spécial de circonstance. A titre illustratif, le professeur Jean DU BOIS DE GAUDUSSON fait observer à propos de la crise ivoirienne que l'Accord de Linas-Marcoussis « définit en réalité une nouvelle Constitution et que son objectif est précisément de réviser le dispositif institutionnel et de contenir des recommandations

    127 Voir en ce sens HOUNAKE (K.), Les juridictions constitutionnelles dans les Démocraties émergentes de l'Afrique noire francophone : les cas du Bénin, du Gabon, du Niger, du Sénégal et du Togo, Thèse de Doctorat en Droit public, Université de Lomé-Université de Poitiers, 06 avril 2012, p. 481.

    128 ATANGANA-AMOUGOU (J.-L.), « Les accords de paix dans l'ordre juridique interne en Afrique », Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, 2008, p. 1723.

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    nouvelles non conformes à celle toujours en vigueur »129. Il en est de même de l'Accord Politique Global signé en 2006, entre les protagonistes de la crise politique togolaise130.

    La crise de la normativité en Afrique131 a donc fait naître un droit constitutionnel qu'il est permis de considérer comme un produit de l'ingénierie constitutionnelle en oeuvre dans les Etats africains en crise132.

    Cependant si les accords politiques contribuent, en Afrique, à reformuler les Constitutions existantes pour les réadapter aux crises afin de préserver la légalité constitutionnelle dans les Etats concernés, ils assurent par la même occasion la sauvegarde de celles-ci.

    B. La sauvegarde de la Constitution existante

    Les accords politiques visent à sauver la Constitution en période de crise. Ils sont conçus pour pallier les insuffisances de la norme constitutionnelle qui ne peut ni tout prévoir, ni tout régler. Leur conclusion participe donc de la nécessité de régler les problèmes juridiques ou politiques nés des Constitutions. Ainsi viennent-ils en période de crise rendre l'atmosphère moins tendue, car ils conduisent à un certain apaisement qui dénote d'un consensus trouvé favorisant le retour à la vie normale de l'Etat et protégeant du coup l'ordre constitutionnel.

    Les accords politiques constituent donc une sorte de rempart qui protège la Constitution et sur laquelle viennent s'écraser toutes les menaces trimbalées par les crises. Cette protection de la norme constitutionnelle par les arrangements politiques exprime finalement le rôle positif que peuvent jouer les accords politiques lorsqu'ils sont intégrés dans le dispositif constitutionnel de l'Etat. C'est le cas en Côte d'Ivoire où, après le basculement du pays dans une crise profonde dont les effets ne sont pas prêts d'être oubliés

    129 DU BOIS DEGAUDUSSON (J.), «L'accord de Marcoussis, entre droit et politique », Afrique Contemporaine, n0 206, 2003, p 46.

    130 Cet accord est signé entre le RPT, parti au pouvoir, d'une part et cinq partis de l'opposition

    traditionnelle (le CAR, la CDPA, la CPP, le PDR et l'UFC) et deux organisations de la société civile (GF2D et le REFAMP/T).

    131 AIVO (F. J.), « La crise de normativité de la Constitution en Afrique », op.cit., p. 141.

    132 ANDZOKA-ATSIMOU (S.), L'ingénierie constitutionnelle, solution de sortie de crise en Afrique :

    les exemples de l'Afrique du Sud, de la République démocratique du Congo, du Burundi et du Congo, Thèse de Doctorat en Droit public, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2013, 712 p.

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    suite au concept d' « ivoirité »133, le consensus fut retrouvé plus tard à travers l'accord de Linas-Marcoussis dont la substance essentielle est de nos jours intégrée dans le dispositif constitutionnel en vigueur.

    Au demeurant, puisque le droit ne peut à lui seul régler tous les problèmes, il est souhaitable de recourir à une petite constitution notamment un accord politique qui permet de compléter et de sauvegarder la Constitution dans ces circonstances exceptionnelles que constituent les périodes de crise, afin que cette dernière reprenne force et vigueur après la crise.

    En toute évidence, l'analyse de cette première partie aura permis de cerner théoriquement les petites constitutions à travers l'étude de leur nature et de leur fonction. Il convient cependant d'illustrer et de vérifier ces réflexions théoriques dans une approche plus concrète à travers leur typologie.

    .

    133 TOULOU (L.), « Election de la peur ou peur des élections : dilemme et contretemps de la sortie de crise en Côte d'Ivoire », inédit, p 5.

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    PARTIE II.

    LA TYPOLOGIE DES PETITES CONSTITUTIONS

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    Les petites constitutions constituent sans doute l'instrument de légitimation des pouvoirs politiques en période de crise. Leur adoption s'analyse à une technique que le pouvoir constituant provisoire, dans le cadre d'une procédure constituante, met au service des acteurs politiques pour la réalisation des objectifs de l'heure. Dès lors, ce processus constituant obéit à un compromis entre les acteurs politiques sur l'identité même du pouvoir constituant provisoire ; les processus constituants dans le cadre du nouveau constitutionnalisme africain134 n'échappent cependant pas à cette pratique.

    En effet, à partir des années 1990 en Afrique135, la situation de crise dans certains Etats a pour conséquence directe, de créer un vide juridique et institutionnel de sorte que toute tentative de restauration de l'Etat passe préalablement par l'adoption d'une petite constitution, dans le cadre de procédure constituante interne. Mais dans d'autres Etats, la crise n'a pas nécessairement provoqué la nécessité d'une refonte totale du système juridique. Elle est simplement le résultat de revendications et de luttes internes pour le pouvoir, débouchant généralement sur un simple réaménagement du texte fondamental ; et bien souvent, les acteurs politiques s'accordent d'opérer ces modifications dans le cadre d'accords conclus sous les auspices d'acteurs internationaux, c'est-à-dire dans le cadre d'une procédure constituante extérieure.

    On peut donc relever l'existence de deux pouvoirs constituants dans le cadre des procédures constituantes des Etats en crise en Afrique : il s'agit du pouvoir constituant « interne » ou « national » et du pouvoir constituant « extérieur » ou « international ».

    Cependant, l'identité du pouvoir constituant provisoire étant fort révélatrice de la diversité des petites constitutions adoptées sur le continent, la présente étude souhaite établir une typologie de ces textes pour analyser de façon pratique un cas de chaque catégorie.

    134 République Démocratique du Congo 2003, Burundi 2004, Madagascar 2009, Lybie 2011, Tunisie 2011, Égypte 2011, Sud-Soudan 2011, Somalie 2012, ainsi que la plupart des pays d'Afrique noire francophone, lors des transitions démocratiques de 1990.

    135 Les années 1990-1991 resteront pour l'Afrique, celles des grandes transformations politiques majeures. Gérard CONAC parle lui « d'intense activité volcanique », Parlement et Francophonie, Revue de l'Assemblée internationale des parlements de langue française, 1991, n°83-84, p. 34. Dans une analyse parue au journal Le Monde du jeudi 20 juin 1991, Mme AVICE Edwige ancienne ministre française de la Coopération et du Développement a comparé le vent de démocratisation qui secoue l'Afrique de par son ampleur et ses motivations « aux grandes mutations qui ont conduit l'Afrique aux indépendances dans les années 1960 », Le Monde, 20 juin 1991.

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    Ainsi peut-on distinguer, les petites constitutions issues d'un pouvoir constituant national (Chapitre I) de celles issues d'un pouvoir constituant international (Chapitre II).

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    Chapitre I.

    Les petites constitutions issues d'un pouvoir constituant

    national

    Le pouvoir constituant de la petite constitution, dans le cadre d'une procédure interne, est, le plus souvent, une force politique interne au pays, qui, suite à un conflit ou une crise, a réussi à s'imposer et à établir un équilibre fondé sur des nouvelles règles informelles. Cependant les petites constitutions issues d'un pouvoir constituant national forment une catégorie qui est loin d'être homogène.

    En effet, le pouvoir constituant national peut prendre différentes formes et agir dans la continuité ou non avec le régime précédent. Ainsi, constate-t-on, d'une part, l'existence de « petite constitutions de rupture » qui sont souvent issues de révolutions violentes ou de coups d'Etat militaires, comme ce fut le cas lors des récentes procédures constituantes lancées par des mouvements révolutionnaires sur le continent notamment au Burkina Faso136 en 2014, en République Centrafricaine137 en 2013, en Egypte138 et Lybie139 en

    136 La révolution populaire des 30 et 31 octobre 2014 qui a poussé au départ le Président Blaise COMPAORE a favorisé l'ouverture d'une transition politique symbolisée par l'adoption d'une Charte dite de la transition par les différentes composantes de la société burkinabè. Cette petite constitution qui sert ainsi de cadre constitutionnel à la gestion de la transition doit conduire à l'organisation d'élections libres, démocratiques et transparentes pour légitimer la transmission du pouvoir.

    137 Les événements du 24 mars 2013 qui ont vu la prise de pouvoir par la coalition SELEKA en République Centrafricaine, ont entrainé la suspension de la Constitution du 27 décembre 2004 et par voie de conséquence, la dissolution des Institutions Républicaines. Le Conseil National de Transition, organe constituant et législatif qui fut créé dans la foulée adopta le 05 juillet 2013 une Charte constitutionnelle de transition, promulguée le promulguée le 18 juillet 2013 par le Chef de l'Etat de la transition. Cette dernière constitue dès lors la Loi Fondamentale de la République Centrafricaine pour la période de la transition.

    138 La Déclaration constitutionnelle du 30 mars 2011 est la Constitution provisoire égyptienne adoptée par le Conseil suprême des Forces armées suite à la cession du pouvoir par le président Moubarak à ce même Conseil, en février 2011. Après avoir adopté des amendements à la Constitution de 1971, approuvés par référendum le 19 mars 2011, le Conseil suprême adopte un acte qui rompt de façon nette avec le régime précédent. Cette déclaration prévoit l'ouverture d'une procédure constituante et réglemente la période de transition. Elle introduit ainsi un nouvel ordre constitutionnel provisoire, en violation manifeste de l'ordre précédent.

    139 La procédure constituante libyenne, déclenchée par la révolution de février 2011, mis fin au régime de Mouammar KADHAFI avec l'adoption par le Conseil National de Transition, autorité constituante, de la Déclaration constitutionnelle du 3 août 2011, dans le but de régir la période transitoire post-KADHAFI. Cette petite constitution satisfait alors sa mission de réglementation des pouvoirs de la transition et de l'ouverture d'une procédure constituante en vue de l'adoption de la future constitution.

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    2011 ; et également comme ce fut le cas au Togo en 1991 dans la ferveur des transitions démocratiques des années 1990. Cependant ce dernier cas fera l'objet d'une analyse approfondie (Section I). D'autre part, existent des petites constitutions qui, tout en inaugurant un nouvel ordre juridique, sont adoptées par un organe du régime précédent, en passant par une procédure qui formellement semble respecter l'ordre constitutionnel déchu. Ce fut le cas des petites constitutions sud-africaines140 de 1993 et celle tunisienne de 2011. Une analyse approfondie sera également consacrée au cas tunisien (Section II).

    SECTION I. LES PETITES CONSTITUTIONS DE RUPTURE : LE CAS DU TOGO

    L'Acte no7 du 23 Août 1991 portant Loi constitutionnelle organisant les pouvoirs durant la période de transition au lendemain de la Conférence Nationale Souveraine141 (CNS) au Togo, représente un cas de petite constitution de rupture en ce qu'il opère manifestement une discontinuité tant au niveau des institutions (§ 1) qu'au niveau des textes (§ 2).

    § 1. LA DISCONTINUITE AU NIVEAU DES INSTITUTIONS

    Sur le plan institutionnel, la rupture opérée par la petite constitution togolaise de 1991 avec l'ancien régime, s'est traduite d'une part, par la refondation de l'exécutif (A), et d'autre part, par la restauration des pouvoirs de l'organe législatif (B).

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    L'Afrique du Sud est l'un des premiers pays africains à avoir adopté une petite constitution pour mener à bien sa transition constitutionnelle. Malgré le changement radical de la forme d'Etat opéré par la Constitution intérimaire sud-africaine par rapport à la Constitution de 1983, le texte de 1993 a été adopté par le parlement de l'ordre juridique précédent. Certes, l'élaboration de la Constitution provisoire a été effectuée par une Convention réunissant le gouvernement, les administrations des bantoustans et toutes les formations politiques. Toutefois, formellement, il s'agit d'un texte adopté conformément aux règles de l'ordre constitutionnel précédent. Cette stratégie a contribué de façon déterminante au déroulement paisible d'une transition qui aurait pu être très violente et conflictuelle.

    Pouvoir constituant provisoire, la Conférence nationale fut perçue comme l'instrument de réussite de la transition démocratique dans la quasi-totalité des Etats d'Afrique subsaharienne francophone qui a connu un processus de transition dans les années 1990. Organisée pour la première fois au Bénin (19 au 28 février 1990), l'expérience sera reprise au Gabon (27 mars au 19 avril 1990), au Congo (25 février au 10 juin 1991), au Niger (29 juillet au 3 novembre 1991), au Mali (29 juillet au 12 août 1991), au Togo (10 juillet au 28 août 1991), au Zaïre (7 août 1991 au 6 décembre 1992) et au Tchad (15 janvier au 7 avril 1993).

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    A. La refondation de l'exécutif

    L'idée de refonder l'exécutif a été émise lors de la Conférence Nationale Souveraine et se résumait à l'adoption d'un exécutif bicéphale142, considéré comme un modèle plus démocratique, donc un signe de rupture avec l'ancien régime. En effet selon l'élite politique togolaise d'alors, seul le modèle bicéphale pourrait constituer un rempart contre les dérives présidentialiste dont a été victime le peuple togolais143. C'est donc cette idée qui fut matérialisée dans l'acte no7 de la Conférence Nationale Souveraine qui mettra alors en place un pouvoir exécutif bicéphale dans lequel pour la première fois, un Premier ministre, Chef du Gouvernement, disposait de l'essentiel du pouvoir exécutif144, face à un Président de la République qui assistait au dépouillement de ses pouvoirs.

    C'est ainsi que l'acte no7 du 23 août 1991 portant Loi constitutionnelle qui organisait les pouvoirs durant la période de transition reconnaissait d'importants pouvoirs au Premier ministre de transition togolaise Joseph Kokou KOFFIGOH. En effet, ce dernier « dirige l'action du Gouvernement et assure l'exécution des lois »145, lequel « détermine et conduit la politique de la nation et dispose de l'administration »146. Il ressort de cette disposition que le Premier ministre de la transition togolaise était non seulement un coordonnateur de l'action gouvernemental mais aussi Chef de l'administration et de l'armée. Outre ces attributions, ce dernier « préside le conseil des ministres et dispose de la force armée»147 et exerçait à titre exclusif le pouvoir réglementaire conformément à l'article 36 de l'acte no7

    142 Le régime parlementaire apparaissait aux yeux de la nouvelle élite « comme un moyen pour contenir un exécutif impérial », voir en ce sens BOLLE (S.), Le nouveau régime constitutionnel du Bénin : Essai sur la construction d'une démocratie africaine par la Constitution, Thèse de Doctorat en droit public, Université Montpellier I, 1997, p. 32.

    143 KOUPOKPA (E. T.), Le modèle constitutionnel des Etats d'Afrique noire francophone dans le cadre

    du renouveau constitutionnel : cas du Bénin, du Niger et du Togo, Thèse de Doctorat en Droit public, Université de Gand, 2011, p. 38.

    144 Voir en ce sens, BOURGI (A.), « Enfin les premiers ministres à part entière ! », Jeune Afrique no1583 du 1er au 7 mai 1991, p. 26.

    145 Article 37 de l'acte no7 du 23 août 1991 portant Loi constitutionnelle durant la période de transition au Togo.

    146 Article 39 de l'acte no7 du 23 août 1991 portant Loi constitutionnelle durant la période de transition au Togo.

    147 Article 35 de l'acte no7 du 23 août 1991 portant Loi constitutionnelle durant la période de transition au Togo.

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    portant Loi constitutionnelle dans la période de transition148. Il ressort donc de cette disposition que le Premier ministre avait non seulement le monopole du pouvoir réglementaire mais aussi celui du pouvoir de nomination. Aussi le Premier ministre n'avait-il « pas de compte à rendre au Président de la république »149 qui était seulement « informé des activités du Gouvernement »150.

    Ainsi la petite constitution togolaise de 1991 rompt-elle avec l'ordre institutionnel du régime précédent en refondant l'exécutif au moyen du bicéphalisme avec un Premier ministre qui détenait la réalité du pouvoir, et un Président dépouillé de ses prérogatives qui survivait à ses côtés parce que n'ayant désormais que des pouvoirs honorifiques. Toutefois l'ordre institutionnel consacré par cette petite constitution inclut également dans son schéma l'organe législatif dont les pouvoirs ont été restaurés, qu'il importe d'analyser.

    B. La restauration des pouvoirs de l'organe législatif

    Il faut dire qu'avant les transitions démocratiques de 1990, étaient reconnues, à l'institution parlementaire, des compétences nécessaires à la production des normes et au contrôle du pouvoir exécutif. Mais la situation du Chef de l'Etat, faisant de lui chef unique de l'exécutif et chef du parti unique, lui permettait de dominer l'institution parlementaire et de la transformer en chambre d'enregistrement. Le parlement était donc cantonné dans un rôle d'approbation. « Son droit d'initiative demeure largement théorique et la prérogative qui lui est reconnue de contrôler l'action du pouvoir exécutif n'a que valeur de symbole »151.

    148 Voir l'article 36 de l'acte no7 du 23 août 1991 portant Loi constitutionnelle durant la période de transition au Togo.

    149 Ces propos ont été tenus par le Premier ministre de transition congolais, André MILONGO. Interrogé par François SOUDAN et Albert BOURGI à propos de ses rapports avec le Président Sassou NGUESSO, il répond en ces termes : « Il est là. Il incarne une institution qui doit être respectée. La cohabitation se passe bien. Je le rencontre de temps à autre, sans lui rendre de compte, car l'esprit de l'acte fondamental ne l'exige guère. Par exemple je suis allé le voir, lorsque j'ai formé mon Gouvernement, avant d'en annoncer officiellement la composition. Il a fait des remarques, sans me demander de modifier quoi que ce soit. Je ne l'aurais d'ailleurs pas accepté » ; Jeune Afrique no1595-Du 24 au 30 juillet 1991, P 28.

    150 Article 40 de l'acte no7 du 23 août 1991 portant Loi constitutionnelle durant la période de transition au Togo.

    151 Voir, SOMALI (K.), Le parlement dans le nouveau constitutionnalisme en Afrique : Essai d'analyse

    comparée à partir des exemples du Bénin, du Burkina Faso et du Togo, Thèse de Doctorat en Droit public, Université Lille 2- Droit et santé, 2008, p. 22.

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    C'est ainsi que la restauration de l'organe législatif a été rendue nécessaire par la Conférence Nationale Souveraine de 1991, pour la période de transition. Cette restauration s'est traduite par un renforcement théorique des pouvoirs de l'organe législatif. En effet ce dernier est non seulement chargé de légiférer mais aussi et surtout de contrôler l'Exécutif en veillant à l'exécution du cahier des charges de la transition.

    Cette mission de contrôle se manifestait en amont lors de la formation du Gouvernement, car le Haut Conseil de la République (HCR), organe qui faisait office de parlement durant la période transitoire de 1991 au Togo152, donnait son avis153 sur la désignation des membres du Gouvernement. En effet, conformément à l'acte no7 du 23 août 1991, le HCR était chargé de donner son avis sur la désignation des membres du Gouvernement154. L'article 34 de l'acte no7 était clair, puisqu'il faisait de cet avis un avis conforme155. En application de cette disposition, le Premier ministre Kokou KOFFIGOH a été contraint par le HCR de revoir la première mouture de son Gouvernement en décembre 1991156.

    En aval, les moyens d'action du HCR sur le Gouvernement de transition se manifestaient par des interpellations, des questions orales ou écrites, des séances de concertation, voire la mise en jeu de la responsabilité politique du Gouvernement. En effet

    152 Aux termes de l'article 17 de l'acte du 23 août 1991, portant Loi constitutionnelle organisant les pouvoirs durant la période de transition au Togo, « la Conférence Nationale Souveraine élit en son sein un Haut Conseil de la République qui est l'organe suprême de la République » ; aux termes de l'article 19 du même acte, « le Haut Conseil de la République est chargé : de contrôler l'exécution des décisions de la Conférence Nationale Souveraine, de contrôler l'exécutif, d'exercer la fonction législative, de donner son avis sur la désignation des membres du Gouvernement, d'approuver l'avant-projet de constitution, de prendre des dispositions en vue d'assurer l'accès équitable des partis politiques aux médias officiels et de veiller au respect de la déontologie en matière d'information,... »

    153 En droit administratif, l'avis est la « dénomination générique donnée aux actes des organes administratifs dans l'exercice de la fonction consultative ; à la différence des voeux émis de façon spontanée, les avis supposent donc une demande préalable de l'autorité investie du pouvoir de décision. Comme acte préliminaire à un acte administratif ou à un contrat, l'avis est préparatoire à ceux-là. Dans ces conditions, c'est un acte juridique qui n'est pas en principe normateur, mais considéré comme un élément de la procédure » ; voir KPODAR (A.), Commentaire des grands avis et décisions de la Cour constitutionnelle togolaise, Presse de l'UL. Lomé, 2007, p. 11

    154 Voir l'article 19 de l'acte no7 du 23 août 1991 portant Loi constitutionnelle durant la période de transition au Togo.

    155 Article 34 de l'acte no7 du 23 août 1991 : « Le Premier ministre désigne chacun des membres de son gouvernement après avis favorable du Haut Conseil de République ».

    156 KOUPOKPA (E. T.), Le modèle constitutionnel des Etats d'Afrique noire francophone dans le cadre du renouveau constitutionnel : cas du Bénin, du Niger et du Togo, op.cit., p. 48.

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    aux termes de l'article 53 de l'acte no7, « les membres du Gouvernement peuvent être entendus sur interpellation par le haut Conseil de la République, sur des questions écrites ou orales qui leur sont adressées ».

    C'est ainsi qu'en rupture avec l'ordre institutionnel du régime précédent, on assiste pour la première fois, à la restauration de l'organe législatif disposant désormais de moyens théoriques appropriés pour jouer pleinement le rôle de législateur et de censeur du gouvernement. Cependant cette rupture observée au niveau des institutions s'inscrit dans une dynamique qui n'épargne pas les textes régissant l'Etat.

    § 2. LA DISCONTINUITE AU NIVEAU DES TEXTES

    Pour parvenir à la réelle démocratisation, la conférence nationale souveraine, par le biais de l'acte no7 du 23 août 1991, opéra une rupture avec l'ancien régime, au niveau des textes qui régissent l'Etat, en abrogeant d'abord, toutes les lois en vigueur (A) et en consacrant ensuite, de nouveaux droits et libertés (B).

    A. L'abrogation des lois en vigueur

    D'un point de vue formel et substantiel, l'acte no7 du 23 août 1991 dévoile un changement radical et rend manifeste la rupture avec l'ordre juridique précédent.

    Cette volonté de rompre avec l'ordre juridique précédent a été perceptible dès la déclaration de souveraineté de la conférence nationale157. Celle-ci amorça alors le changement de régime, par le biais de l'acte no7 du 23 août 1991, en abrogeant la Constitution ainsi que tous les documents et lois à valeur constitutionnelle en vigueur158. Dès lors, même si, certaines composantes de l'ordre juridique précédent, à l'exception des normes constitutionnelles, ont fait l'objet d'une réception sélective au sein de l'ordre juridique nouveau, la petite constitution togolaise de 1991 marque, matériellement, une discontinuité substantielle par rapport à l'ordre juridique précédent.

    157 Article 1er de l'acte no1 de la Conférence Nationale Souveraine.

    158 Voir l'article 4 de l'acte no1 de la Conférence Nationale Souveraine considéré dans le préambule de l'acte no7 portant Loi constitutionnelle durant la période de transition.

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    Par ailleurs, la référence au passé étant considérée comme délégitimant, le contenu de l'acte no7 du 23 août 1991 était donc imprégné de la philosophie politique des forces de la transition. C'est ainsi que la rupture avec le régime précédent a été symbolisée, de façon particulièrement marquante, par le changement de l'hymne et de la devise du pays159 avec ceux de 1960. Ce changement symbolise la volonté du constituant provisoire, de revenir aux origines de l'indépendance du Togo. Il s'agit en quelque sorte de la manifestation d'une volonté de renaître symboliquement en tant qu'Etat indépendant et démocratique.

    Cependant, l'acte no7 portant Loi constitutionnelle de la période de transition consacra également un catalogue de droits et libertés qui méritent d'être analyser.

    B. La consécration des droits et libertés

    La petite constitution togolaise de 1991 est une sorte de pont historique entre le passé d'un régime autoritaire, caractérisé par des violations flagrantes des droits de l'homme, et un futur construit sur la démocratie et la reconnaissance des droits et libertés fondamentaux pour tous les togolais, sans distinction de couleur, race, classe, croyance ou sexe160.

    On peut donc relever que si l'acte no7 du 23 août 1991 est bien une Constitution de transition, elle n'établit pas moins un nouvel ordre, dans lequel les droits de l'Homme et la démocratie sont reconnus. Cette référence redondante à la place des droits de l'Homme dans la nouvelle république qui se profile à l'horizon, n'a d'autre fonction que d'insister sur la conception que les autorités de la transition se font de ces droits. Ils sont donc avant tout l'un des principes fondateurs de la nouvelle république161.

    C'est ainsi qu'à la lecture de ce texte, on trouve un catalogue de libertés individuelles et collectives notamment les libertés de circulations d'opinion de religion d'expression de presse, de réunion et de manifestation162. En outre, de nombreux droits consacrés par des instruments juridiques internationaux ratifiés par le Togo, ont été repris par l'acte no7 du

    159 Article 2 et 3 de l'acte no 7 du 23 août 1991 portant Loi constitutionnelle durant la période de transition au Togo.

    160 Article 8 de l'acte no7 du 23 août 1991 portant Loi constitutionnelle durant la période de transition au Togo.

    161 Voir le préambule de l'acte no7 du 23 août 1991.

    162 Article 8 de l'acte du 23 août 1991 précité.

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    23 août 1991163, revêtant donc un sens particulièrement fort, dans la mesure où leur affirmation s'oppose aux pratiques odieuses du régime précédent. Il en va ainsi de la dignité humaine de l'interdiction de la torture et des traitements dégradants164, ou encore du droit à l'intimité165.

    C'est donc cette idée de droits de l'Homme en tant que valeur qui sera parfaitement réaffirmée par la Constitution du 14 octobre 1992 dont l'acte de la transition a jeté les bases. Ces valeurs sur lesquelles repose la nouvelle république togolaise sont entre autre la dignité humaine, la mise en oeuvre du principe d'égalité, le refus de la discrimination raciale, ethnique et sexiste ; la suprématie de la Constitution et le respect du droit ; le principe du suffrage universel, fondé sur des élections régulières, et le principe du pluripartisme.

    C'est ainsi que la petite constitution togolaise de 1991 opéra une rupture avec l'ancien régime, concrétisée juridiquement par la mise en place de nouvelles institutions fondées sur de nouvelles valeurs. Une Constitution définitive fut donc adoptée166. Cependant, contrairement à ce qu'ont laissé présager les premiers temps de la transition, l'instauration d'un véritable Etat de droit ne fut pas effective, même si la petite constitution aura réussi à poser les bases d'un Togo démocratique. Il est vrai que ceci est généralement le fruit d'un long cheminement. Mais aussi, la volonté des acteurs politiques demeure un facteur décisif.

    Comme annoncé donc un peu plus haut, à côté des petites constitutions de rupture existent des petites constitutions qui, bien qu'inaugurant un nouvel ordre juridique sont adoptées par un organe du régime précédent. Ce sont des petites constitutions de continuité à l'instar de celle tunisienne de 2011.

    163 Idem

    164 Article 10 du de l'acte no7 du 23 août 1991 portant Loi constitutionnelle durant la période de transition au Togo.

    165 Article 13 de l'acte no7 du 23 août 1991 portant Loi constitutionnelle durant la période de transition au Togo.

    166 Il s'agit de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992.

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    SECTION II. LES PETITES CONSTITUTIONS DE CONTINUITE : LE CAS DE LA TUNISIE

    La particularité de l'expérience tunisienne réside, dans l'adoption de deux petites constitutions, qui ont donné vie à deux ordres juridiques distincts, au sein de la même période transitoire : l'un de la continuité, l'autre de la rupture. Cependant, le cas tunisien s'inscrit dans le cadre des petites constitutions de continuité, puisque la première petite constitution, adoptée par un organe de l'ancien ordre constitutionnel, est bien celle qui ouvre au changement, créant les conditions pour que le deuxième texte soit adopté par un organe intégralement nouveau, expression directe du peuple révolutionnaire. Ainsi note-t-on, dans une première phase, l'amorce d'une continuité avec l'ancien régime (§ 1), dont l'avatar sera observé dans la seconde phase (§ 2).

    § 1. PREMIERE PHASE DE LA TRANSITION : L'AMORCE DE LA CONTINUITE

    Le processus constituant tunisien, déclenché par la révolution populaire du 14 janvier 2011 qui ouvrait le bal du « printemps arabe »167, essaya dans sa première phase, de s'attacher d'un fil d'araignée, à la Constitution en vigueur depuis 1959. On assista alors à une continuité de l'ordre constitutionnel en vigueur, avec la première petite constitution (B), parce que adoptée par un président investi des pouvoirs conformément à l'ancien ordre constitutionnel (A).

    A. La transmission des pouvoirs au président par intérim

    conformément à la Constitution de 1959 : le recours à l'article 57

    Les dispositions de l'article 57 de la Constitution favorisent bien la continuité de la fonction présidentielle par l'usage de la technique intérimaire. Il s'agit de remplacer un

    167 Cette expression est utilisée pour parler des révolutions qui ont lieu en 2011 dans les pays arabes, tels que la Tunisie, l'Égypte, le Yémen ou encore la Libye. La référence au printemps serait liée au fait que le printemps est la saison du réveil de la nature : les plantes se mettent à fleurir, et les animaux après avoir hiberné, sortent de leur tanière. C'est justement parce que ces révolutions ont pour but un « réveil », qu'on les compare au printemps. Les manifestants tunisiens, égyptiens, yéménites et libyens exprimaient le souhait d'un changement, d'une nouvelle vie politique. Cf. FILIU (J-P.), La Révolution arabe, dix leçons sur le soulèvement démocratique, Paris, Fayard, 2011.

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    président sans nécessairement changer de régime politique, et encore moins de république ou d'ordre constitutionnel.

    Juste après la fuite du Président BEN-ALI, les tunisiens tentent de gérer la transition à la lumière de la Constitution de 1959 en vigueur. Ils confient alors la présidence de la République au président de la Chambre des députés168 et s'interrogent sur le fait d'organiser des élections présidentielles et législatives anticipées, au terme de l'intérim de soixante jours, comme prévu par l'article 57 de la Constitution169. Ce choix inscrit donc la transition tunisienne dans le cadre de l'ancien régime.

    Cependant, le régime de l'article 57 était en réalité peu adapté à la situation d'effervescence révolutionnaire que traversait le pays. En effet, la Constitution de 1959 semblait entraver toute possibilité de sortir de la crise par un changement légal. Elle interdisait au Chef de l'Etat par intérim170 de prendre toute initiative institutionnelle, à l'exclusion de l'organisation de nouvelles élections présidentielles171 et prohibait toute révision constitutionnelle. Elle empêchait également le président par intérim de recourir au référendum, de démettre le gouvernement, de dissoudre la Chambre des députés et de prendre les mesures exceptionnelles nécessitées par les circonstances (art. 46)172.

    Il était donc clair et largement admis, en vertu d'un accord tacite entre les différentes forces politiques, que l'article 57 ne pouvait pas être scrupuleusement respecté et surtout que, les élections présidentielles ne pouvaient pas avoir lieu dans le délai constitutionnel maximum de soixante jours.

    168 L'investiture du Président de la Chambre des députés, M. Foued MBAZAA, des fonctions de Chef de l'Etat par intérim a reçu l'accord du Conseil constitutionnel tunisien. Voir C.C. Avis n°1 du 15 janvier 2011.

    169 L'article 57 de la Constitution de 1959 prévoit qu'en cas de vacance définitive du Président pour cause de décès, de démission ou d'empêchement absolu, la présidence de la République intérimaire est confiée au Président de la Chambre des députés pour une période allant de 45 à 60 jours. Au terme de cette période, des nouvelles élections doivent être organisées.

    170 Ici, une légère nuance doit être relevée par rapport au mot intérim : en effet le Chef de l'Etat par intérim doit être distingué du Chef d'Etat de transition. Le premier tire sa compétence de la Constitution toujours en vigueur, alors que le second tire sa compétence d'une petite constitution en rupture avec la Constitution en vigueur.

    171 Ex article 46 de la Constitution tunisienne de 1959, le Président de la République ne pouvait ni recourir au référendum, ni démettre le gouvernement, ni dissoudre la Chambre des députés, ni prendre les mesures exceptionnelles nécessitées par les circonstances.

    172 Le 14 janvier 2011, l'état d'exception accompagné d'un couvre-feu a été décrété.

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    Ainsi, afin de dépasser les règles limitant l'action du Chef de l'Etat par intérim, la classe politique a eu recours, par des mesures « d'ingénierie constitutionnelle »173 garantissant une apparente légalité et continuité constitutionnelles, à l'article 28 de la Constitution de 1959 sur l'exercice du pouvoir législatif. Le Conseil constitutionnel a été saisi pour avis sur la délégation du pouvoir législatif au profit du chef de l'Etat par intérim. C'est ainsi que par la loi n° 2011-05 du 9 février 2011 prise sur la base de l'article 28 de la Constitution, à la suite de deux séances pathétiques de la Chambre des députés et de la Chambre des conseillers, le Président de la République par intérim recevait une délégation quasi générale du pouvoir législatif174, qui lui permettra d'adopter un décret-loi le 23 mars 2011.

    B. L'adoption du décret-loi du 23 mars 2011 par le président

    intérimaire : une première petite constitution émanant d'un organe de l'ordre constitutionnel précédent

    La formation, le 17 janvier 2011, du nouveau gouvernement, dit d'unité nationale, dans lequel figuraient plusieurs personnalités ayant occupé auparavant des postes au sein du gouvernement ou du parti au pouvoir provoqua la colère populaire et donna lieu, à partir du 20 février, à un mouvement de contestation, avec occupation du siège du gouvernement à Tunis, réclamant, entre autre, l'élimination de tous les « destouriens »175 et une nouvelle Constitution. Le 28 février, le Premier ministre démissionna.

    C'est ainsi que face à la persistance des mouvements de contestation, et répondant au voeu du peuple tunisien, qui exigeaient une rupture radicale avec la dictature de BEN-ALI,

    173 BEN ACHOUR (R.) et BEN ACHOUR (S.), « La transition démocratique en Tunisie : entre légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », Revue française de droit constitutionnel, 2012/4 n° 92, p. 720.

    174 La loi habilitait le Chef de l'Etat par intérim à prendre des décret-lois dans les domaines suivants : - l'amnistie générale, les droits de l'homme et les libertés fondamentales, - le système électoral, la presse, l'organisation des partis politiques, les associations et les organisations non gouvernementales, - la lutte contre le terrorisme, - le développement économique, la promotion sociale, les finances et la fiscalité, - la propriété, l'éducation et la culture, - la lutte contre les fléaux et calamités, - les conventions internationales relatives aux engagements financiers de l'État, les conventions internationales dans les domaines du commerce, de la fiscalité, de l'économie et des investissements, les conventions internationales relatives au travail et au secteur social, les conventions internationales relatives aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales.

    175 Partisans de « DESTOUR », un parti politique tunisien fondé en 1920. Parti présidentiel depuis 1957, qui prit le nom de Parti Socialiste Destourien (1964-1988), puis de Rassemblement Constitutionnel Démocratique.

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    en passant par une procédure constituante capable de refléter la nouvelle identité du pays, le Président de la République par intérim, fort de ses nouveaux pouvoirs, adopte le 23 mars 2011 un décret-loi176 portant organisation provisoire des pouvoirs publics, qui fonde le premier ordre constitutionnel provisoire177.

    Cette première petite constitution formalise l'exigence d'un changement radical de la forme d'Etat et organise le passage vers un régime démocratique attribuant la souveraineté au peuple. Ainsi, si cette première petite constitution n'est pas issue des citoyens tunisiens, sa légitimité est fondée sur sa conformité à la volonté du peuple révolutionnaire « d'exercer sa pleine souveraineté dans le cadre d'une nouvelle Constitution »178.

    Le décret-loi exerce donc sa fonction dé-constituante, affirmant que désormais, « la pleine application des dispositions de la Constitution de 1959 est devenue impossible ». L'ordre constitutionnel précédent est donc « suspendu ». Autrement dit, le décret-loi a mis « hors de vigueur provisoire » l'ensemble des dispositions constitutionnelles. Faisant suite à cette suspension, le pouvoir constituant est libre de dissoudre les deux chambres du Parlement, la Chambre des députés et la Chambre des conseillers, ainsi que le Conseil constitutionnel et le Conseil économique et social179.

    La première petite constitution prévoit, en outre, une réglementation institutionnelle a minima pour la période transitoire, établissant que le Tribunal administratif, la Cour des comptes (article 3), les collectivités locales (article 16) et le pouvoir judiciaire (article 17)

    176 Décret-loi n° 14 du 23 mars 2011, JORT n° 20 du 25 mars 2011, p. 363.

    177 Rafaâ BEN ACHOUR et Sana BEN ACHOUR affirment que le décret-loi du 23 mars 2011 « n'est en réalité ni momentanément un décret ni ne sera ultérieurement une loi. N'ayant plus aucune attache avec l'ancien ordonnancement de la Constitution du 1er juin 1959 devenue caduque, il est paradoxalement un acte constitutif, générateur d'une nouvelle légalité, fondateur d'un ordre nouveau constitutionnel », voir BEN ACHOUR (R.) et BEN ACHOUR (S.), « La transition démocratique en Tunisie : entre légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », Revue française de droit constitutionnel, 2012/4 n° 92, op.cit., p. 722.

    178 Les trois premiers considérants du décret-loi du 23 mars 2011 fondent la légitimité de l'acte même : « Considérant que le peuple Tunisien est souverain et exerce sa souveraineté par le biais de ses représentants élus au suffrage direct, libre et équitable, Considérant que le peuple a exprimé au cours de la révolution du 14 janvier 2011 sa volonté d'exercer sa pleine souveraineté dans le cadre d'une nouvelle Constitution, Considérant que la situation actuelle de l'Etat, après la vacance définitive de la Présidence de la République le 14 janvier 2011, telle que constatée par le Conseil constitutionnel dans sa déclaration publiée au Journal Officiel de la République Tunisienne en date du 15 janvier 2011, ne permet plus le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, et que la pleine application des dispositions de la Constitution est devenue impossible ».

    179 Article 2 du décret-loi du 23 mars 2011.

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    continuent d'exercer leurs attributions conformément aux lois et aux règlements en vigueur. Quant au pouvoir législatif, il est désormais exercé sous forme de décret-loi promulgué par le chef de l'Etat, après délibération en conseil des ministres. Le pouvoir exécutif est confié également au président de la République par intérim, assisté d'un gouvernement provisoire180. Ainsi, certains éléments de l'ordre juridique précédent sont intégrés au sein de l'ordre nouveau qui leur confère, toutefois, un nouveau fondement de validité. Enfin, la première Constitution provisoire remplit sa fonction constituante, en prévoyant l'élection d'une Assemblée nationale constituante « au suffrage universel, libre, direct et secret selon un régime électoral pris à cet effet »181

    L'ordre constitutionnel ainsi créé organise la première phase de la transition. Comme prévu par l'article 1er du décret-loi ; sa validité se termine avec l'élection de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC)182, le 23 octobre 2011, ouvrant la deuxième phase de la transition.

    §2. DEUXIEME PHASE DE LA TRANSITION : L'AVATAR DE LA CONTINUITE

    Cette deuxième période transitoire, en rupture avec l'ordre précédent, débuta avec l'élection de l'Assemblée Nationale Constituante (A), qui adoptera la deuxième petite constitution (B).

    A. L'élection de l'Assemblée Nationale Constituante : la rupture avec l'ordre du 23 mars 2011

    Un véritable chantier devait donc s'ouvrir devant l'Instance Supérieur Indépendante pour les Elections (ISIE), pour rompre définitivement avec l'ancien ordre.

    180 Le décret-loi interdit au premier ministre provisoire et au président de la République par intérim de présenter leur candidature à l'Assemblée nationale constituante.

    181 Article 1er du décret-loi du 23 mars 2011. Le décret-loi n°35 du 10 mai 2011 réglemente par la suite l'élection de l'Assemblée nationale constituante.

    182 Article 1er du décret-loi : « Jusqu'à ce qu'une Assemblée nationale constituante, (...) prenne ses fonctions, les pouvoirs publics dans la République Tunisienne sont organisés provisoirement conformément aux dispositions du présent décret-loi ».

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    En effet, des élections honnêtes, transparentes et pluralistes, organisées par l'Instance Supérieure Indépendante pour les Elections, en présence d'observateurs internationaux183, dépêchés par différentes organisations internationales intergouvernementales184 et non gouvernementales185, ont donc eu lieu le 23 octobre 2011 et ont abouti à l'élection de l'ANC.

    Les élections ont connu une participation populaire exceptionnelle (54 %), aussi bien en Tunisie qu'à l'étranger. Une fois les résultats des élections connus, une coalition186 s'est formée pour constituer la majorité gouvernementale : elle est constituée par le parti Ennahdha, le CPR et Ettakattoul. Les trois partis se sont mis d'accord, très tôt, sur une répartition des « trois présidences » : au CPR la présidence de la République, au Ettakattoul la présidence de l'ANC et à Ennahdha la présidence du gouvernement.

    Après l'installation de l'ANC le 22 novembre 2011, l'élection de son président, de son bureau, une commission ad hoc fut chargée de la rédaction de la deuxième petite constitution. Ainsi, le 2 décembre 2011, la commission remet le projet final de l'organisation provisoire des pouvoirs publics au président de l'ANC, qui le soumet, à son tour, à l'Assemblée plénière pour débat. Le 16 décembre est adoptée la Loi constituante n°2011-6187. Cette fois, le pouvoir constituant est bien un organe élu au suffrage universel direct, qui adopte la Loi constituante « au nom du Peuple tunisien »188.

    B. La Loi constituante n°2011-6 par l'ANC: une deuxième petite constitution émanant d'un organe élu directement par le peuple

    La légitimité de la deuxième petite constitution est donc fondée sur des bases plus solides par rapport à la première. Elle prend appui, tout d'abord, sur la conformité de la Loi à la Constitution matérielle, qui dans le Préambule est exprimée par l'affirmation de l'adhésion des constituants à la volonté des révolutionnaires victorieux de changer de

    183 Plus de 10 000 observateurs tunisiens et 500 observateurs internationaux ont veillé au bon déroulement du processus électoral.

    184 Union africaine, Union européenne, Ligue des États arabes, OCI, Conseil de l'Europe, OSCE, etc.

    185 Fondation Carter.

    186 Totalisant 138 sièges sur 217.

    187 J.O.R.T., n°97 des 20 et 23 décembre 2011.

    188 Préambule de la Loi constituante du 16 décembre 2011.

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    régime189. Elle se fonde également sur la fidélité du nouveau pouvoir à la forme républicaine de l'Etat, choix qui a été effectué en Tunisie par l'Assemblée Nationale Constituante le 25 juillet 1957190.

    La Loi constituante tunisienne présente bien les éléments permettant d'identifier une petite constitution. Tout d'abord, elle met fin au régime précédent, qui n'est pas l'ordre constitutionnel de 1959, mais l'ordre constitutionnel provisoire créé par le décret-loi du 23 mars 2011. L'article 27 affirme clairement qu'« il est mis fin à l'application du décret-loi n° 2011-14 du 23 mars 2011, relatif à l'organisation provisoire des pouvoirs publics ». La Loi constituante abroge aussi définitivement la Constitution du 1er juin 1959191, dont l'application avait été suspendue par le décret-loi de mars. Ainsi, l'ordre constitutionnel fondé par la Loi constituante succède directement à l'ordre constitutionnel créé par la première petite constitution et indirectement à l'ordre constitutionnel du régime précédent.

    En outre, la loi constituante organise de façon détaillée les pouvoirs publics provisoires192, faisant du gouvernement « la figure centrale de l'échiquier politique » et marginalisant, en revanche, le président de la République. L'ANC exerce la fonction constituante et législative, élit le président de la République et contrôle l'activité du gouvernement. La procédure constituante est établie par l'article 3 de la Loi. La sanction populaire, via un référendum constituant, est prévue seulement au cas où le projet de la Constitution ne soit pas voté par les deux tiers des membres de l'Assemblée193.

    Enfin, la Loi constituante explicite le caractère provisoire de sa validité, prévoyant que « les pouvoirs publics de la République tunisienne, sont organisés à titre provisoire

    189 Afin de concrétiser les principes de la révolution glorieuse, de réaliser ses objectifs, par fidélité aux

    martyrs et aux sacrifices des tunisiens à travers les générations, afin de faire aboutir le processus constituant démocratique avec succès et garantir les libertés et les droits de l'homme.

    190 Voir la décision de l'Assemblée nationale constituante du 25 juillet 1957 proclamant la République de la Tunisie.

    191 Article 27 de la Loi constituante no2011-6.

    192 Le premier chapitre incluant l'article 2 énumère les compétences de l'Assemblée nationale constituante. Le chapitre 3 est relatif au pouvoir législatif (art. 4-8). Le chapitre 4 de la loi est consacré au pouvoir exécutif. Il est divisé en quatre sections : la première relative au président de la République, la deuxième se rapportant au chef du gouvernement, la troisième relative aux « conflits de compétences ». Quant à la quatrième section du deuxième chapitre, elle est consacrée aux collectivités publiques locales. Le chapitre 5 est réservé au pouvoir judiciaire. Le chapitre 7 se rapporte à la justice transitionnelle alors que les chapitres 8 et 9 traitent de la Banque Centrale et des dispositions finales.

    193 Il n'y a donc pas eu de referendum, puisque l'ANC en janvier 2014 a adopté le projet de Constitution à la majorité de 200 voix (12 contraires et 4 abstentions).

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    conformément à la présente loi, et ce jusqu'à l'élaboration d'une nouvelle Constitution, son entrée en vigueur et l'exercice par les institutions qui en seront issues de leurs fonctions »194. En d'autres termes, la Loi constituante est abrogée au moment où les nouvelles institutions, issues de la Constitution définitive, entrent en fonction. Cela signifie que pendant une période limitée, le texte constitutionnel provisoire et celui définitif seront en vigueur en même temps. C'est d'ailleurs ce qui a été prévu par les Dispositions transitoires de la Constitution définitive, adoptée le 26 janvier 2014, qui ont maintenu en vigueur certaines normes de la Loi constituante jusqu'à l'élection de l'Assemblée des représentants195.

    A la lumière de tout ce qui a précédé, il s'avère que la Tunisie a jusque-là traversé avec succès les différentes phases de sa transition. Le processus démocratique ne sera cependant véritablement accompli seulement une fois qu'une Tunisie nouvelle démocratique, libre, ouverte et pluraliste pourra envisager un avenir radieux en conformité avec les objectifs de dignité et de liberté qui ont déclenché sa révolution.

    Par ailleurs, à côté des petites constitutions issues d'un pouvoir constituant interne, l'octroi d'une petite constitution par un pouvoir constituant extérieur reste une hypothèse plausible. Ces dernières qui constituent en fait une réalité dans certains Etats en crise en Afrique, feront donc l'objet d'une étude dans la suite de ce développement.

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    194 Article 1er de la Loi constituante no2011-6.

    195 Article 148 de la Loi constituante no2011-6.

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    Chapitre II.

    Les petites constitutions issues d'un pouvoir constituant
    international

    La procédure constituante extérieure est généralement évoquée lorsqu'un Etat est confronté à une crise aigüe, débouchant parfois sur des confrontations armées très violentes comme c'est souvent le cas des Etats en crise en Afrique. Une petite constitution est alors élaborée, dans des procédures « internationalement guidées », par des Etats étrangers ou par des organisations internationales, dans le but de régler la crise.

    En décidant donc d'agir en lieu et place du peuple et d'exercer à sa place les pouvoirs souverains qui sont les siens, l'organe constituant extérieur fournit à l'Etat en crise, une petite constitution « clés en main ». Ces textes ont des objectifs partiellement différents par rapports aux petites constitutions adoptées dans le cadre de procédures internes. Ils sont, en effet, des véritables modes opératoires pour pacifier et démocratiser les Etats défaillants.

    Cependant, les objectifs recherchés via ces petites constitutions ne sont pas toujours si nobles. En effet, ces textes peuvent être un moyen pour imposer des principes et des règles étrangers dans un système donné, indépendamment de toute prise en compte de sa culture juridique. On peut alors constater l'existence de deux catégories de petite constitution issues d'un pouvoir constituant étranger. D'une part, il y a les petites constitutions qui sont simplement imposées à l'Etat en crise sans qu'il soit nécessaire de solliciter l'approbation du peuple ou de ses représentants. C'est le cas de la Côte d'Ivoire qui fera l'objet de notre étude (Section I). D'autre part, il y a les petites constitutions négociées qui sont le résultat de longues négociations intervenues entre les autorités externes et les autorités internes tout au long de la procédure d'élaboration, avec cependant l'imposition du point de vue des autorités externes. C'est le cas de la République démocratique du Congo, objet de notre étude (Section II).

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    SECTION I. LES PETITES CONSTITUTIONS IMPOSEES : LE CAS DE LA COTE D'IVOIRE

    Pour répondre à la crise qui secoue la Côte d'Ivoire depuis le 19 septembre 2002, le Conseil de sécurité des Nations Unies (CS), par quelques résolutions, va imposer au gouvernement en place, des obligations juridiques précises dont le but est de permettre l'application intégrale et sans condition de l'Accord de Linas-Marcoussis196, signé le 24 juin 2003. Ainsi, par l'intermédiaire de cet accord, le Conseil de sécurité essaya d'abord de résoudre les problèmes posés par la Constitution en vigueur (Paragraphe I), avant d'opérer un renversement total de l'ordre institutionnel ivoirien pour la circonstance (Paragraphe II).

    § 1. LA RESOLUTION DES PROBLEMES POSES PAR LA CONSTITUTION EN VIGUEUR

    Ces problèmes sont relatifs d'une part à l'éligibilité à la fonction présidentielle (A) et d'autre part à l'organisation de l'élection présidentielle (B).

    A. La question de l'éligibilité à la fonction présidentielle

    La principale question qui se posait donc en Côte d'Ivoire, était celle relative aux règles d'éligibilité à la fonction de Président de la République197, lesquelles règles n'ont pas reçu un écho favorable dans l'ensemble de la classe politique ivoirienne.

    En effet pour écarter l'ancien Premier Ministre, Alassane OUATTARA de la candidature à la magistrature suprême, le général Robert GUEI, alors Président de la République, inséra in-extremis dans la Constitution, l'article 35 qui prévoit que le candidat « doit être exclusivement de nationalité ivoirienne né de père et de mère ivoirien d'origine »198. A l'occasion du Forum pour la réconciliation (octobre-décembre 2001), le Président Laurent GBAGBO confirma ces dispositions de l'article 35.

    196 Pour une étude de cet accord, voir notamment KPODAR (A.), « Politique et ordre juridique : les

    problèmes constitutionnels posés par l'accord de Linas- Marcoussis du 23 janvier 2003 », op.cit., pp. 2503- 2526.

    197 Voir OBOU (O.), Requiem pour un code électoral, PU de Côte d'Ivoire, 2000, p. 60 et s.

    198 Article 35 de la Constitution ivoirienne.

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    C'est donc cette disposition qui a fracturé la Côte d'Ivoire et qui a empoisonné la situation, par son caractère discriminatoire. Cependant, l'Accord de Linas-Marcoussis complété en cela par les accords d'Accra199 et de Pretoria200, imposait une révision de cette disposition comme base de règlement de la crise201. Mais cette modification n'a pu être faite pour deux raisons fondamentales : la première tient au fait qu'une partie du territoire étant occupée par la rébellion, la révision ne peut avoir lieu puisqu'il y a atteinte à l'intégrité du territoire. La deuxième plus technique tient à des contraintes tenant à la procédure de révision. Comme le précise le professeur F. D. MELEDJE, « ce dont il s'est agi en Côte d'Ivoire va bien au-delà de la révision informelle. La situation qui prévaut dans ce pays nous place devant deux exigences toutes à la fois forte et contradictoires : d'un côté, une exigence d'ordre juridique liée à la nécessité de se conformer à la procédure de révision constitutionnelle et de se soumettre à la limite à la révision de la Constitution ; de l'autre, une préoccupation politique tenant à la nécessité de règlement de la crise politique qui affecte non seulement le pays mais également toute la région ouest-africaine »202.

    Face à cette situation, la communauté internationale, à travers les instances onusiennes et de l'Union Africaine (UA), a entrepris de mettre entre parenthèses la Constitution ivoirienne en demandant notamment au Président GBAGBO d'user de la faculté que lui réserve certaines dispositions de la Constitution pour écarter l'application de celle-ci sur cette question203. Cela n'ayant pas été fait, on se retrouva très vite dans une impasse qui exacerba la crise.

    199 Accord d'Accra III, du 30 juillet 2004.

    200 Accord de Pretoria, 6 avril 2005, S/2005/279, Annexe 1.

    201 A vrai dire, comme l'explique un auteur, « il y a dans les accords une sorte de lecture imposée de la Constitution parmi toutes celles que permettent évidemment ces textes (...) bref, toute une série de conditions qui en rajoutent par rapport au texte constitutionnel et qui, à l'évidence, relèvent des choix de souveraineté ». Cf. notamment COTTEREAU (G.), « Une licorne en Côte d'Ivoire au service de la paix. Avant Marcoussis et jusqu'à la réconciliation ? », A.F.D.I., 2003, p. 197.

    202 MELEDJE (D. F.), « Faire, défaire et refaire la Constitution en Côte d'Ivoire : un exemple d'instabilité

    chronique », Communication à la Conférence sur le constitutionnalisme en Afrique, Nairobi, Avril 2007, organisé par le Réseau Africain de droit Constitutionnel.

    203 Cette demande avait été faite notamment par l'ancien Président sud-africain Thabo MBEKI en sa qualité de médiateur dans une lettre adressée aux signataires de l'Accord de Pretoria.

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    C'est alors que le Conseil de Sécurité des Nations Unies, dans une résolution prise en vertu du Chapitre VII de la Charte204, notamment la résolution 1633 du 21 octobre 2005, imposa au gouvernement en place, le respect des dispositions de l'accord de Linas-Marcoussis relatives à la révision du fameux article 35. Ce qui a donc permis à l'ancien Premier ministre Alassane OUATTARA, de se présenter à l'élection du Président de la république, en dépit des conditions fixées par la Constitution.

    Cependant la résolution de la crise ivoirienne passe non seulement par la révision de l'article 35 de la Constitution, mais aussi, fondamentalement, par l'organisation d'élections démocratiques.

    B. La question de l'organisation des élections présidentielles

    L'utilisation par le Conseil de sécurité des Nations Unies d'une résolution pour traiter d'une question relevant principalement du domaine réservé des Etats, n'est pas contraire au texte de la Charte des Nations Unies. Elle est parfaitement conforme au droit de la Charte, dès lors que la situation dont il s'agit constitue aux yeux du Conseil de sécurité lui-même, une menace contre la paix et la sécurité internationales. On remarquera ainsi que la résolution 1765 du 16 juillet 2007 constitue d'une certaine façon un de ces actes unilatéraux par lesquels le Conseil de sécurité des Nations Unies a entendu encadrer le processus électoral en Côte d'Ivoire.

    Le rôle de l'ONU dans la gestion de la crise ivoirienne a donc été déterminant jusqu'aux élections présidentielles.

    Tout d'abord, face à l'impossibilité d'organiser des élections présidentielles, alors que le mandat du Président GBAGBO était arrivé à son terme, le Conseil de sécurité des Nations Unies décida de maintenir ce dernier en fonction. Mais ce faisant, il opère une limitation temporelle d'une année à ce maintien, au bout de laquelle se dérouleront les élections205. Ces élections se déroulèrent finalement le 28 novembre 2010. Cependant, pour

    204 Le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies est relative à l'action du Conseil de sécurité en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression. Si le Chapitre VII, laisse une large marge d'appréciation au Conseil de sécurité en ce qui concerne la qualification d'une « menace contre la paix », il n'en demeure pas moins que le Conseil de sécurité agisse « pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ». Voir Article 39 de la Charte des Nations Unies.

    205 SALE (T.), « Le principe de l'exclusivité de l'Etat dans la détermination de son régime politique :

    quelle actualité au regard des mutations de l'exception terminale de l'article 2 §7 ? », in La pratique de

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    d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de la Tunisie et du Togo.

    répondre aux exigences des différents protagonistes de la crise ivoirienne, le Conseil de sécurité, dans sa résolution 1765 a donné pouvoir au Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies en Côte d'Ivoire pour certifier lesdites élections. Cette résolution affirme clairement que « les résultats des élections seront certifiés d'une façon explicite. Une fois certifiés, le Certificateur n'admettra donc pas que les résultats fassent l'objet de contestations non démocratiques ou de compromissions »206.

    Ainsi, sous l'égide de l'ONU, la parole fut donnée au peuple ivoirien pour choisir démocratiquement le nouveau dirigeant de l'Etat. La réussite de ces élections résulte donc du degré d'implication de l'ONU qui a piloté du début jusqu'à la fin, le processus électoral. L'on doit relever que cette mise sous tutelle du processus électoral ivoirien, même si elle n'est pas inédite207 reste l'exemple le plus remarquable d'une imposition de la procédure constituante par le modèle de la révision constitutionnelle dans les Etats en crise en Afrique.

    Par ailleurs, on relèvera en outre dans la résolution de cette crise ivoirienne, un renversement de l'ordre institutionnel imposé par le Conseil de sécurité.

    § 2. LE RENVERSEMENT DE L'ORDRE INSTITUTIONNEL

    Le renversement de l'ordre institutionnel ivoirien imposé par le Conseil de sécurité des Nation Unies est manifeste. En effet les prérogatives du Président de la République, Chef de l'exécutif selon la Constitution (A), ont été transférées par l'accord de Marcoussis au Premier ministre (B).

    l'exception posée par l'article 2 §7 de la Charte des Nations Unies : que reste- t- il de la clause de compétence ?, Civitas Europa, n° 17, décembre 2006, p. 176.

    206 Résolution 1765 du 16 juillet 2007.

    207 L'ONU a déjà expérimenté l'organisation et le contrôle des élections dans des situations presque

    similaires à celle de la Cote d'Ivoire. On peut en effet citer les exemples du Cambodge en 1995 et du Kossovo en 2003.

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    A. Le Président de la république ivoirienne : constitutionnellement Chef de l'exécutif

    La Constitution ivoirienne répartit clairement les compétences entre les deux têtes de l'exécutif à savoir à savoir le Chef de l'Etat et le Premier ministre. Cependant les pouvoirs du Chef de l'Etat ivoirien se présentent sous des formes diverses et variées.

    D'abord, il dispose de la totalité des compétences exécutives. En étant « détenteur exclusif du pouvoir exécutif »208, il apparait également comme le Chef de l'administration209. Dans ces conditions il assure l'exécution des lois et des décisions de justice. Il dispose du pouvoir réglementaire210. Ses actes ne sont soumis à aucun contreseing211.

    Ensuite il dispose d'importantes compétences politiques, diplomatiques et militaires. Il nomme aux fonctions politiques (dont la nomination du Premier ministre et des autres ministres)212 et aux emplois civils et militaires213. En sa qualité du Chef suprême des armées, il préside le Conseil Supérieur de la Défense214.

    Par ailleurs, en matière législative et constitutionnelle, le Chef de l'Etat dispose de certains pouvoirs, dont, l'initiative des lois215, le droit de demander une seconde délibération, le droit de prendre des ordonnances216, la défense de la Constitution et l'initiative référendaire217.

    Enfin en matière judiciaire, il dispose du droit de grâce218.

    208 Article 41 de la Constitution ivoirienne.

    209 Article 46 de la Constitution ivoirienne.

    210 Art. 44 de la Constitution ivoirienne.

    211 Le contreseing est généralement défini comme la signature apposée à coté de celle de l'auteur d'un acte, par une autorité qui authentifie la signature dudit auteur et joue ainsi le rôle de témoin de l'acte.

    212 Article 41 al. 1er de la Constitution ivoirienne.

    213 Article 46, précité.

    214 Article 47 de la constitution ivoirienne.

    215 Il partage néanmoins cette initiative avec les membres de l'Assemblée nationale, article 42 de la Constitution ivoirienne.

    216 Article 75 de la Constitution ivoirienne.

    217 Article 43 de la Constitution ivoirienne.

    218 Article 49 de la Constitution ivoirienne.

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    Face à ces nombreuses compétences du Président de la République, la Constitution, s'agissant des compétences du Premier ministre, n'a prévu qu'une seule disposition : « Le Premier ministre anime et coordonne l'action gouvernementale »219. Cette disposition est donc évocatrice d'une réalité, celle de la situation d'infériorité ou de l'état de soumission du Premier ministre au Président de la République. Cela apparaît d'ailleurs clairement à l'article 41. En effet, aux termes de cet article, le chef de l'Etat nomme le Premier ministre et les autres ministres librement. Il met tout aussi librement fin à leurs fonctions220. C'est d'ailleurs ce qui fait dire que le Premier ministre ivoirien est un Premier ministre de « déconcentration »221. Il n'est qu'un simple collaborateur chargé d'assurer l'unité gouvernementale en vue de réaliser, la politique du chef de l'Etat.

    Mais avec l'accord de Marcoussis dont le respect a été imposé par le Conseil de sécurité des nations Unies, il y a bien un renversement de la situation.

    B. Le Premier ministre ivoirien : conventionnellement Chef de l'exécutif

    Il y a, bel et bien un renversement des prérogatives du chef de l'exécutif au profit du Premier ministre, avec l'application de l'accord de Marcoussis.

    Alors que la Constitution prévoit que le premier ministre tout comme les autres ministres sont nommés par le Président de la République, en sa qualité de détenteur exclusif du pouvoir exécutif, le Conseil de sécurité, par la résolution 1633, maintient ce dernier dans sa compétence de nomination, mais subordonne celle-ci aux consultations organisées par le président de la CEDEAO et le médiateur de l'Union Africaine.222. La résolution 1633 opère donc un renversement des prérogatives, en confiant l'essentiel de

    219 Article 41 al. 1er précité.

    220 « Il nomme le Premier ministre chef du gouvernement, qui est responsable devant lui. Il met fin à ses fonctions (...) Sur proposition du premier ministre, le Président de la République nomme les autres membres du gouvernement et détermine leurs attributions. Il met fin à leurs fonctions dans les mêmes conditions ».

    221 DU BOIS DE GAUDUSSON (J.), « Quel statut pour le Chef d'Etat en Afrique ? » in le nouveau constitutionnalisme, Mélanges Gérard CONAC, p. 334.

    222 Résolution. 1633, §5. Ainsi le Conseil « Priait instamment le Président de l'Union Africaine, le Président de la CEDEAO et le médiateur de l'Union africaine de consulter immédiatement tous les partis ivoiriens en vue de la nomination (...) d'un nouveau premier ministre acceptable pour tous les partis signataires de l'Accord de Marcoussis, conformément à l'article ii du paragraphe 10 de la décision du Conseil de paix et de sécurité (...) ».

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    tous les pouvoirs et de toutes les ressources au premier ministre internationalement choisi et en confinant le Président de la République dans un rôle presqu'honorifique223.

    Cependant, ce renforcement des prérogatives va d'ailleurs s'accentuer dans le cadre d'une autre résolution du Conseil de sécurité prise le 1er novembre 2006 en vertu du Chapitre VII, sur la situation en Côte d'Ivoire : il s'agit de la résolution 1721. Reprenant donc presque de manière mécanique certaines dispositions de la résolution 1633, cette résolution impose que le premier ministre « dispose de tous les pouvoirs nécessaires, de toutes les ressources financières, matérielles et humaines requises et d'une autorité totale et sans entraves »224. Mais elle semble aller au-delà tant de la résolution 1633 que même de l'Accord de Marcoussis auxquels elle fait expressément référence. Comme le montre avec une certaine pertinence un analyste de la situation ivoirienne, « contrairement à l'accord parisien et à la résolution 1633 qui y fait renvoi à ce sujet, l'ambition clairement affichée de donner au premier ministre la prééminence au sein de l'exécutif justifia que la résolution 1721 lui octroya d'immenses pouvoirs »225. Ce faisant, le Conseil de sécurité fait du premier ministre le véritable Chef de l'exécutif, en le dégageant de sa responsabilité vis-à-vis du Président de la République tout en lui soumettant celle des ministres226

    On est alors, indiscutablement dans cette dérive parlementariste par laquelle, s'affranchissant des dispositions du texte constitutionnel, des instances internationales réaménagent la hiérarchie des pouvoirs dans l'Etat au profit d'une autorité en principe inférieure, en l'occurrence ici le premier ministre. Et on ne peut qu'être d'accord avec

    223 Idem. § 8 : souligne que le Premier ministre doit disposer de tous les pouvoirs nécessaires,

    conformément à l'Accord de Marcoussis, ainsi que de toutes les ressources financières, matérielles et humaines voulues (...).

    224 Résolution 1721, §8.

    225 AGNERO (P.M.), « La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien », R.F.D.C., n° 75, juillet 2008, p. 547.

    226

    Résolution 1721, § 6 et 7. Le Conseil « Appuie pleinement l'article iii) du paragraphe 10 de la décision du Conseil de paix et de sécurité, dans lequel il est souligné que les ministres rendront compte au Premier ministre, qui exercera pleinement son autorité sur son cabinet », et « Réaffirme combien il importe que les ministres participent pleinement au Gouvernement de réconciliation nationale, comme il ressort clairement des déclarations de son président (...), considère donc que, si un ministre ne participe pas pleinement audit Gouvernement, son portefeuille doit être repris par le Premier ministre (...) ».

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    certains lorsqu'ils évoquent à ce sujet une sorte de « parlementarisation » d'un régime pourtant présidentiel227.

    Globalement, on retiendra donc que, ayant été appliqué dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, l'accord de Marcoussis adopte le principe des petites constitutions imposées aux Etats en crise. Cependant, si ces petites constitutions sont des fois imposées aux Etats en crise comme la Côte d'Ivoire, elles peuvent être également le résultat de longues négociations comme ce fut le cas en République Démocratique du Congo.

    SECTION II. LES PETITES CONSTITUTIONS NEGOCIEES : LE CAS DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO

    Le règlement de la crise congolaise a contribué à mettre en relief la notion de petite constitution négociée, dans la résolution des crises politiques en Afrique. Inspiré de la logique d'un accord politique qui constitue le point de départ du processus constituant congolais, la Constitution de la transition congolaise apparait donc comme l'instrument juridique par lequel sera, d'une part, constitutionnaliser l'équilibre négocié à l'accord (Paragraphe 1), et d'autre part, réaliser les objectifs de la transition (Paragraphe 2).

    § 1. LA CONSTITUTIONNALISATION D'UN EQUILIBRE NEGOCIE

    La Constitution de la transition de la République démocratique du Congo (RDC) est élaborée sur la base de l'Accord global et inclusif signé à Pretoria. Cet accord constitue donc la source (A) qui a inspiré les principes fondateurs et organisationnels contenus dans la Constitution de transition (B).

    A. Les sources de la Constitution de transition de la RDC

    Tout au long de son existence, la République Démocratique du Congo aura traversé des crises politiques très graves. Ces crises vont de la remise en cause du pouvoir politique jusqu'à de longs et sanglants conflits qui débouchent quelques fois sur le démembrement et

    227 SALE (T.), « Le principe de l'exclusivité de l'Etat dans la détermination de son régime politique : quelle actualité au regard des mutations de l'exception terminale de l'article 2 §7 ? », op.cit., p. 177.

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    l'occupation de larges portions de son territoire par des troupes, souvent entretenues par des puissances étrangères.

    C'est dans ce contexte d'instabilité chronique qui caractérise ce « géant au pied d'argile »228, que suite à une seconde guerre civile, l'Accord de Lusaka pour un cessez-le-feu en République Démocratique du Congo fut signé le 19 septembre 1999. Au-delà du cessez-le-feu et du retrait des forces armées étrangères du territoire de la RDC, l'Accord de Lusaka envisageait, en son chapitre V, la convocation d'un dialogue inter-congolais en vue de l'instauration d'un nouvel ordre politique et d'une véritable réconciliation nationale en RDC.

    Le Président Joseph KABILA, qui a accédé à la présidence de la République en janvier 2001, donna un sérieux coup accélérateur aux négociations politiques dont les premières assises se tinrent à Addis-Abeba (Ethiopie) en octobre 2001. Par la suite, l'implication décisive de l'Afrique du Sud qui invitera l'ensemble des acteurs de la négociation à venir poursuivre le dialogue inter-congolais à Sun City va donner un élan décisif au processus des négociations229.

    Après l'échec des premières assises de Sun City (25 février au 18 avril 2002), une Co médiation de l'ONU et de l'Union Africaine, assurée conjointement par l'Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies pour le Dialogue inter-congolais, l'ancien Premier ministre du Sénégal, Moustapha NIASSE, et le Président Thabo MBEKI de l'Afrique du Sud, alors Président en exercice de l'Union Africaine, débouchera sur la signature à Pretoria, le 17 décembre 2002, d'un Accord global et inclusif qui devait inscrire dans son agenda l'élaboration et l'adoption d'une Constitution de transition pour organiser le processus d'une transition devant instaurer un nouvel ordre constitutionnel démocratique en RDC.

    228 MBODJ (E-H.) « La constitution de transition et la résolution des conflits en Afrique : l'exemple de la République démocratique du Congo », op.cit., p. 442.

    229 Pour des développements plus substantiels sur les négociations, voir « Dialogue Inter-congolais », Rapport du Facilitateur, décembre 2001.

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    B. Les principes fondateurs et organisationnels de la transition

    Les principes fondateurs de la transition font l'objet du point III de l'Accord global et inclusif. Ces principes sont nombreux et variés. Ils portent sur les conditions d'organisation du pouvoir et de répartition équitable des responsabilités. Il convient de relever dans ces principes, la volonté de stabiliser les institutions de la transition à travers la consécration du principe de l'irresponsabilité des principaux animateurs de la transition, à savoir le Président de la République, les Vice-présidents, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat, qui restent en fonction pendant toute la durée de la transition

    Les principes organisationnels sous-tendant la logique des institutions de la transition, trouvent leur source immédiate dans le point V de l'Accord. Cependant, la grande innovation dans cette petite constitution reste, toutefois, le partage du pouvoir à tous les niveaux de l'appareil d'Etat, conformément à l'Annexe I de l'Accord global et inclusif qui détermine les modalités pratiques de répartition des responsabilités publiques. En effet l'Annexe I de l'Accord procède à une répartition des responsabilités au sein du gouvernement230 dont tous les départements ministériels ont été déterminés dans l'Accord, et les postes affectés conformément au tableau dressé à cet effet. Le partage s'étend également au Parlement dont la structure est bicamérale231 et devrait logiquement se prolonger dans l'Administration provinciale, la diplomatie et les entreprises publiques.

    La logique de la répartition des responsabilités au sein des institutions de la transition et à tous les niveaux de l'Etat232qui s'est faite sur la base du principe de l'« inclusivité » et du partage équitable entre toutes les composantes et entités du Dialogue inter-congolais, instaure cependant un régime inconnu des systèmes constitutionnels contemporains.

    230 Il a été attribué 7 ministères et 4 postes de Vice-ministre au RCD, au MLC et à l'opposition politique, 2 ministères et 3 postes de Vice-ministre à la composante Forces vives en plus de la présidence du Sénat et des 5 institutions d'appui à la démocratie, et 2 ministères et 2 postes de Vice-ministre au RCD-ML, au RCD-N et aux Maï-Maï.

    231 Les 500 sièges de l'Assemblée nationale étaient ainsi répartis: 94 à chacune des 5 composantes, 15 au RCD-ML en proie à des scissions, 5 au RCD-N et 10 aux Maï-Maï. Au Sénat composé de 120 sénateurs, la répartition était de 22 sénateurs pour chacune des 5 composantes, 4 au RCD-ML, 2 au RCD-N et 4 aux Maï-Maï. La composition des bureaux de l'Assemblée nationale -- présidée par le MLC -- et du Sénat -- présidé par la Société civile -- était égalitaire car les 5 composantes et les 3 entités avaient chacune une responsabilité.

    232 Seuls les cours et tribunaux avaient échappé à la logique du partage pour préserver la stabilité des situations juridiques même si le point V.3.b. de l'Accord global et inclusif stipulait que l'organisation du pouvoir judiciaire sera déterminée dans la Constitution de la transition et dans une loi.

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    L'originalité du système constitutionnel de la transition résidait toutefois dans l'aménagement institutionnel de la formule du 1+4 employée pour rendre compte de la structuration de la présidence de la République composée d'un Président de la République et de quatre Vice-présidents233. A côté de la sphère présidentielle évolue un gouvernement de la transition composé de membres nommés par le président de la République sur proposition des composantes et entités dont ils sont les représentants au sein de l'exécutif.

    Le gouvernement est une institution collégiale composée de ministres et de vice-ministres émanant des composantes et entités du dialogue inter-congolais. Cette institution collégiale n'est formellement pas placée sous l'autorité d'un chef de gouvernement. Le Président de la République est bien le chef de l'Etat, mais la Constitution de transition ne fait pas de lui le chef du Gouvernement même si, virtuellement, il l'est du fait des pouvoirs d'exécution qui lui sont confiés par la Constitution.

    § 2. LA REALISATION DES OBJECTIFS DE LA TRANSITION

    L'Accord global et inclusif dont la Constitution de transition fait partie intégrante, a fixé comme objectif primordial, l'adoption des lois essentielles à l'organisation des élections (A), devant permettre à la RDC de sortir de la crise (B).

    A. L'adoption des lois essentielles à l'organisation des élections

    Les institutions de la transition sont assujetties à des objectifs visant à restaurer la paix et l'ordre constitutionnel normal. La Constitution de la transition de la RDC n'en fait pas exception.

    Traduction et instrument juridiques d'un accord politique sur la base duquel elle a été élaborée, cette Constitution vise à concrétiser les objectifs assignés aux institutions de la

    233 Les 4 commissions gouvernementales sont: -- La Commission politique, défense et sécurité, présidée par RUBERWA Azarias, le Secrétaire général du RCD, s'occupe de toutes les questions politiques et celles relatives à la défense du territoire national et à la sécurité des personnes et des biens; -- La Commission Economique et Financière placée sous l'autorité de BEMBA Jean Pierre (MLC) assume la responsabilité des problèmes relatifs à l'économie, aux finances et à la monnaie nationale; -- La Commission pour la Reconstruction et le développement dirigée par Abdoulaye Yerodia NDOMBASI (PPRD) nommé par la composante « Gouvernement» veille sur les infrastructures; -- La Commission sociale et culturelle présidée par Zahidi NGOMA de la composante « Opposition politique» s'occupe de tous les affaires afférentes au développement éducatif, sanitaire, social et culturel de la RDC.

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    transition notamment la mise en place de conditions juridiques et matérielles permettant l'organisation d'élections transparentes et sincères. La feuille de route imposait donc à ces institutions de la transition, l'adoption de lois essentielles devant être mises en oeuvre durant la transition afin d'éviter un vide constitutionnel à l'expiration de cette période.

    Au terme du processus, les institutions de la transition se sont révélées performantes dans leur ensemble en ce sens que toutes les lois essentielles234, à l'opposé d'autres lois non essentielles à l'organisation des élections 235 ont été laborieusement votées par le Parlement et promulguées par le Président de la République.

    Toutes ces lois participent à la mise en place d'un dispositif permettant à la République Démocratique du Congo de faire un grand bond en avant en direction de la modernisation de son système politique.

    L'autre objectif primordial de la Constitution de la transition portait sur la durée même de la transition. Cette question est vitale car l'Accord global et inclusif et la Constitution de la transition avaient prévu une période à l'expiration de laquelle toutes les dispositions arrêtées devraient logiquement tomber caduques.

    B. La sortie de crise

    La durée de la transition est fixée par l'Accord global et inclusif et l'article 196 de la Constitution de la transition qui posent un principe assorti d'une exception.

    Conformément aux stipulations combinées du point IV de l'Accord de Pretoria et l'article 196, alinéa 1er de la Constitution de la transition, la durée de la transition est fixée à 24 mois. Elle court à compter de l'investiture du gouvernement de la transition et prend

    234 Ces lois essentielles sont: la loi organique no 04/009 du 5 juin 2004 portant organisation, attributions et fonctionnement de la Commission Électorale Indépendante, la loi organique no 04/24 du 12 novembre 2004 relative à la nationalité congolaise, la Loi no 04/028 du 24 décembre 2004. portant identification et enrôlement des électeurs, le projet de Constitution, la loi no 05/010 du 22 juin 2005 portant organisation du Référendum constitutionnel en République Démocratique du Congo, la loi no 006 du 9 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales en République Démocratique du Congo.

    235 Ainsi, en dehors de la Haute Autorité des Médias qui intervient dans la régulation de la couverture médiatique des campagnes référendaires et électorales, les autres institutions d'appui à la démocratie ont été quasiment marginalisées et d'ailleurs elles n'ont pas été reconduites dans la nouvelle Constitution.

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    fin à l'investiture du Président de la République élu à l'issue des élections marquant la fin de la période transitoire en RDC.

    Ces stipulations appellent un certain nombre de remarques concernant la computation du délai de la transition. Le délai court à compter du 30 juin 2003, correspondant à l'installation du gouvernement de la transition236, et expire le 30 juin 2005. Seulement, la date d'expiration n'était pas rigide en ce sens que les négociateurs avaient prévu une possibilité de prolongation dans les conditions fixées par l'article 196, alinéa 2 de la Constitution de la transition.

    Tout l'édifice de la transition s'écroule alors si, après trente-six mois de transition au maximum, le nouvel ordre constitutionnel n'est pas installé. Il en résulterait un vide juridique. Cependant, toutes les parties étaient conscientes que le calendrier prévisionnel de tenue des élections ne pouvait être rigoureusement respecté pour sortir le pays de la transition à la date du 30 juin 2005. Il fallait alors faire « avaler la pilule» de la prolongation à une population sceptique par une série d'actes posés en direction des élections de sortie de crise. La confiance au processus de sortie de crise tel qu'il se déroulait avec le soutien de la communauté internationale a amené l'Assemblée nationale et le Sénat à voter une décision conjointe de prolongeant la transition jusqu'au 30 juin 2006.

    D'ailleurs, la Constitution de transition avait aménagé elle-même les conditions de son dépérissement en son article 205 au terme duquel « la Constitution de la Transition cesse de produire ses effets à l'entrée en vigueur de la Constitution adoptée à l'issue de la transition ». La transition a définitivement pris fin avec l'installation des sénateurs, après celle de l'assemblée nationale et celle du Président de la République, contrairement au scénario envisagé par l'Accord global et inclusif et la Constitution de la transition.

    236 Si la désignation des 3 Vice-présidents émanant des formations combattantes n'avaient pas soulevé de difficultés particulières majeures, même si au RCD le Secrétaire général RUBERWA avait été désigné Vice-président à la place du Docteur ONUSUMBA qui était en ce moment le président du RCD, il en fut autrement de l'opposition civique où face au refus de TSHISEKEDI d'intégrer le processus de transition, Arthur Zaïdi NGOMA fut porté à la Vice-présidence. Les 500 députés et les 120 sénateurs furent cooptés par leurs composantes conformément au tableau de répartition figurant à l'Annexe I de l'AGI. Après moult tractations, le gouvernement de la transition fut nommé et investi le 30 juin 2003 marquant l'entrée en vigueur du régime de la transition en RDC.

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    La petite constitution de la RDC a donc permis de résoudre un problème en prescrivant une thérapie très efficace, à savoir le recours au droit considéré par les signataires d'un accord politique comme une valeur refuge pour sortir le pays de ses crises récurrentes. La Constitution de la transition « légalise en quelque sorte un état de fait qui résulte de l'équilibre existant à un moment donné »237 entre les forces combattantes et non combattantes de la RDC.

    237 Cf. BURDEAU (G.), « Une survivance: la notion de Constitution », in L'évolution du droit public, Etudes en l'honneur d'Achille MESTRE, Sirey 1956, p. 53.

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    CONCLUSION

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    Toute analyse des petites constitutions révèle à coup sûr une évidence essentielle : quelle que soit leur forme, elles participent à la détermination d'un droit constitutionnel des circonstances exceptionnelles. Mais, constituent-elles pour autant des normes juridiques à part entière ?

    La première partie de la présente étude a le mérite de saisir le coeur de la question dans une vision théorique, c'est-à-dire en s'attachant à décrire, l'instrument que constituent les petites constitutions, à travers leur nature et leurs fonctions. Ainsi est-il paru important, dans cette analyse théorique, d'insister sur leur aspect normatif. L'étude de cet aspect a donc montré que celles-ci conservent une nature juridique controversée due à leur déficit de légalité parce que défiant toute logique des mécanismes du positivisme classique238. Cependant, cette controverse ne cache pas pour autant la singularité qui leur est attachée faisant d'eux une norme « sui generis »239.

    Aussi est-il clairement apparu que, quelque pertinentes qu'elles soient dans les processus de transition constitutionnelle et de résolution des crises en Afrique, les petites constitutions assurent lors du passage entre deux ordres juridiques, un certain degré de formalisation de la production normative, et organisent les rapports entre les pouvoirs publics pendant les périodes de transition ou de la crise.

    Cependant, toute étude sur les petites constitutions, pour utile qu'elle soit, reste handicapée si elle est uniquement consacrée à une analyse théorique. Il faut nécessairement dépasser cette analyse théorique pour s'intéresser à la pratique qui en est faite par les acteurs politiques, afin de mesurer leur efficacité.

    La deuxième partie relative à la typologie des petites constitutions, s'est donc appesantie sur leur aspect pratique à partir des cas congolais, ivoirien, tunisien et togolais. Cette analyse pratique a donc, l'avantage d'établir une classification de ces textes sur un critère fondé sur l'identité du pouvoir constituant provisoire qui peut être « national » ou « international ». En effet, l'élaboration des petites constitutions, si elle n'intervient pas

    238 Nous nous référons principalement à la théorie de KELSEN et précisément au normativisme juridique pour qui, la création d'une norme doit être déterminée par une autre norme pour faire partie de l'ordre juridique, ce qui ne correspond pas a la nature des petites constitutions.

    239 Terme latin qui signifie : « de son propre genre ».

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    dans le cadre d'une procédure constituante interne, reste marquée du sceau de la communauté internationale dans le cadre d'une procédure constituante extérieure.

    Cependant, comme nous l'avons montré tout au long de cette étude, les processus constituants des Etats en crise en Afrique cherchent leur légitimité soit, dans la continuité avec l'ordre juridique précédent (cas de la Tunisie), soit dans la rupture avec ce dernier (cas du Togo), ou soit, dans l'extranéité supranationale à travers la quête de crédibilité du processus mais aussi de son acceptabilité par la communauté internationale (cas de la Côte d'Ivoire et de la République Démocratique du Congo).

    Toutefois, les Etats objet de cette étude permettent de voir que le « renouveau du constitutionnalisme a besoin d'être enraciné »240. Ceci passe inéluctablement par des Constitutions dont les dispositions sont acceptables par tous. Certes, à l'instar du cas togolais, les transitions africaines durant la période dite « d'inflation démocratique» ou « d'euphorie constitutionnelle »241, n'ont pas été d'une grande réussite, parce que, ayant accouché des Constitutions qui aujourd'hui passent difficilement l'épreuve de leur mise en application : des « Constitution de l'urgence »242, le plus souvent « influencées par des modèles à la pertinence insuffisamment expertisée et rédigées sous l'emprise de la nécessité pour tenter de relever sur-le-champ des défis exceptionnels »243.

    Mais, l'approche par les petites constitutions s'avère toujours pertinente, en ce sens que ces dernières facilitent la compréhension des enjeux juridiques et politiques par une majorité de citoyens et assurent l'adéquation de la Constitution définitive au contexte socio-politique et historique des Etats244. Le cas tunisien en est une illustration de fierté245.

    240 KPODAR (A.), « Politique et ordre juridique : les problèmes constitutionnels posés par l'accord de Linas-Marcoussis du 23 janvier 2003 », op.cit.

    241 DU BOIS DE GAUDUSSON (J.), « Défense et illustration du constitutionnalisme en Afrique après

    quinze ans de pratique du pouvoir », in le renouveau du droit constitutionnel, Mélanges en l'honneur de Louis FAVOREU, Paris, Dalloz 2007, op.cit., p. 623.

    242 ZAKI (M.), « Petite constitution et droit transitoire en Afrique », p. 1669, op.cit.

    243 Alioune SALL relève à cet égard que « dès le début des années quatre-vingt-dix (...) les constitutions ont été abrogées ou modifiées en Côte d'Ivoire (avril 1991), au Rwanda (mai 1991) au Burkina Faso (juin 1991), en Mauritanie (juillet 1991), au Mali (août 1991), au Sénégal (octobre 1991), au Congo (mars 1992), à Madagascar (août 1992), à Djibouti (septembre 1992), au Niger (décembre 1992) », in « Processus démocratique et bicéphalisme du pouvoir exécutif en Afrique noire francophone: un essai de bilan», Nouvelles Annales Africaines, no2-2008, p. 210.

    244 Voir en ce sens ZAKI (M.), « Petite constitution et droit transitoire en Afrique », op.cit., p. 1672.

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    Au surplus, on retiendra de cette étude, que le phénomène des petites constitutions en Afrique, notamment avec les accords politiques, doit être pris au sérieux. En effet ces derniers déconstruisent l'ordre juridique existant en créant en période de crise, un nouveau droit constitutionnel, en marge de la norme officielle246. Ainsi, les petites constitutions sont-elles des vraies Constitutions247.

    Cependant, même si le fait que ces petites constitutions en principe exceptionnelles soient devenues si courantes sur le continent constituerait un phénomène propre à inquiéter l'observateur averti248, elles participent à l'ouverture d'une nouvelle réflexion sur la théorie constitutionnelle africaine avec en toile de fond la problématique de savoir si en Afrique la Constitution n'est pas en dehors de la Constitution249. La présente étude n'a pas la prétention d'y répondre, mais de prolonger la réflexion.

    245 La Tunisie a réussi par le biais de la Loi constituante no2011-6, à adopter une constitution démocratique très progressiste et surtout à organiser la première élection présidentielle libre et démocratique de son histoire.

    246

    Sur ce point, il faut relever que le débat sur la valeur respective des normes constitutionnelles et des normes internationales, ou celles adoptées sous les auspices de la communauté internationale, revient assurément sur le devant de la scène doctrinale. Certains considèrent que la Constitution doit prévaloir parce qu'elle n'est pas abrogée. D'autres au contraire soutiennent que le Chef de l'Etat ou ses représentants, en signant des conventions politiques anticonstitutionnelles par certaines de leurs dispositions, reconnaissent par conséquent le déclassement de la norme constitutionnelle au profit de normes politiques adoptées sur la base du consensus. Cette controverse traduit, en arrière-plan, la polémique qui enfle dans l'opinion publique à ce sujet. En Côte d'Ivoire par exemple, le président Laurent GBAGBO et ses partisans estimaient que force devait rester à la Constitution, réaffirmant ainsi sa prépondérance sur les normes internationales, ou celles marquées du sceau des instances internationales. En revanche, les adversaires du président GBAGBO récusaient cette position et considéraient plutôt les accords politiques comme prépondérants sur les normes internes ivoiriennes, par référence à l'intervention de la communauté internationale dans la procédure d'élaboration de ceux-ci. Mieux, les différentes résolutions onusiennes qui ont été prises dans le cadre de cette crise ont été davantage perçues comme des normes supra-constitutionnelles.

    247 C'est la véritable conclusion de la présente étude.

    248 C'est tout simplement parce que la logique juridique aurait consisté plutôt à régler les crises dans le cadre de la normativité constitutionnelle que dans le cadre des compromis politiques.

    249 En Afrique, les règles de fonctionnement et d'exercice du pouvoir politique sont, des fois, en dehors de la norme fondamentale, parce que gérées par des accords politiques. D'où la problématique.

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    - Accord d'Accra III du 30 juillet 2004 sur la Côte d'Ivoire

    - Accord politique global du 20 Août 2006 (Togo)

    - Accord de paix de Ouagadougou du 04 mars 2007 sur la crise ivoirienne

    - Accord de Pretoria du 17 décembre 2002 (RDC)

    - Accord global et inclusif de Pretoria signé le 16 décembre 2002 entre le gouvernement congolais, les différentes factions rebelles en République Démocratique du Congo, l'Opinion politique et les Forces vives

    - Accords de Libreville du 11 janvier 2013 (République centrafricaine)

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    TABLE DES MATIERES

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    RESUME ET MOTS-CLES V

    SOMMAIRE VII

    LISTE DES ABREVIATIONS ET SIGLES IX

    INTRODUCTION 1

    PARTIE I. LA CONCEPTION JURIDIQUE DES PETITES CONSTITUTIONS 13

    Chapitre I. La juridicité des petites constitutions 15

    Section I. Une nature juridique discutée 15

    § 1. La contestation d'une nature juridique orthodoxe 16

    A. Les arguments fondés sur la légalité 16

    B. Les arguments fondés sur la légitimité 18

    § 2. L'affirmation d'une catégorie juridique hétérodoxe 20

    A. La particularité de la nature juridique des petites constitutions 20

    B. La force juridique des petites constitutions 22

    Section II. Une valeur constitutionnelle avérée 23

    § 1. Le fondement de la valeur constitutionnelle des petites constitutions 24

    A. L'abandon de la forme dans la reconnaissance d'une valeur constitutionnelle

    des petites constitutions 24

    B. La prise en compte de l'objet des petites constitutions dans la reconnaissance

    d'une valeur constitutionnelle 26

    § 2. La manifestation de la valeur constitutionnelle 27

    A. La suprématie normative des petites constitutions 27

    B. L'attitude du juge constitutionnel à l'égard des petites constitutions 29

    Chapitre II. Les fonctions des petites constitutions 31

    Section I. L'assurance de la continuité de l'Etat 31

    § 1. Au plan juridique : l'organisation de la transition constitutionnelle 31

    A. La formalisation de l'ordre juridique provisoire 32

    B. L'encadrement de la procédure constituante 33

    § 2. Au plan politique : l'organisation des pouvoirs politiques de la transition 35

    A. L'institution d'un exécutif régulier de transition 35

    B. La détermination de l'organe législatif 36

    Section II. La résolution des crises politiques 37

    § 1. L'incapacité des Constitutions existantes à juguler les crises politiques 38

    A. Les lacunes des Constitutions existantes 38

    B. La perte de confiance des acteurs politiques à l'égard des Constitutions

    existantes 39

    § 2. La réadaptation des constitutions existantes aux crises politiques par les

    petites constitutions 40

    A. La création d'un droit constitutionnel circonstanciel 41

    B. La sauvegarde de la Constitution existante 42

    PARTIE II. LA TYPOLOGIE DES PETITES CONSTITUTIONS 44

    Chapitre I. Les petites constitutions issues d'un pouvoir constituant national 47

    Section I. Les petites constitutions de rupture : le cas du Togo 48

    96

    Mémoire Master II - Les petites constitutions en Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de la Tunisie et du Togo.

    § 1. La discontinuité au niveau des institutions 48

    A. La refondation de l'exécutif 49

    B. La restauration des pouvoirs de l'organe législatif 50

    § 2. La discontinuité au niveau des textes 52

    A. L'abrogation des lois en vigueur 52

    B. La consécration des droits et libertés 53

    Section II. Les petites constitutions de continuité : le cas de la Tunisie 55

    § 1. Première phase de la transition : l'amorce de la continuité 55

    A. La transmission des pouvoirs au président par intérim conformément à la

    Constitution de 1959 : le recours à l'article 57 55

    B. L'adoption du décret-loi du 23 mars 2011 par le président intérimaire : une première petite constitution émanant d'un organe de l'ordre constitutionnel

    précédent 57

    §2. Deuxième phase de la transition : l'avatar de la continuité 59

    A. L'élection de l'Assemblée Nationale Constituante : la rupture avec l'ordre du

    23 mars 2011 59

    B. La Loi constituante n°2011-6 par l'ANC: une deuxième petite constitution

    émanant d'un organe élu directement par le peuple 60

    Chapitre II. Les petites constitutions issues d'un pouvoir constituant

    international 63

    Section I. Les petites constitutions imposées : le cas de la Cote d'ivoire 64

    § 1. La résolution des problèmes posés par la Constitution en vigueur 64

    A. La question de l'éligibilité à la fonction présidentielle 64

    B. La question de l'organisation des élections présidentielles 66

    § 2. Le renversement de l'ordre institutionnel 67

    A. Le Président de la république ivoirienne : constitutionnellement Chef de

    l'exécutif 68

    B. Le Premier ministre ivoirien : conventionnellement Chef de l'exécutif 69

    Section II. Les petites constitutions négociées : le cas de la république démocratique

    du Congo 71

    § 1. La constitutionnalisation d'un équilibre négocié 71

    A. Les sources de la Constitution de transition de la RDC 71

    B. Les principes fondateurs et organisationnels de la transition 73

    § 2. La réalisation des objectifs de la transition 74

    A. L'adoption des lois essentielles à l'organisation des élections 74

    B. La sortie de crise 75

    CONCLUSION 78

    BIBLIOGRAPHIE 82

    TABLE DES MATIERES 94






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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite