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Entre conversion et ruptures : étude des population végétariennes.

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par Kévin Aubert
Université de Picardie Jules Verne - Master de sociologie 2015
  

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3.3. Ruptures et conséquences

Bien que la conversion puisse être source de conflits avec les cercles privés, elle entraîne sur d'autres plans des ruptures. Ainsi, cette partie a pour but d'en souligner ses composantes : sur le plan social, politique et religieux mais aussi sur les visions du monde. L'enquête par questionnaire est utilisée notamment pour étudier les convictions politiques et les croyances religieuses.

3.3.1. Cercle familial

Différents aspects peuvent poser problème lorsqu'un individu possède une façon de vivre en marge de la société : les rencontres, la mise en couple, le mariage, les enfants, etc. Ces aspects de la vie personnelle se retrouvent conditionnés par l'adoption du végétarisme et de ses déclinaisons. Dans un premier temps, voici ci-dessous deux figures présentant la situation des personnes interrogées.

 
 
 
 
 
 

Situation

Fréquences

%

en union libre

423

39,1

célibataire

381

35,2

marié(e)

123

11,4

pacsé(e)

79

 

autre

49

 

26

1081

Figure 3. 10 - Situation

56

pratique

non

Fréquences

416

58,4

oui

296

41,6

Ensemble

712

100

 
 
 

%

Figure 3. 11 - Conjoint(e) et pratique alimentaire commune

Tout d'abord, il faut rappeler que le panel est très jeune. En effet, 46% de l'effectif a moins de 24 ans, et est composé principalement d'étudiants, ce qui peut expliquer le nombre important de célibataires. Toutefois, près de 40% de l'échantillon a répondu être en union libre. La deuxième figure représente le nombre d'individu ayant un(e) conjoint(e) végétarien, végétalien ou végan. Ainsi, elle souligne un taux de réponse plus important pour la modalité « non ». Nous pouvons supposer à la fois que la modalité « non » est directement liée à la faible part d'individus ne consommant pas de viande dans la société française et au fait que la conversion soit intervenue après la mise en couple. Il pourrait en être de même quant à la première supposition par rapport au fait que l'individu n'ait pas de conjoint(e).

L'approche qualitative permet de rendre compte des mécanismes de la vie personnelle à travers les végétarismes. Tout d'abord, sur les huit personnes, trois sont en couple avec des conjoints omnivores, trois autres le sont avec des personnes partageant l'une des pratiques du végétarisme, les deux autres sont célibataires. A l'exception de Laura et de Julien, l'ensemble des personnes interrogées ont souligné le souhait d'avoir des partenaires ne consommant pas de produit carné, notamment lorsqu'il s'agit de relations durables. Le tableau ci-dessous présente la situation des individus au moment des entretiens.

57

Laura

22 ans, célibataire.
Les pratiques du
végétarisme ne sont pas
un prérequis

Julien

27 ans, en couple
depuis 4 ans. Les
pratiques du
végétarisme ne sont pas
un prérequis

Héloïse

32 ans, mariée depuis
un an à un omnivore, 2
enfants

Céline

24 ans, en couple
depuis 2 ans avec un
végétarien

Christophe

27 ans, en couple
depuis 2 ans avec une
végane, 1 enfant

Marc

37 ans, marié depuis 10
ans à une omnivore, 2
enfants

Sophie

28 ans, pacsée depuis 2
ans à un végétalien,
enceinte de son premier
enfant

Eléonore

25 ans, célibataire

Tableau 3 - Situation des personnes interviewées

Si sur les huit individus, six désirent être avec un(e) conjoint(e) ne consommant pas d'animaux, cela s'explique selon eux par le fait qu'ils ne peuvent entrevoir leur vie amoureuse avec une personne qui ne partagerait pas les mêmes pratiques alimentaires et les mêmes idées principalement sur les questions d'éthiques. En ce sens, la conversion aux pratiques du végétarisme participe à une recomposition des volontés de la vie personnelle. Seuls Laura et Julien ne souhaitent pas particulièrement avoir de relations avec des individus de mêmes pratiques :

« Si je ne veux pas forcément sortir avec une végétarienne, une végétalienne ou même une végane, c'est parce que je pense qu'on doit accepter tout type de personnes. Les végétariennes et tout ne courent pas les rues, c'est donc essentiel pour moi d'être en accord avec les convictions de l'autre. Si elle mange de la viande ça ne me pose pas de problème. Moi je ne veux pas en manger donc je le fais pas, mais par contre je la forcerai pas. Ça ne sert à rien de la forcer, on arrive à rien comme ça, ça doit venir d'elle-même. Ça fait 4 ans que je suis avec X, tout se passe bien même si je refuse de cuire sa viande ou son poisson. Du coup elle mange ce

58

que je lui prépare et elle rajoute sa viande. Mais forcément ça déteint car elle a maintenant conscience des conditions de vie des animaux et du fait que ça ne soit pas naturel. Grâce à nos discussions elle en mange moins (sourire) ». Extrait d'un entretien réalisé avec Julien.

Bien que Laura n'ait toujours pas eu de relation durable depuis sa conversion, elle sait déjà qu'elle ne forcera pas son futur compagnon. La partie en gras correspond à la prise de parole de l'interviewer.

« Comment s'articule votre vie de couple et le végétarisme ? »

« Je suis célibataire et vu que je suis végétarienne depuis 2 ans je n'ai pas encore eu d'histoire sérieuse. »

« Et si... hypothétiquement, la personne avec qui vous êtes en couple mange de la viande, comment réagiriez-vous ? »

« Ça ne me pose pas de problème. J'ai une amie végétalienne qui sort avec un omni [omnivore], elle mangeait de la viande avant leur rencontre. J'ai aussi une autre amie végétarienne qui est sortie avec un mec qui mangeait aussi de la viande. Par contre elle, elle l'était quand ils se sont rencontrés. Du coup moi je sais que j'accepterais qu'il en mange. J'ai pas à intervenir dans sa façon de consommer, c'est mon corps, ma bouche, j'ingère ce que je veux tout comme les autres font ce qu'ils veulent. Je ne cautionne plus la viande mais ça m'empêche pas de continuer de voir mes amis et de sortir avec des mecs. En plus de ça c'est pas encore courant des mecs qui mangent plus de viande. Par contre là où j'ai de l'appréhension c'est pour mes futurs enfants, ça risque de chauffer entre lui et moi ».

Les enfants sont un autre aspect de la vie personnelle qui est influencé par le végétarisme, le végétalisme ou le véganisme. Si la recomposition des volontés de la vie personnelle n'est pas unanimement valable pour le choix du conjoint, elle en touche d'autres comme il est souligné dans le cas de Laura. Les entretiens mettent en avant trois tendances :

1. Les enfants ont la même pratique que les parents interviewés

2. Le ou les parents acceptent que leur enfant mange de la viande au sein du domicile et à l'extérieur et le laissera choisir quand il sera en mesure de le faire

3. Les enfants ont la même pratique que les parents interviewés au sein du domicile familial et sont autorisés à consommer de la viande en dehors

Par souci de « préservation », les enfants végétariens, végétaliens ou végans de naissances sont considérés comme des êtres purs à travers les entretiens, Laurence Ossipow le constate également dans La cuisine du corps et de l'âme : Approche ethnologiques du végétarisme, du crudivorisme et de la macrobiotique en Suisse : « En tant qu'êtres à l'aube de leur développement et parce qu'ils n'ont jamais été « carnivores » comme leurs parents, les enfants sont considérés comme porteurs d'une pureté corporelle presque absolue qu'il faut « préserver » le plus longtemps possible. » (Ossipow, 1997, p. 288). Cette préservation demande toutefois une présence peut-être plus importante des parents dans la transmission des normes alimentaires que chez les parents consommant des produits carnés. Cependant, si ces individus sont devenus végétariens, végétaliens ou végans et sont en rupture avec les normes alimentaires de leurs propres parents, rien ne prédispose l'ensemble des végétariens de

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naissance à poursuivre cette même pratique selon leurs futures expériences. Cela peut dépendre du poids des parents dans la transmission. Claude Fischler l'illustre à travers l'apport de la psychologie dans son livre L'Homnivore : « Mais si l'on en croit les conclusions des psychologues, la transmission des structures culturelles de l'alimentation ne s'opère pas de manière explicite. Ce n'est pas l'enseignement direct des parents aux enfants qui la réalise, mais l'expérience répétée des enfants, expérience elle-même induite par le fait que les structures sont consciemment ou inconsciemment appliquées par les parents », [Birch (1988), cité par Fischler, 1990, pp. 98-99]. Sur la base des entretiens néanmoins, l'omniprésence des parents dans l'alimentation de leurs enfants est importante. Ils veillent à assurer la meilleure alimentation possible en évitant le plus possible les produits considérés comme néfastes (produits raffinés et « calories vides64 », sucreries, gras, produits carnés...). C'est au travers des socialisations extérieures liées notamment à l'école que l'éducation alimentaire prend toute son importance. Le cas du premier fils d'Héloïse est un bon exemple puisque c'est en dehors du cadre familial qu'il s'est rendu compte - selon le témoignage de l'informatrice - de la différence entre lui et ses camarades de classe en matière d'alimentation. Les nombreux déplacements professionnels d'Héloïse l'ont obligé à inscrire son fils à la cantine scolaire lors de sa dernière scolarisation en maternelle. En ce sens, ce sont les interactions avec les écoliers qui provoquent l'aspect explicite, l'institution scolaire étant également un facteur. C'est à partir de là que la transmission des structures alimentaires prend effet puisque Héloïse a du - dit elle - répondre aux questions que pouvait se poser son fils. L'enseignement à l'école de l' « utilité » des animaux de rente (viande, lait, cuir, laine, plume...) et la visite d'un zoo (bien qu'Héloïse n'était pas d'accord) ont également été des facteurs déclencheurs pour que sa mère soit amenée à argumenter de la bienveillance et de la moralité d'une consommation non-carnée sur l'environnement et le respect des animaux.

Le deuxième point lui s'apparente plus à un souci de « précaution ». Les parents concernés ne veulent pas prendre de risque en leur interdisant de manger de la viande, du poisson ainsi que des produits laitiers. Puisque les parents sont devenus végétariens, végétaliens ou végans dans les débuts de la vie adulte, trois arguments viennent appuyer le choix de laisser l'enfant consommer des produits carnés. Dans un premier temps, il s'agit d'une argumentation sur le plan nutritif, les parents pensent que les enfants devraient consommer ces types de produits alimentaires pour éviter le risque de maladie, de carence et de problème sur le long terme. Deuxièmement, les parents pensent qu'ils n'ont pas à intervenir dans l'alimentation de leurs enfants, préférant qu'ils se fassent leur propre avis lorsqu'ils seront en âge de comprendre et donc de choisir. La dernière argumentation concerne la socialisation de l'enfant, les parents ne souhaitent pas proscrire la consommation de produits carnés pour que l'enfant ne soit pas considéré comme « différent » par rapport aux autres.

Le dernier point s'apparente à ce qu'il s'appelle le flexitarisme65 (ou semi-végétarisme). Cette pratique consiste à une consommation végétarienne ou végétalienne généralement à la « maison », le flexitarien s'autorise à consommer des produits carnés et des sous-produits lors

64 Les produits alimentaires à « calories vides » sont le résultat du processus de raffinage qui supprime des aliments leurs vitamines, leurs minéraux et leurs fibres.

65 Néologisme anglais flexiarian apparu en 2003 dans la liste des « mots de l'année » par la American Dialect Society. La définition tient en quelques mots : « a vegetarian who occasionally eats meat ». Source : http://www.americandialect.org/2003_words_of_the_year

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de diverses occasions (restaurants, repas familiaux, entre amis ou professionnels, par simple « envie », occasionnellement, etc.). Il s'agit d'un contexte de socialisation dans le cadre de l'alimentation des enfants, toujours dans un souci de précaution. En effet, les enfants ne mangent pas les produits interdits par les parents au sein du domicile familial mais ils sont autorisés à consommer ces produits à l'extérieur pour ne pas « entacher » leur socialisation (cantines et sorties scolaires, fêtes d'anniversaire, colonies de vacances...).

Pour les parents, ces trois points sont sources de compromis puisque les conjoint-e-s ne partagent pas toujours les mêmes pratiques. Il y a une confrontation d'idées sur l'alimentation qui peut mener à des conflits entre les parents, à partir de la conception même de l'enfant jusqu'aux bases de l'éducation. Les concessions faites sont néanmoins relativisées par les parents pratiquant une des pratiques des végétarismes puisqu'ils leur expliquent ce qui est « mal ». Par exemple, après la visite du zoo dans le cadre d'une sortie scolaire, Héloïse (qui est donc végane) a expliqué à son fils en quoi visiter un zoo pouvait être « mal » :

« [...] c'était difficile parce qu'en rentrant il était tout heureux, je lui ai expliqué en lui parlant calmement que les animaux ne sont pas heureux parce qu'ils sont enfermés, qu'ils ne sont pas dans leur milieu naturel. Pour ce qui est de la viande je lui dis sans rentrer dans les détails comment les animaux sont exploités et que c'est pas naturel : on enlève le bébé vache, le bébé cochon de sa maman, on leur fait faire des bébés alors qu'elles n'ont pas envie, on vole le lait, la peau et tout. ».

Le croissement des entretiens met en évidence l'aspect d'un enfant « pur » et symbolique. Il serait la « continuité » du ou des parents puisque la transmission des structures alimentaires est empreinte de leurs représentations, des idéaux... L'ensemble des végétarismes constituerait le meilleur moyen pour changer « l'ordre des choses », notamment en ce qui concerne l'exploitation, la cruauté, la violence, les inégalités, le sexisme, le racisme, l'homophobie, etc. Les bienfaits de l'abstinence de produits carnés seraient également garantis par l'enfant puisqu'il n'a jamais (ou peu) consommé ces produits alimentaires. Il serait donc le garant de cette alimentation aux yeux de la famille, des cercles privés des parents mais également de la société en défaisant ainsi les inquiétudes et les critiques de ces derniers :

« Toute la famille ne comprenait pas que ma fille puisse arrêter la viande. Même si elle n'aime pas beaucoup le poisson elle en mange quand même de temps en temps, ça les rassure. Ils trouvaient ça pas naturel mais j'ai supporté ma fille puisque j'ai arrêté quelque temps après elle. Ma femme aussi elle était réticente, vu que je savais pas ce que faisait l'arrêt de viande sur le corps, du coup ce que j'ai fait c'est que je nous ai emmené faire un test de sang pour vérifier que tout allait bien, ce qui est le cas. » (Marc, Amiens).

Les parties suivantes concerne l'étude des croyances religieuses et des convictions politiques des individus mais aussi de leurs parents.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus