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Sculpture et vidéo, modes de fabrication et présentation : le processus d'une coalescence des formes.

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par Kevin Fouasson
Université Rennes 2 - Master 2 Arts Plastiques 2012
  

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La forme comme palimpseste.

Suite à ces deux descriptions du travail sculptural et du travail vidéo, on constate qu'il existe des procédés et des opérations plastiques communes à ces médiums tels que je les pratique.

Ainsi, ces opérations se retrouvent-elles au sein de deux processus principaux, consistant dans un premier temps à user des spécificités matérielles des médiums employés, et dans un second temps à effectuer des opérations de retour sur l'objet façonné: re-filmer et remonter la vidéo; retoucher, recouvrir ou gratter la surface de la sculpture après séchage.

Il convient donc de considérer l'image vidéo comme un matériau à part entière, au même titre que l'argile servant de matière première à la sculpture; et tout comme l'argile, la matière vidéo peut être travaillée, modelée, abîmée. Cette matière vidéo présente des caractéristiques qui lui sont propres, et qui se manifestent sous deux formes dominantes : temporelle et spatiale. Ainsi, l'image produite relève des perpétuelles fluctuations et rencontres entre ces deux registres. L'image vidéo n'est donc jamais arrêtée, jamais vide, elle est le produit d'un flux continu. Françoise Parfait indique, dans son ouvrage Vidéo: un art contemporain, que « l'image vidéo est travaillée dans sa nature même et dans sa structure par des microphénomènes d'apparition et de disparition qui font qu'à aucun moment elle n'est fixe et entière. L'image vidéo est toujours disparaissante1 ».

Et elle va plus loin en posant l'idée d'une matière vidéo indépendante de toute idée d'image ou de figuration, sorte de magma pictural:

« L'image vidéographique préexiste à toute représentation mimétique qu'elle pourrait figurer : c'est l'écran de neige qui apparaît dès que l'écran s'allume, dès que le dispositif (télévision ou caméra) est branché, lorsque les programmes sont terminés mais que la machine reste activée. Cette neige électronique, véritable matrice vibratile, potentiellement pleine de toutes les images du monde, figure un état primitif de l'image, un état de celle-ci avant sa réalisation en tant qu'apparence: la neige comme devenir-image, élément, aliment dont sera faite la chair de l'image2

Ces propos montrent bien qu'une approche de la vidéo en tant que matériaux est possible; et même que l'on peut considérer le signal zéro de l'image vidéo, ce que Françoise Parfait appelle la neige électronique, comme l'état original de cette matière aux capacités de mutations infinies.

On peut faire ce constat, d'un traitement de la vidéo en tant que matière, dans la vidéo de Pi-pilotti Rist, I'm Not The Girl Who Misses Much de 1986. Cette célèbre vidéo-performance montre l'artiste se mettant en scène. Maquillée et habillée d'une robe noire laissant apparaître sa poitrine, elle entame une danse gesticulante devant l'objectif fixe de la caméra.

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Ce qui nous intéresse ici ce n'est pas le sujet de la vidéo, mais sa facture, son rendu plastique: l'aspect flou des images donne l'impression de voir la danseuse à travers un voile. Les couleurs virent parfois à la monochromie criarde, l'image accélère et ralenti, donnant à la danseuse l'aspect d'un pantin s'agi-tant frénétiquement. De plus, il faut noter que la bande vidéo semble de mauvaise qualité ce qui nous renvoie à l'aspect construit de l'image vidéo.

Pipilotti Rist

I'm Not The Girl Who Misses Much, 1986, vidéo monocanal, couleur, son, 5'00.

Cette mauvaise qualité, et ce voile flou qui semble jeté sur l'image ne sont pas les seuls éléments perturbateurs qui viennent altérer la qualité plastique de la vidéo. Ces perturbations se manifestant par des stries horizontales qui traversent l'image de haut en bas tout en la déformant et en modifiant les couleurs. Elles témoignent d'un procédé d'accélération imposé à la bande vidéo, cette accélération étant aussi perceptible dans le son aigue de la voix de l'artiste. Et c'est le son qui vient également perturber le flux vidéo et déformer l'image du corps de l'artiste : alors que l'artiste, toujours en accéléré, continue de chanter et de danser, l'image se fige en suivant de gauche à droite l'évolution en dents de scie d'une courbe qui semble inscrire sur l'image - à la manière d'un oscilloscope - les effets du son de la voix de l'artiste; cette perturbation entrainant une nouvelle déformation de l'image.

Enfin, il faut noter que ces manifestations déformatrices qui interviennent dans l'image, s'inscrivent dans la durée de la vidéo, comme pour mieux la rythmer; lorsque l'image est entièrement griffée et figée dans sa difformité, un retour sur l'image originelle est immédiatement opéré, et cette nouvelle

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image subit le même sort que la précédente. Cette logique d'altération de l'image, jusque dans une exagération par la répétition des parasitages et des déformations entraînés par la superposition de manifestations sonores et picturale, nous montre de manière presque obscène, les dessous de l'image vidéo. Avec I'm Not The Girl Who Misses Much, Pipilotti Rist semble donc s'amuser à malmener la matière vidéo dans le but de révéler au spectateur les propriétés relevant de la matérialité de ce médium.

Ainsi, les actions plastiques analogue produisent des images vidéo et sculpturales aux multiples couches superposées et à l'aspect altéré, qui mettent en évidence la matérialité propre aux deux médiums. Ces deux images instaurent donc un lien entre elles non seulement par l'usage de procédés plastiques analogues, mais aussi et surtout par l'effet obtenu, et grâce auquel nous pouvons les considérer en tant qu'images relevant d'une logique du palimpseste.

A l'origine, le terme palimpseste, provenant du grec « Palimpsêstos, gratté pour écrire de nouveau, de palin, de nouveau, et psan, gratter », est utilisé pour désigner un « manuscrit sur parchemin d'auteurs anciens que les copistes du Moyen Age ont effacé, puis recouvert d'une seconde écriture, sous laquelle l'art des modernes est parvenu à faire reparaître en partie les premiers caractères 3. » Ainsi, un palimpseste se présente sous la forme d'une accumulation de textes ou de dessins résultant d'une succession de recouvrements des couches inférieures. Cette accumulation altère donc l'utilité première du parchemin, qui est d'être le support d'une écriture lisible.

Mais si l'objet, de par cette accumulation de signes, en trouve son utilité première annulée, et son statut altéré, il présente néanmoins une mine d'indices superposés nous renseignant sur l'élaboration chronologique qui en a fait un palimpseste.

De la même façon, dans la vidéo comme dans la sculpture, la superposition des images, ou l'accumu-lation de couches de matière vient altérer l'uniformité et la lisibilité de l'objet tout en nous offrant la possibilité, par l'observation de leur rendu plastique, de juger de leurs procédés de fabrication.

La forme comme palimpseste pose donc la question du médium, de ses atouts, de ses limites, de ses effets, mais elle interroge également notre rapport à l'image. Que dit-elle d'autre qu'une image lisse, qu'une image propre?

C'est à travers l'étude des oeuvres du peintre et sculpteur américain Cy Twombly 4, que Roland Barthes apporte une analyse de ce procédé employé par l'artiste consistant en des tentatives de recouvrement et de dissimulation de formes par d'autres , et qu'il nomme la salissure.

« La salissure : j'appelle ainsi les traînées, de couleur ou de crayon, souvent même de matière indéfinissable, dont Twombly semble recouvrir d'autres traits, comme s'il voulait les effacer, sans le vouloir vraiment, puisque ces traits restent un peu visibles sous la couche qui les enveloppe; c'est une

3 Emile Littré, Le nouveau Petit Littré, Paris, Editions Garnier, 2009, p.1439.

4 « Depuis plus d'un demi siècle, Twombly «écrit» la peinture. Les traits hâtifs qu'il inscrit à la surface, sou-

vent de façon parcellaire, rehaussés de collages ou de crayon de couleur, établissent une tension, comme si la peinture ne pouvait supporter son accomplissement. »

Alfred Pacquement, Cy Twombly, cinquante années de dessins, catalogue d'exposition, Paris, Gallimard/ Centre Pompidou, 2004, p.13.

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dialectique subtile: l'artiste feint d'avoir « raté » quelque morceau de sa toile et de vouloir l'effacer; mais ce gommage, il le rate à son tour; et ces deux ratages superposés produisent une sorte de palimpseste: donnent à la toile la profondeur d'un ciel où les nuages légers passent les uns devant les autres sans s'annuler5».

Il n'est sans doute pas anodin que Barthes emploie le terme de salissure pour désigner les opérations formelles de Twombly dans sa peinture. En effet, le mot salissure désigne non pas ce qui est sale, mais ce qui salit, c'est à dire ce qui rend sale, ce qui détériore et qui avili. L'action de Twombly s'inscrit donc bien dans cette détérioration des formes en cela qu'il ne mène pas son geste de recouvrement jusqu'au bout, et demeure dans une indétermination du résultat. On voit ce qu'il est censé dissimuler autant que ce qui est sensé être dissimulé. Là encore, le rendu pictural final témoigne des opérations plastiques de l'artiste.

Pour Barthes, ces formes altérées sont porteuses d'un discours sur elle-même, et il explique que « le fait, dans sa pureté, se définit mieux de n'être pas propre. Prenez un objet usuel : ce n'est pas son état neuf, vierge, qui rend le mieux compte de son essence ; c'est plutôt son état déjeté, un peu usé, un peu sali, un peu abandonné: le déchet, voilà où se lit la vérité des choses6

Et cette « vérité des choses » dont parle Roland Barthes, n'est autre que la somme des procédés constituants précisément la genèse de ces choses. C'est en cela que l'objet impur, abîmé et usé, qui nous dévoile sa trame ou ses entrailles, se rapproche de l'image palimpseste qui, par sa nature même révèle ses procédés de fabrication. A travers notre regard, l'essence de l'image ou de l'objet se ressentirait donc bien plus s'ils ne sont pas vierges, mais s'ils sont, au contraire, porteurs de stigmates révélateurs - de leur fabrication ou de leur utilisation.

Ce statut fragile - celui de l'objet abîmé et dont l'aspect pourtant enlaidi lui confère des airs d'honora-bilité - d'ordinaire concédé aux objets anciens, détériorés par le temps et l'usage, tels que les parchemins palimpsestes; est ici directement attribué et appliqué comme mode de production à des oeuvres, qu'elles soient vidéo, picturales ou sculpturales.

Mais si l'aspect quelque peu repoussant de ces images témoigne de leurs processus et de leurs procédés de fabrication, il a une dernière fonction, qui est la mise en évidence des matériaux qui les composent. Dans la vidéo de Pipilotti Rist, le rendu plastique de l'image témoigne tout autant des procédés et des effets imposés à l'image (montage, modification de la durée, du son et de la couleur), que du matériau que constitue cette image vidéo en tant que flux malléable.

Et il en va de même dans la peinture de Twombly, où « ses modes opératoires font la part belle à tout ce qui est écorné, arraché, ridé, froissé, chiffonné, mâchouillé et maculé. Ses instruments eux-mêmes forment une panoplie rocambolesque de créateur d'art, aussi éloignée que possible de tout ce qui concourt à la mystique esthétique : crayons 4H de supermarché, stylos à bille, pastels gras et peinture industrielles7

5 Roland Barthes, L'obvie et l'obtus, Essais critiques III, Sagesse de l'art, Paris, Editions Du Seuil, collection

« Tel Quel », 1982, p.165.

6 Ibid.

7 Alfred Pacquement, Cy Twombly, cinquante années de dessins, op. cit., p.27.

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Cy Twombly

Sans titre, 1957, peinture industrielle et mine de plomb sur papier, 69 x 98,3 cm.

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Cy Twombly

Apollo and the artist, 1975, peinture à l'huile, pastel gras, mine de plomb et collage sur papier, 142 x 128 cm.

Mars and the artist, 1975, peinture à l'huile, pastel gras, mine de plomb et collage sur papier, 142 x 128 cm.

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Twombly, de part son processus de création, permet donc au spectateur se trouvant devant le tableau, de mener son enquête en observant les formes figurées, et d'en déduire les matériaux et les outils graphiques utilisés par le peintre.

« L'art de Twombly consiste à faire voir les choses: non celles qu'il représente (c'est un autre problème), mais celles qu'il manipule : ce peu de crayon, ce papier quadrillé, cette parcelle de rose, cette tâche brune », précise Barthes, en concluant qu'une telle démarche artistique a pour effet de « de faire apparaître, toujours, en toutes circonstances (en n'importe qu'elle oeuvre), la matière comme un fait (pragma)8

L'image palimpseste se perçoit donc ici comme abîmée, usée par une action qui s'inscrit dans le temps, où l'accumulation de strates, sous forme de retours et d'ajouts, a pour effet premier une mise en avant des matériaux employés.

Alors qu'il est généralement admis que le procédé « doit être une genèse effacée par la belle apparence de l'oeuvre sous peine d'être dévalué comme `ficelle' 9», la forme comme palimpseste révèle et affirme par son aspect esthétique sa propre genèse. La logique du palimpseste, c'est celle d'un dévoilement des procédés, des actions de l'artiste. L'image palimpseste est donc une image qui témoigne, qui montre son essence et sa vérité dans son altérité.

La matière, qu'elle soit terre ou lumière, s'offre à nous en tant que corps mutilé, et nous invite à considérer l'aspect fragmenté et malmené de l'image palimpseste. Sculptures et vidéos s'affirment donc comme des formes résidant dans un état de fragilité constant. La matière vidéo, comme l'argile, s'expose comme matière fluctuante et instable, toujours en proie à de possibles variations et altérations. Ces formes arrêtées, figées dans leur évolution, témoignent d'un processus ambigu, où l'on ne sait plus très bien si elles étaient en train de se construire ou de se détériorer.

8 Roland Barthes, L'obvie et l'obtus, Essais critiques III, Sagesse de l'art, op. cit., p.164.

9 Etienne Souriau, Vocabulaire d'esthétique, Paris, Presses Universitaires de France, Editions Quadrige,

2010, p.1240.

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