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Singularité des NTIC en Afrique noire : une illustration à  travers le téléphone portable dans la ville de Lomé (Togo).

( Télécharger le fichier original )
par Napo Mouncaïla GNANE
Université de Lomé - DEA 2010
  

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1.7.2-NTIC et développement en Afrique

L'introduction et la diffusion des NTIC en Afrique a suscité chez de nombreux auteurs un éventail de point de vue sur la contribution de celles-ci au développement de l'Afrique. L'on peut regrouper les recherches réalisées à ce sujet en deux groupes : d'un côté ceux qui estiment que les NTIC contribuent de façon significative au développement du continent noir, et de l'autre, ceux qui militent pour le pessimisme technologique.

1.7.2.1-Déterminisme technologique ou technocentrisme

L'introduction des TIC en Afrique a développé chez bien d'auteurs, l'idée selon laquelle l'utilisation de ces technologies a sensiblement amélioré ou même transformé certains domaines de la vie sociale sur ce continent (éducation, santé, économie, politique...).

Dans un dossier spécial d'Afrique Report consacré aux TIC en Afrique, Norbrook (Alzouma, op.cit) écrit par exemple que La Banque Mondiale estime qu'une hausse de 10% du taux de pénétration du téléphone mobile entraîne une croissance du PIB de 0,6%, mettant à jour la stimulation énorme en termes de productivité que les technologies de communication modernes apportent à une économie. Ceci constitue un véritable levier économique et un facteur de réduction de la pauvreté.

Toujours dans le domaine économique, Tall (2004) après analyse du paysage des TIC au Sénégal constate que le téléphone mobile a favorisé la connexion de la famille élargie particulièrement dans les régions rurales de ce pays. Les échanges (notamment financiers) entre membres éloignés et ceux restés au pays sont devenus plus nombreux et plus réguliers. Dans la même perspective, il est aussi important de noter que l'accès au téléphone mobile et aux autres TIC peut rendre le paiement des envois plus fiable, plus efficient (avec moins d'intermédiaires) et éventuellement plus régulier parce que la communication aide à maintenir la famille étendue en contact plus étroit à entendre T. Kelly (2004).

Sachs, directeur de la Earth Institute (Institut de la Terre) à la « Columbia University » a aussi récemment soutenu que le téléphone mobile est « l'unique » technologie transformationnelle pour le développement. Cette idée, selon Sachs, repose sur le fait que le téléphone mobile est un puissant outil pour joindre les pauvres là où ils sont tout en créant pour eux des opportunités d'affaires. C'est en quelque sorte un moyen de briser l'isolement économique en réintégrant les pauvres qui en étaient exclus, dans les circuits du marché. Car ce qui avait toujours défini la pauvreté rurale selon Sachs, c'était l'absence de moyens de transport, d'infrastructures routières, d'électricité pour des communautés qui vivaient repliées sur elles-mêmes, en autarcie, sur la base d'une économie de subsistance. Cette situation rendait impossible l'obtention d'informations sur les prix des produits alimentaires dans les marchés locaux ; elle empêchait également les paysans de joindre rapidement l'hôpital en cas d'urgence ou d'avoir accès à des opportunités d'affaires. Pour Sachs, le téléphone mobile est un moyen de résoudre tous ces problèmes en permettant aux usagers de trouver des clients pour leurs produits, de faire des commandes ou d'obtenir des approvisionnements (Shiner, 2008).

D'après certains auteurs (Hahn et Kibora, 2008 ; Donner, 2007), et à en croire Alzouma (op.cit), il y a par exemple un changement notable des pratiques discursives observées chez les utilisateurs. Les échanges tendent à être brefs et concis et les salutations sont réduites au minimum. Les utilisateurs vont jusqu'à « bipper » leurs interlocuteurs, comme on dit en Afrique, c'est-à-dire à appeler, laisser sonner quelques instants et raccrocher juste à temps pour se faire rappeler par ces derniers (Donner, idem). Pour des organisations comme, le Fonds de Développement des Nations Unies pour les Femmes, le téléphone mobile et les TIC en général sont aussi vus comme des technologies pour l'augmentation des capacités des femmes et l'égalité des genres. Les radios rurales et le téléphone mobile sont conçus comme de puissants outils pour l'éducation sexuelle, le plaidoyer pour l'égalité des sexes, la lutte contre les violences domestiques qui sont ainsi plus facilement reportées et stigmatisées, tout autant que les opportunités d'affaires ciblées en faveur des femmes (Women, 2000 et Beyond, 2005). C'est ainsi qu'au Sénégal l'usage du téléphone mobile aurait permis aux femmes rurales d'améliorer leur statut économique en leur donnant les moyens d'écouler leurs produits agricoles. Plus généralement, certains auteurs considèrent que les TIC ont « libéré la parole » et créé de nouveaux espaces de sociabilité où les possibilités de contrôle et de répression étatiques autant que le contrôle social ordinaire sont réduites (Ott, 1998).

Selon toujours Alzouma (op.cit), en dehors du téléphone mobile, il y a peu d'exemples de technologies dont l'usage est presque aussi répandu dans certains pays d'Afrique qu'en Europe et s'il existe un domaine où, pour la première fois, le fossé entre habitants des pays développés et habitants des pays en développement semble en voie d'être comblé, c'est bien celui-là.

Dans la perspective de l'optimisme technologique, les secteurs auxquels des programmes et projets de développement centrés autour du téléphone mobile sont aujourd'hui consacrés apparaissent nombreux comme le souligne Alzouma (idem). En matière d'éducation, il y a par exemple ce qu'on appelle le « mobile e-Learning » (l'apprentissage par le téléphone mobile) qui permettrait, selon ses promoteurs, de joindre les communautés isolées, et de pallier à l'insuffisance de connectivité, d'électricité ou d'infrastructures routières.

Dans le domaine de la santé l'application des TIC est souvent abordée sous le terme général d'e-Heath (e-santé) et correspond aux activités liées à la télémédecine et à l'usage des technologies de l'information et de la communication pour lutter contre le Sida ou même les maladies des animaux. Ici, l'utilisation du téléphone mobile est supposée permettre aux travailleurs de la santé d'échanger des données et des informations sur les patients.

On trouve également l'e-Gouvernance (l'utilisation des TIC pour améliorer les performances des administrations africaines, les processus électoraux ou accroître la participation politique, etc.). Ici aussi le téléphone mobile est censé jouer un rôle croissant pour la transmission des résultats des élections et la transparence des processus électoraux. Le Centre pour la démocratie et la Technologie (Center for Democracy and Technology) basé à Washington ainsi que de nombreuses autres organisations sont actives en Afrique et participent à la « promotion des valeurs démocratiques et des libertés constitutionnelles » (site de la CDT) au travers du téléphone mobile et des TIC en général.

Dans le domaine commercial on peut noter l'e-Business pour les femmes rurales africaines, auxquels on peut ajouter l'e-Advocacy (ou e-Plaidoyer en Français), l'e-Banking, etc. Dans tous ces domaines le téléphone mobile est utilisé comme un moyen de lutte contre la pauvreté (Alzouma, op.cit).

Le point commun à toutes ces entreprises et points de vue de tous ces auteurs que nous venons de citer est la conviction que cet outil de communication (et parfois cet outil à lui tout seul) va permettre aux Africains de faire un bond de géant sur la voie du développement. Ce point de vu n'est pas partagé par ceux que l'on peut regrouper sous le courant du pessimisme technologique.

1.7.2.2-Pessimisme technologique ou dystocie

Les auteurs que l'on peut classer dans cette catégorie des pessimistes technologiques ont une position plus nuancée et mettent en doute l'idée selon laquelle l'introduction des TIC en Afrique est une opportunité pour accéder au développement.

Pour Alzouma (idem), il est possible de replacer la technologie dans le contexte socioéconomique et sociopolitique qui oriente son usage et de montrer les limites lorsqu'elle n'est pas conçue et appliquée dans une perspective intégrée qui prend en compte le caractère multidimensionnel du développement. Alzouma ne cherche pas à mettre en cause l'utilité du téléphone mobile, d'internet et des ordinateurs pour le développement de l'Afrique, mais à rappeler les conditions sous lesquelles le déploiement technologique peut véritablement contribuer au développement. Il critique le technocentrisme ou déterminisme technologique qui sous-tend la démarche de beaucoup d'organisations d'aide internationales, notamment l'idée très répandue aujourd'hui que l'introduction du téléphone mobile en particulier et des autres TIC en Afrique serait à l'origine de transformations socioéconomiques miraculeuses, qu'elle représenterait une révolution et que les TIC se suffiraient à elles-mêmes pour résoudre tous les problèmes auxquels sont confrontés les peuples africains.

Basant sa recherche sur une approche documentaire en analysant surtout les données de l'Union internationale de Télécommunication, l'auteur s'aperçoit donc que l'entrée tant vantée de l'Afrique dans la société de l'information ne repose que sur les chiffres de la pénétration du téléphone mobile qui sont eux-mêmes marqués par de fortes disparités entre pays. Pour ce qui concerne les autres technologies, en particulier le téléphone fixe, les ordinateurs et Internet, les chiffres demeurent particulièrement bas. C'est surtout avec l'Internet que le contraste entre pays et au sein d'un même pays entre couches et groupes sociaux, est le plus apparent notamment en raison des coûts et des problèmes de formation qui rendent l'accès à l'ordinateur et à Internet plus difficile. De plus, poursuit l'auteur, pour utiliser l'ordinateur et Internet, il ne suffit pas de disposer de l'instrument : il faut encore savoir lire et écrire.

Une bonne partie de la population africaine étant analphabète dans les langues européennes en usage sur Internet, elle ne peut accéder à cette technologie. Même lorsqu'ils sont éduqués, le coût d'un ordinateur se révèle généralement inaccessible pour l'écrasante majorité des utilisateurs africains. C'est donc l'usage collectif des ordinateurs qui est observé dans les cybercafés ou sur les lieux de travail. Bien que les prix aient baissé au cours de ces dernières années, l'ordinateur reste encore inaccessible à une large majorité de la population à la différence du téléphone mobile qui est à la portée de beaucoup de bourses. Cette analyse amène Alzouma à conclure que le fort taux de pénétration d'objets techniques, isolé de tous les autres facteurs qui eux demeurent très bas (taux d'instruction, revenu...) ne peut accomplir le miracle tant prôné par le technocentrisme.

Pour soutenir sa position, Alzouma (op.cit) étend son analyse à d'autres auteurs (Jagun, Heeks, Whalley et Kaplan) et constate que les nombreuses études d'impact de la téléphonie mobile sur la croissance et le développement portent exclusivement sur l'effet d'un projet sur une communauté quelconque ou des producteurs isolés de l'ensemble du contexte socio-économique dans lequel ils évoluent. Les résultats sont souvent rapportés sous le mode de la « success story » et sans considération pour le reste de la société globale où ils sont intégrés. Or le succès d'une communauté dans un secteur particulier, dissocié de tous les autres secteurs, ne traduit pas un développement pour cette communauté et a fortiori pour la région ou le pays d'où ses membres sont issus.

D'autres analyses se situant dans la perspective du pessimisme technologique montrent que, dans bien des cas, les TIC, loin de réduire les inégalités existantes, n'ont fait que les renforcer. En Afrique, un fossé s'est creusé aujourd'hui entre ceux qui sont allés à l'école moderne, de langue européenne et qui sont à même d'utiliser Internet et ceux que l'introduction et l'utilisation de plus en plus courante de cette technologie n'a fait que marginaliser un peu plus. La barrière linguistique et éducationnelle est à l'origine de deux types de communautés nées de l'usage différentiel des TIC: ceux qui sont capables de lire sont en mesure de s'intégrer à des réseaux virtuels, de devenir membres de cybercommunautés tandis que cette possibilité est exclue pour les analphabètes chez qui l'usage de la téléphonie mobile tend plutôt à recréer ou renforcer les réseaux de sociabilité et les liens communautaires traditionnels, déjà existants: familles, groupes d'amis, groupes professionnels et réseaux d'affaires. Il en est ainsi parce que ceux qui ont un certain niveau d'instruction tendent à utiliser l'e-mail, les forums de discussion en ligne, en plus du téléphone mobile tandis que les analphabètes utilisent surtout le téléphone portable. Cette césure se reproduit également dans les communautés émigrées : pour le premier groupe, « l'ère de l'information et de la communication permet...de s'identifier à un espace élargi, qui dépasse les frontières physiques. Il est aujourd'hui dans un contexte d'hyper mobilité, qui est à la fois matériel, imaginé, et virtuel. En revanche les analphabètes ne peuvent constituer un groupe diasporique de même nature et sont limités aux réseaux de sociabilité énumérés ci-dessus. S'ils constituent une diaspora nationale au sein d'un pays étranger, leur appartenance au réseau ne peut être maintenue que par la participation physique aux réunions et cérémonies de toute sorte (Stebig et Deverin, 2008). Ainsi donc l'introduction des TIC dans les sociétés africaines contribuent à accentuer les inégalités entre les couches sociales remettant ainsi en cause le développement durable tant souhaité pour l'Afrique.

Nous ne saurions clore cette revue sans préciser qu'elle nous a permis de rendre compte des principales théories explicatives de la diffusion des technologies et des différentes positions relatives à la place des NTIC dans le processus de développement du continent africain. Cette revue nous a ainsi permis de préciser nos hypothèses et d'inscrire notre démarche dans un cadre théorique bien déterminé.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault