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L'anticipation des risques d'inexécution du contrat.

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par gilles quinones
Université Montpellier I - Master 2 Droit de la distribution et des contrats dà¢â‚¬â„¢affaires 2014
  

Disponible en mode multipage

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Année universitaire 2014/2015

QUINONES Gilles

Master 2 Droit de la distribution et des contrats

d'affaires

Dirigé par Monsieur le Professeur Nicolas FERRIER

Mémoire

Sous la direction de Monsieur le Professeur Nicolas FERRIER

L'anticipation des risques d'inexécution du

contrat

Faculté de droit et de science politique
Université Montpellier I

2

Les opinions exprimées dans ce mémoire sont propres à leur auteur et n'engagent pas l'Université de Montpellier I.

Remerciements

3

Je tiens à remercier mes parents pour leur chaleureux soutien.

4

Sommaire

Partie 1: L'admissibilité des mécanismes d'anticipation du risque
d'inexécution

Titre 1: L'existence avérée des mécanismes d'anticipation

Chapitre 1: L'expansion internationale des mécanismes d'anticipation
Chapitre 2: L'ouverture du droit interne aux mécanismes d'anticipation

Titre 2: Le régime suggéré des mécanismes d'anticipation

Chapitre 1: La résolution anticipée
Chapitre 2: L'exception pour risque d'inexécution

Partie 2: La portée des mécanismes d'anticipation du risque
d'inexécution

Titre 1: La consécration de principes novateurs

Chapitre 1: Le principe de confiance légitime
Chapitre 2: L'efficacité économique du contrat

Titre 2: Le bouleversement du régime de la responsabilité contractuelle

Chapitre 1: Les conditions modifiées de la responsabilité contractuelle
Chapitre 2: Les effets modifiés de la responsabilité contractuelle

5

Introduction

Tout comme la survenance d'une maladie expose fréquemment un certain nombre de symptômes avants-coureurs, l'inexécution contractuelle est également susceptible de présenter des prémisses laissant entrevoir un tel risque. Nul ne pourrait alors aisément nier que le fait de désamorcer à l'avance les conséquences néfastes d'un événement redouté constituerait une solution de bon sens.

Si le dynamisme des échanges économiques exige inévitablement un comportement prévisible et cohérent de la part des acteurs du marché, une certaine souplesse est également requise dans la concrétisation de tels échanges. Le contrat, instrument incontournable des relations commerciales, doit alors offrir une sécurité juridique solide sans pour autant se transformer en aliénation lorsqu'il est manifeste que les effets attendus ne surviendront pas. Or, si en droit romain, il était d'usage que le débiteur soit matériellement enchaîné par son créancier avant même que l'obligation ne fut échue1, il semblerait à l'inverse que de nos jours, ce soit habituellement le créancier victime d'une future inexécution qui soit contraint de lutter pour briser les chaînes virtuelles d'un contrat voué à l'échec.

Il est important de bien mettre à nu l'existence d'un conflit entre l'incontournable principe de force obligatoire du contrat et l'exigence de souplesse que requière non seulement la vie des affaires, mais aussi plus globalement, tout échange juridiquement encadré. Cette souplesse se traduit notamment par la possibilité pour les cocontractants de procéder à la résolution judiciaire du contrat en cas d'inexécution par l'autre partie2. Cette faculté offerte au créancier ne saurait faire l'objet de vifs débats: le contrat synallagmatique impose effectivement une réciprocité dans les obligations des parties. Cette condition de réciprocité ne saurait légitimement être méconnue au risque de priver de cause l'obligation de l'une des parties3, ou devrait-on plutôt dire: sa méconnaissance risquerait de bouleverser l'économie du contrat4.

1. J.-P. LEVY, A. CASTALDO, Histoire du droit civil, Dalloz, 2e édition, 2010

2. Article 1184 du code civil

3. Civ 30 décembre 1941: "Dans les contrats synallagmatiques, l'obligation de chaque contractant trouve sa cause dans l'obligation, envisagée par lui comme devant être effectivement exécutée, de l'autre contractant; cette cause fait défaut quand la promesse de l'une des parties n'est pas exécutée ou s'avère soit nulle, soit de réalisation."

4. Certains auteurs tels que Sébastien Pimont critiquent en effet l'utilisation par les juges, de la cause en tant que

6

La controverse devient en revanche beaucoup plus houleuse lorsque se pose la question de savoir si le créancier pourrait résoudre le contrat de manière anticipée, ou du moins, suspendre l'exécution de ses propres obligations en présence d'un simple risque d'inexécution. Notre système juridique actuel semble effectivement entraver l'accès à l'utilisation de mécanismes aptes à anticiper le risque d'inexécution.

L'anticipation est une mesure de bon sens n'ayant pas échappé à l'oeil de juristes ayant entrepris de lui donner une traduction juridique5. Mais il convient tout d'abord de s'intéresser à la dimension psychologique de ce terme après en avoir exposé les définitions classiques. Le Larousse définit l'anticipation de la manière suivante: "prévoir, supposer ce qui va arriver et adapter sa conduite à cette supposition". Quant au Petit Robert, nous pouvons y trouver la définition suivante: " Exécuter avant le temps déterminé, devancer - Imaginer et éprouver à l'avance". Appliqué dans un contexte marqué par les relations d'affaires, et par conséquent, au sein d'un environnement économique plus ou moins bienveillant, l'anticipation évoque l'idée de construire une défense aux fins de faire face à un danger économique dont on suppose la survenance ultérieure. Le sentiment d'anxiété, inhibiteur lorsqu'il est exacerbé, mais également stimulant lorsqu'il est maîtrisé, pousse naturellement tout un chacun à "imaginer" et "devancer" les événements néfastes susceptibles de survenir au sein d'un environnement anxiogène. Le désir d'anticipation constitue ainsi un phénomène naturel mais également bienvenu au sein d'un contexte juridico-économique où les nombreux aléas financiers et comportementaux nécessitent une prévoyance et adaptation permanente.

Un certain nombre de travaux doctrinaux ont ainsi été élaborés sur le sujet de l'anticipation en droit et notamment, en matière contractuelle6. Il en ressort qu'un tel concept a pour objet de "transformer le futur en présent"7 en agissant "dès maintenant comme si ce qui

fondement de la résolution pour inexécution. Ce serait en effet méconnaître que cette notion est une condition de validité du contrat qui de ce fait, constitue un fondement de la nullité du contrat et non de sa résolution. Sébastien Pimont propose alors, en guise d'alternative viable, de fonder la résolution du contrat pour inexécution sur le bouleversement de l'économie du contrat. (Sébastien Pimont, L'économie du contrat, PUAM, 2004); Voir infra p.88

5. J.C. HALLOUIN, L'anticipation: contribution à la formation des situations juridiques, Thèse Poitier 1979; M. Buot de L'épine, La notion d'anticipation en droit commercial, thèse Paris I, 1976

6. J.C. HALLOUIN, L'anticipation: contribution à la formation des situations juridiques, Thèse Poitier 1979; M. BUOT DE L'EPINE, La notion d'anticipation en droit commercial, thèse Paris I, 1976; Y.-M. LAITHIER Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, thèse Paris II, pref H. Muir-Watt, LGDJ, 2004, n°464 s; Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM 2011

7. Y.-M. LAITHIER, Étude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ, 2004, p.553

7

est futur existait déjà"8. L'idée de faire "comme si" traduit ainsi l'élaboration d'une "fiction"9: il s'agit en effet de tirer les conséquences juridiques d'une situation de fait attendue, et partant, inexistante à l'heure où ces dernières sont assumées.

Il n'est aucunement étonnant de constater que certains mouvements jurisprudentiels et doctrinaux se soient évertués à créer et développer nombre de mécanismes et décisions inspirés du concept d'anticipation. Tel est particulièrement le cas dans le domaine des relations contractuelles. Ainsi, l'inexécution contractuelle, redoutée par le créancier, méritait telle une certaine attention des auteurs lorsque la simple menace de sa survenance était perceptible. Il est alors apparu que "le risque d'inexécution", en dépit de son absence du code civil, pouvait revêtir le caractère d'un concept éminemment juridique10 nécessitant l'application d'un régime rigoureux.

La "maîtrise du risque d'inexécution" nécessite en effet l'élaboration de mesures pouvant d'une part être prises au stade de la conclusion du contrat: il s'agit des mesures de prévisions11 se traduisant par la rédaction de diverses stipulations contractuelles telles que les clauses pénales destinées à dissuader et réprimer l'inexécution du débiteur ou encore l'aménagement de sûretés ou garanties aux fins de pallier aux conséquences d'une telle inexécution. Ces mesures ont, nonobstant les vertus dissuasives de la clause pénale, moins pour objet de bloquer le risque d'inexécution que de remédier aux conséquences de son éventuelle réalisation.

D'autre part, le risque d'inexécution peut être maîtrisé postérieurement à la conclusion du contrat: il s'agit des mesures d'anticipation sur lesquelles portera notre étude. Bien qu'elles fassent l'objet d'une certaine résistance de la part du législateur français, elles sont largement admises au sein de nombreux systèmes juridiques étrangers et revêtent principalement deux formes: la résolution anticipée et l'exception pour risque d'inexécution. La première consiste à anéantir par anticipation le lien contractuel alors que la deuxième consiste à procéder à la simple suspension des effets du contrat de manière anticipatoire.

8. J.C. HALLOUIN, L'anticipation: contribution à la formation des situations juridiques, Thèse Poitier 1979, p.VII

9. F. PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM 2011, p.245

10. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM 2011, p.124: "Le constat qu'aucune disposition du Code civil n'évoque comme tgel le risque d'inexécution, et qu'il soit négligé de la réflexion théorique sur le contrat, ne permet pas de conclure qu'il n'y a pas sous ce nom quelque chose dont s'occupe la règle de droit. (...) A l'évidence "risque d'inexécution" est un terme du vocabulaire juridique. Un mot qui a un sens au regard du droit. Nous avancerons même, qu'il n'a qu'un sens exclusivement juridique dans la mesure où sa charge intellectuelle en restreint l'usage au droit et qu'il n'aurait tout simplement pas de sens dans le vocabulaire courant. C'est un concept juridique".

11. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM 2011, p.245: L'auteur insiste sur la nécessité d'opérer une distinction entre mesures de prévision et mesures d'anticipation.

8

Après avoir établi l'existence juridique du "risque d'inexécution", Fall Paraiso définit ce concept en ces termes: "Est un risque d'inexécution, le fait pour tout créancier d'être troublé dans l'exercice de son droit de créance ou dans ses attentes légitimes par l'avènement d'une situation, dont il n'a pas entendu assumer la présence en s'engageant ou par son comportement ultérieur, susceptible de le priver de l'exécution qu'il est en droit de recevoir". Il en ressort ainsi que le risque d'inexécution ne pourrait concerner que ce que le créancier n'aura pu détecter au moment de la conclusion du contrat. Nous ne pourrions en effet raisonnablement évoquer l'idée d'un "risque d'inexécution" nécessitant l'application d'un régime protecteur du créancier lorsque ledit risque était perceptible au stade de la conclusion du contrat. La détection d'un tel risque dénoterait que le créancier s'apprêtait à assumer les conséquences de la survenance d'une éventuelle inexécution12. Fall Paraiso a ainsi pu affirmer que "lorsque l'inexécution est prévisible ou probable dès l'engagement pour le créancier, sa réalisation est-elle par lui déjà acceptée. La perturbation dont il se plaint est un effet normal de l'engagement. (...) Spéculant sur son dommage, le créancier n'est pas recevable à obtenir en justice la cessation d'une situation dont il avait le pouvoir d'éviter la formation".13

La mise en oeuvre des mécanismes de prévention du risque d'inexécution ne sauraient donc trouver application que lorsque ledit risque n'était pas détectable au stade de la conclusion du contrat. Ainsi, les mesures de prévisions n'ont pas vocation à pallier aux conséquences d'une inexécution dont la survenance ultérieure était prévisible lors de l'échange des consentements. Prévoir un remède aux conséquences d'une menace susceptible de se produire relèverait d'un non-sens lorsque ladite menace pourrait elle-même être évitée. L'indétectabilité du risque d'inexécution au stade de la conclusion du contrat justifierait alors la mise en oeuvre de mécanismes d'anticipation postérieurement à celle-ci. L'application de tels mécanismes est donc en principe conditionnée à l'apparition d'un risque d'inexécution postérieurement à la conclusion du contrat, quoiqu'un tel risque devrait encore nécessairement répondre à un certain degré de probabilité, et partant, revêtir une certaine forme. Nous ne pourrions en effet raisonnablement admettre que le lien contractuel puisse être anéanti voire simplement suspendu sur une simple suspicion d'inexécution.

Bien qu'une évolution positive semble se dessiner avec l'admission explicite de l'exception pour risque d'inexécution au sein du projet d'ordonnance portant réforme du droit

12. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM 2011, p.158

13. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM 2011, p.160

9

des contrats14, le législateur français demeure malgré tout fortement réticent à l'idée d'admettre que l'on puisse anéantir le lien contractuel avant que l'événement justifiant une telle mesure n'ait eue lieu. L'approche traditionnelle de la force obligatoire du contrat puisant notamment ses racines au sein du droit canonique et s'appuyant alors sur le dogme du respect de la parole donnée15, ne pourrait tolérer le fait que nous puissions revenir sur nos propres engagements qu'en cas de circonstances exceptionnelles. De telles circonstances pourraient-elles provenir d'un simple risque d'inexécution? L'idée de "risque" indique clairement que le véritable événement justifiant la rupture du lien contractuel n'existe pas encore. Le législateur semble, pour l'heure, réticent à l'idée d'admettre que l'on puisse recourir à une "fiction" pour déroger à la règle selon laquelle "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites"16.

Ces mécanismes d'anticipation ont toutefois su trouver place au sein de nombreux systèmes juridiques étrangers depuis de nombreuses années. La notion d'"inexécution anticipée", dénommée "anticipatory breach of contract" dans le vocabulaire anglo-saxon, consistant à "considérer comme juridiquement acquise" une inexécution future et appelant la mise en oeuvre de la résolution du contrat par anticipation a pris racine en Angleterre au XIXe siècle lors d'un arrêt dit Hochster v. De La Tour rendu en 1853. Ce mécanisme s'est par la suite exporté hors des frontières à l'intérieur desquels il est né pour connaître un succès fulgurant. Du continent américain17 jusqu'en Chine18, en passant par plusieurs États de l'Union Européenne19, le phénomène d'anticipation du risque d'inexécution qui se traduit par les deux principaux mécanismes que sont la résolution anticipée et l'exception pour risque d'inexécution, a su s'imposer avec vigueur. Ces modes d'anticipation ne sont par ailleurs ignorés du droit du commerce international puisqu'ils sont consacrés par la Convention de Vienne du 11 avril 198020 ainsi que les Principes Unidroit.

Plusieurs études comparatives en matière contractuelle ont ainsi pu mettre en lumière

14. Art. 1220 du projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations: " Une partie peut suspendre l'exécution de sa prestation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais."

15. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz, 11e edition, 2013, p.39

16. Article 1134 du code civil

17. Article 2-609 du code commerce uniforme des Etats-Unis

18. Loi du 15 mars 1999

19. Par exemple, en droit allemand (article §323 (4) du BGB et article §321 (1) du BGB) ou en droit italien (Art. 1461 du code civil italien)

20. Article 72 convention de Vienne relative à la vente internationale de marchandise

10

de nombreuses démonstrations d'efficacité issues de l'application de ces mécanismes d'anticipation21. Ce faisant, il n'est nullement étonnant de constater l'apparition de nombreux travaux doctrinaux réalisés tant à un échelon français qu'européen et destinés à influencer le législateur quant à l'admission de tels mécanismes. Nous pouvons à cet égard mentionner le projet Terré22 ainsi que les Principes de Droit Européen des Contrats élaborés par la commission Lando23.

A l'heure où le législateur français ne peut plus ignorer les divers travaux et propositions effectués à l'échelle européenne, une timide évolution semble se dessiner avec l'admission explicite de l'exception pour risque d'inexécution au sein du projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats. La reconnaissance de la résolution anticipée semble en revanche toujours exclue des intentions du législateur bien que la jurisprudence n'y semble pas catégoriquement hostile. Nombre de décisions semblent ainsi avoir plus ou moins implicitement reconnu la possibilité pour le créancier menacé d'inexécution la possibilité de résoudre le contrat par anticipation.24

Il ressort de ces constatations que si l'exception pour risque d'inexécution tout comme la résolution anticipée ne sont pour l'heure de droit positif, nous pouvons néanmoins y observer une existence résiduelle et éparse. L'objet de notre étude consistera alors à déterminer dans quelle mesure serait-il opportun d'admettre une généralisation de ces mécanismes d'anticipation en droit positif.

Nous nous efforcerons d'y apporter une réponse exhaustive en déterminant la portée que déploierait l'admission de tels mécanismes (Partie 2) et ce, après avoir constaté que ces derniers sont parfaitement admissibles en droit positif (Partie 1).

21. Y.-M LAITHIER Etude comparative des sanctions de l'inexecution du contrat, thèse Paris II, pref H. Muir-Watt, LGDJ, 2004, n°464 s.; Thomas GENICON, La résolution du contrat pour inexécution, LGDJ, 2007; Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM 2011; Marie Peig-Heng CHANG, La résolution du contrat pour inexécution: Etude comparative du droit français et du droit chinois, PUAM 2005; Denis TALLON et Donald HARRIS, Le contrat aujourd'hui: comparaisons Franco-Anglaises (sous la direction de Jacques GHESTIN)

22. Article 111 du projet Terré

23. Article 9:201 et article 9:304 des PDEC

24. Voir infra, p.41

11

Partie 1: L'admissibilité des mécanismes

d'anticipation du risque d'inexécution

Que ce soit au sein de notre système juridique ou en droit comparé, les mécanismes d'anticipation constituent une réalité qu'il serait inopportun d'ignorer. Il nous paraîtra alors judicieux de proposer, à la suite d'une étude comparative et de droit interne (Titre 1), un régime juridique viable des deux mécanismes que sont la résolution anticipée et l'exception pour risque d'inexécution afin d'attester de leur admissibilité en droit positif (Titre 2).

12

Titre 1: L'existence avérée des mécanismes

d'anticipation

Les mécanismes d'anticipation du risque d'inexécution ont connu un succès fulgurant en droit international et comparé (Chapitre 1). Un tel exemple de réussite ne saurait être sans influence sur notre droit positif qui semble, malgré les réticences du législateur, s'ouvrir peu à peu à l'admission de tels mécanismes (Chapitre 2).

13

Chapitre 1: L'expansion internationale des mécanismes
d'anticipation

Que ce soit au sein des droits de common law où ils ont été conceptualisés pour la première fois (Section 1), ou encore en droit continental et international (Section 2), les mécanismes d'anticipation irriguent de nombreux systèmes juridiques.

Section 1: Des mécanismes d'anticipation dans les pays de

common law

L'étude des mécanismes d'anticipation au sein des droits de common law nous conduit à réaliser une étude sur la résolution pour inexécution anticipée, dénommée "anticipatory breach of contract" dans le vocabulaire anglo-saxon (§1) ainsi que sur l'exception pour risque d'inexécution, applicables au sein de ces systèmes juridiques (§2).

§1: L'"anticipatory breach of contract"

Le succès de l'"anticipatory breach of contract" nous conduira à évoquer le célèbre arrêt Hochster v. De La Tour lui ayant donné naissance (A) avant d'étudier les principes de droit anglais des contrats ayant pu permettre à un tel concept d'émerger (B).

A\ L'émergence de l'inexécution anticipée

L'inexécution anticipée prend racine en Angleterre lors d'un arrêt dit Hochster v. De La Tour rendu en 1853. La solution était novatrice: aucune n'avait auparavant permis au créancier d'anticiper l'inexécution d'une obligation contractuelle.25

En l'espèce, Hochster fut engagé, le 12 avril 1852, comme coursier par De la Tour, qui projetait d'effectuer un voyage de trois mois en Europe Continentale. Le salaire était fixé à 10£ par mois et le départ prévu pour le 1er juin 1852. Toutefois, ce dernier changea d'avis et, le 11 mai, informa Hochster qu'il ne souhaitait plus recourir à ses services. Celui-ci exerça

25. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 554

14

alors une action en dommages-intérêts le 22 mai, soit un peu plus d'une semaine avant le terme convenu. Il se posait donc la question de savoir si un "créancier pouvait valablement agir en dommages-intérêts en invoquant la violation d'une obligation qui n'était pas encore exigible au jour où l'action fut introduite"26. La chambre des Lords apporta une réponse positive par la célèbre formule suivante: "en présence d'un contrat comportant l'obligation d'accomplir un acte à une date future, il existe dans l'intervalle une relation entre les parties fondée sur le contrat, et qu'elles se promettent implicitement durant cette période de ne rien faire au préjudice de l'autre qui soit incompatible avec cette relation". Il existe donc un laps de temps entre la conclusion du contrat et le commencement d'exécution de ce dernier qui ne saurait aucunement correspondre à un vide juridique. Elle marque en effet le début d'une relation entre les parties devant être protégée par le droit. La rupture d'une telle relation, pouvant notamment émaner de la manifestation d'un refus de l'une des parties d'exécuter ses futurs obligations contractuelles, revête le caractère d'une inexécution anticipée. Le constat d'une telle inexécution à venir devrait alors permettre au créancier, outre l'obtention d'une allocation de dommages-intérêts, de rompre le contrat immédiatement27.

L'effet radical de ce remède est tempéré par la condition de mise en oeuvre suivante: l'inexécution future doit être certaine28.

Certains auteurs semblent avoir conféré une conception moraliste à cette décision. Tel est le cas de M. Atiyah qui a pu considérer cet arrêt comme un "hommage à la conception promissoire du contrat"29. La conclusion de ce dernier équivaudrait à un échange de promesse implicite dont la rétractation par l'une des parties engagerait sa responsabilité contractuelle, peu important que l'obligation concernée soit ou non exigible. Il semblerait que selon cette conception, ce n'est point l'inexécution en elle même qui fonderait la résolution du contrat mais la rupture du lien de confiance inhérent à toute relation contractuelle.

Y.-M Laithier réfute cette hypothèse et considère que la responsabilité contractuelle est fondamentalement justifiée par des considérations économiques30: l'objectif serait avant tout de réduire le préjudice du créancier et subséquemment, le montant des dommages-intérêts dus par le débiteur.

26. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 554

27. Ewan McKENDRICK, Contract law, Basingstoke (GB): Palgrave Macmillan, cop. 2009, p.316 : "One contracting party may inform the other party, before the time fixed for performance under the contrat, that he will not perform his obligations under the contract. This is called an anticipatory breach of contract, which entitles the innocent party to terminate performance of the contract immediately".

28. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.

29. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 555

30. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p.555

15

Cette jurisprudence a par la suite influencé le continent américain: l'inexécution anticipée a en effet été reconnue par la Cour suprême fédérale en 1900, progressivement été adoptée par les Etats fédérés31, "codifié par l'UCC32, consacrée par le premier Restatement of Contracts33, (...), puis reprise et améliorée par le second Restatement of Contracts"34.

L'inexécution anticipée s'étant étendue à l'ensemble des pays de common law, elle est également reconnue dans la sphère européenne35 et internationale36 et tend par ailleurs à influencer les systèmes de droit romano-germanique37.

B\ Le fondement de l'inexécution anticipée

Les raisons du succès d'un mécanisme juridique permettant à un créancier de s'extraire d'un contrat voué à l'échec avant même que les obligations de l'autre partie ne soient échues peuvent notamment s'expliquer par le faible rapport d'interdépendance que le droit anglais des contrats attribue aux obligations des cocontractants. Comme ont pu le faire remarquer René David et David Pugsley, "même si l'on parle droit des contrats (law of contract), c'est bien plutôt l'idée d'engagement contractuel (promise) qui est l'idée centrale dans ce droit". Au sein de ce système juridique, le contrat est avant tout considéré comme un regroupement de promesses indépendantes, à l'inverse des systèmes de droit civilistes qui confèrent au contrat le caractère d'un tout unitaire et indivisible marqué par la réciprocité des engagements. "L'importance du lien contractuel" a en effet pu être mise en évidence en droit français par la notion de cause, inconnue du droit anglais.38Par conséquent, si le droit français peut aisément concevoir qu'un créancier puisse s'extraire d'un contrat en cas d'inexécution par son débiteur, il en va tout autrement lorsque l'inexécution n'est pas encore exigible. Le fait pour l'un des cocontractants de se désengager en raison d'un simple risque d'inexécution briserait la relation

31. Central Trust Co v. Chicago Auditorium, 240 U.S. 581, spéc., p.589 ; Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 556

32. UCC §2-610

33. Restatement of Contracts §250 et s.

34. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 556

35. PDEC Art 9:304: "Si avant la date à laquelle une partie doit exécuter, il est manifeste qu'il y aura inexécution essentielle de sa part, le cocontractant est fondé à résoudre le contrat".

36. Principes d'UNIDROIT: Art 7.3.3; Convention de Vienne du 11 avril 1980: Art 71 et 72

37. Par ex, en droit allemand: §323 (4) BGB: "Le créancier peut résoudre le contrat avant même l'échéance de la prestation, s'il est évident que les conditions de la résolution sont remplies".

38. René DAVID et David PUGSLEY avec la collaboration de Françoise GRIVART de KERSTRAT, Les contrats en droit angais, LGDJ, 1985: "Le rapport d'interdépendance qui existe entre les obligations des deux contractants sera d'une part moins marqué en droit anglais que dans le droit français, où l'idée centrale de cause, si discutée qu'elle soit aujourd'hui, a eu historiquement le mérite de mettre en relief l'importance du lien contractuel".

16

existante entre les obligations de chacune des parties.

Concevoir le contrat comme "un engagement, ou un ensemble d'engagements reconnus par le droit"39 en l'absence de lien contractuel ne pouvait investir le contrat d'une force obligatoire aussi vigoureuse qu'en droit français. Si l'on considère l'engagement d'une manière isolée, il serait incongru que le droit anglais des contrats puisse imposer, à l'instar du système juridique français40, un consentement mutuel des cocontractants pour permettre la révocation du contrat. La force obligatoire du contrat s'explique en effet partiellement en raison du lien existant entre les obligations de chacune des parties. L'interdépendance entre les engagements de chacune des parties permet en effet au contrat de droit français de revêtir une force obligatoire beaucoup plus vigoureuse qu'en droit anglais. L'engagement étant en revanche considéré isolément en droit anglais, la faculté de se désengager ne pouvait alors être que plus simplement reconnue et attribuer à la notion civiliste d'exécution forcée qu'un caractère exceptionnel. Ainsi, ce n'est que si le non respect dudit engagement aura causé "un dommage contraire au droit" qu'il engagera la responsabilité de son auteur et contraindra ce dernier à l'allocation de dommages-intérêts. Le droit anglais des contrats reconnaît par ailleurs qu'un tel dommage pourrait résulter de la trahison de la confiance légitime que le créancier aura placé en son débiteur (injurious reliance)"41.

On peut ainsi aisément concevoir que lorsque la confiance du créancier aura été trompée, ce dernier aura la faculté de sortir du contrat sans être tenu par ses propres engagements et pourra en outre demander une allocation de dommages-intérêts pour le préjudice subi. Le créancier n'aura donc aucunement besoin d'attendre que l'obligation de son débiteur devienne exigible et qu'une atteinte effective ait été portée au lien contractuel par ce dernier pour demander la résolution du contrat: la rupture du simple lien de confiance légitime, issu d'une certitude du créancier tenant à l'inexécution future par le débiteur, suffira pour qu'il puisse se désengager sans qu'aucune faute ne lui soit imputable.

Le droit anglais des contrats jouissait alors, au XIXe siècle, d'une certaine souplesse permettant à une notion telle que l'"anticipatory breach of contract" d'émerger pour ensuite connaître une ascension fulgurante.

39. Définition doctrinale de Pollock

40. Art 1134 alinéa 2

41. René DAVID et David PUGSLEY avec la collaboration de Françoise GRIVART de KERSTRAT, Les contrats en droit angais, LGDJ, 1985

17

§2: l'exception pour risque d'inexécution

Bien qu'actuellement inexistant en droit anglais (A), l'exception pour risque d'inexécution est un mécanisme d'anticipation consacré par le code de commerce uniforme des Etats-Unis (B).

A\ En droit américain

L'"anticipatory breach of contract" constitue une mesure forte ne pouvant s'appliquer qu'en cas de certitude d'inexécution future. Il est cependant très tôt apparu que le simple risque d'une inexécution à venir méritait une certaine attention par le biais d'un mécanisme aux effets beaucoup plus tempérés: l'exception pour risque d'inexécution. Ce mécanisme a fait sa première apparition au sein d'un article 2-609 du code de commerce uniforme des États-Unis applicable au contrat de vente42. Ce texte dispose qu'"un contrat de vente impose à chaque partie l'obligation de ne pas nuire aux attentes de l'autre de recevoir la prestation due. Toutefois, en présence de raisons sérieuses de crainte quant à l'exécution du contrat, l'autre partie peut demander par écrit une garantie de cette exécution. Jusqu'au moment de la réception de cette garantie, celle-ci peut, si cela est commercialement raisonnable, suspendre tout type d'exécution pour laquelle elle n'a pas encore reçu la contrepartie convenue". Par conséquent, si un simple doute sérieux ne permet pas de procéder à la résolution du contrat, il autorise le créancier craintif à suspendre l'exécution de ses propres obligations contractuelles. Le second Restatement of contracts (art 251) a par la suite entrepris de permettre l'application de ce mécanisme initialement prévu pour le seul contrat de vente à l'ensemble des contrats.

Le code de commerce uniforme a pu par la suite constituer un modèle incontournable pour tous les codificateurs ayant récemment entrepris d'introduire l'exception pour risque d'inexécution. Tel est notamment le cas de l'article 7.3.4 des Principes Unidroit et de l'article 8.105 des Principes du droit européen du contrat.43.

42. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.

43. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.

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B\ En droit anglais

Pour l'heure, l'exception pour risque d'inexécution n'est pas admise en droit anglais. Le code de commerce uniforme du droit américain semble toutefois avoir déployé une certaine influence sur le droit anglais des contrats qui "envisageait d'introduire dans son droit positif ce remède, fondé sur la perte de confiance en son cocontractant, à l'occasion de la préparation à partir de 1966 d'un projet de Code des contrats à l'initiative de la Law Commission"44. La consécration de l'exception pour risque d'inexécution, complémentaire de l'"anticipatory breach", en droit européen des contrats, devrait toutefois, à terme, encourager son introduction en droit anglais.

Section 2: Des mécanismes d'anticipation en droit continental et international

Bien qu'étant issu des systèmes juridiques de common law, les mécanismes d'anticipation que sont la résolution anticipée et l'exception pour risque d'inexécution n'ont eu de grandes difficultés à s'exporter vers des droits de tradition civiliste (§1). Preuve ultime de leur importance en matière de relations d'affaires, ils sont également consacrés en droit du commerce international (§2).

§1: Des mécanismes d'anticipation dans les pays de tradition civiliste

Si l'"anticipary breach of contract" n'a eu aucun mal à trouver place au sein de plusieurs États de l'Union Européenne (B), il a également su s'exporter au sein de pays où la situation juridique, politique et coutumière pourrait paraître très éloignée des pays occidentaux (A).

A. L'anticipation du risque d'inexécution en droit chinois

1. L'exception pour risque d'inexécution

L'exception pour risque d'inexécution est un mécanisme explicitement admis en droit

44. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.

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chinois à l'inverse du droit français qui ne permet sa mise en oeuvre uniquement que par l'application de certains textes dérogatoires au droit commun ou encore, par le détour de certains instruments juridiques tels que l'action en référé45. Il convient également de noter que pour éviter la pérennité de la suspension et permettre au créancier de trouver un cocontractant susceptible de répondre à ses besoins économiques, celui-ci est autorisé à résoudre le contrat par anticipation dans le cas où le débiteur ne donnerait pas de garanties suffisantes d'exécution suite à la mise en oeuvre de l'exception pour risque d'inexécution.

2. La résolution anticipée

La résolution anticipée a été admise en droit chinois par une loi du 15 mars 199946. La lecture de la doctrine chinoise ayant commenté cette loi dénote une volonté de défendre les intérêts du créanciers avant ceux du débiteur. Yang Lixin a ainsi naturellement affirmé que lorsque le créancier "sait que l'autre partie n'exécutera pas son obligation, il est injuste d'attendre l'arrivée de l'inexécution sans pouvoir adopter des mesures positives"47.

Le droit français semble bien au contraire faire prévaloir les intérêts du débiteur. En effet, la résolution judiciaire doit en principe être demandé en justice: seul le juge peut alors décider si oui ou non, le créancier sera libéré ou bien si un délai de grâce doit être de nouveau accordé au débiteur. À travers un droit des contrats fortement marqué par le courant solidariste et l'emploi fréquent du terme "débiteur malheureux" par nombre d'auteurs, il semble difficile d'admettre avec aisance le concept d'une résolution anticipée qui permettrait au créancier de s'extraire du contrat avant que l'obligation du cocontractant ne soit échue.

Le droit chinois, à l'instar des systèmes juridiques de common law, protège davantage le créancier d'une obligation inexécutée ou plus simplement, d'une obligation risquant de faire l'objet d'une inexécution.

Trois conditions doivent toutefois être respectées pour pouvoir résoudre un contrat par anticipation: il est nécessaire que le créancier se trouve "avant l'échéance de la date d'exécution", dans le cas inverse, il s'agirait d'une simple résolution pour inexécution. Il incombe également de déterminer que "l'une des parties manifeste explicitement, ou par son comportement, qu'elle n'exécutera pas" le contrat; l'appréciation étant effectuée in concreto.

45. Voir infra, p. 32

46. Marie Peig-Heng CHANG, La résolution du contrat pour inexécution: Etude comparative du droit français et du droit chinois, PUAM 2005

47. Lixin YANG (sous la direction de), Commentaire des articles de la loi sur les contrats en Chine, éd. Xinghua, Pékin, 1999, pp. 213-214

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Enfin, "il faut que l'inexécution anticipée porte sur l'obligation principale du contrat. Si la violation porte sur une obligation accessoire, le contrat ne peut alors être résolu". Ces conditions mettent ainsi en relief un critère d'évidence48 quant à l'inexécution future ainsi qu'un critère d'intensité tenant à l'obligation inexécutée.

Force est de constater que le droit chinois a repris de manière assez fidèle le régime des recours anticipés des pays de common law. Ce dernier s'est par ailleurs également exporté au sein de l'Union Européenne.

B. L'anticipation du risque d'inexécution en droit européen

Les mécanismes d'anticipation n'ont pu qu'attirer l'attention des juristes européens ayant effectivement entrepris d'élaborer divers travaux doctrinaux et propositions parlementaires (1) ainsi que celles de législateurs nationaux ayant inévitablement été influencé par le législateur européen (2).

1. Droit de l'ue

Le droit européen des contrats démontre une volonté d'admettre au sein de ses États membres les mécanismes de la résolution anticipée et de l'exception pour risque

d'inexécution. Une telle ambition se révèle à travers la lecture des Principes de Droit Européen des Contrats (a) et de la proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif à un droit commun européen de la vente (b).

a) Les PDEC

Le juriste français ne peut plus, à l'heure actuelle, ignorer les travaux doctrinaux effectués à l'échelle européenne. Les principes de droit européen des contrats élaborés par la commission Lando visant à faciliter l'harmonisation d'un droit commun des contrats au sein

48. Terme employé par Aurélie BRES, Maitre de conférence à l'Université Montpellier I: Aurélie BRES, La résolution du contrat par dénonciation unilatérale, Litec 2009. L'emploi de ce mot dénote qu'il n'est pas obligatoire de détenir une "certitude absolue", quasiment impossible à obtenir, sur l'inexécution future mais que la situation actuelle laisse raisonnablement penser qu'il y aura inévitablement inexécution de la part du débiteur.

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de l'UE, constituent alors un document de référence incontournable.

Afin d'élaborer des règles suffisamment souples et aisément applicables aux échanges commerciaux, les rédacteurs se sont inspirés des droits nationaux des États membres mais également des Restatements américains et de conventions internationales telles que la Convention de Vienne sur les contrats de vente de marchandises.49

Il n'était alors pas étonnant de constater que les recours anticipés que constituent l'exception pour risque d'inexécution et la résolution anticipée n'aient échappé à la vigilance des rédacteurs.

La résolution anticipée est consacrée par un article 9:304 des PDEC qui dispose que "lorsque dès avant la date à laquelle une partie doit exécuter, il est manifeste qu'il y aura inexécution essentielle de sa part, le co-contractant est fondé à résoudre le contrat."50

On constatera en premier lieu que la résolution anticipée est limitée par l'existence de prudentes conditions de mise en oeuvre, à l'instar de l'ensemble des systèmes juridiques qui consacrent ce mécanisme: l'inexécution ne saurait concerner une simple condition accessoire tandis que sa survenance doit découler de l'"évidence"51.

Comme a effectivement pu le démontrer Aurélie Brès, l'emploi du terme "manifeste" indique que la survenance d'une inexécution essentielle ne doit pas être simplement probable mais être "évidente". Toutefois, il n'est aucunement nécessaire de détenir une "certitude absolue": l'évidence signifie que les circonstances actuelles permettent raisonnablement de déduire que le débiteur n'exécutera pas ses obligations contractuelles.

La rédaction de cet article étant assez vague, il incombait à la doctrine de déterminer avec précision quels types de faits étaient susceptibles de caractériser une inexécution future: le débiteur pourrait par exemple se trouver durablement dans l'impossibilité matérielle d'exécuter ses obligations contractuelles, ou encore, affirmer clairement qu'il n'exécutera pas ses obligations.52

Les PDEC consacrent également l'exception pour risque d'inexécution qui constituent un complément indissociable53 de la résolution anticipée. L'article 9:201 dispose en effet

49. Ole LANDO et Hugh BEALE (éd). - The principles of european Contract Law, Part I, Non-performance and Remedie, RIDC 1996 Vol 48 N°1 p. 229

50. Rémy CABRILLAC, Droit européen comparé des contrats, LGDJ, 2012

51. Terme employé par Aurélie BRES, Maitre de conférence à l'Université Montpellier I: Aurélie BRES, La résolution du contrat par dénonciation unilatérale, Litec 2009. L'emploi de ce mot dénote qu'il n'est pas obligatoire de détenir une "certitude absolue", quasiment impossible à obtenir, sur l'inexécution future mais que la situation actuelle laisse raisonnablement penser qu'il y aura inévitablement inexécution de la part du débiteur.

52. Aurélie BRES, La résolution du contrat par dénonciation unilatérale, Litec 2009

53. Voir infra, p.56

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qu'"une partie peut (...) suspendre l'exécution de sa prestation dès lors qu'il est manifeste qu'il y aura inexécution de la part du co-contractant à l'échéance"54. Il convient de noter que la récente réforme française du droit des contrats consacre expressément l'exception pour risque d'inexécution. Force est d'observer, malgré l'absence de la résolution anticipée au sein de la réforme, que les PDEC constituent désormais un modèle incontournable pour le législateur français.

b) La proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif à un droit commun européen de la vente55

La proposition de règlement relative à un droit commun européen de la vente a théoriquement pour objectif principal de réduire les coûts de transaction imputables aux différences entre les systèmes juridiques des États membres. Une telle réduction devrait nécessairement pourvoir à la fluidité des relations commerciales transfrontières56. Bien que le régime mis en place serait facultatif pour les cocontractants et affiche alors une vocation à cohabiter avec les droits nationaux, l'objectif poursuivi est en réalité beaucoup plus ambitieux. De nombreux articles concernent en réalité la plupart des contrats et non la seule vente, de sorte que les législateurs nationaux risquent à terme, d'être incités à procéder à une harmonisation totale du droit des contrats57. Tel est notamment le cas des dispositions concernant la "résolution pour inexécution anticipée" ainsi que l'exception pour risque d'inexécution que le règlement qualifie de "droit de suspendre l'exécution". Le droit de résoudre ou de suspendre le contrat par anticipation ne peut en effet concerner la seule vente, bien que les rédacteurs ne manquent pas de mentionner clairement les termes "vendeurs" et "acheteurs" au sein des articles. Par conséquent, lorsque les législateurs nationaux intégreront cette possibilité, bien que facultative, au sein de leur système juridique, ils seront très certainement contraint de modifier le droit national pour appliquer ces mécanismes à l'ensemble des contrats bien que certains contrats spéciaux feront certainement exception.

Jean Sebastien Borghetti a ainsi pu faire remarquer que l'admission d'un tel règlement européen entraînerait à terme une inévitable harmonisation du droit commun des contrats pour

54. Rémy CABRILLAC, Droit européen comparé des contrats, LGDJ, 2012, p.166

55. Proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif relatif à un droit commun européen de la vente du 11/10/2011 COM(2011) 635 final

56. http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2011:0635:FIN:fr:PDF

57. S. BROS, Le projet de droit commun européen de la vente: menace ou opportunité pour le modèle contractuel français - la place de l'unilatéralisme: progrès ou danger?, RDC octobre 2012 p.1452

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la simple raison qu'il existe une évidente synergie entre le droit commun et le droit spécial: il serait inconcevable de déconnecter ces deux composantes. Il pourrait en effet paraître inopportun d'admettre la résolution anticipée et l'exception pour risque d'inexécution dans le cadre du contrat de vente et non pour d'autres types de contrats. De même, il pourrait sembler incongru d'accepter ces deux outils juridiques pour les relations transfrontières et non pour les rapports strictement internes.

La proposition de règlement européen aurait donc une influence certaine sur le droit commun français des contrats: son admission inciterait fortement le législateur à introduire la résolution anticipée et l'exception pour risque d'inexécution en droit positif.

Les objectifs d'harmonisation totale poursuivis par les institutions européennes ne manquent toutefois pas d'entraîner un certain nombre de conflits. Deux articles concernent la résolution anticipée et sont chacun situés sous un chapitre intitulé "moyens d'action à la disposition de l'acheteur" et "moyens d'action à la disposition du vendeur". Leur rédaction est cependant quasiment identique et autorisent aussi bien l'acheteur que le vendeur à procéder à une résolution pour inexécution anticipée "dès lors que l'inexécution serait de nature à justifier la résolution" et dans le cas où le cocontractant aurait "déclaré qu'il ne s'exécuterait pas ou s'il est par ailleurs manifeste qu'il ne s'exécutera pas. "58 Ces dispositions n'ont pas échappé à certaines critiques, notamment en ce qui concerne les rapports déséquilibrés que constituent les relations entre consommateurs et professionnels. Si l'on pourrait aisément concevoir l'admission d'une telle possibilité pour les relations entre professionnels, il en est tout autrement dans le cadre d'une relation entre consommateur et professionnel et où ce dernier souhaiterait unilatéralement mettre fin au contrat avant que l'obligation de payer du consommateur ne soit échue. Comme a pu le faire remarquer S. Bros, "le professionnel qui, par exemple, a recueilli plus de commandes qu'il ne peut fournir de produits, ne va t-il pas (résoudre) le contrat en se prévalant de quelques motifs douteux"59? Force est de constater que si l'anticipation du risque d'inexécution par le biais de la résolution anticipée est concevable pour assouplir les relations d'affaires entre partenaires commerciaux, il serait inopportun d'en faire application pour les relations déséquilibrés tels que les rapports entre consommateurs et professionnels ou encore, entre grandes entreprises et PME. Or le souci animant les institutions européennes est de cantonner les pouvoirs du juge qui demeure avant tout national

58. Article 116 et 136 de la proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif relatif à un droit commun européen de la vente du 11/10/2011 COM(2011) 635 final

59. Le projet de droit commun européen de la vente: menace ou opportunité pour le modèle contractuel français - la place de l'unilatéralisme: progrès ou danger? S. BROS, RDC octobre 2012 p.1452

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et qui de ce fait, constitue un obstacle sérieux à l'harmonisation recherchée en droit des contrats60. Il n'est donc aucunement étonnant de constater que "l'unilatéralisme"61 prend une place importante au sein de ce règlement. Par ailleurs, la résolution anticipée ne saurait, pour des raisons d'efficacité évidente, être mise en oeuvre que de manière unilatérale62. Recourir à un juge briserait l'utilité de ce mécanisme qui est de répondre à un objectif de célérité. Il est toutefois nécessaire de rappeler que "le consommateur et la petite entreprise ont besoin d'un juge pour encadrer leurs relations économiques"63.

2. droit des pays voisins

Outre l'Angleterre, plusieurs États membre de l'Union européenne reconnaissent également la résolution anticipée ainsi que l'exception pour risque d'inexécution non reconnue en droit anglais.

Ainsi, le droit allemand consacre, depuis une réforme du 26 novembre 200164, la résolution anticipée au sein d'un article §323 (4) du BGB qui dispose que "le créancier peut résoudre le contrat avant même l'échéance de la prestation, s'il est évident que les conditions de la résolution sont remplies". L'on constate de prime abord que le BGB admet l'inexécution future comme "juridiquement acquise"65; les conditions de mise en oeuvre de la résolution pour inexécution et celles de la résolution anticipées étant identiques. Cette dernière n'est pas soumise à des conditions d'applications autonomes. Il y a eu lieu d'en déduire que l'inexécution future est assimilée à une inexécution consommée. À partir du moment où l'inexécution future est "évidente", il y a lieu de la traiter de la même manière qu'une inexécution actuelle.

Le droit allemand reconnaît également l'exception pour risque d'inexécution. L'article §321 (1) du BGB admet en effet cette possibilité "lorsqu'après la conclusion du contrat, il devient manifeste que son droit à contre-prestation est menacé par le manque de ressource de l'autre partie". On remarque alors que l'exception pour risque d'inexécution est subordonnée à un

60. Le projet de droit commun européen de la vente: menace ou opportunité pour le modèle contractuel français - la place de l'unilatéralisme: progrès ou danger? S. BROS, RDC octobre 2012 p.1452

61. Le projet de droit commun européen de la vente: menace ou opportunité pour le modèle contractuel français - la place de l'unilatéralisme: progrès ou danger? S. BROS, RDC octobre 2012 p.1452

62. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour inexécution, LGDJ, 2007

63. Le projet de droit commun européen de la vente: menace ou opportunité pour le modèle contractuel français - la place de l'unilatéralisme: progrès ou danger? S. BROS, RDC octobre 2012 p.1452

64. Loi du 26 novembre 2001 relative à la modernisation du droit des obligation (Gesetz zur Modernisierung des Schuldrechts)

65. Rémy CABRILLAC, Droit européen comparé des contrats, LGDJ, 2012

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risque d'insolvabilité du cocontractant. Le champ d'application de ce mécanisme est donc plus restreint en droit allemand que dans nombre de systèmes juridiques qui l'autorisent. En effet, le code de commerce uniforme du droit américain, les PDEC, ainsi que le projet français de réforme de droit des contrats n'imposent aucunement de rapporter l'existence d'un risque d'insolvabilité du cocontractant.

On pourra par ailleurs noter que le droit italien subordonne également l'application de l'exception pour risque d'inexécution à un tel risque d'insolvabilité. L'article 1461 du code civil italien autorise tout contractant à suspendre l'exécution de sa prestation "si les conditions patrimoniales de l'autre partie ont changé de telle sorte que l'obtention de la contreprestation est en sérieux danger"66. Ce texte a été introduit en 1942 sous l'influence du droit allemand67.

§2: Droit du commerce international et mécanismes d'anticipation

En ce qui concerne le droit du commerce international, la convention de Vienne du 11 avril 1980 relative à la vente internationale de marchandises (A) ainsi que les Principes Unidroit relatifs aux contrats du commerce international (B) consacrent la résolution anticipée du contrat.

A\ Convention de Vienne du 11 avril 1980

L'article 72 de la convention de Vienne du 11 avril 1980 relative à la vente internationale de marchandise dispose au sein d'un alinéa 1er que "si, avant la date de l'exécution du contrat, il est manifeste qu'une partie commettra une contravention essentielle au contrat, l'autre partie peut déclarer celui-ci résolu"68. Ce texte est rédigé au sein d'un chapitre V intitulé "dispositions communes aux obligations du vendeur et de l'acheteur" et d'une section I intitulée "Contravention anticipée et contrats à livraisons successives". L'idée d'anticipation étant clairement évoquée, il ressort de ces titres une indéfectible volonté d'accorder une importante place à la résolution anticipée; celle-ci pouvant par ailleurs être

66 Art. 1461 du code civil italien: "Ciascun contraente può sospendere l'esecuzione della prestazione da lui dovuta, se le condizioni patrimoniali dell'altro sono divenute tali da porre in evidente pericolo il conseguimento della controprestazione, salvo che sia prestata idonea garanzia (1822, 1877, 1956,1959; att. 169)."; Andréa Pinna, L'exception pour risque d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.

67. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.

68. http://www.uncitral.org/pdf/french/texts/sales/cisg/V1056998-CISG-f.pdf

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mise en oeuvre unilatéralement tant par le vendeur que l'acheteur. A l'instar des nombreux systèmes juridiques admettant ce mode d'anticipation, le texte exige la présence d'un risque manifeste d'inexécution.

Le deuxième alinéa de l'article 72 indique quant à lui que, "Si elle dispose du temps nécessaire, la partie qui a l'intention de déclarer le contrat résolu doit le notifier à l'autre partie dans des conditions raisonnables pour lui permettre de donner des assurances suffisantes de la bonne exécution de ses obligations". Le créancier est donc tenu, à l'exception des cas où le temps ne viendrait à manquer, d'offrir au débiteur la possibilité de démentir les apparences en fournissant au premier des "assurances suffisantes de la bonne exécution de ses obligations". Un principe de faveur pour le maintien du lien contractuel est ainsi affirmé malgré l'énonciation d'une possibilité de rompre unilatéralement le contrat en présence d'un simple risque d'inexécution.

B\ Principes Unidroit

A l'instar de la Convention de Vienne du 11 avril 1980, les principes Unidroit relatifs aux contrats du commerce international consacrent explicitement la faculté pour le créancier situé face à un risque manifeste d'inexécution, la possibilité de résoudre unilatéralement le contrat par anticipation. L'article 7.3.3 dispose en effet qu'"une partie est fondée à résoudre le contrat si, avant l'échéance, il est manifeste qu'il y aura inexécution essentielle de la part de l'autre partie. "

Le succès international des mécanismes d'anticipation que sont la résolution anticipée et l'exception pour risque d'inexécution ont naturellement pu déployer une influence sur la doctrine, la jurisprudence et la législation française.

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Chapitre 2: L'ouverture du droit interne aux mécanismes
d'anticipation

La résolution anticipée du contrat pour risque d'inexécution ne fait l'objet d'aucune reconnaissance législative à l'heure actuelle, bien que la jurisprudence n'y semble pas catégoriquement hostile et que certains travaux doctrinaux plaident en faveur de son admission (Section 2). Une évolution semble toutefois se dessiner avec la reconnaissance explicite de l'exception pour risque d'inexécution au sein du projet de réforme de droit des contrats, bien qu'un telle mécanisme puisse d'ores et déjà être appliqué de manière résiduelle en droit positif (Section 1).

Section 1: La reconnaissance de l'exception pour risque d'inexécution

Bien que l'exception pour risque d'inexécution ne soit pour l'heure admise au sein d'une disposition générale (§1), elle devrait bientôt apparaître au sein de notre système juridique à la suite de la réforme prévue du droit des contrats (§2).

§1: La dissimulation de l'exception pour risque d'inexécution

L'exception pour risque d'inexécution est actuellement admise par certaines dispositions relatives au contrat de vente (A). Au delà de ce seul contrat, de nombreux subterfuges permettent toutefois d'appliquer l'exception pour risque d'inexécution alors qu'elle ne fait l'objet d'aucune consécration générale. C'est ce que permet notamment une application détournée de la déchéance du terme, bien la réelle efficacité de ce détour soit controversée (B), ainsi que des référés spéciaux (C).

A\ Les dispositions relatives au contrat de vente

A l'heure actuelle, le code civil français ne contient pas de dispositions générales tenant à l'exception pour risque d'inexécution. Tout au plus, celui-ci expose un nombre

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particulièrement restreint de dispositions spéciales contenant une telle mesure: il s'agit des articles 1613 et 1653 du code civil. Ces textes concernent le seul contrat de vente.

Aux termes de l'article 1613 du code civil, le vendeur n'est pas obligé "à la délivrance, quand même il aurait accordé un délai pour le payement, si, depuis la vente, l'acheteur est tombé en faillite ou en état de déconfiture, en sorte que le vendeur se trouve en danger imminent de perdre le prix; à moins que l'acheteur ne lui donne caution de payer au terme". N'affichant aucune volonté d'appliquer cette mesure au delà du seul contrat de vente, le législateur ne s'est pas prononcé avec des termes généraux pour désigner l'exception pour risque d'inexécution. Ainsi, nous ne décelons pas d'expressions telles que "suspendre l'exécution de ses propres obligations d'exécution contractuelles" et "en présence d'un risque d'inexécution par le cocontractant" mais de termes propres au contrat de vente. Le risque d'inexécution est ici évoqué sous l'expression "danger imminent de perdre le prix"69 alors que l'exception traduit la non obligation pour le vendeur de délivrer le bien. La mise en oeuvre de ce mode d'anticipation est subordonnée à un "état de faillite ou de déconfiture" chez l'acheteur. La suspension des obligations ne peut donc ici être mise en oeuvre que pour un risque d'inexécution découlant de circonstances bien précises.

Ce faisant, le législateur affiche une volonté de pallier à la suppression de la déchéance du terme70 en cas d'ouverture d'une procédure collective opérée par la loi du 25 janvier 198571. Si il est, depuis cette réforme, impossible de rendre immédiatement exigible une obligation originairement affectée d'un terme en raison d'une procédure collective, il serait inconcevable d'empêcher le vendeur de prendre un certain nombre de mesures lui permettant de protéger ses intérêts économiques72. Si l'obligation à terme du cocontractant ne peut devenir exigible, les conséquences d'une probable inexécution doivent pouvoir être anticipées.

L'article 1653 protège, à l'inverse, les intérêts économiques de l'acheteur situé face à un risque d'inexécution. Selon ce texte, lorsque "l'acheteur est troublé ou a juste sujet de craindre d'être troublé par une action, soit hypothécaire, soit en revendication, il peut suspendre le paiement du prix jusqu'à ce que le vendeur ait fait cesser le trouble, si mieux n'aime celui-ci donner caution, ou à moins qu'il n'ait été stipulé que, nonobstant le trouble,

69. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM 2011, p.231

70. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.

71. Loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises

72. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM 2011, p.231: "Le jugement d'ouverture n'entrainant pas la déchéance du terme, l'obligation de l'acheteur ne peut, même de ce fait, être traitée comme une obligation méconnue".

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l'acheteur paiera." L'expression vague "a juste sujet de craindre d'être troublé par une action" peut poser certaines difficultés d'appréciation. Quel est le degré d'intensité attendu du risque d'inexécution? La jurisprudence semble se livrer à une interprétation restrictive du texte: la cour de cassation a en effet estimé que l'acheteur ne devrait suspendre le paiement du prix qu'en présence d'"un véritable péril d'éviction" ou d'"un danger sérieux"73.

Quant au préjudice, actuel ou éventuel, justifiant la mise en oeuvre de l'exception pour risque d'inexécution, celui-ci est constitué par une atteinte à l'exercice du droit de propriété74. Il convient de rappeler que ce droit est une liberté fondamentale traditionnellement considérée comme étant inviolable et sacrée75. Il n'est alors nullement étonnant de constater que le législateur ait pu prendre soin d'octroyer à l'acheteur un mécanisme d'anticipation permettant d'éviter une telle violation.

B\ L'application détournée de la déchéance du terme

Bien qu'il soit interdit au créancier d'exiger l'exécution d'une obligation avant terme76, il existe une mesure permettant, sous certaines conditions, de procéder à la déchéance du terme même. Ses conditions d'applications demeurent toutefois restrictives: la déchéance ne peut notamment jouer, nous l'avons vu, en cas d'ouverture d'une procédure collective.

L'article 1188 du code civil dispose que "le débiteur ne peut plus réclamer le bénéfice du terme lorsque par son fait il a diminué les sûretés qu'il avait données à son créancier". Le créancier pressentant un danger du fait de la diminution par le débiteur des sûretés qu'il lui avait donné, peut ainsi invoquer la déchéance du terme pour rendre les obligations immédiatement exigibles. L'ordre des prestations étant supprimées, les obligations de chacun deviennent simultanées. Le mécanisme classique de l'exception d'inexécution peut alors être invoqué par chacune des parties, la simultanéité constituant la condition d'exercice de l'exception d'inexécution. Selon Andréa Pinna, ce "détour par la déchéance du terme" masquerait une manoeuvre assimilable à une exception pour risque d'inexécution77.

73. Civ 1er, 23 octobre 1963, bull n°452; Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM 2011, p.231

74. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM 2011, p.234

75. Article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : "la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité."

76. Article 1186 du code civil: "Ce qui n'est dû qu'à terme, ne peut être exigé avant l'échéance du terme ; mais ce qui a été payé d'avance ne peut être répété."

77. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, Rtd civ 2003, p.31 et s.

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Il s'ensuit alors inévitablement la difficulté suivante: l'exception d'inexécution pourra être invoquée par chacune des parties au contrat, de sorte que les effets du contrat feront l'objet d'un blocage plus ou moins prolongé. En effet, "le bénéfice de ce remède étant réciproque par nature, chacune des parties trouve son inexécution justifiée tant que son cocontractant ne s'est pas exécuté"78. Une telle situation ne pourrait perdurer indéfiniment; par conséquent, le blocage peut être résolu par le mutuus dissensus permettant à une partie de demander la révocation de la convention sur le fondement de l'article 1134 alinéa 2 du code civil. Le mutuus dissensus peut en effet résulter de circonstances de fait dont l'appréciation relève des juges du fond79. On aboutit alors en pratique à une sorte de résolution anticipée.

La déchéance du terme peut ainsi constituer une mesure d'anticipation du risque d'inexécution bien qu'il ne s'agisse pas de son objectif premier. Comme le fait remarquer Andréa Pinna, l'anticipation "n'a pas lieu par rapport au terme, c'est le terme même qui est anticipé"80. Autrement dit, si l'anticipation permet de "faire comme si"81 l'inexécution était actuelle, la déchéance du terme permet de "faire comme si" les obligations de chacun étaient d'ores et déjà exigibles.

Ce détour par la déchéance du terme permettrait alors de considérer que notre droit positif admet l'exception pour risque d'inexécution lorsque le débiteur procède à une diminution des sûretés qu'il avait données à son créancier; une telle diminution traduisant un risque sérieux d'insolvabilité. On constate ainsi un rapprochement avec nombre de législations étrangères admettant l'exception pour risque d'inexécution; tel est le cas de l'article 1461 du code civil italien qui permet plus largement au créancier de suspendre l'exécution de ses propres obligations "si les conditions patrimoniales de l'autre partie ont changé de telle sorte que l'obtention de la contreprestation est en sérieux danger"82.

Bien qu'une mutation des conditions patrimoniales du débiteur ne soit pas exactement assimilable à une diminution volontaire par ce dernier des sûretés auparavant données au créancier, les effets que l'on souhaite éviter sont identiques: l'insolvabilité du débiteur. Ce

78. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, Rtd civ 2003, p.31 et s.

79. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, Rtd civ 2003, p.31 et s.

80. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, Rtd civ 2003, p.31 et s.

81. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM, 2011, p.245; J.-C. Hallouin, L'anticipation: contribution à la formation des situations juridiques, thèse Poitiers, 1979

82. Art. 1461 du code civil italien: "Ciascun contraente può sospendere l'esecuzione della prestazione da lui dovuta, se le condizioni patrimoniali dell'altro sono divenute tali da porre in evidente pericolo il conseguimento della controprestazione, salvo che sia prestata idonea garanzia (1822, 1877, 1956,1959; att. 169)."

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rapprochement implicite, par le "détour de la déchéance du terme"83, avec les législations admettant expressément l'exception pour risque d'inexécution traduit ainsi l'opportunité de concevoir un tel mécanisme dans le marbre de la loi française. Tel est l'objet de l'article 1120 du projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats qui admet explicitement l'exception pour risque d'inexécution84.

L'existence d'un détour par la déchéance du terme permettant de déduire l'existence d'un mécanisme d'exception pour risque d'inexécution est toutefois réfutée par Fall Paraiso. Son idée s'appuie en premier lieu sur le fait que l'exception d'inexécution est un "mythe"; seul l'exception pour risque d'inexécution existerait. Il démontre cette hypothèse en expliquant qu'il est nécessaire d'opérer une distinction entre "absence d'exécution" et "inexécution".85

L'absence d'exécution indique la situation selon laquelle, il n'y a pas eu exécution de la part du débiteur alors que le temps pour accomplir celle-ci n'a pas encore expiré. Dans un tel cas, la mise en oeuvre d'une exception d'inexécution serait impossible puisqu'il n'y a pas encore eu d'inexécution. Seul un mécanisme d'anticipation du risque d'inexécution serait alors envisageable: à savoir, une exception pour risque d'inexécution ou une résolution anticipée.

L'inexécution, quant à elle, traduit la situation selon laquelle il n'y a pas eu exécution de la part du débiteur alors que le temps pour accomplir l'exécution a expiré. La seule issue possible serait alors d'appliquer le régime des sanctions de l'inexécution: à savoir, l'exécution forcée ou la résolution pour inexécution assortie de dommages-intérêts. Ce que l'on appelle "exception d'inexécution" ne serait en réalité qu'une mesure transitoire permettant au créancier de protéger ses intérêts économiques en attendant que la résolution ou l'exécution forcée du contrat ne prenne effet. Fall Paraiso qualifie alors cette mesure d'"abstention contentieuse" ou encore de "mise en demeure qui ne dit pas son nom".86

La déchéance du terme ayant pour effet, selon Andréa Pinna, de permettre la mise en oeuvre de l'exception d'inexécution ne pourrait donc avoir une efficacité réelle. Si l'obligation devient immédiatement exigible, l'exception d'inexécution ne pourra être appliquée qu'en vue d'obtenir la résolution du contrat pour inexécution ou bien l'exécution forcée, et ne masquera donc pas une réelle exception pour risque d'inexécution.

83. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, Rtd civ 2003, p.31 et s.

84. Art. 1220 du projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations: "Une partie peut suspendre l'exécution de sa prestation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais."

85. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM, 2011, p.225

86. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM, 2011, p.226

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Fall Paraiso a par ailleurs pu ajouter que, même dans le cas où l'exception d'inexécution existerait réellement, la condition de simultanéité des obligations n'aurait pu être remplie. L'affirmation selon laquelle il n'y aurait aucun ordre des prestations est un leurre87. En pratique, "il y a toujours un ordre des prestations; soit que celui-ci résulte de l'usage, du type d'obligation, de la nature de la convention, de son objet, ou encore des circonstances elles-mêmes". Tel est le cas de la vente au comptant où l'acheteur paie avant que le vendeur ne délivre la chose ou bien l'inverse88. L'ordre des prestations ne pouvant factuellement être supprimée, seule une exception pour risque d'inexécution pourrait, en pratique, avoir lieue.

C\ L'application détournée des référés spéciaux

Il a pu être affirmé que les règles du droit judiciaire privé pouvaient permettre au créancier de suspendre l'exécution de ses propres obligations en dérogation aux règles issues du droit des obligations qui interdisent d'opposer une exception d'inexécution en cas d'inexigibilité de la créance89.

Les dispositions relatives aux référés spéciaux permettent en effet au président du TGI de prescrire toute mesure conservatoire, telle que la "suspension de l'exécution de l'obligation préalable" aux fins de prévenir un dommage imminent. Il semblerait qu'aux yeux de la cour de cassation, un tel dommage puisse provenir d'un risque d'inexécution. La haute juridiction considère en effet que les juges du fond relèvent, "par motifs propres et adoptés, que les éléments versés aux débats sont de nature à laisser penser que le cessionnaire serait fondé à faire jouer les clauses de garanties stipulées en sa faveur et à opposer aux cédants l'exception d'inexécution ou de compensation ; qu'ayant par là-même constaté que le versement du solde du prix exposerait M. Amet (le cessionnaire) à un dommage imminent en le privant du bénéfice des garanties liées à la réciprocité des obligations en cause, la cour d'appel n'a fait qu'user des pouvoirs qu'elle tient de l'article 873 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile (...)"90.

Il convient de noter que le "détour par les référés spéciaux" permet également de

87. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM, 2011, p.240: "Ce détour par une fausse condition d'un faux-concept pour donner à l'exception pour risque d'inexécution une portée que la loi ne lui attribue pas est sans fondement".

88. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM, 2011, p.240

89. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, RTD civ 2003, p.31 et s.

90. Com. 2 févr. 1993, Bull. civ. IV, n° 46; cité par Andréa Pinna, L'exception pour risque d'inexécution, RTD civ 2003, p.31 et s.

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protéger le créancier des règles contraignantes des procédures collectives qui interdisent notamment la déchéance du terme en cas d'ouverture d'une telle procédure. Si le jugement d'ouverture entraîne un arrêt des poursuites individuelles en vertu d'un article L621-4091, ce dernier ne saurait s'appliquer aux seules mesures conservatoires. Or il convient de rappeler que les dispositions sur les référés spéciaux qualifient explicitement la suspension de l'exécution de l'obligation préalable de mesure conservatoire, et ce, à juste titre car l'exception pour risque d'inexécution ne constitue pas une mesure tendant directement à résoudre le contrat92. On constate ainsi que les règles du droit judiciaire privé peuvent venir contourner l'interdiction de principe par le droit des obligations de l'exception pour risque d'inexécution.

§2: La consécration de l'exception pour risque d'inexécution

Les détours plus ou moins efficaces évoqués ci-dessus dénotent l'évidence selon laquelle la consécration d'un principe général serait bienvenue (A). Le législateur semble avoir tenu compte de cette nécessité en consacrant explicitement l'exception pour risque d'inexécution dans le projet de réforme du droit des contrats (B).

A\ L'opportunité d'un principe général

La présence des subterfuges évoqués ci-dessus démontre que le créancier menacé de perdre la contrepartie attendue de l'exécution de ses propres obligations contractuelles souhaitera toujours anticiper ce danger. Le refus du législateur de consacrer pleinement un mode d'anticipation tel que l'exception pour risque d'inexécution conduit malgré tout à l'inverse de son intention première qui est de protéger, coûte que coûte, l'intangibilité du contrat. L'utilisation artificielle et détournée de certaines règles juridiques initialement inadaptées à l'anticipation du risque d'inexécution contractuelle, entraîne effectivement une mauvaise calibration. Outre l'inefficacité du détour par la déchéance du terme démontrée par

91. Article L621-40 du ccom:

"I. - Le jugement d'ouverture suspend ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers

dont la créance a son origine antérieurement audit jugement et tendant :

1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;

2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.

II. - Il arrête ou interdit également toute voie d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles.

III. - Les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont en conséquence suspendus."

92. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, RTD civ 2003, p.31 et s.

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Fall Paraiso, le détour par les référés spéciaux présente également un certain nombre d'inconvénients. Il convient en effet de noter que "le risque d'inexécution de l'obligation à terme constituera presque toujours la menace d'un dommage imminent depuis que le décret du 17 juin 1987 est venu confirmer que le juge de l'urgence ne peut se déclarer incompétent « en présence d'une contestation sérieuse ». Ce qui signifie que le juge peut autoriser la suspension de l'obligation préalable, même s'il n'est pas certain que le débiteur à terme se rendra coupable d'inexécution."93 Cette règle issue du droit judiciaire privé représente inévitablement un danger pour la sécurité des relations contractuelles étant donné que le juge des référés sera obligé de statuer quelque soit son degré de certitude quant au risque d'inexécution. Il s'ensuivrait alors un risque d'assimilation particulièrement fréquent de ce dernier, quelque soit son degré d'intensité, à un dommage imminent, et par conséquent, une utilisation fréquente et inadaptée de ce type d'"exception pour risque d'inexécution". La volonté du législateur de protéger l'intangibilité du contrat est donc contournée par l'utilisation d'outils juridiques inadaptés, et partant, plus nocifs encore pour le principe de force obligatoire du contrat que l'on entend protéger.

La consécration explicite d'un outil juridique répondant à l'objectif d'anticipation recherché permettrait au contraire de déployer un régime adapté, claire et précis. De la sorte, les risques que le législateur entend éviter pourront être exposés clairement dans ses conditions de mise en oeuvre. Le législateur semble avoir pris acte de ces inconvénients en consacrant explicitement l'exception pour risque d'inexécution dans le projet de réforme du droit des contrats.

B\ Le projet de la chancellerie

Aux termes de l'article 1120 du projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, "une partie peut suspendre l'exécution de sa prestation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais." Le créancier d'une éventuelle inexécution future peut donc suspendre unilatéralement l'exécution de ses propres obligations. L'exception pour risque d'inexécution est donc subordonnée à deux conditions: un risque manifeste d'inexécution et un certain degré de gravité des conséquences de l'inexécution pour le créancier. Le risque d'inefficacité judiciaire que présentait le "détour par

93. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, RTD civ 2003, p.31 et s.

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les référés spéciaux" est donc supprimé. L'initiative de l'anticipation du risque d'inexécution appartiendrait désormais au seul créancier. Ce faisant, il résulte une meilleure protection de ce dernier combinée à une responsabilisation accrue. Le créancier sera en effet impérativement contraint de respecter les conditions de mises en oeuvre exposées ci-dessus. La consécration explicite d'un instrument juridique fortement plébiscité a donc permis l'exposition d'un régime efficace et contraignant que ne pouvaient contenir des mécanismes inadaptés au but recherché.

Section 2: L'admissibilité de la résolution par anticipation

Bien que la résolution anticipée ne soit pas explicitement consacrée par le législateur (§1), la lettre actuelle des textes de loi (§2), tout comme la lecture de certaines décisions jurisprudentielles plus ou moins explicites (§3), ne semblent nullement fermer la porte à l'introduction d'un tel mécanisme d'anticipation.

§1: L'absence de consécration de la résolution anticipée

Malgré les réticences du législateur (A), une partie de la doctrine manifeste une volonté d'accueillir le concept de résolution anticipée en droit positif. Tel est le cas du projet Terré (B).

A\ Une réticence législative

La résolution anticipée n'est pas mentionnée dans le projet de la Chancellerie. Il semblerait alors que l'anticipation du risque d'inexécution devrait, aux yeux du législateur, se résumer à la seule exception pour risque d'inexécution. Celle-ci constituerait le compromis idéal entre la protection de l'intangibilité du contrat et l'anticipation du risque des inexécutions contractuelles.

Une telle réticence à l'admission de ce mode d'anticipation peut notamment s'expliquer par l'insécurité contractuelle qui découlerait du pouvoir attribué au créancier de décider unilatéralement d'une sanction aussi forte que la "destruction pure et simple du contrat"94.

94. S. PERUS-BICHOT, « La résolution unilatérale anticipée », in « La réforme du droit des contrats », RDA n° 1, janv. 2010, p. 85 s.

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Nous pourrions, en réponse à cette frilosité, émettre la remarque suivante: le principe de résolution unilatérale est malgré tout consacré par le projet de réforme du droit des contrats. L'article 1226 dudit projet, influencé par la jurisprudence antérieure, indique que "le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable." Le texte répond manifestement à l'impératif de célérité que commande la vie des affaires. Les partenaires commerciaux doivent pouvoir à cet effet éviter un assistanat judiciaire systématique. Les termes "à ses risques et périls" dénotent également une certaine responsabilisation du créancier qui devra prendre la décision de résoudre ou non le contrat conformément aux conditions posées par le législateur. Si le créancier peut prendre le "risque" de résoudre lui même un contrat pour inexécution, pourquoi n'en serait-il pas de même en cas d'inexécution anticipée? On pourrait objecter qu'un tel risque ne serait pas autorisé dans ce dernier cas pour la simple raison que s'il n'est pas très ardû d'apprécier les conditions d'une résolution pour inexécution d'obligations échues, il en irait tout autrement pour une inexécution n'ayant pas encore eu lieu. La frilosité du législateur s'expliquerait donc avant tout par le risque d'erreur d'appréciation qui découlerait d'une telle prérogative95. On peut toutefois arguer que la faculté de résolution unilatérale offerte au créancier ne trouve pas justification dans la facilité d'apprécier soi-même les conditions de mise en oeuvre de la résolution pour inexécution mais dans une volonté de conférer à ce dernier la responsabilité de maîtriser lui-même le sort d'un contrat tenu en échec. Nous pourrions alors concevoir qu'une telle responsabilisation pourrait s'étendre à la possibilité de résoudre le contrat par anticipation. Dans le cas où la mise en oeuvre d'une résolution anticipée serait, en raison des circonstances, délicate et "risquée", le créancier sera alors libre de s'abstenir, procéder à une exception pour risque d'inexécution, ou encore se tourner vers la résolution judiciaire, bien que l'anticipation sera dans ce dernier cas extrêmement limitée en raison de la lenteur inhérente à tout recours judiciaire. À ce sujet, l'article 1227 du projet de réforme dispose clairement que "la résolution peut toujours être demandée en justice."

Il est malgré tout légitime de se questionner sur l'efficacité de la responsabilisation du créancier: bien que le débiteur puisse contester la résolution pour inexécution anticipée en justice, cela reste un procédé onéreux et dissuasif. On pourrait alors se demander si les intérêts

95. Carole AUBERT DE VINCELLES, La résolution du contrat pour inexécution, in Pour une réforme du droit des contrats, sous la direction de François TERRE, Dalloz, 2008, p.273: "Le risque essentiel qui a nourri les hésitations tient dans le fait qu'il revient au seul créancier d'apprécier une inexécution qui, par hypothèse, n'est pas encore avérée".

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du créanciers ne prédomineraient pas ceux du débiteur.96Le projet Terré propose en réponse qu'une chance soit donnée au débiteur en apportant les "justifications nécessaires attestant de son exécution future"97.

B\ Un souhait doctrinal

Hormis la doctrine européenne qui déploie une influence certaine sur le droit interne, certains auteurs français ont également entrepris de proposer l'admission de la résolution anticipée du contrat en droit positif. Ce mode d'anticipation ne fait toutefois l'objet d'un consensus au sein de la doctrine française. L'atteinte à la force obligatoire du contrat, ou devrait-on plutôt dire son assouplissement98, inhérente à l'admission d'un tel mécanisme, se heurte à la résistance d'un certain nombre de juristes fortement attachés à ce fondement traditionnel.

La réforme du droit des contrats a été l'objet de deux groupes de travaux doctrinaux majeurs au cours de cette dernière décennie: l'avant projet Catala ainsi que le plus récent projet Terré. Bien que la résolution anticipée ait été écartée du premier, elle a en revanche été admise par le second99. L'article 111 du projet Terré indique en effet que "si dès avant l'échéance, il est certain que les conditions de la résolution sont acquises, le créancier peut demander au débiteur de l'assurer qu'il sera en mesure d'exécuter dans le temps prévu en précisant que, à défaut, il sera en droit de résoudre le contrat par simple notification". L'on peut d'emblée constater une certaine prudence dans la rédaction de cet article controversé. Si l'on effectue une comparaison avec les différents systèmes juridiques admettant la résolution anticipée, on constate que ces derniers indiquent expressément, pour la plupart d'entre eux, que le créancier pourra résoudre le contrat par anticipation si il est manifeste que le débiteur n'exécutera ses obligations. Or le projet Terré propose au législateur de subordonner cette possibilité à la demande préalable par le créancier de justifications attestant de l'inexécution future du débiteur. Ce n'est qu'"à défaut" qu'il pourra procéder à la résolution du contrat par anticipation. Le texte conditionne par ailleurs la résolution anticipée à un critère de certitude absolu quant à l'inexécution future, à l'inverse des dispositions étrangères qui ne requièrent

96. Carole AUBERT DE VINCELLES, La résolution du contrat pour inexécution, in Pour une réforme du droit des contrats, sous la direction de François Terré, Dalloz, 2008, p.273

97. Carole AUBERT DE VINCELLES, La résolution du contrat pour inexécution, in Pour une réforme du droit des contrats, sous la direction de François Terré, Dalloz, 2008, p.273

98. Voir infra, p.61

99. S. PERUS-BICHOT, « La résolution unilatérale anticipée », in « La réforme du droit des contrats », RDA n° 1, janv. 2010, p. 85 et s.

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généralement qu'un "critère d'évidence"100. Bien que la mise en oeuvre d'un tel mécanisme d'anticipation suppose un encadrement rigoureux, l'exigence de cette condition drastique peut toutefois être discutée. L'emploi d'un terme plus modéré telle que le "risque manifeste" semblerait plus adapté dans le sens où il serait difficilement concevable de demander au créancier de prédire le futur101. En revanche, la subordination de la résolution anticipée à un risque d'inexécution manifeste obligerait le créancier à prendre sa décision en fonction de la situation actuelle. Si cette dernière laisse raisonnablement penser qu'il y aura inévitablement une inexécution de la part du débiteur, le créancier pourra procéder à une résolution par anticipation.

Les partisans de la résolution anticipée exposent, à l'appui de son admission, des arguments qu'il serait difficile d'ignorer: celle-ci permettrait de limiter le préjudice du créancier résultant des conséquences de l'inexécution à venir. Elle aurait également pour effet de libérer le créancier, et par conséquent, de permettre à ce dernier de trouver rapidement un autre cocontractant qui serait, quant à lui, susceptible de répondre à ses attentes. Enfin, elle permettrait au débiteur de limiter, en raison de la diminution du préjudice du créancier, le montant des dommages-intérêts dû au créancier102.

On constate ainsi que les principaux arguments tenant à l'admission d'un mode d'anticipation tiennent à une recherche d'efficacité économique103.

§2: L'applicabilité de la résolution anticipée

Que ce soit au sein de l'article 1184 du code civil fixant le régime de l'exception pour risque d'inexécution (B) ou à travers la lecture de l'article 1186 du code civil concernant l'impossibilité d'exiger l'exécution d'une obligation contractuelle avant l'arrivée de son terme (B), le législateur ne semble pas avoir souhaité catégoriquement exclure la résolution anticipée. Toutefois, l'absence de consécration explicite impose une certaine prudence quant à

100. Terme employé par Aurélie BRES, Maitre de conférence à l'Université Montpellier I: Aurélie BRES, La résolution du contrat par dénonciation unilatérale, Litec 2009. L'emploi de ce mot dénote qu'il n'est pas obligatoire de détenir une "certitude absolue", quasiment impossible à obtenir, sur l'inexécution future mais que la situation actuelle laisse raisonnablement penser qu'il y aura inévitablement inexécution de la part du débiteur.

101. Carole AUBERT DE VINCELLES, La résolution du contrat pour inexécution, in Pour une réforme du droit des contrats, sous la direction de François TERRE, Dalloz, 2008, p.273: "on peut se demander si une certitude avant sa réalisation est encore une certitude".

102. Carole AUBERT DE VINCELLES, La résolution du contrat pour inexécution, in Pour une réforme du droit des contrats, sous la direction de François TERRE, Dalloz, 2008, p.273

103. Carole AUBERT DE VINCELLES, La résolution du contrat pour inexécution, in Pour une réforme du droit des contrats, sous la direction de François TERRE, Dalloz, 2008, p.273

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l'interprétation de sa volonté.

A\ L'article 1186 du code civil

Les dispositions de l'article 1186 du code civil pourraient susciter une certaine confusion et permettre de penser que la résolution anticipée ne saurait trouver place en droit positif. Ce texte dispose en effet que "ce qui n'est dû qu'à terme, ne peut être exigé avant l'échéance du terme". C. Malecki met toutefois en évidence une distinction entre la réclamation d'une exécution et la résolution du contrat. En effet, l'article 1186 du code civil interdit seulement au créancier de réclamer l'exécution du débiteur avant l'échéance du terme. Ce texte ne s'oppose donc aucunement à ce que le créancier prenne certaines mesures avant terme et par conséquent, prenne l'initiative de mettre fin au contrat.104

Cette remarque permet en outre de prendre conscience de l'évidence selon laquelle la résolution anticipée n'a aucunement pour objet de satisfaire les exigences d'un créancier impatient avant l'heure mais de permettre à ce dernier de protéger ses intérêts économiques lorsque le contrat est voué à l'échec.

Il convient par ailleurs d'indiquer que si l'article 1186 du code civil interdit au créancier d'exiger l'exécution du débiteur avant terme, il ne saurait s'opposer à ce que celui-ci réclame une garantie d'exécution future. Cette pratique est couramment admise dans les systèmes juridiques autorisant l'exception pour risque d'inexécution: la reprise de l'exécution du contrat, suite à une suspension, est généralement conditionnée à la fourniture par le débiteur au créancier de garanties suffisantes d'exécution. Tel est par exemple le cas en droit allemand105.

B\ L'article 1184 du code civil

Les rédacteurs du code civil ont consacré la possibilité de demander en justice la

104. C. MALECKI, L'exception d'inexécution, préf J. Ghestin, LGDJ 1999, n°125: "L'article 1186 du code civil signifie seulement que le créancier ne peut réclamer l'exécution du débiteur avant terme. Il n'exclut nullement que le créancier puisse avant terme prendre des dispositions et surtout, si certaines conditions sont réunies, puisse y mettre fin sur son initiative. Deux choses sont différentes: réclamer une exécution et résoudre le contrat".

105. §321 BGB: "Celui qui dans un contrat synallagmatique s'est obligé à prester le premier, peut, si depuis il s'est produit une diminution notable dans le patrimoine de l'autre partie, de nature à mettre en péril la contre-prestation à recevoir, se refuser à faire la prestation qui lui incombe, jusqu'à ce qu'il ait reçu la contrepartie ou qu'il lui ait donné caution".

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résolution du contrat dans le cas "où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement" tout en prenant soin de préciser que le contrat ne pourrait aucunement être résolu de plein droit. Il convient de mettre en évidence l'emploi du futur par les rédacteurs. La syntaxe de cet article permet en effet de constater que si la résolution anticipée n'est pas expressément consacrée, elle ne semble être exclue pour autant106. Il convient toutefois de noter que le 2e alinéa s'exprime dans les termes suivants: "la partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts". L'emploi du verbe "exécuter" étant employé au passé, deux déductions alternatives peuvent être formulées. Soit les rédacteurs n'avaient aucunement l'intention de laisser place à une quelconque résolution par anticipation et l'emploi du futur au premier alinéa ne devrait alors se résumer qu'à une maladresse de style. Soit l'emploi simultané du passé et du futur permet d'émettre l'hypothèse selon laquelle une inexécution future est assimilable à une inexécution actuelle: certains auteurs pensent en effet qu'il n'y aurait "rien de plus normal que de considérer un contrat comme inexécuté lorsqu'il est certain que le débiteur n'exécutera pas sa prestation le moment venu"107. Dans ce deuxième cas, il serait donc permis de penser que l'hypothèse d'une résolution anticipée n'aurait pas été exclue de l'esprit des rédacteurs du code civil.

Il faut toutefois se garder d'induire l'existence d'un mécanisme juridique aussi lourd de conséquences que la résolution anticipée à partir d'une analyse littérale aussi poussée de l'article 1184 du code civil. Bien au contraire, il nous paraît que si la faculté de résoudre le contrat offerte par ce texte avait vocation à être appliquée avant que les obligations faisant l'objet d'une exécution potentielle deviennent exigibles, les rédacteurs n'auraient pris soin de mentionner que la résolution devait être effectuée en justice; le juge ayant la possibilité d'autoriser ladite résolution ou bien d'accorder "au défendeur un délai selon les circonstances". En effet, la résolution par anticipation ne pourrait être exercée efficacement que de manière unilatérale: le recours au juge, "source de lenteur et de frais"108, priverait dans

106. Marie Peig-heng CHANG, La résolution du contrat pour inexécution: Etude comparative du droit français et du droit chinois, PUAM 2005: "l'analyse des termes de cet article montre que la résolution du contrat pour inexécution anticipée est possible." Par ailleurs, selon C. Malecki, "l'analyse littérale stricte de l'article 1184 du code civil n'évoque pas la donnée temporelle, plus précisément il ne dit pas que la résolution ne pourra être demandée qu'à l'arrivée du terme (...). Il n'implique pas qu'il faille attendre un tel manquement, même si le futur est employé. Si l'exécution de l'une des parties est selon toute vraisemblance improbable, ne s'agira-t-il pas d'une inexécution? Il y a donc une place pour une résolution anticipée".

107. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.

108. François TERRE, Philippe SIMLER, Yves LEQUETTE, Les obligations, Dalloz, 11e édition, 2013, p.693

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la majorité des cas, cette mesure d'anticipation de l'objectif de célérité poursuivi. Bien que pour pallier aux insuffisances de la loi, une possibilité de résolution unilatérale ait été prévue par la jurisprudence, il n'en demeure pas moins que, d'après la rédaction de l'article 1184 du code civil, le législateur ne semble pas avoir souhaité laisser place à une mesure telle que celle de la résolution anticipée.

Le code civil étant âgé de plus de 200 ans, nous pourrions toutefois penser que, sous l'influence de la mondialisation et de l'accroissement exponentiel des contrats commerciaux, les idées du législateur n'ont pu qu'évoluer quant au régime des sanctions des inexécutions contractuelles. L'absence d'une consécration explicite de la résolution anticipée à l'occasion du projet de réforme de droit des contrats vient malgré tout démentir ce qui aurait pu paraître comme une évidence.

§3: Une ouverture jurisprudentielle

L'absence de volonté explicite du législateur d'admettre la résolution anticipée n'a pas empêché la jurisprudence de prendre acte de la complexification des échanges commerciaux pour valider, quoique de manière ponctuelle et isolée, des mesures s'apparentant nettement à une résolution pour inexécution anticipée. Nous pouvons à cet égard citer un jugement ancien du 28 novembre 1934 rendu par le tribunal de commerce du Havre, qualifié d'"arrêt fondateur oublié" par Thomas Genicon109. Les juges de première instance avaient en effet répondu favorablement à une demande en résolution et en dommages-intérêts opérées avant que les obligations du débiteur ne furent échues au motif que ce dernier avait déclaré qu'il n'exécuterait pas ses obligations contractuelles110. Selon les observations de René Demogue, le fait pour le débiteur de manifester expressément sa volonté de ne pas exécuter ses obligations contractuelles constitue d'ores et déjà une violation du contrat111, ce qui légitimerait alors l'application de l'article 1184 du code civil.112 De ce point de vue, une telle déclaration ne constituerait pas un risque d'inexécution, fut-il évident ou certain, mais une inexécution d'ores et déjà consommée. Il n'est donc pas ici clairement question de "résolution pour inexécution

109. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour inexécution, LGDJ, 2007

110. Tcom Le Havre 28 novembre 1934 à propos d'"une demande en résolution et en dommages-intérêts faite avant terme quand le débiteur a déclaré qu'il n'exécuterait pas ses obligations contractuelles" (Obs René Demogue, Rtd civ 1935, p.647-648)

111. René DEMOGUE, Obs sous TGI Le Havre 24 nov 1934, Rtd civ 1935, p.647

112. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour inexécution, LGDJ, 2007: "Lorsque le débiteur adopte un comportement par lequel il fait obstacle à l'exécution future du contrat, il y a lieu de considérer qu'il peut commettre un manquement au sens de l'article 1184 du code civil".

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anticipée" mais les effets demeurent malgré tout identiques. D'autant plus que les juges affichent clairement leur volonté de libérer le créancier d'un contrat voué à l'échec, ce qui revient alors à protéger ce dernier du risque d'inexécution future: "l'acheteur a suffisamment fait connaître ses intentions pour que le vendeur n'ait pas été dans l'obligation d'attendre le délai de livraison extrême fixé au marché pour faire valoir ses droits à une indemnité de résiliation"113. Il n'en demeure pas moins que ce que l'on pourrait qualifier de mesure d'anticipation déguisée possède un champ d'application trop restreint en droit français, étant donné que sa mise en oeuvre suppose une déclaration explicite de ne pas exécuter ses obligations de la part du débiteur114.

Un élargissement semble malgré tout avoir été timidement opéré par un arrêt rendu le 5 février 1969 par la chambre commerciale de la cour de cassation. La haute juridiction a pu en effet s'exprimer dans les termes suivant: "en statuant ainsi, par une appréciation hypothétique de l'attitude future des intéressés, déduite de l'allégation de Rolland déclarée non justifiée, la cour d'appel n'a pas donné sur ce point une base légale à sa décision". La résolution anticipée qui avait été admise par les juges du fond, a certes, été refusée par la cour de cassation mais pour des motifs tenant à la "pertinence des éléments futurs invoqués" et non sur le simple fait qu'il s'agisse d'"éléments futurs"115. On pourrait alors légitimement imaginer que si les arguments du créancier avaient été pertinents, la résolution admise par les juges du fond n'aurait finalement pas été refusée par la cour de cassation.

Cette décision revête malgré tout le caractère d'une jurisprudence ponctuelle et isolée et ne saurait avoir pour effet de consacrer pleinement la résolution anticipée en droit français. Certains auteurs sont par conséquent favorables, à l'instar de l'anticipatory breach des droits de common law, "à une généralisation du mécanisme" de la résolution anticipée et "entendent lui donner un fondement autonome116 permettant en quelque sorte de l'arracher à la résolution pour inexécution du droit français qui présuppose - classiquement en tout cas - une inexécution présente"117.

Cette carence nous conduit donc à proposer un régime juridique concevable des deux mécanismes principaux d'anticipation que sont la résolution anticipée et l'exception pour risque d'inexécution.

113. Tcom Le Havre 28 novembre 1934

114. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour inexécution, LGDJ, 2007

115. Marie Peig-Heng CHANG, La résolution du contrat pour inexécution: Etude comparative du droit français et du droit chinois, PUAM 2005

116. Article 111 Projet Terré

117. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour inexécution, LGDJ, 2007, p.231

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Titre 2: Le régime suggéré des mécanismes

d'anticipation

Les diverses analyses textuelles, doctrinales et jurisprudentielles ressortant du traitement de l'anticipation du risque d'inexécution en droit interne tout comme en droit comparé évoquées ci-dessus, nous invitent à proposer un régime des mécanismes d'anticipation que sont la résolution anticipée (Chapitre 1) et l'exception pour risque d'inexécution (Chapitre 2), admissible en droit positif.

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Chapitre 1: La résolution anticipée

L'établissement d'un régime juridique de la résolution anticipée en droit positif nous conduit à exposer ses conditions de mise en oeuvre (§1) avant d'en aborder les effets (§2).

Section 1: Les conditions de la résolution anticipée

La mise en oeuvre de la résolution anticipée répond à la fois à d'exigeantes conditions de fond (§1), ainsi que des conditions de forme (§2).

§1: conditions de fond

Pour être applicable, l'inexécution contractuelle du débiteur doit être ultérieure, sans quoi il ne s'agirait que d'une simple résolution pour inexécution (A), suffisamment grave (B) alors que le risque de sa survenance doit être manifeste (C).

A\ Une inexécution future

La résolution anticipée répond au problème suivant: l'anticipation d'un risque manifeste d'inexécution. Elle implique donc que l'inexécution n'ait pas encore eu lieu au moment de sa mise en oeuvre, auquel cas le régime de la résolution pour inexécution aurait vocation à être appliqué. Le créancier doit être face à une inexécution susceptible de se produire ultérieurement.

Il convient de préciser que la charge de la preuve tenant à la détermination de l'existence d'une inexécution future revient au créancier118. Nous proposons en revanche, à l'instar de l'anticipatory breach du droit anglais et contrairement au droit américain, que le créancier n'ait pas à démontrer qu'il aurait été capable d'exécuter ses obligations à l'échéance en l'absence de défaillance du débiteur. Cette règle est justifié par le fait qu'à la suite d'une résolution pour inexécution anticipée, le créancier "peut être amené à prendre des mesures incompatibles avec l'exécution du contrat initial."119 Ce qui par ailleurs "est logique puisque si le contrat est résilié

118. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 574

119. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 575

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ou résolu, le créancier est immédiatement libéré et n'est donc pas censé s'exécuter"120.

B\ Une inexécution suffisamment grave

L'appréciation de la gravité de l'inexécution (1) doit être effectuée au regard de certaines situations de faits objectives (2).

1. L'exigence de gravité

Dans les systèmes juridiques de common law, la mise en oeuvre de la résolution anticipée obéit à des règles similaires à celles de la simple résolution pour inexécution. Parmi ces règles, l'on retrouve l'exigence de gravité de l'inexécution. Il en serait de même en droit français dans le cas où la résolution anticipée serait accueillie. Comme a pu le remarquer Yves-Marie Laithier, "ce que la Cour de cassation exige des juges du fond dans le cadre d'une action en résolution judiciaire, c'est-à-dire constater l'importance suffisante du manquement, doit a fortiori s'imposer au créancier qui prétend résoudre ou résilier le contrat unilatéralement et par anticipation"121. Il serait en effet inopportun d'admettre qu'un manquement soit plus sévèrement sanctionné lorsque ce dernier est anticipé122.

L'apport de la preuve de la gravité suffisante de l'inexécution reviendrait au créancier en cas de contrôle a posteriori de la résolution anticipée.

2. Les caractères de la gravité

L'appréciation de la gravité revient actuellement aux seuls juges du fond étant donné que la résolution ne peut être, pour l'heure, que judiciaire. Il conviendrait, dans le cas où la résolution pourrait être anticipée, et partant, mise en oeuvre unilatéralement par le créancier, de préciser dans le marbre de la loi quels seraient les critères de gravité à prendre en compte. Nous pouvons noter que la jurisprudence considère comme grave, un manquement portant sur une obligation déterminante de la conclusion du contrat123. Plus globalement, le juge français prononce généralement la résolution "lorsqu'il estime que l'altération du lien contractuel est telle que le demandeur n'aurait pas contracté s'il l'avait prévu"124. Ces critères peuvent être

120. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 575

121. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 575

122. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 575

123. Com 2 juillet 1996, bull civ IV n°198

124. F.TERRE, P.SIMLER, Y.LEQUETTE, Les obligations, Dalloz, 11e edition, p.702

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aisément rapprochés de ceux de la résolution anticipée du droit anglais qui implique que "le manquement annoncé soit d'une importance telle qu'il prive substantiellement le créancier de ce pour quoi il s'était engagé, ou à défaut, qu'il s'agisse de l'inexécution d'une obligation fondamentale, quelle que soit la gravité réelle de ses conséquences"125.

Au regard de ces constatations, il y aurait lieu d'admettre que la mise en oeuvre d'une résolution anticipée en droit français soit subordonnée à un manquement portant sur une obligation essentielle du contrat ou encore sur une ou plusieurs obligations contractuelles, furent-elles accessoires, "dont l'inexécution auraient pour conséquence de priver le créancier de ce pour quoi il s'était engagé".

C\ Un risque d'inexécution manifeste

Le caractère manifeste de l'inexécution future ne dénote pas une exigence de certitude absolue (1). Il doit toutefois s'apprécier au regard de situations de faits objectives et restreintes (2).

1. L'absence de certitude absolue

L'analyse des termes de l'article 111 du projet Terré dénote une extrême prudence quant à la mise en oeuvre de la résolution anticipée: cette dernière est en effet subordonnée à une inexécution future certaine. Il nous semble qu'il n'est pas opportun de suivre cette proposition et d'effectuer un rapprochement avec le régime de la résolution anticipée issue des droits de common law. Autrement dit, il conviendrait d'exiger que l'inexécution soit "certaine ou apparemment certaine"126. Comme a pu l'affirmer M. Le juge Posner, "personne n'attend du créancier qu'il lise l'avenir ou qu'il prédise une modification hautement probable de la situation ou des intentions du débiteurs"127. Il convient toutefois de ne pas tomber dans l'écueil inverse: s'il n'est nul besoin que le créancier soit contraint de prédire l'avenir, il ne suffit pas pour autant "que le créancier éprouve quelques craintes au sujet de l'exécution à venir"128. L'anxiété du créancier ne saurait en aucun cas justifier la mise en oeuvre d'une résolution

125. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 566

126. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 568.

127. Central States, SE & SW Pen v. Basic Am. Ind., 252 F.3d 911, spéc., p.919: "(...) the doctrine of anticipatory repudiation does not traffic in the miraculous. A breach occurs when it is reasonably certain that the other party is not going to meet its obligations under the contract in timely fashion"; Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 568

128. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 568.

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anticipée. Il conviendrait donc que celle-ci soit subordonnée à un risque d'inexécution "manifeste" à l'instar du régime proposé par les Principes de Droit Européen des Contrats (PDEC)129. Cette solution obligerait donc le créancier craintif à prendre la décision de résoudre ou non le contrat en fonction des circonstances actuelles. L'inexécution devra alors paraître évidente au regard de ces dernières. Autrement dit, le créancier ne pourra procéder à la résolution anticipée que si les circonstances actuelles laissent raisonnablement penser que le débiteur n'exécutera pas ses obligations contractuelles.

En cas de contrôle a posteriori par le juge, la charge de la preuve du "caractère certain ou apparemment certain" de l'inexécution pèserait sur le créancier.

2. Les formes du risque d'inexécution manifeste

L'évidence de l'inexécution ultérieure peut provenir d'un refus univoque clairement notifié par le débiteur d'exécuter ses futures obligations (a), de la situation du débiteur rendant impossible l'exécution de ses obligations à l'échéance (b), ou encore d'un comportement exécutoire déloyal de la part de ce dernier (c).

a) Le refus univoque d'exécuter à l'échéance

Le refus manifesté par le débiteur doit être univoque, c'est-à-dire qu'il doit "être suffisamment clair et absolu au point que l'on puisse raisonnablement penser au moment où le créancier décide de résilier le contrat, que l'obligation ne sera pas exécutée à l'échéance initialement fixée"130. Il peut être explicite ou implicite sous réserve de respecter cette condition d'univocité. Un refus ambigu ne saurait autoriser aucune anticipation131. Il convient toutefois de noter que le régime français actuel de l'inexécution confère à ce type de comportement le caractère d'une inexécution consommée, les tribunaux estimant que les cocontractants doivent s'abstenir de tout comportement incompatible avec la relation contractuelle132. Il ne s'agit toutefois que d'un subterfuge permettant d'admettre une résolution par anticipation en l'absence de textes législatifs l'autorisant. Il y a donc lieu de considérer

129. PDEC Art 9:304: "Si avant la date à laquelle une partie doit exécuter, il est manifeste qu'il y aura inexécution essentielle de sa part, le cocontractant est fondé à résoudre le contrat".

130. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 571

131. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 571

132. Tcom Le Havre 28 novembre 1934 à propos d'"une demande en résolution et en dommages-intérêts faite avant terme quand le débiteur a déclaré qu'il n'exécuterait pas ses obligations contractuelles" (Obs René Demogue, Rtd civ 1935, p.647-648)

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qu'un refus explicite d'exécuter ses obligations futures caractérise une inexécution anticipée et non une inexécution présente.

b) L'impossibilité avérée d'exécution à l'échéance

L'inexécution anticipée peut également être caractérisée lorsque la situation actuelle du débiteur démontre que ce dernier ne pourra exécuter ses obligations à l'échéance. Il est, en outre, sans importance que le débiteur confirme cette impossibilité ou qu'au contraire, il affirme au créancier son intention d'exécuter ses obligations malgré tout133. Il est également sans importance que l'impossibilité d'exécution soit imputable à un cas de force majeure ou bien au fait, fautif ou non, du débiteur.

Cette vision élargie de l'inexécution anticipée se justifie par l'objectif d'efficacité économique à laquelle répond la résolution anticipée et résulte de l'arrêt Universal Cargo Carriers Corporation v. Citati où la bonne volonté du débiteur ne pouvait en l'espèce faire obstacle à une action en responsabilité pour inexécution anticipée. L'objectif de la résolution anticipée étant de réduire le préjudice du créancier et de procéder à sa libération, il n'y a pas lieu de distinguer selon que l'inexécution soit fautive ou non134. Comme a pu l'indiquer Yves-Marie Laithier au sujet de cet arrêt, "l'impossibilité l'emporte sur l'intention contraire".

Il convient toutefois d'ajouter que l'absence d'exigence de certitude absolue implique que, tout comme le refus, l'impossibilité ne puisse être anticipée "que si elle est claire ou raisonnablement certaine"135.

c) Le comportement exécutoire déloyal

La détection d'un comportement exécutoire déloyal du débiteur constitue également une forme de risque manifeste d'inexécution du débiteur. Un tel comportement pourrait alors notamment se manifester par une organisation volontaire d'insolvabilité. L'attitude déloyal du débiteur fonderait alors la mise en oeuvre d'une résolution anticipée fondée sur l'atteinte à la confiance légitime du créancier136.

133. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 573

134. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 573

135. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 573

136. Voir infra, p.68

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§2: conditions de forme

La résolution du contrat par anticipation doit au préalable faire l'objet d'une mesure de notification (A) ainsi que d'une demande d'attestation d'exécution future au débiteur (B).

A\ Une notification au débiteur

Le créancier devra notifier au débiteur son intention de résoudre le contrat de manière anticipée dans un délai raisonnable. Ce délai permettra alors d'offrir une chance au débiteur de démentir les apparences en donnant au créancier une garantie suffisante de l'exécution des obligations à échoir.

B\ Une demande d'attestation d'exécution future

Le délai séparant la notification de l'intention de résoudre le contrat et l'application de la résolution doit permettre au débiteur de donner des assurances d'exécution de ses futures obligations. Cette faculté est inscrite dans l'article 72 de la convention de Vienne mais également préconisée par le projet Terré. L'article 111 dudit projet dispose en effet que "si dès avant l'échéance, il est certain que les conditions de la résolution sont acquises, le créancier peut demander au débiteur de l'assurer qu'il sera en mesure d'exécuter dans le temps prévu en précisant que, à défaut, il sera en droit de résoudre le contrat par simple notification". Si nous avons pu démontrer que l'exigence de certitude relative à l'inexécution ultérieure ne paraît pas pertinente137, il nous semble en revanche que la subordination de la résolution à une demande d'attestation concernant l'inexécution future devrait trouver place au sein du régime de la résolution anticipée. Cette exigence a le mérite d'une part, d'offrir au débiteur une chance de démentir des apparences anxiogènes, et d'autre part, de permettre au créancier de se constituer un "moyen de preuve de l'inexécution anticipée"138.

Il conviendrait alors d'obliger le créancier envisageant de mettre en oeuvre la résolution anticipée d'indiquer expressément au débiteur, lors de la notification de son intention de résoudre le contrat, la possibilité de fournir une garantie suffisante de ses obligations ultérieures. La durée du délai devra raisonnablement permettre au débiteur de fournir lesdites justifications.

137. Voir supra, p.46

138. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 577

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Section 2: Les effets de la résolution anticipée

Les effets de la résolution anticipée entraînent l'anéantissement rétroactif du contrat (§1) et s'accompagnent en principe d'une allocation de dommages-intérêts destinée à réparer le préjudice subi par le créancier. Leur montant dépendra de la date à laquelle le préjudice sera évalué (§2).

1. L'anéantissement rétroactif du contrat

A l'instar de la résolution pour inexécution, la résolution anticipée donnera en principe lieu à l'anéantissement rétroactif du contrat139et à la "libération immédiate des parties"140. Il convient toutefois de noter que celle-ci pourra avoir l'effet d'une résiliation dans le cadre d'un contrat à exécution successive.

En outre, il conviendra évidemment de maintenir la règle selon laquelle la résolution pourra s'accompagner d'une action en dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de la résolution. La résolution étant intervenue en raison d'une défaillance annoncée ou estimée, la responsabilité du débiteur doit pouvoir être engagée.

La responsabilité du créancier pourra en revanche être engagée lorsque la mesure d'anticipation s'avérera avoir été mise en oeuvre de manière abusive141.

2. La date d'évaluation du préjudice

En droit anglais, lorsque le créancier résout le contrat pour inexécution anticipée, les dommages-intérêts sont évalués à l'échéance des obligations dues, peu important les fluctuations du marché entre le moment de l'inexécution et celui où le créancier détecte le risque d'inexécution. Cette solution serait justifiée par la règle de la prévisibilité du dommage, également présente en droit français, et par le "souci d'éviter que le créancier ne s'enrichisse en obtenant des dommages-intérêts alors qu'il apparaît que le contrat ne lui aurait pas été profitable à l'échéance". Yves-Marie Laithier critique cette méthode d'évaluation du préjudice et considère qu'en raison du devoir de minimisation du dommage qui pèse sur le créancier en

139. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz, 11e edition, 2013, p.704

140. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 582

141. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004

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droit anglais, il serait préférable d'évaluer le préjudice au moment où ce dernier aurait raisonnablement pu le réduire, et ce, "en raison des rapports étroits qu'entretiennent ce devoir et la date d'évaluation du préjudice"142. Comme le fait remarquer l'auteur, l'on pourrait imaginer que, dans le cadre d'une vente, la valeur vénale du bien vendue au moment où l'acheteur signifiera de manière claire et non équivoque qu'il ne paiera pas à l'échéance soit supérieure à celle correspondant au moment où le créancier procédera à la résolution du contrat, qui elle-même serait supérieure à la valeur correspondant à l'échéance de l'obligation. La date à laquelle le créancier peut évaluer son préjudice correspond au moment où la décision de ne pas exécuter le contrat lui est notifiée. C'est donc à partir de cet instant qu'il pourra raisonnablement le réduire.143

Nous pouvons noter que si la date d'évaluation du préjudice correspond à l'échéance de l'obligation et que la valeur vénale du bien aura baissé entre la notification de l'intention du débiteur de ne pas s'exécuter et la date d'exigibilité de l'obligation, le créancier risque un appauvrissement alors que si celle-ci aura augmentée, il risque de s'enrichir. En revanche, fixer la date d'évaluation du préjudice à l'instant où le risque d'inexécution se manifeste par l'intention du débiteur de ne pas s'exécuter et imposer au créancier le devoir de minimiser son dommage permettrait d'éviter ces deux écueils.

Il y aurait alors lieu, en droit positif, de suivre l'affirmation de Yves-Marie Laithier selon laquelle il conviendrait d'évaluer le préjudice au moment où le créancier aurait pu raisonnablement le réduire et d'imposer à ce dernier une obligation de minimiser son dommage. Cette date d'évaluation devra alors, en cas d'insolvabilité apparente du débiteur, correspondre au jour d'obtention d'une réponse négative de la part de ce dernier à la demande d'attestation d'exécution future que le créancier devra avoir préalablement faite ou à une absence de réponse à l'issue du délai mentionné dans la notification. En cas de refus univoque manifesté par le débiteur d'exécuter ses obligations à l'échéance, le devoir de minimisation du dommage devra débuter à la date de réception dudit refus.

Il convient en revanche de préciser que le cas particulier de la résolution pour perte de

142. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004 p.585

143. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004 p.585. L'auteur expose l'exemple suivant: " l'acheteur indique avant l'échéance de façon claire et absolue qu'il renonce au contrat parce qu'il constate que la valeur du bien est à la baisse; le prix stipulé est de 10; la valeur du bien était de 9 au moment du refus exprimé par l'acheteur, de 8 au moment où le vendeur décide de résilier le contrat et de 7 à l'échéance convenue. S'il était raisonnable de revendre le bien à un tiers à partir du moment où la révocation a été "acceptée", condition qu'il appartient au débiteur de démontrer, le montant des dommages-intérêts compensant le dommage intrinsèque sera égal à 2 (10-8) et non pas 3 (10-7), que la revente

confiance ne saurait impliquer la soumission du créancier à un devoir de minimisation du dommage144. La date d'évaluation du préjudice devra donc être évaluée à l'échéance des obligations dues quand bien même la résolution aurait été prononcée par anticipation.

52

144. Voir infra, p.67

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Chapitre 2: L'exception pour risque d'inexécution

L'établissement en droit positif d'un régime juridique concernant l'exception pour risque d'inexécution nous conduit à exposer ses conditions de mise en oeuvre (§1) avant d'en aborder les effets (§2).

Section 1: Les conditions de l'exception pour risque d'inexécution

La mise en oeuvre de l'exception pour risque d'inexécution doit répondre à des conditions de fond (§1) ainsi que des conditions de forme (§2).

§1: conditions de fond

A l'instar de la résolution anticipée, l'inexécution contractuelle doit être ultérieure (A) et suffisamment grave (B). Il ne saurait en revanche être exigé que le risque de sa survenance soit manifeste. Il devra simplement revêtir un certain degré de probabilité (C).

A\ Une inexécution future

La mise en oeuvre de ce mécanisme nécessite que l'inexécution redoutée soit ultérieure, sans quoi il ne s'agirait que d'une simple exception pour risque d'inexécution. Nous pouvons par ailleurs noter que Fall Paraiso remet en cause l'existence de cette dernière au motif qu'elle n'aurait que pour seul objectif de suspendre l'exécution des obligations du créancier dans l'attente que la résolution ou l'exécution forcée du contrat ne prenne effet. L'auteur qualifie alors l'exception d'inexécution d'"abstention contentieuse" ou de "mise en demeure qui ne dit pas son nom"145.

B\ Une inexécution suffisamment grave

Le projet de réforme indique que l'exception d'inexécution ne peut être mise en oeuvre

145. Fall Paraiso, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM 2011, p.226; Voir supra, p.29

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que si les conséquences de l'inexécution à venir sont suffisamment graves pour le créancier146. Il nous semble opportun de suivre cette proposition. L'application de l'exception pour risque d'inexécution pouvant avoir des conséquences irréversibles, il conviendrait qu'un certain degré de gravité soit exigé. Le seuil de gravité serait alors identique à celui exigé pour la résolution anticipée: à savoir, l'inexécution d'une obligation essentielle, ou encore d'une ou plusieurs obligations contractuelles, furent-elles accessoires, "dont l'inexécution auraient pour conséquence de priver le créancier de ce pour quoi il s'était engagé"147

C\ Une inexécution probable

Il convient de noter que l'exception pour risque d'inexécution, telle que conçue par le projet de la chancellerie, exige que l'inexécution à venir soit "évidente"148 au regard des circonstances actuelles. Tel est la condition que l'on peut déduire au regard de l'emploi du terme "manifeste" au sein de l'article 1220 du projet de réforme149.

Nous pouvons toutefois émettre l'observation suivante: dans le cas où la résolution anticipée serait admise en droit français, le degré de certitude de l'inexécution future conditionnant la mise en oeuvre de l'exception pour risque d'inexécution devrait nécessairement descendre d'un échelon et revêtir le caractère d'une sérieuse probabilité. Pour être mise en oeuvre, le créancier devrait alors simplement avoir de sérieuse raison de douter de l'exécution par le débiteur des obligations à échoir. Alors que si l'exécution future paraît évidente, il n'y aurait aucune raison de suspendre le contrat en présence de l'existence d'un mécanisme tel que la résolution anticipée; il conviendrait au contraire de mettre en oeuvre cette dernière. Si le projet de la Chancellerie prévoit que l'évidence de l'inexécution à venir justifie la suspension du contrat, ce n'est qu'à défaut de présence de mécanisme de résolution anticipée en droit positif. Si notre système juridique concevait son existence, il paraîtrait illogique d'admettre qu'une inexécution "certaine ou apparemment certaine" puisse justifier la simple suspension du contrat alors

146. Art. 1220 du projet de réforme du droit des contrats: "Une partie peut suspendre l'exécution de sa prestation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais".

147. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 566

148. Terme employé par Aurélie BRES, Maitre de conférence à l'Université Montpellier I: Aurélie BRES, La résolution du contrat par dénonciation unilatérale, Litec 2009. L'emploi de ce mot dénote qu'il n'est pas obligatoire de détenir une "certitude absolue", quasiment impossible à obtenir, sur l'inexécution future mais que la situation actuelle laisse raisonnablement penser qu'il y aura inévitablement inexécution de la part du débiteur.

149. Art. 1220 du projet de réforme du droit des contrats: "Une partie peut suspendre l'exécution de sa prestation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais".

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qu'une résolution de ce dernier serait possible.

L'exception pour risque d'inexécution deviendrait alors un mécanisme complémentaire de la résolution anticipée. Dans le cas où l'inexécution ultérieure ne revêtirait pas un caractère "certain ou apparemment certain" mais serait malgré tout sérieusement probable, le créancier pourra alors opter pour l'application d'une exception pour risque d'inexécution150. Bien que certains auteurs estiment que cette mesure pourrait être prise chaque fois que l'inexécution serait "simplement probable"151, il nous semble toutefois qu'il conviendrait d'opter pour un champ d'application plus restrictif et exiger la présence d'un degré de probabilité suffisant, à savoir un doute sérieux quant à l'exécution future. Il est en effet important de rappeler que l'exception pour risque d'inexécution, bien que plus souple que la résolution anticipée reste une mesure contraignante dont les conséquences ne sont pas systématiquement réversibles. Certains auteurs ont effectivement pu remarquer que la mise en oeuvre de l'exception d'inexécution, et donc également l'exception pour risque d'inexécution, pouvait déployer les mêmes effet qu'une résolution partielle du contrat. Tel peut être le cas en matière de contrat de travail152.

§2: conditions de forme

Il nous semble opportun de suivre les préconisations du projet de la Chancellerie: à savoir que l'intention de suspendre le contrat soit notifiée au débiteur dans les meilleurs délais153.

Section 2: Les effets de l'exception pour risque d'inexécution

La mise en oeuvre de l'exception pour risque d'inexécution entraîne une suspension des obligations contractuelles du créancier (§1). Il conviendrait toutefois d'admettre la faculté de

150. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour inexécution, LGDJ, 2007, p.238

151. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, Rtd civ 2003 p.33

152. Denis TALLON et Donald HARRIS, Le contrat aujourd'hui: comparaisons Franco-Anglaises (sous la direction de Jacques GHESTIN): "L'exception d'inexécution suspend le contrat, ce qui peut conduire, selon la remarque de J. Ghestin, à une situation irréversible, équivalent à une résolution partielle (par exemple, en matière de contrat de travail)"

153. Art. 1220 du projet de réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations: Une partie peut suspendre l'exécution de sa prestation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais.

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basculer vers une résolution anticipée afin d'éviter que la suspension ne perdure inutilement (§2).

1. La suspension de l'obligation

L'exception pour risque d'inexécution offre au créancier la faculté de suspendre l'exécution de ses propres obligations lorsqu'il est le manifeste que le débiteur n'exécutera pas les siennes à échéance. Il convient toutefois de rappeler, et c'est ce qui fait tout l'intérêt de ce mécanisme, qu'à l'instar de l'exception d'inexécution classique154, le contrat survit. Seul la résolution entraîne la libération des parties155.

Notons toutefois que l'article 1188 du code civil qui dispose que "ce qui n'est dû qu'à terme, ne peut être exigé avant l'échéance du terme" s'oppose à ce que le créancier puisse conditionner la levée de la suspension à l'exécution immédiate des obligations par le débiteur. Ce dernier pourra en revanche fournir une garantie suffisante de la bonne exécution de ses obligations aux fins d'ordonner la levée de la suspension.

2. L'éventuelle conversion en résolution anticipée

Une fois l'exception pour risque d'inexécution mise en oeuvre, le créancier pourrait délibérément provoquer une résolution anticipée à la suite d'une demande d'"assurance adéquate d'exécution" demeurée infructueuse (A). Bien que cette faculté doive être maniée avec précaution, elle permettrait malgré tout de considérer que l'exception pour risque d'inexécution pourrait revêtir dans de nombreux cas le caractère de simple préalable à la résolution anticipée (B).

A\ La possibilité de provoquer la résolution anticipée

Il est inopportun de laisser la suspension perdurer lorsque le contrat est voué à l'échec. Telle est la raison pour laquelle nous pourrions, en nous inspirant des dispositions de l'article 71 et 72 de la convention de Vienne156, concevoir que le créancier puisse, à la suite d'une

154. Com 15 janvier 1973, bull. civ IV, n°24, p.18, D.1973.473

155. Com 1er décembre 1992, rtd civ 1993. 578 obs. J.Mestre

156. Comme le fait remarquer Andréa Pinna, la combinaison de ces deux articles démontre que la Convention de Vienne relative à la vente internationale de marchandise ne poursuit pas le but de l'exception pour risque

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demande d'"assurance adéquate d'exécution" au débiteur, mettre fin au contrat. La probabilité de l'inexécution ultérieure devenant une certitude apparente, la résolution anticipée serait justifiée. Si le débiteur fournit les justifications demandées, le créancier ne pourra en revanche mettre en oeuvre ladite résolution mais devra également lever la suspension de ses obligations. Il faut également ajouter qu'une telle demande ne pourra être formulée qu'en présence d'un risque sérieux d'inexécution de la part du débiteur et que toute demande intempestive sera sanctionnée157. Autrement dit, les conditions relatives à l'exception pour risque d'inexécution doivent avoir été dûment remplies afin de pouvoir demander une telle attestation. Il est donc de l'intérêt du créancier de manier cette faculté avec précaution car si la mise en oeuvre abusive d'une exception pour risque d'inexécution résultant d'une mauvaise appréciation du risque d'inexécution, engagerait la responsabilité du créancier fautif, l'application abusive d'une résolution anticipée découlant d'une demande d'assurance d'exécution intempestive à laquelle le débiteur n'aura pu répondre malgré l'absence de risque sérieux d'inexécution, entraînera a fortiori un dommage bien plus élevé qu'il conviendra de réparer.

Celle-ci ne saurait constituer un subterfuge pour échapper à l'exécution de ses propres obligations contractuelles.

B\ L'exception pour risque d'inexécution comme préalable à la résolution anticipée

Cette faculté de demander une "assurance adéquate d'exécution" aux fins de résoudre le contrat, à la suite d'une exception pour risque d'inexécution, démontre l'évidente complémentarité entre ces deux outils juridiques. L'exception pour risque d'inexécution ne devrait en réalité constituer qu'un préalable à la résolution anticipée158. Lorsque le risque d'inexécution est manifeste, le créancier peut directement procéder à la résolution du contrat. Mais lorsqu'un tel risque n'est que sérieusement probable, le créancier pourra suspendre l'exécution de sa propre prestation. Toutefois, afin d'éviter que la situation ne perdure inutilement, le créancier aura la faculté de demander une "assurance adéquate d'exécution" aux fins de procéder à la résolution du contrat en cas de défaut d'obtention. L'exception pour risque d'inexécution aurait donc principalement pour objet de permettre au créancier de suspendre l'exécution de ses obligations dans l'attente que la simple probabilité d'inexécution devienne un risque manifeste en raison de l'absence d'assurance suffisante d'exécution. L'on

d'inexécution, à savoir la survie du contrat. Elle ne serait, selon ce texte, qu'une mesure préalable à la résolution du contrat.

157. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p.578

158. Andréa Pinna a pu démontrer qu'au regard de la convention de la vienne relative à la vente internationale de marchandise, l'exception pour risque d'inexécution constituait une mesure préalable à la résolution anticipée.

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peut toutefois noter que le créancier pourra malgré tout s'abstenir de formuler une telle demande, lourde de conséquences, et opter pour la suspension de sa prestation jusqu'à l'échéance des obligations du débiteur.

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Partie 2: La portée des mécanismes

d'anticipation du risque d'inexécution

L'introduction en droit positif des mécanismes d'anticipation que sont la résolution anticipée et l'exception pour risque d'inexécution apporterait nombre d'innovations et bouleversements au sein de notre système juridique. Une voie serait ainsi ouverte vers la consécration de concepts contractuels largement étudiés par la doctrine mais malgré tout appliqué de manière marginale à ce jour (Titre 1). L'admission de tels mécanismes entraînerait par ailleurs un inévitable bouleversement de notre vision actuelle du régime de la responsabilité contractuelle (Titre 2).

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Titre 1: La consécration de principes novateurs

L'admission des mécanismes d'anticipation inviterait le juriste français à reconnaître explicitement deux principes novateurs: le principe de confiance légitime (Chapitre 1) et celui d'efficacité économique du contrat (Chapitre 2).

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Chapitre 1: Le principe de confiance légitime

Une analyse historique, doctrinale et jurisprudentielle permet d'établir le constat, trop souvent oublié, selon lequel le contrat serait un "acte de foi". Or l'idée selon laquelle le créancier pourrait résoudre le contrat par anticipation en raison de la rupture du lien de confiance inhérent à toute relation contractuelle renforcerait ce constat (Section 1). Le législateur français se montre malgré tout réticent à l'idée de fonder la force obligatoire du contrat sur le principe de confiance légitime (Section 2).

Section 1: Le contrat comme "acte de foi"

La consécration du principe de confiance légitime en droit positif inviterait nécessairement le juriste français à adopter une vision assouplie de la force obligatoire du contrat (§1). Un tel assouplissement permettrait de concevoir que la "trahison" du créancier avant même que l'inexécution ait eue lieu pourrait justifier l'anéantissement du lien contractuel (§2).

§1: l'assouplissement de la force obligatoire du contrat

La force obligatoire du contrat se fonde traditionnellement sur la théorie de

l'autonomie de la volonté ainsi que sur le dogme du respect de la parole donnée (A). Nous nous efforcerons malgré tout de proposer un nouveau fondement viable de la force obligatoire du contrat, à savoir le principe de confiance légitime (B), avant d'en étudier les conséquences sur notre système juridique (C).

A\ Rappel sur la conception traditionnelle de la force obligatoire du contrat

L'incontournable principe de force obligatoire du contrat a été cristallisé par les rédacteurs du code civil au sein du célèbre article 1134 de leur oeuvre. Son premier alinéa précise en effet solennellement que "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites". Il ressort de ce texte une volonté marquée des rédacteurs de conférer

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au lien contractuel une très grande vigueur: le contrat s'impose aux parties de la même manière que la loi s'impose à l'ensemble des citoyens159. On retrouve ainsi à travers ce texte les traces de la théorie de l'autonomie de la volonté issue de la philosophie des lumières. "De même que la loi, expression de la volonté générale, serait le contrat que passent tous les hommes vivants en société, de même le contrat serait la loi que des volontés particulières se donnent à elles-mêmes"160. Selon les philosophes des lumières, l'homme est "fondamentalement libre" et c'est en raison de cette liberté qu'il ne pourrait être assujetti à d'autres individus que dans les cas où il l'aura voulu161.

Les rédacteurs du code civil ont malgré tout pris soin d'instaurer une limite au pouvoir de la volonté en exigeant que les conventions aient été formées "légalement". Comme l'ont affirmé François Terré, Philippe Simler et Yves Lequette, "contracter c'est employer un instrument forgé par le droit". L'adhésion à la théorie de l'autonomie de la volonté n'est donc que partielle162.

Cette théorie n'est par ailleurs l'unique fondement de la force obligatoire du contrat. Celle-ci puise également ses racines dans le droit canonique. Le code civil a effectivement été fortement influencé par les principes moraux de l'église catholique dont le célèbre dogme du "respect de la parole donnée"163. Si les stipulations contractuelles disposent d'une force contraignante, c'est donc, certes, parce qu'elles sont issues de la volonté de leur auteur, mais aussi et surtout, en raison du fait que tout un chacun se doit de tenir ses promesses. Il ressort alors des dispositions du code civil une vision profondément moraliste et ancestrale du contrat.

Cette approche du droit des contrats, face à l'influence des systèmes juridiques étrangers et aux exigences pratiques de la vie des affaires, tend à être de plus en plus remise en cause par une partie de la doctrine. La question de l'anticipation du risque d'inexécution, suscitée par les impératifs de célérité et d'efficacité de la vie des affaires, peut également jouer un rôle majeur dans cette remise en question et inviter le législateur à s'interroger sur un éventuelle remodelage de sa conception de la force obligatoire du contrat.

159. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, dalloz, 11e edition, 2013, p.485

160. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, dalloz, 11e edition, 2013, p.485

161. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, dalloz, 11e edition, 2013, p.485

162. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, dalloz, 11e edition, 2013

163. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, dalloz, 11e edition, 2013

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B\ Proposition d'un nouveau fondement de la force obligatoire du contrat

Si le lien de confiance est inhérent à la formation et au maintien de toute relation contractuelle (1), celle-ci devrait pouvoir être qualifiée de "légitime" sans quoi elle ne permettrait aucunement de protéger la sécurité contractuelle des parties (2).

1. La confiance en droit des contrats

La difficile mise en pratique de la théorie de l'autonomie de la volonté (a) ne pourrait qu'inviter le juriste français à procéder à la redécouverte de l'ancestrale notion de confiance (b).

a) L'insuffisance du pouvoir de la volonté

De nombreux auteurs estiment que le fait de fonder l'obligation sur le simple pouvoir de la volonté constitue une approche dépassée. Être obligé en raison du simple fait que l'on doit tenir ses promesses correspond à un dogme, un principe moral qui ne répond qu'imparfaitement au pragmatisme juridique que suscite la vie des affaires. Si la création et le maintien de liens contractuels viables nécessitent que les cocontractants soient fidèles à leur parole, ils exigent plus globalement une certaine fiabilité de la part de ces derniers. Or qu'est ce que la fiabilité d'un contractant si ce n'est le sentiment de confiance que sa parole, ou encore son comportement, aura fait naître chez l'autre partie?164 La parole donnée ne peut avoir de sens qu'en fonction de la manière dont elle aura été réceptionnée. Elle ne saurait alors, selon les fidéistes, fonder à elle seule la force obligatoire du contrat. Selon Emmanuel Lévy, auteur considéré comme le "père fondateur" du fidéisme contractuel, "ce qui fait le lien contractuel, c'est la confiance qu'inspire au créancier la promesse du débiteur". Il ressort de ce courant doctrinal, l'observation selon laquelle le contrat serait un "acte de foi". Il ne s'agit pas de "nier la puissance de la volonté" mais de "souligner son insuffisance". En effet, "même dans une perspective exclusivement fondée sur la volonté, le contrat exige d'abord que l'on

164. V. Edel a pu ainsi affirmer que "la volonté du débiteur n'est plus la mesure de son engagement. Il lui est préféré son comportement pris dans la phase de formation du contrat. La question que doit se poser le juge est de savoir si ce comportement a pu donner naissance chez le créancier à une confiance légitime dans l'exécution du contrat" (V.EDEL, La confiance en droit des contrats, thèse Montpellier I, 2006, p.212).

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croit à la volonté de celui qui s'engage"165.

b) La redécouverte de la notion de confiance

La confiance sous-tend l'harmonisation des relations humaines. Toute société nécessite la création de liens de confiance entre les individus qui la composent. Les travaux en commun, la vie en entreprise, et plus globalement, tout ce qui procède d'une certaine coopération entre les individus, nécessite le tissage de nombreux liens de confiance. C'est encore plus vrai dans le domaine du droit des contrats qui constitue le socle des échanges commerciaux. Certes, l'encadrement juridique de tout échange traduit une certaine part de défiance: le contrat est avant tout un instrument ayant pour objet de protéger les intérêts de chacune des parties en cas de litige. Toutefois, nul ne pourrait nier que la conclusion d'un contrat constitue la manifestation d'une "confiance donnée et reçue"166.

Cette omniprésence de la notion de confiance au sein de la vie des affaires, et par conséquent, dans les relations contractuelles, dénote à la fois une évidence psychologique et une existence historique. La notion de confiance en matière contractuelle n'est pas nouvelle et l'idée d'en faire un nouveau fondement de la force obligatoire du contrat procéderait moins d'une innovation que d'une simple redécouverte.

On retrouve d'anciennes traces de cette idée de confiance à travers la notion de bona fides en droit romain. Avant l'ouverture de l'empire romain aux étrangers, les cocontractants donnaient leur engagement envers la déesse fides qui représentait la fidélité et constituait "la personnification divine de la bonne foi, de la confiance qui doit présider aux conventions publiques des peuples et aux transactions privées entre individus"167. Suite à l'expansion de l'empire, la notion religieuse de fides a évolué vers celle de bona fides qui était assimilé à un "code supranational de bonne conduite"168. Il s'agissait alors d'un concept laïque résultant d'une approche pragmatique: on ne pouvait aisément développer des relations d'affaires avec les pérégrins en soumettant ces derniers au jus civile romain. Celui-ci étant basé sur la religion, les étrangers demeuraient insensibles à ses nombreux rites. La bona fides constituait

165. A. CHIREZ, De la confiance en droit contractuel, Thèse Nice 1977, p.489, n°362

166. Laurent AYNES, La confiance en droit privé des contrats, in La confiance en droit privé des contrats (sous la direction de Valérie-Laure BENABOU et Muriel CHAGNY), Dalloz, 2008, p.153

167. Emmanuel CHEVREAU, Yves MAUSEN, Claire BOUGLE, Introduction historique au droit des obligations, Litec, Paris, 2007, p.65

168. Emmanuel CHEVREAU, Yves MAUSEN, Claire BOUGLE, Introduction historique au droit des obligations, Litec, Paris, 2007, p.65

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le "substrat nécessaire à toute relation et (impliquait) la réciprocité et la confiance"169. Il s'agissait en quelque sorte de purger la notion de bonne foi et de confiance de son aspect religieux. L'ouverture de la cité romaine au monde extérieur induisait alors un recul du formalisme pour laisser place à une approche à la fois moraliste et pragmatique du droit des contrats. La force obligatoire du contrat en droit romain reposait donc indéniablement sur la notion de confiance.

2. La légitimité de la confiance accordée

Si certaines paroles ou actions du débiteur peuvent inévitablement faire naître une certaine croyance chez le créancier, encore faudrait-il que ce dernier n'en ait pas déformé la portée170. Autrement dit, faudrait-il s'assurer que le créancier n'eut pas simplement "entendu ce qu'il eut envie d'entendre". Telle est la raison pour laquelle, les fidéistes ajoutent le terme "légitime" à la notion de confiance. Celle-ci ne doit pas simplement naître de ce que le créancier aura pu croire, mais de ce qu'il aura "raisonnablement" pu croire. L'obligation du débiteur doit alors se fonder sur la confiance légitime que ses paroles, ou encore son attitude, auront fait naître chez le créancier. La légitimité de la confiance ne peut donc s'apprécier qu'en fonction d'un "élément extérieur et observable"171 et non du for intérieur du créancier. En effet, le juge ne saurait avoir pour fonction de sonder les consciences et doit être en mesure de s'appuyer sur des éléments concrets. Alexis Albarian évoque ainsi l'"idée d'une confiance objective voire normative"172. Il s'agit par ailleurs de la conception que retiennent les systèmes juridiques de common law qui considèrent la "reliance", comme l'un des fondements de la force obligatoire du contrat173 et prennent soin de distinguer celle-ci de la notion de "confidence" qui désigne un "état intérieur, largement fondé sur l'intuition", renvoyant ainsi à la confiance subjective174.

169. Emmanuel CHEVREAU, Yves MAUSEN, Claire BOUGLE, Introduction historique au droit des obligations, Litec, Paris, 2007, p.65

170. P. LOKIEC, "Le droit des contrats et la protection des attentes", D.2007.321

171. O. MORETEAU, L'estoppel et la protection de la confiance légitime. Elements d'un renouveau du droit de la responsabilité (droit anglais et droit français), Thèse dact., Lyon III, 1990, p.25, n°8

172. Alexis ALBARIAN, Le fidéisme contractuel, Revue de droit international et de droit comparé, p.601 et s.

173. René DAVID et David PUGSLEY avec la collaboration de Françoise Grivart de Kerstrat, Les contrats en droit anglais, LGDJ, 1985

174. O. MORETEAU, L'estoppel et la protection de la confiance légitime. Elements d'un renouveau du droit de la responsabilité (droit anglais et droit français), Thèse dact., Lyon III, 1990, p.25, n°8

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C\ Conséquences de la confiance légitime comme fondement de la force obligatoire du contrat

La reconnaissance du principe de confiance légitime comme fondement de la force obligatoire du contrat aurait pour conséquence d'assouplir cette dernière. Le respect de la parole donnée signe un engagement envers Dieu alors que le respect de la croyance suscitée marque un engagement envers l'autre. Cette deuxième vision de la force obligatoire du contrat ouvre la voie vers une conception assouplie du lien contractuel. La rupture du contrat pourrait émaner non plus du seul consentement mutuel des parties, mais de la perte légitime de confiance de l'un des cocontractants. Le créancier dont la confiance aura été trahie ne serait plus aliéné par ses propres obligations contractuelles et pourrait mettre fin au contrat. Admettre ce nouveau fondement revient donc à reconnaître que la solidité du lien contractuel ne peut reposer que sur une relation de confiance. Il y aurait donc lieu d'en déduire à première vue, que lorsque le créancier a des raisons légitimes d'estimer que son débiteur n'exécutera pas ses obligations ultérieures, il pourrait, sous certaines conditions, procéder à la suspension ou encore, à la résolution du contrat. Bien que l'idée de confiance légitime puisse ouvrir une brèche vers l'admission de mécanismes d'anticipation tels que l'exception pour risque d'inexécution ou la résolution anticipée, la portée d'un tel fondement resterait malgré tout cantonnée à certaines hypothèses particulières.

§2: La confiance du créancier trahie

Si nous pourrions concevoir que le principe de confiance légitime puisse constituer un fondement de la force obligatoire du contrat, force serait alors d'admettre que la rupture du lien de confiance légitime devrait offrir au créancier "trahi" la faculté de résoudre le contrat par anticipation (A). Corollairement, l'admission de la résolution anticipée fondée sur la perte de confiance inviterait le législateur à reconnaître le principe de confiance légitime en droit positif (B).

A\ Rupture du lien de confiance et anticipation de l'inexécution

La jurisprudence a d'ores et déjà pu considérer que le débiteur était tenu d'une obligation implicite de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier (1). Bien que l'inexécution d'une telle obligation possède un caractère actuel ne justifiant la mise en oeuvre

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que d'une résolution pour inexécution, il est malgré tout opportun de constater qu'elle constitue en réalité un fondement indirect de la résolution anticipée (2). Toutefois, l'obligation de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier ne saurait recouvrir toute les situations de fait objectives traduisant un risque manifeste d'inexécution: elle ne constitue alors qu'un fondement partiel de la résolution anticipée. En effet, seul le comportement exécutoire déloyal pourrait être assimilée à l'inexécution d'une telle obligation (3).

1. L'atteinte à la confiance du créancier comme inexécution d'une obligation implicite

En vertu du principe de confiance légitime, les obligations du débiteur naissent de la croyance raisonnable que son attitude aura fait naître chez le créancier. Cette règle a pour corollaire l'évidence selon laquelle le lien de confiance serait rompu dans le cas où l'attitude du débiteur laisserait légitimement penser qu'il n'exécutera pas ses obligations futures. Telle est du moins la portée de l'une des solutions rendues par la cour de cassation en 1927175. Mme Vanwijck-Alexandre traduit cette affirmation par l'existence d'"une obligation de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier"176. L'inexécution d'une telle obligation constituerait ainsi un manquement au sens de l'article 1184 du code civil. Le comportement tendant à faire obstacle à l'exécution des obligations contractuelles à échoir ne constituent donc pas, à proprement parler, une inexécution anticipée. Il s'agit théoriquement d'une inexécution au sens strict, donnant alors lieu à l'application de la résolution judiciaire pour inexécution.

2. L'atteinte à la confiance du créancier comme fondement indirect de l'anticipation

Si le caractère actuel de l'inexécution de l'obligation implicite justifie la mise en oeuvre de la résolution pour inexécution, il convient malgré tout de s'intéresser aux effets recherchés. Son application n'a pas pour finalité de sanctionner le comportement exécutoire du débiteur en lui même mais de prévenir le résultat de ce comportement: à savoir, l'inexécution future potentielle. La résolution pour inexécution en tant que sanction de l'attitude du débiteur faisant obstacle à l'exécution de ses obligations futures, constitue principalement une manière détournée d'anticiper le risque d'inexécution engendré par un tel comportement. La mise à nu de ce détour trahit l'absence regrettable de mécanisme d'anticipation en droit positif, et permet

175. Cass req 4 janvier 1927, DH 1927, p.65

176. VANWIJCK-ALEXANDRE (M.), Aspects nouveaux de la protection du créancier à terme. Les droits belges et français face à l'"anticipatory breach" de la Common law, préf. David-Contant (S.). Liège, 1982, n°235, p.498. De façon générale, v. N°234 ets., pp. 493 et s

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d'affirmer que l'atteinte à la confiance du créancier constitue un fondement indirect de la résolution anticipée. La résolution mise en oeuvre possède en effet le caractère d'un mécanisme d'anticipation: le montant des dommages-intérêts accompagnant la résolution177 correspondrait nécessairement à la perte et au gain manqué résultant de l'inexécution future. Autrement dit, l'évaluation du montant des dommages-intérêts sanctionnant l'inexécution de l'obligation implicite de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier tiendrait compte de l'existence d'une autre obligation: l'obligation à échoir stipulée dans le contrat178. Ce non sens révèle que la perte de confiance du créancier résultant du comportement du débiteur entraîne en réalité la mise en oeuvre d'un mécanisme d'anticipation qui ne dit pas son nom, à savoir une résolution anticipée.

3. L'atteinte à la confiance du créancier comme fondement partiel de l'anticipation

Mme Vanwijck-Alexandre effectue un lien entre l'obligation implicite de ne pas porter atteinte à la confiance du cocontractant et l'obligation d'exécuter le contrat de bonne foi179 en s'appuyant notamment sur l'article 1135 du code civil180181. L'idée de confiance légitime serait donc, selon cet auteur, une émanation du concept de bonne foi contractuelle. La rupture du lien de confiance découlerait d'un comportement exécutoire de mauvaise foi. Ce rattachement à la notion de loyauté contractuelle s'explique par l'idée selon laquelle la confiance est avant

177. Il convient de rappeler qu'aux termes de l'article 1184 du code civil, la résolution judiciaire pour inexécution peut s'accompagner de dommages-intérêts.

178. Certains auteurs démentent l'existence d'une obligation implicite de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier en se fondant sur l'"absence d'autonomie" de celle-ci par rapport à l'obligation à échoir. Tel est le cas de Yves-Marie Laithier qui évoque la difficulté de distinguer le préjudice résultant de l'inexécution de porter atteinte à la confiance du cocontractant dans l'exécution future et le préjudice résultant de l'obligation à terme. Thomas Genicon qualifiera cette argumentation de "faux-procès" et répondra notamment que le fait que "l'exécution forcée ou les dommages-intérêts soient mal adaptés ou même impuissants pour sanctionner une obligation ne suffit pas d'une part à nier son existence, d'autre part, à lui refuser la qualité d'obligation contractuelle". Il explique ensuite que "c'est parce qu'il trahit la foi du contrat et mérite pour cela d'être sanctionné que le contrat sera détruit". Pour notre part, il nous semble effectivement que l'atteinte à la confiance du créancier appelle une sanction spécifique. N'en reste t-il pas moins que l'objectif principal recherché est de se prémunir contre le risque d'inexécution de l'obligation stipulée dans le contrat. Il y aurait toutefois lieu de concevoir que l'atteinte à la confiance du créancier appellerait une mise à l'écart du principe de réparation du dommage prévisible, lequel n'a pas vocation à s'appliquer en cas de dol du débiteur, et donc entraîner une allocation de dommages-intérêts d'un montant correspondant au gain manqué et à la perte résultant de l'inexécution de l'obligation stipulée, que l'étendue du dommage eut été prévisible ou non.

179. Article 1134 alinéa 3 du code civil: Les conventions légalement formées "doivent être exécutées de bonne foi".

180. Article 1135 du code civil: "Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature."

181. VANWIJCK-ALEXANDRE (M.), Aspects nouveaux de la protection du créancier à terme. Les droits belges et français face à l'"anticipatory breach" de la Common law, préf. David-Contant (S.). Liège, 1982, n°235, p.498. De façon générale, v. N°234 ets., pp. 493 et s. ; Thomas Genicon, La résolution pour inexécution, LGDJ, 2007, p.231

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tout un concept psychologique. Celle-ci se définit en effet comme le "sentiment de quelqu'un qui se fie entièrement à quelqu'un d'autre, à quelque chose"182. Appliquée dans le cadre du contrat, elle traduit nécessairement l'existence d'une relation unissant les deux cocontractants qui serait fondée sur un sentiment de bienveillance et de sécurité. La rupture d'une telle relation ne saurait alors résulter de circonstances indépendantes de la volonté des cocontractants. Le créancier situé face à un risque d'inexécution, ne pourrait évoquer une "perte de confiance" lorsque ledit risque proviendrait de circonstances indépendantes de la volonté du débiteur. Il ne pourrait l'évoquer qu'en présence d'une action positive ou négative du débiteur tendant à mettre volontairement en danger le lien contractuel. Autrement dit, l'atteinte à la confiance du créancier serait caractérisé par une manoeuvre déloyale du débiteur. Force est donc d'admettre que si la présence d'un risque sérieux d'inexécution pourrait générer un sentiment d'anxiété chez le créancier, l'atteinte à la confiance de ce dernier ne pourrait provenir que de la mauvaise foi du débiteur.

On observe dès lors les limites de l'obligation implicite de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier. Celle-ci recouvre seulement les hypothèses où le débiteur aura eu un comportement exécutoire déloyal tendant à faire obstacle à l'exécution de ses obligations futures. Ce comportement pourrait par exemple se traduire par la préparation volontaire de son insolvabilité avant l'échéance de ses obligations contractuelles, ou encore la manifestation d'un refus injustifié d'exécuter ses obligations ultérieures.

Cette obligation implicite ne pourrait en revanche recouvrir l'ensemble des cas où le risque d'inexécution découlerait de circonstances indépendantes de la volonté du débiteur telles que la force majeure ou le cas fortuit. De même, elle ne pourrait recouvrir le cas où le débiteur de bonne foi signalerait "honnêtement à son créancier que sa situation financière s'est effondrée et qu'il ne sera vraisemblablement pas en mesure d'honorer ses engagements", quand bien même une telle situation lui serait imputable183.

Ces dernières représentent toutefois de nombreuses hypothèses alors que les intérêts économiques du créancier doivent malgré tout être protégés184. Telle est la raison pour laquelle il existe un autre fondement permettant de justifier la résolution anticipée: le principe d'efficacité économique185, issu des systèmes juridiques anglo-saxon, qui justifie notamment l'évidence selon laquelle le créancier doit pouvoir être libéré d'un contrat voué à l'échec.

182. http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/confiance

183. Thomas GENICON, La résolution pour inexécution, LGDJ, 2007, p.232

184. Thomas GENICON, La résolution pour inexécution, LGDJ, 2007, p.232

185. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions de l'inexécution; LGDJ 2004; Thomas GENICON, La résolution pour inexécution, LGDJ, 2007

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Il ressort de ces constatations que l'obligation de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier constitue un fondement partiel et utile de la résolution anticipée. Partiel car elle ne saurait recouvrir l'ensemble des hypothèses génératrices de risques manifestes d'inexécution. Et utile car l'application de ce fondement aux hypothèses adéquates permet, outre l'anticipation du risque d'inexécution, d'éviter d'une part la mise en oeuvre du devoir de minimisation du dommage pesant sur le créancier dans le cadre de la résolution anticipée fondée sur l'efficacité économique du contrat186, et d'autre part, d'écarter l'application du principe de réparation du seul dommage prévisible, le dol du débiteur s'y opposant187. La déloyauté du débiteur s'opposerait en effet à l'existence d'une telle obligation de minimisation du dommage à la charge du créancier et impliquerait un durcissement de la sanction du débiteur. L'obligation de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier aurait également pour intérêt d'autoriser la résolution du contrat par anticipation sans avoir à démontrer la présence d'un risque "manifeste" d'inexécution: l'unique preuve d'un comportement exécutoire déloyal tendant à échapper à ses obligations futures suffirait. De toute évidence, la déloyauté postulerait en elle-même un risque sérieux d'inexécution.

L'application du principe de confiance légitime permettrait donc de sanctionner spécifiquement le débiteur qui tenterait volontairement d'échapper à ses obligations ultérieures alors que les autres hypothèses présentant un risque d'inexécution seraient régies sur le fondement du principe d'efficacité économique du contrat.

B\ Admission des modes d'anticipation et reconnaissance du principe de confiance légitime

L'admission de ces deux mécanismes donnerait un argument de poids pour inviter le législateur a reconnaître le principe de confiance légitime en droit positif. L'exemple de la résolution anticipée dévoile en effet l'importance de l'une des nombreuses composantes de la bonne foi contractuelle188: la confiance légitime. Cette dernière, pourrait, à partir de cette

186. Voir infra, p.82

187. Article 1150 du code civil: "Le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée."

188. La doctrine est cependant divisée sur ce point. À l'inverse de M Vanwijck-Alexandre, Alexis Albarian estime que si il existe certains points de convergence entre la doctrine solidarisme et le fidéisme contractuel, ce dernier ne s'appuie aucunement sur la notion de bonne foi. Pour cet auteur, la confiance légitime est une notion autonome. Pour notre part, il nous semble pour les raisons précédemment évoquées (voir supra, p.68) que la notion de confiance légitime devrait être rattachée à celle de bonne foi. On peut également noter pour appuyer notre argumentation que le droit romain ne dissociait pas les concepts de bonne foi et de confiance: E. Chevreau, Y. Mausen et C. Bouglé affirment en effet que la déesse fides constituait "la personnification divine de la bonne

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application exemplaire en matière de résolution anticipée, devenir l'un des piliers du droit des contrats et constituer une alternative de taille au principe de l'autonomie de la volonté que certains auteurs n'hésitent pas à qualifier de "pseudo-philosophie impraticable"189.

Admettre que la confiance du créancier puisse être trahie et fonder la mise en oeuvre d'une résolution anticipée reviendrait à reconnaître que le contrat repose sur un lien de confiance. La vision traditionnelle du contrat reposant sur la puissance de la volonté pourrait alors être remise en cause. Partant, admettre que le créancier puisse résoudre le contrat en raison d'une perte de confiance revient à fonder la résolution anticipée sur une apparence extérieure190: le comportement exécutoire du débiteur. Cette vision s'écarte radicalement du principe d'autonomie de la volonté qui commanderait que seul la volonté puisse défaire ce qu'elle a créé. On peut donc raisonner a contrario et affirmer que si des obligations contractuelles peuvent disparaître en raison d'une perte de confiance, elles peuvent également naître d'un gain de confiance et non d'une simple volonté de s'engager. On retrouve ainsi la thèse des fidéistes selon laquelle "l'attitude, le comportement d'une personne, ses qualités particulières, ainsi que la nature des relations qui l'unissent à son partenaire, peuvent être le fondement d'une confiance qui oblige de façon autonome celui qui l'inspire". Ce qui compte, ce n'est pas le fait qu'un contractant ait voulu s'engager mais la croyance légitime que son comportement aura suscité chez l'autre partie. De cette croyance légitime naît alors un lien de confiance qui engage le débiteur.

L'application de la résolution anticipée du contrat pour perte de confiance met ainsi en évidence la fragilité de la théorie de l'autonomie de la volonté. Si la rupture du lien de confiance peut justifier la résolution du contrat, la création d'un tel lien peut a contrario donner naissance au contrat. L'importance du principe de confiance légitime met en évidence l'idée selon laquelle la volonté en elle même n'a aucun pouvoir. C'est la confiance qu'elle aura légitimement suscité chez le cocontractant qui engendrerait des effets juridiques.

foi, de la confiance qui doit présider aux conventions publiques des peuples et aux transactions privées entre individus". Les auteurs mettent ainsi en avant l'idée de "réciprocité" bienveillante devant régner entre les cocontractants, à savoir, un lien de confiance impliquant un comportement de bonne foi de part et d'autre. (Emmanuel CHEVREAU, Yves MAUSEN, Claire BOUGLE, Introduction historique au droit des obligations, Litec, Paris, 2007, p.65)

189. G. ROUHETTE, Contribution à l'étude critique de la notion de contrat, Thèse Paris 1965, p.411

190. Ce qui n'est pas le cas de la résolution pour inexécution classique où cette dernière est avérée et judiciairement validée.

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Section 2: Les réticences du droit français

La réticence à l'idée d'admettre le concept de confiance légitime pourrait s'expliquer par l'idée de méfiance et de contrôle absolu irriguant le droit français. Un tel principe, sur lequel se fonderait les mécanismes d'anticipation, nécessiterait effectivement une certaine souplesse juridique accrue (§1). Il conviendra malgré tout de démontrer que la reconnaissance du principe de confiance légitime ne saurait bouleverser la conception traditionnelle du droit des contrats fondée sur une approche à la fois morale et libérale (§2).

§1: La méfiance de principe en droit français

Le professeur Laurent Aynès dresse le constat selon lequel la mentalité française serait imprégnée d'un grand scepticisme191 qui tranche radicalement avec "l'optimisme anglo-américain". Il n'est alors pas étonnant de constater que la reliance constitue dans les pays de common law, le socle du droit des contrats.

Nous pouvons aisément ressentir ce scepticisme à travers notre système juridique complexe et rigide. La doctrine évoque fréquemment la célèbre comparaison entre les jardins à la française, géométriques, ordonnés et soigneusement cultivés et les jardins à l'anglaise, d'apparence plus naturelles et forestières pour expliquer les différences juridiques entre le droit français et les droits de common law. Le législateur français prévoit de nombreuses règles contraignantes pour régir l'économie de marché alors que les juristes anglo-saxon sont davantage imprégnés de l'idée selon laquelle l'économie serait régulée par une "main invisible"192. Il découle de cette idéologie française un ensemble de règles contraignantes auxquelles doit se soumettre le contrat, instrument incontournable des relations commerciales. Cela se traduit par l'existence de nombreuses règles formalistes193 (A) ainsi qu'une méfiance prononcée du législateur pour la résolution du contrat sans intervention du juge194 (B), et a fortiori pour toute possibilité d'anticipation du futur contractuel par les cocontractants (C).

191. L. AYNES écrit, non sans un brin d'ironie: "Le français se méfie de tout, il se méfie de l'Etat, il se méfie de son voisin, il se méfie du fisc, le fisc se méfie du citoyen, le citoyen se méfie de l'Administration, etc." (Laurent AYNES, La confiance en droit privé des contrats, in La confiance en droit privé des contrats (sous la direction de Valérie-Laure BENABOU et Muriel CHAGNY), Dalloz, 2008, p.154)

192. Adam SMITH, La richesse des nations, 1776

193. Laurent AYNES, La confiance en droit privé des contrats, in La confiance en droit privé des contrats (sous la direction de Valérie-Laure BENABOU et Muriel CHAGNY), Dalloz, 2008, p.155

194. Laurent AYNES, La confiance en droit privé des contrats, in La confiance en droit privé des contrats (sous la direction de Valérie-Laure BENABOU et Muriel CHAGNY), Dalloz, 2008, p.155

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A\ Méfiance et formalisme

Le droit français des contrats est dominé par de nombreuses règles formalistes. Cet ensemble d'obligations contraignantes traduit une méfiance généralisée: méfiance à l'égard de l'autre partie, méfiance à l'égard de l'interprète. Si les parties n'ont pris soin de stipuler une clause résolutoire claire et précise, la résolution pour inexécution doit en principe être demandée en justice.

B\ Méfiance et unilatéralisme

On dénote une certaine frilosité du législateur quant à l'idée de donner au créancier victime d'une inexécution, actuelle ou future, le pouvoir de résoudre lui-même le contrat. La méfiance est de mise à son égard. Par conséquent, il existe en droit français un principe de résolution judiciaire du contrat à l'inverse de nombreux systèmes juridiques tels que le droit anglo-saxon où le principe est celui de la résolution unilatérale. Or nous pouvons affirmer, non sans ironie, que l'application du principe de confiance légitime nécessite tout d'abord que l'on "fasse confiance" au créancier. Il ne s'agirait évidemment pas d'octroyer un pouvoir de résolution illimité au créancier mais d'éviter qu'une situation urgente ne soit bloquée par une procédure judiciaire lente et coûteuse. Il s'agirait donc notamment d'éviter que le créancier "trahi" par son débiteur soit prisonnier d'un lien contractuel voué à l'échec. Le comportement exécutoire déloyal du débiteur tendant à entraîner un risque d'inexécution appelle une prise de mesure rapide et efficace. Telle est la raison pour laquelle, il serait opportun de conférer au créancier une certaine autonomie. Le risque de résolution abusive serait alors limité par un contrôle a posteriori, le débiteur pouvant en effet contester la résolution en justice. Une dérogation au principe de résolution judiciaire195 est toutefois prévu depuis plus d'un siècle en jurisprudence. Le créancier peut résoudre le contrat à ses "risques et périls" lorsque les "relations contractuelles impliquent une dose particulière d'entente, voire de confiance" et qu'"une faute particulièrement grave" est commise par l'un des contractants196. L'évolution de la vie des affaires a rapidement incité la haute juridiction à pallier cette "méfiance" des rédacteurs du code civil. On peut donc affirmer que l'idée de résolution unilatérale existe déjà en droit positif, "même si l'article 1184 n'en rend pas compte"197. N'en reste t-il pas moins

195. F. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE affirment que la haute juridiction a "posé une dérogation à l'article 1184 du code civil".

196. Fr. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les obligations, 11e édition, dalloz, 2013, p.711; civ 26 févr 1896, S.97.1.187 ; 25 avril 1936, DH 1936.331; Soc 22 oct 1991, D. 19923.189, note Karaquillo

197. F. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les obligations, 11e édition, dalloz, 2013, p.714

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qu'une meilleure sécurité juridique commanderait que cette faculté soit expressément inscrite dans le marbre de la loi à l'instar de certaines législations étrangères ou traités internationaux198. Partant, le projet de la chancellerie semble avoir pris acte de cette nécessité. Bien qu'il ne mentionne aucunement l'idée de résolution anticipée ou de principe de confiance légitime, il consacre la possibilité de résoudre unilatéralement le contrat pour inexécution199.

C\ Méfiance de l'avenir

Le comportement exécutoire déloyal du débiteur peut, à juste titre, provoquer chez le créancier un sentiment d'anxiété, une "méfiance légitime"; d'où son désir potentiel de "prendre les devants" et "faire comme si" l'inexécution avait déjà eu lieu pour résoudre le contrat200. L'application du principe de confiance légitime implique que le créancier puisse résoudre le contrat lorsque le lien de confiance est rompu et non lorsque l'inexécution a d'ores et déjà eu lieu. Or, perte de confiance légitime et inexécution contractuelle ne se confondent pas nécessairement. Il est fréquent, en raison de la présence d'un comportement exécutoire déloyal, que la perte de confiance du créancier précède l'inexécution par le débiteur. Cependant, si le créancier se méfie du débiteur, le législateur se méfie également du créancier. Alors que le législateur n'adhère pas à l'idée de laisser à ce dernier la faculté de résoudre unilatéralement le contrat, il est a fortiori encore plus réfractaire à l'idée de lui laisser la possibilité d'exercer ce même pouvoir par anticipation. Il convient par ailleurs de rappeler que la résolution anticipée, tout comme l'exception pour risque d'inexécution, ne peuvent être efficaces que si elles sont appliquées de manière unilatérale201. La saisine des tribunaux priverait en effet inévitablement ces mécanismes de leur objet principal: à savoir, le gain de temps et la réduction du préjudice qui en découlerait.

Nous l'avons vu, l'admission de la résolution anticipée participerait indirectement à

198. Art 324, 325 BGB; Art 7.3.1 des Principes Unidroit; Article 49 et 64 de la Convention de Vienne

199. Art. 1224 du projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations: "La résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire, soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice."

Art. 1226 alinéa 1du projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations: "Le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable."

200. J.C. HALLOUIN, L'anticipation: contribution à la formation des situations juridiques, Thèse Poitier 1979; Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM, 2011; Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions de l'inexécution; LGDJ 2004; Thomas GENICON, La résolution pour inexécution, LGDJ, 2007

201. Thomas GENICON, La résolution pour inexécution, LGDJ, 2007

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l'élaboration d'un véritable principe de confiance légitime en droit positif. Inversement, la notion de confiance légitime constitue un fondement viable de la résolution anticipée, bien qu'elle soit actuellement utilisée par les juges pour fonder la résolution pour inexécution classique202. Nous avons toutefois démontré qu'il ne s'agissait que d'un subterfuge pour prémunir le créancier d'un risque d'inexécution manifesté par un comportement exécutoire déloyal. Autrement dit, la confiance légitime fonderait indirectement une résolution anticipée qui ne dirait pas son nom. Ce détournement du mécanisme de la résolution pour inexécution témoigne ainsi d'une carence législative en matière d'anticipation. Pour l'heure, seule l'exception pour risque d'inexécution est prévue au sein du projet de réforme du droit des contrats.

§2: Le maintien d'une approche traditionnelle

L'admission du principe de confiance légitime, et subsidiairement, la reconnaissance de la résolution anticipée pour perte de confiance légitime, ne saurait s'opposer au maintien d'une approche à la fois libérale (A) et morale (B) du lien contractuel.

A\ L'approche libérale du lien contractuel préservée

Le droit français des contrats repose partiellement sur une conception individualiste et ce faisant, libérale. Le dogme de l'autonomie de la volonté traduit en effet l'idée selon laquelle "l'homme est le meilleur législateur de ses intérêts", participant ainsi à l'idée selon laquelle la "richesse des nations" proviendrait de la somme des passions individuelles203, la prospérité de l'économie étant guidé par une célèbre "main invisible"204. On peut donc s'évertuer à affirmer que si l'autonomie de la volonté est avant tout un principe philosophique, elle poursuit un intérêt pragmatique. Le pouvoir donné à la volonté se justifie notamment par l'efficacité qui en résulterait sur l'économie de marché.

Force est toutefois de constater que le principe de confiance légitime, pour sa part, poursuit un objectif de même envergure. Si cette dernière constitue le socle du droit anglo-saxon des contrats, qui nous ne pouvons l'ignorer, est imprégné d'une conception fortement libérale, c'est en raison du fait que la "reliance" possède des qualités de flexibilité et

202. Voir supra p.67

203. MANDEVILLE, La fable des abeilles, 1714

204. Adam SMITH, La richesse des nations, 1776

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d'efficacité économique indéniables. La confiance légitime procède d'une vision libérale du contrat et d'une conception assouplie du lien contractuel. Ce dernier peut résulter de tout "élément extérieur observable"205 ayant eu pour effet de susciter une croyance légitime. De même, le lien contractuel peut disparaître en fonction de toute apparence extérieure ayant entraîné une perte légitime de confiance. Il en résulte une réduction drastique du formalisme contraignant actuellement imposé en droit interne. Enfin, "le juge n'aura plus à sonder les hypothétiques volontés internes des parties"206. La création, tout comme la disparition de liens contractuels n'en est que plus aisée. Cette nouvelle vision nuance la portée du pouvoir de la volonté mais n'altère en rien le concept même. Comme a effectivement pu le faire remarquer Pascal Lokiec, "le concept de volonté est suffisamment riche pour autoriser une conception volontariste du contrat qui ne soit pas la simple traduction de la théorie de l'autonomie de la volonté"207. La volonté subjective laisse toutefois place à la "volonté apparente"208, soit une apparence de volonté découlant notamment du comportement du débiteur.

On peut par ailleurs noter que la faculté laissée au créancier de résoudre unilatéralement un contrat pour perte de confiance légitime, mais aussi plus globalement, en présence d'un risque d'inexécution se justifie aisément par l'affirmation selon laquelle "l'homme est le meilleur législateur de ses intérêts" qui est une idée libérale justificatrice de la théorie de l'autonomie de la volonté. Le créancier est évidemment le mieux placé pour apprécier avec le plus d'exactitude si un risque manifeste d'inexécution ou un comportement exécutoire déloyal est caractérisé.

L'admission de la résolution anticipée pour "perte de confiance" et plus globalement, du principe de confiance légitime, n'entraînerait donc pas un bouleversement majeur de la vision libérale que les rédacteurs du code civil ont porté sur le droit des contrats. Mieux encore, elle n'altère en rien la "conception volontariste du contrat"209. Il convient toutefois de rappeler que ces derniers n'ont pas seulement pris en compte le dogme de l'autonomie de la volonté. Les préceptes moraux du droit canonique ont en effet exercé une influence, bien plus importante encore, sur les rédacteurs du code civil210.

205. V. EDEL, La confiance en droit des contrats, Thèse Montpellier I, 2006, p.212

206. V. EDEL, La confiance en droit des contrats, Thèse Montpellier I, 2006, p.212

207. Pascal LOKIEC, Le droit des contrats et la protection des attentes, Recueil Dalloz 2007, p.321

208. Ph. MALAURIE, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, 4e éd, Defrénois, 2009, p.368, n°749

209. Pascal LOKIEC, Le droit des contrats et la protection des attentes, Recueil Dalloz 2007, p.321

210. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz, 2013

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B\ L'approche morale du lien contractuel préservée

La force obligatoire du contrat ne se fonde pas uniquement sur l'autonomie de la volonté mais aussi, et surtout, sur le "respect de la parole donnée"211qui résulte d'une conception profondément moraliste du droit des contrats.

On peut toutefois aisément remarquer l'évidence selon laquelle le concept de "confiance légitime" présente également un aspect moral. Le respect de la croyance légitime n'efface pas le respect de la parole donnée mais prend en compte une dimension plus vaste que cette dernière: le comportement du cocontractant. Ce dernier doit respecter la croyance légitime que ses paroles ou actes, auront fait naître chez l'autre partie212. On pourrait objecter que si un comportement devient une source supplémentaire d'obligation, la parole donnée peut en conséquence être déformée. L'attitude du débiteur peut avoir pour effet de modifier la portée des paroles prononcées. On peut répondre à cette inquiétude que si la parole donnée est désacralisée, le message reçu par le destinataire bénéficie d'une importance accrue213; peu important le caractère explicite ou tacite de ce dernier. En effet, si tout un chacun doit respecter ses promesses, c'est seulement en raison des attentes légitimes qu'elles auront fait naître chez l'autre partie. A travers le principe de confiance légitime, la parole donnée ne signe plus un engagement envers Dieu mais uniquement envers l'autre. Le concept reste profondément moral mais est néanmoins purgé de son aspect religieux.

Cette conception permet alors de concevoir que le créancier dont la confiance a été trahie, puisse mettre fin au contrat sans qu'il ne lui soit reproché de ne pas respecter ses propres engagements. On constatera par ailleurs que, nonobstant l'absence de religiosité de la notion de confiance légitime, celle-ci ne marque pas réellement de rupture avec la pensée chrétienne. Saint Thomas d'Aquin avait effectivement pu exprimer que "ça n'est pas mentir que de revenir sur sa parole lorsque le contexte a changé". Or un tel changement pourrait évidemment résulter de la constatation d'un comportement déloyal du débiteur en phase d'exécution du contrat.

211. Voir supra, p.61

212. Voir supra, p.65

213. R.DAVID et D.PUGSLEY, Les contrats en droit anglais, 2e éd, LGDJ, 1985, p.21, n°19: "Le fondement du droit des contrats (dans les droits de common law) ne se trouvera pas dans l'idée qu'il faut tenir ses promesses; il sera dans l'idée de la confiance légitime trompée: vous devez indemniser celui qui subit un préjudice parce que vous n'avez pas agi comme, sur la foi de vos promesses, il pouvait légitimement compter que vous agiriez"; D. TALLON, "L'évolution des idées en matière de contrat: survol comparatif", Droits, n°12, Le contrat, PUF, 1990, p.86: Le Professeur D. Tallon fait remarquer que la notion de confiance légitime impose de se placer "à côté du créancier, plutôt que du débiteur".

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On peut donc, à travers ces constats philosophiques, admettre sans grande difficulté que l'admission du principe de confiance légitime n'entraînerait aucune altération des préceptes moraux irriguant le droit français des contrats.

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Chapitre 2: L'efficacité économique du contrat

Provenant des systèmes juridiques de common law, la notion d'efficacité économique du contrat tend malgré tout à influencer les droits de tradition civiliste. L'introduction des mécanismes d'anticipation en droit positif entraînerait inévitablement un renforcement de la prise en compte de cette notion (Section 1). Corollairement, l'importance accrue du principe d'efficacité économique du contrat aurait un rejaillissement certain sur notre conception traditionnelle de l'intangibilité du contrat et subséquemment, sur le fondement de la résolution classique pour inexécution (Section 2).

Section 1: l'influence de l'anticipation sur l'efficacité économique du contrat

L'admission des mécanismes d'anticipation entraînerait inéluctablement un renforcement de la protection des intérêts économiques des cocontractants qui trancherait avec la situation actuelle où le créancier est en principe contraint d'attendre que l'inexécution ait eue lieue pour procéder à la résolution pour inexécution (§1). Le principe d'efficacité économique pourrait alors constituer un fondement viable et exhaustif de la résolution anticipée, à l'inverse de la résolution pour perte de confiance qui, nous l'avons vu, ne pourrait être évoquée qu'en cas de comportement exécutoire déloyal du débiteur (§2).

§1: La protection améliorée des cocontractants

La mise en oeuvre de mécanismes d'anticipation aurait à la fois pour effet de protéger les intérêts économiques du créancier mais également ceux du débiteur (A). En effet, si le préjudice du créancier est réduit, le montant des dommages-intérêts ne pourra corollairement qu'être diminué (B).

A\ la réduction du préjudice

Le préjudice du créancier pourrait à la fois être réduit par la mise en oeuvre de la résolution anticipée (1) et de l'exception pour risque d'inexécution, bien que la réduction serait

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moindre dans ce deuxième cas (2).

1. Par la résolution anticipée

La résolution anticipée a pour intérêt principal de libérer le créancier. L'idée est d'éviter, à l'instar de l'exception pour risque d'inexécution, que le créancier ne soit dans l'obligation d'exécuter ses propres obligations. Toutefois, contrairement à ce deuxième mécanisme, sa libération lui permet également de ne pas avoir à être prêt à les exécuter214et de trouver rapidement un autre cocontractant susceptible de répondre aux attentes que le débiteur ne pourra manifestement satisfaire à l'échéance215. Ces trois conséquences constituent un gage d'efficacité économique certain dans le sens où elles tendraient à réduire le préjudice subi par le créancier216.

Contrairement à l'exception pour risque d'inexécution, la libération du créancier est définitive; ce qui lui permet, outre l'arrêt de l'exécution de ses obligations, de prendre immédiatement des mesures ayant pour objet de pallier aux conséquences de l'inexécution anticipée.

2. Par l'exception pour risque d'inexécution

L'exception pour risque d'inexécution ne libère pas le créancier du lien contractuel. Elle a pour simple effet de suspendre temporairement l'exécution de ses obligations contractuelles. Force est donc de constater que dans le cas où l'inexécution redoutée aurait finalement eu lieue, la réduction du préjudice du créancier serait moindre qu'en application d'une résolution anticipée.

Cette différence d'efficacité économique notable a pu amener certains auteurs à affirmer que l'exception pour risque d'inexécution ne constitue pas une mesure d'anticipation217. On peut, en faveur de cette opinion, argumenter que cette dernière n'autorise pas réellement le créancier à "faire comme si" l'inexécution avait déjà eu lieue en prenant

214. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions de l'inexécution; LGDJ 2004; Thomas GENICON, La résolution pour inexécution, LGDJ, 2007, p.584

215. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions de l'inexécution; LGDJ 2004; Thomas GENICON, La résolution pour inexécution, LGDJ, 2007, p.584

216.Thomas GENICON, La résolution du contrat pour inexécution, LGDJ, 2007, p.229; O. MORETEAU, Droit anglais des affaires, op. Cit, n°670, p.389; Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions de l'inexécution, LGDJ, 2004, n°465, p.554

217. Selon Fall PARAISO, l'exception pour risque d'inexécution "parvient seulement à geler les effets de la convention au moment où apparaît le risque. Mais elle n'est ni une mesure de sauvegarde du paiement, ni un mode d'anticipation de celui-ci. La suspension de l'obligation n'évince pas la présence du risque d'inexécution".

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nombre de mesures salvatrices telles que la recherche d'un nouveau cocontractant, puisqu'il n'est en aucun cas libéré du contrat et pourrait à tout moment, être contraint de reprendre à nouveau l'exécution de ses obligations. Il nous semble malgré tout que son caractère temporaire ne saurait lui enlever son pouvoir d'anticipation. Si elle ne saurait, à elle seule, neutraliser le risque d'inexécution, elle a pour effet de protéger, du moins partiellement, le créancier des conséquences de ce risque. De plus, elle constitue un complément, mais aussi, et surtout, un prélude indispensable à la résolution anticipée.218.

Il n'empêche toutefois que si l'on ne saurait lui enlever son effet anticipatoire, sa moindre efficacité économique doit conduire le législateur à s'interroger sur l'éventuelle introduction de la résolution anticipée en droit positif. Si l'exception pour risque d'inexécution peut anticiper certaines conséquences du risque d'inexécution, elle n'anticipe pas le risque en lui-même. L'absence de libération du créancier entraînant l'impossibilité pour ce dernier de trouver un autre cocontractant et le contraignant par ailleurs à se tenir prêt à reprendre l'exécution de ses obligations dénote que la simple suspension des obligations ne protège que partiellement les intérêts économiques du créancier. Or, il serait indéniablement frustrant de s'en tenir à une simple protection partielle dans le cas où il serait manifeste que le débiteur n'exécutera pas ses obligations à l'échéance. Thomas Genicon l'affirme ainsi: "à quoi bon, (...) attendre le jour de l'échéance du terme lorsque l'on est certain que le débiteur ne s'exécutera pas? L'attente sera certainement la source d'une perte de temps et d'argent."219

B\ La réduction des dommages-intérêts

La perspective pour le débiteur de voir diminuer le montant des dommages-intérêts aurait pour effet bénéfique d'inciter ce dernier à coopérer avec le créancier pour anticiper le risque d'inexécution (1). Par ailleurs, l'application envisageable d'un devoir de minimisation du dommage participerait à la réduction du montant des dommages-intérêts (2).

218. Alors que cette dernière peut être invoquée en cas de risque d'inexécution manifeste, l'exception pour risque d'inexécution pourra être soulevée par le créancier craintif dans le cas où l'inexécution serait simplement probable. Ce dernier aura toutefois la possibilité de demander une assurance adéquate d'exécution pour pouvoir prononcer la résolution anticipée en cas d'absence de réponse ou de réponse négative. De plus, la résolution anticipée étant conditionnée, si l'on s'en tient aux propositions du projet Terré, à une réponse négative ou une absence de réponse à une demande d'assurance adéquate d'exécution préalablement notifiée par le créancier, l'exception pour risque d'inexécution pourrait être invoquée parallèlement au déroulement de la procédure de mise en oeuvre de la résolution anticipée. Il ressort de ces constats que l'exception pour risque d'inexécution constitue un complément, mais également un prélude indispensable à la mise en oeuvre de la résolution anticipée. L'anticipation du risque d'inexécution commence donc par une suspension des obligations du créancier.

219. Thomas GENICON, La résolution pour inexécution, LGDJ, 2007, p.229

1. 82

La coopération contractuelle incitée

La réduction du préjudice du créancier entraîne corrélativement une diminution du montant des dommages-intérêts dûs par le débiteur. Anticiper le risque d'inexécution peut être vu comme une sorte de pari "gagnant-gagnant". Les intérêts économiques de chacun des cocontractants, débiteur ou créancier, sont davantage améliorés que dans le cas où l'on attendrait que l'inexécution redoutée ait lieue. La perspective d'une réduction du montant des dommages-intérêt aurait pour effet d'inciter le débiteur à faire part au créancier de ses difficultés financières dans le cas où un risque manifeste d'inexécution émergerait. En effet, si le créancier a intérêt à réduire son préjudice, le débiteur a indéniablement intérêt à provoquer la réduction du montant des dommages-intérêts. Ce faisant, celui-ci participe également à l'anticipation du risque d'inexécution. On remarque alors que, nonobstant le fait que tout contrat-échange puisse être analysé comme un "antagonisme d'intérêt", la maîtrise du risque d'inexécution implique une coopération renforcée des cocontractants.

Ainsi, l'on comprend par ailleurs que la participation du débiteur à l'anticipation du risque d'inexécution serait encore davantage vigoureuse dans le cas où pèserait sur le créancier un devoir de minimisation du dommage.

2. Le devoir de minimisation du dommage

Comme ont pu le constater certains auteurs, l'application du devoir de minimiser le dommage pesant sur le créancier entraînerait pour ce dernier un devoir de résoudre le contrat par anticipation en présence d'un risque d'inexécution (a). Bien qu'une telle obligation pourrait de prime abord permettre de penser que le risque de résolution abusive serait augmenté, il conviendra de démontrer qu'il ne s'agit d'une fausse inquiétude (b). Nous exposerons ensuite la position du droit français par rapport à une éventuelle reconnaissance d'une telle obligation (c).

a) Le devoir de résolution anticipée220

La notion de "mitigation of damages" ou devoir de minimisation du dommage, très

220. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions de l'inexécution; LGDJ 2004, p.586

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connue des systèmes juridiques de common law, implique une obligation pour la victime d'un dommage de ne pas aggraver, ou encore, de limiter son préjudice. Transposée à la matière contractuelle, elle impose au créancier victime d'une inexécution de limiter ou de ne pas aggraver le préjudice résultant de celle-ci.

On comprend dès lors, qu'au sein des droits de common law, la résolution anticipée puisse constituer un droit, mais aussi et surtout, un devoir221. Si le créancier voit peser sur lui un devoir de minimiser son dommage, encore faut-il lui fournir les armes permettant d'exercer cette obligation de manière optimale. L'objectif de ce devoir étant de répondre à un impératif d'efficacité économique, la prise de mesures destinées à minimiser le dommage devrait débuter dès l'instant où un risque manifeste d'inexécution est constaté. Plus précisément, une telle obligation débutera, en cas d'insolvabilité apparente du débiteur, dès la réception d'une réponse négative à une demande d'attestation d'exécution future préalablement émise par le créancier ou une absence de réponse à l'issue du délai mentionné dans la lettre222. Si le risque d'inexécution se traduit par un refus univoque du débiteur quant à l'exécution de ses obligations futures, le devoir de minimisation du dommage pèsera sur le créancier à la date de réception dudit refus.

Attendre que l'inexécution ait eu lieue pour minimiser son dommage relèverait d'une incohérence au regard des objectifs poursuivis par une telle obligation.

b) L'écueil de la résolution anticipée abusive

L'application du devoir de minimisation du dommage n'est pas sans danger sur la sécurité du lien contractuel. Cette obligation contraint le créancier à se demander, lorsqu'une résolution anticipée est envisagée, si le préjudice serait plus important en rompant ou en maintenant le contrat223. Thomas Genicon fait alors part d'une inquiétude légitime: est-ce que le critère d'aggravation du dommage ne viendrait pas supplanter celui du caractère manifeste du risque d'inexécution? Il est permis d'en douter. Le créancier, sur lequel "la mitigation of damages (...) pèse toujours comme une épée de Damoclès", pourrait effectivement être tenté de procéder à la résolution du contrat lorsque l'aggravation du préjudice paraîtrait inéluctable en cas d'inexécution alors qu'il y aurait malgré tout de sérieuse raison de douter que celle-ci se

221. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions de l'inexécution; LGDJ 2004, p.586

222. Nous avons en effet proposé que la faculté de résoudre le contrat par anticipation soit subordonnée à une demande d'attestation d'exécution par le créancier conformément aux préconisations du projet Terré. Voir supra, p.49

223. Thomas GENICON, La résolution pour inexécution, LGDJ, 2007, p.235

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réaliserait224. Ce peut être par exemple le cas où le débiteur, motivé par la perspective de voir le montant des dommages-intérêts diminuer en cas d'inexécution, ferait part au créancier de ses difficultés financières225. Ces aveux n'équivalent pas à un refus non équivoque d'exécuter ses obligations à l'échéance, ni même, à une insolvabilité avérée: l'inexécution future ne demeure qu'au stade d'une simple éventualité. La résolution du contrat en présence d'un risque d'inexécution non manifeste et motivé par le devoir de minimisation du dommage demeure malgré tout infondée et revête la qualification de résolution abusive. Il convient en effet de souligner que le créancier ne saurait se voir reprocher un manquement à son obligation de minimiser son dommage qu'en cas de risque manifeste d'inexécution. Or nous avons précédemment démontré que ce critère revêt trois formes: un refus univoque, une impossibilité avérée d'exécuter à l'échéance, ou encore un comportement exécutoire déloyal. La simple transmission des inquiétudes du débiteur au créancier quant à l'état de sa situation financière n'entre dans aucune des trois catégories. Les allégations du débiteur doivent être dépourvues d'ambiguïté pour constituer un risque manifeste d'inexécution. Par ailleurs, l'insolvabilité apparente du débiteur devra être confirmée par une réponse négative ou une absence de réponse à une demande d'attestation d'exécution future préalablement notifiée par le créancier. Nous devons donc nous garder d'exercer toute confusion entre l'appréciation du risque et celle de l'aggravation du dommage. La question de la minimisation du dommage ne saurait se poser qu'une fois qu'un risque manifeste d'inexécution aura été établie.

c) Perspective sur une éventuelle consécration en droit positif

La notion de anglo-saxone de "mitigation of damages" peut apparaître comme une étrange curiosité, pour ne pas dire une aberration, au regard du droit français des contrats. La cour de cassation avait solennellement refusé son application en droit positif par deux arrêts rendus le 19 juin 2003. La formule employée donnait indéniablement à l'interdiction une portée générale226: "Attendu que l'auteur d'un accident est tenu d'en réparer toutes les conséquences dommageables; que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable". Le principe de réparation intégrale, auquel paraît s'opposer le devoir de minimisation du dommage227, est ici clairement exprimé.

224. Thomas GENICON, La résolution pour inexécution, LGDJ, 2007, p.235

225. Thomas GENICON, La résolution pour inexécution, LGDJ, 2007, p.235

226. Hugues ADIDA-CANAC, "Mitigation of damage": une porte entrouverte ?, D. 2012. 141

227. Certains auteurs estiment toutefois qu'il n'existe pas d'incompatibilité entre le principe de réparation intégrale et le devoir de minimisation du dommage: Ainsi, selon J.-P Chazal, "réduire l'indemnisation due à la victime afin de tenir compte de son comportement postérieur au fait dommageable ne porte aucunement atteinte

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La haute juridiction semble malgré tout avoir par la suite avoir ouvert une voie vers la reconnaissance de ce principe en matière contractuelle sur le fondement du devoir d'exécution de bonne foi228. Cette dernière exigerait des cocontractants une "loyauté réciproque"229 dans l'exécution du contrat, et ce faisant, une obligation pour le créancier de minimiser son dommage en cas de manquement contractuel du débiteur230. Plusieurs arrêts récents contredisent toutefois la portée de cette décision en réaffirmant l'interdiction de principe posée par les arrêts rendus le 19 juin 2003 tant en matière délictuelle231 qu'en matière contractuelle232.

Cette réticence du droit français reflète son fort attachement à une approche morale de la force obligatoire des conventions. Celui qui n'a pas honoré ses engagements doit en assumer les conséquences. L'on ne saurait, dès lors, imposer à la victime d'un manquement contractuel, un comportement ayant pour objet d'atténuer la responsabilité du cocontractant. Certains auteurs estiment malgré tout que le principe de force obligatoire du contrat, tout comme celui de réparation intégrale qui découle de ce dernier, n'est en rien affecté par le devoir de minimisation du dommage. Moyennant une conception restrictive du lien de causalité, J.-P Chazal estime ainsi que les conséquences résultant de l'absence de minimisation du dommage par la victime ne peuvent avoir de lien causal avec la faute que l'auteur d'un dommage aurait commise. Le principe de réparation intégrale commanderait en effet que ce dernier ne répare que les conséquences directes résultant de son fait233. Plusieurs auteurs estime par ailleurs qu'outre son efficacité économique, une telle obligation ne serait aucunement incompatible avec une approche morale du droit des contrats, bien au contraire.

au principe de la réparation intégrale, lequel n'a pas pour effet d'imputer à l'auteur d'un dommage des conséquences dépourvues de lien direct avec le fait causal. C'est aller au-delà de la réparation intégrale que d'indemniser la victime des conséquences de sa propre faute dans l'extension ou l'aggravation de ses préjudices."

228. Civ 2e du 24 novembre 2011 (10-25635)

229. Hugues ADIDA-CANAC, "Mitigation of damage": une porte entrouverte ?, D. 2012. 141

230. LPA 2002, n° 232, p. 3, obs. P. Jourdain, et p. 55, obs. A. Laude

231. Cass. 1ère Civ., 2 juillet 2014, n°13-17.599: "Mais attendu qu'en vertu de l'article 1382 du code civil, l'auteur d'un dommage doit en réparer toutes les conséquences et que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable".

232. Cass 3ème Civ., 10 juillet 2013, n°12-13.851: "Qu'en statuant ainsi, alors que l'auteur d'un dommage doit en réparer toutes les conséquences et que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable, la cour d'appel a violé le texte susvisé" (visa: article 1147)

233. Jean-Pascal CHAZAL, "L'ultra-indemnisation" : une réparation au-delà des préjudices directs, D. 2003. 2326: "réduire l'indemnisation due à la victime afin de tenir compte de son comportement postérieur au fait dommageable ne porte aucunement atteinte au principe de la réparation intégrale, lequel n'a pas pour effet d'imputer à l'auteur d'un dommage des conséquences dépourvues de lien direct avec le fait causal. C'est aller au-delà de la réparation intégrale que d'indemniser la victime des conséquences de sa propre faute dans l'extension ou l'aggravation de ses préjudices."

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Stéphan Reifegerste a effectivement pu souligner cette absence d'incompatibilité en s'appuyant sur le développement de la loyauté contractuelle et les évolutions du courant solidariste: "obligation de loyauté et de coopération, obligation d'information et de conseil, obligation de renégociation et - pourquoi pas? - obligation de minimiser le dommage?"234.

On peut toutefois aisément affirmer que l'admission de la résolution anticipée en droit interne risquerait de débloquer les inhibitions du juge, ou encore du législateur, quant à la reconnaissance expresse du devoir de minimisation du dommage. La résolution anticipée ayant pour objet de "parvenir à une allocation efficace des ressources" et pour effet d'assouplir la vigueur du lien contractuel, les juristes français seraient naturellement invités à réviser leur vision traditionnelle de la force obligatoire du contrat. L'admission d'un tel mécanisme d'anticipation pourrait alors s'accompagner d'un devoir de minimisation du dommage à la charge du créancier aux fins de répondre aux véritables objectifs poursuivi par son introduction en droit interne: l'efficacité économique du contrat. L'inverse est également inéluctable: si le devoir de minimisation du dommage venait à être reconnu en droit interne, la probabilité d'assister à une admission de la résolution anticipée serait décuplée en raison du lien inhérent entre l'anticipation du risque d'inexécution et la minimisation du dommage du créancier.

§2: l'efficacité économique comme fondement de la résolution anticipée

L'effet protecteur de la résolution anticipée sur les intérêts économiques des cocontractants, à savoir la réduction du préjudice du créancier et la diminution des dommages-intérêts dus par le débiteur, permet de conclure que le principe d'efficacité économique constitue un fondement viable d'un tel mode d'anticipation.

Nous avons précédemment observé que le principe de confiance légitime constituait un fondement partiel de la résolution par anticipation. En effet, l'application d'une résolution anticipée pour perte de confiance ne peut qu'être subordonnée à l'existence d'un comportement exécutoire déloyal du débiteur. En revanche, le principe d'efficacité économique constitue un fondement beaucoup plus large. Ce qui justifie la résolution anticipée est ici la volonté de réduire le dommage qu'entraînerait l'inexécution redoutée et de permettre une meilleure allocation des ressources. Ainsi, peu important le comportement du

234. Stéphan REIFEGERSTE, Pour une obligation de minimiser le dommage, PUAM 2002, p.25

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débiteur, la résolution anticipée peut être justifiée par la simple présence d'un risque manifeste d'inexécution. Toute idée de sanction punitive est écartée au profit de l'efficacité économique du contrat235.

Section 2: L'influence de l'efficacité économique sur le droit positif des contrats

La reconnaissance de l'efficacité économique comme pilier fondateur du droit des contrats entraînerait inévitablement un assouplissement de la conception traditionnelle de la force obligatoire (§1). Outre le fait qu'elle pourrait aisément constituer un fondement de la résolution anticipée du contrat, elle saurait a fortiori fonder le mécanisme classique de la résolution pour inexécution. En effet, si la résolution anticipée a pour objet d'éviter ou limiter une rupture de l'économie du contrat, la résolution pour inexécution a nécessairement pour objet de pallier à une telle rupture. (§2).

§1: L'assouplissement de la force obligatoire du contrat

A l'instar de la résolution anticipée pour perte de confiance, la reconnaissance de la résolution anticipée fondée sur l'efficacité économique du contrat entraînerait un assouplissement de la force obligatoire du contrat. Lorsque l'économie du contrat est menacée, le créancier peut prendre les mesures d'anticipation nécessaires à la neutralisation de ce danger, celles-ci pouvant résulter d'une résolution du contrat par anticipation. Il n'est donc nullement tenu d'exécuter ses propres obligations bien qu'une conception rigide de la force obligatoire du contrat, fondée sur le respect de la parole donnée, le lui imposerait. Le risque d'inexécution révèle une menace pour l'économie du contrat qu'il convient d'écarter.

Par ailleurs, l'assouplissement de la force obligatoire du contrat se traduirait également par son détachement du principe de l'exécution en nature qui entraîne actuellement une certaine méfiance à l'égard de toute idée de résolution unilatérale du contrat. En effet, le

235. Le champ d'application beaucoup plus vaste de la résolution anticipée fondée sur l'efficacité économique ne saurait malgré tout écarter l'utilité de celle qui se fonde sur la perte de confiance. Celle-ci permet en effet d'octroyer une sanction plus sévère au débiteur qui aura tenté d'échapper à ses obligations contractuelles par la commission de manoeuvres déloyales. La sévérité accrue de la sanction se traduirait par la mise à l'écart du principe de réparation du dommage prévisible, le dol du débiteur s'y opposant ainsi que l'inapplicabilité du devoir de minimisation du dommage pesant normalement sur le créancier.

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principe de résolution judiciaire provient notamment de "l'attachement dogmatique (du droit français) à l'exécution en nature du contrat". La notion d'exécution forcée "rejaillit sur la perception de la résolution, censée être exceptionnelle"236.

Une reconnaissance explicite de la résolution anticipée, qui ne saurait raisonnablement être mise en oeuvre par voie judiciaire, pourrait alors entraîner une désolidarisation entre la force obligatoire du contrat et le principe d'exécution en nature.

§2: L'efficacité économique comme fondement de la résolution pour inexécution

L'introduction du principe d'efficacité économique entraînée par l'admission de la résolution anticipée, aurait de solides raisons de bouleverser la vision des juges concernant la résolution pour inexécution qui fondent actuellement cette dernière sur la notion de cause (A). Par ailleurs, la notion d'efficacité économique entraînerait un net recul de l'idée selon laquelle la résolution devrait être subordonnée au caractère fautif de l'inexécution (B).

A\ La mise à l'écart de la notion de cause

Cette assimilation aurait notamment pour conséquence de mettre à l'écart l'inapproprié fondement de la cause237, dont le projet de la chancellerie prévoit par ailleurs sa disparition formelle.

L'on constate en effet que la jurisprudence fonde la résolution du contrat pour inexécution sur la perte de cause. L'inexécution contractuelle du débiteur aurait ainsi pour conséquence de priver l'engagement du créancier de toute cause. Or, rappelons le, "dans les contrats synallagmatiques, l'obligation de chaque contractant trouve sa cause dans l'obligation , envisagée par lui comme devant être effectivement exécutée, de l'autre contractant"238. Cette utilisation de la cause méconnaît toutefois, selon Sebastien Pimont, le rôle attribué par le législateur à ce concept. Ce faisant, il rappelle que celui-ci constitue un fondement de la nullité du contrat et non de sa résolution. Il y a effectivement lieu de rappeler que la cause constitue, aux termes de l'article 1108 du code civil, une condition de validité du contrat. Son absence revient donc à dire que le contrat n'a jamais existé. Or il ne serait pas raisonnable de

236. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions de l'inexécution; LGDJ 2004, p.596

237. Sébastien PIMONT, L'économie du contrat, PUAM, 2004

238. Civ 30 décembre 1941: DA 1942. 98

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tenir une telle affirmation en raison d'une inexécution contractuelle. Se fonder sur l'absence de cause pour résoudre le contrat relève d'un non sens. Il serait alors beaucoup plus judicieux, selon Sebastien Pimont, de fonder la résolution sur le bouleversement de l'économie du contrat. Le terme "bouleversement" n'indique pas que le contrat n'a jamais existé mais que les circonstances ont changé239. Quant à la référence à l'économie du contrat, elle possède l'avantage indéniable de rendre compte de "l'impact de l'inexécution non seulement sur une obligation mais sur l'ensemble du contrat". L'absence de cause, quand bien même on admettrait qu'elle puisse fonder la résolution, ne découle en principe, que de l'inexécution d'une obligation essentielle. Ce fondement conduit alors à ignorer l'évidence selon laquelle peut exister des situations où un manquement contractuel pourrait entraîner de graves conséquences, quand bien même l'obligation inexécutée n'aurait qu'un caractère accessoire. L'économie du contrat permettrait en revanche de prendre une hauteur de vue supplémentaire sur ce dernier. Ce ne serait donc plus le caractère essentiel ou accessoire de l'inexécution qui justifierait la résolution du contrat mais les conséquences de ladite inexécution.

Il convient toutefois de rappeler que la complexité de la notion de "cause", tantôt objective, tantôt subjective, mais par dessus tout, difficilement manipulable, a suscité de nombreux débats doctrinaux quant à l'opportunité de conserver son existence. Le projet de la chancellerie semble, de prime abord, avoir tranché pour sa disparition. On constatera malgré tout que si le terme de "cause" a bel et bien disparu des conditions de validité du contrat, il en va différemment pour le concept même. Nous pouvons à cet égard, mentionner l'article 1167 dudit projet de réforme240 qui prévoit qu'"un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire". Nous pouvons alors observer que, nonobstant la persistance du concept de cause objective, la nouvelle rédaction des articles du projet de la chancellerie ne saurait permettre aux juges de continuer de fonder la résolution pour inexécution sur le fondement de celle-ci. L'article 1167 prend effectivement soin de préciser explicitement que c'est au "moment de la formation" que le caractère dérisoire ou illusoire de la contrepartie convenue doit être apprécié. L'inexécution contractuelle provenant d'un événement postérieur à la formation du contrat, cet article ne pourrait raisonnablement servir de visa aux juges souhaitant prononcer, ou valider, une résolution pour inexécution.

239. Sébastien PIMONT, L'économie du contrat, PUAM, 2004

240. Cyril GRIMALDI, Les maux de la cause ne sont pas qu'une affaire de mots, D. Avril 2015 p.814

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B\ L'indifférence du caractère fautif de l'inexécution

La doctrine estime, pour sa grande majorité, que la résolution est conditionnée par le caractère fautif de l'inexécution. Il s'agit d'une fausse analyse selon Malaurie et Aynès qui estiment, quant à eux, que la résolution se justifie par le fait que "le contrat ne parvienne plus à assurer l'utilité économique qu'il recherchait".

L'admission de la résolution anticipée ne pourrait qu'une fois de plus, encourager cette vision. Ce mécanisme étant avant tout conditionnée par le caractère "manifeste" du risque d'inexécution, l'idée de faute ne saurait influer sur sa mise en oeuvre; exception faite du cas particulier de la résolution anticipée pour perte de confiance et qui, malgré tout, a pour finalité la maîtrise du risque d'inexécution. La faculté de résoudre le contrat par anticipation, ayant pour objet de maîtriser un risque d'inexécution, n'aurait en effet aucune raison d'être si celle-ci était subordonnée à la commission d'une faute. Or, si la mise en oeuvre de la résolution anticipée ne saurait exiger le caractère fautif de l'inexécution future du débiteur, la résolution pour inexécution ne pourrait, a fortiori, être conditionnée à une inexécution fautive.

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Titre 2: Le bouleversement du régime de la

responsabilité contractuelle

L'étude du droit de la responsabilité civile délictuelle a permis à certains auteurs tels que Cyril Sintez d'établir l'existence en droit positif de nombreux cas où la responsabilité civile pouvait être engagée en vue de prévenir un dommage redouté. De ce constat, ce dernier auteur déduit l'existence de la notion de "sanction préventive" en droit positif. Cette mise en lumière se justifie notamment par une volonté pragmatique d'offrir la faculté pour toute victime potentielle d'un dommage ultérieur d'anticiper ce dernier; or une telle ouverture passerait inévitablement par une remise en cause de notre conception traditionnelle de la responsabilité civile délictuelle qui semblerait, en pratique, correspondre à un déni de réalité juridique. Un tel raisonnement pourrait-il être transposé en matière de responsabilité contractuelle? La question mérite largement d'être débattue: si l'idée d'anticiper le fait dommageable en matière délictuelle peut avoir des conséquences sur le régime de la responsabilité délictuelle, il serait difficile de refuser d'admettre que la responsabilité contractuelle, dont le régime est largement inspiré de son homologue, pourrait, de même, être bouleversée par l'introduction de mécanismes d'anticipation du risque d'inexécution tels que la résolution anticipée et l'exception pour risque d'inexécution. Force est donc d'observer qu'une telle immixtion aurait pour effet de modifier les conditions d'engagement de la responsabilité contractuelle (chapitre 1) ainsi que les effets de sa mise en oeuvre (chapitre 2).

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Chapitre 1: Les conditions modifiées de la responsabilité contractuelle

Bien que le rapprochement du régime de la responsabilité contractuelle avec celui de la responsabilité délictuelle ait pu être critiqué par certains auteurs241, sa mise en oeuvre repose, à l'instar de son homologue délictuel, sur le triptyque: fait générateur (section 1); préjudice (section 2); lien de causalité (section 3). Autrement dit, "il faut un fait du débiteur contractuel qui cause un préjudice à son créancier"242.

Section 1: Le fait générateur

Le fait générateur de responsabilité contractuelle correspond traditionnellement à une inexécution contractuelle imputable au débiteur (§1). L'incidence des mécanismes d'anticipation dénoterait que la responsabilité du débiteur pourrait également être générée à partir d'un concept plus large: le risque d'inexécution contractuelle (§2).

§1: Une inexécution contractuelle

Deux types d'obligations contractuelles sont mises à la charges du débiteur: les obligations expresses, à savoir celles qui sont stipulées dans le contrat (A), ainsi que les obligations implicites découlant de principes généraux issus de la loi ou encore dégagés par la jurisprudence (B). L'inexécution de ces obligations, expresses ou implicites, peut alors entraîner la responsabilité du débiteur. Bien que l'introduction des mécanismes d'anticipation n'aurait pour effet de modifier cette architecture, il conviendra de rappeler que la résolution anticipée pour perte de confiance se fondera sur l'obligation implicite, d'ores et déjà dégagée par la jurisprudence, de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier.

241. Tel est le cas de Philippe Rémy pour qui, l'allocation de dommages-intérêts en matière contractuelle ne remplit aucunement une fonction de réparation mais seulement une fonction "d'exécution par équivalent". L'objectif ne serait pas de réparer le préjudice causé par l'inexécution contractuelle mais de fournir au créancier un simple équivalent de l'obligation contractuelle inexécutée. Il n'y aurait donc lieu d'effectuer une quelconque assimilation avec la responsabilité délictuelle. La responsabilité contractuelle serait alors, selon Philippe Rémy, un "faux concept". (P. REMY, La "responsabilité contractuelle": histoire d'un faux concept, RTD civ, 1997)

242. J. FLOUR, J.-L AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, Le rapport d'obligation, Sirey, 8e édition, 2013

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A\ L'inexécution des obligations stipulées

Le débiteur qui ne respecte pas la force obligatoire du contrat engage sa responsabilité, "les conventions légalement formées (tenant) lieu de loi à ceux qui les ont faites."243 Il découle effectivement de ce principe, que les obligations stipulées dans le contrat, traduction de la volonté des parties, doivent être exécutées.

La responsabilité du débiteur du fait de l'inexécution contractuelle, totale ou partielle apparaît plus clairement à l'article 1147 du code civil qui prévoit que ce dernier "est condamné, s'il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée". Il apparaît, à la lecture de cet article, que les rédacteurs du code civil, ont souhaité procédé à une assimilation de toute inexécution contractuelle à l'idée de faute. L'exclusion de la cause étrangère ne pouvant être imputée au débiteur traduit effectivement une volonté d'identifier l'inexécution commise par le seul fait du débiteur à un comportement fautif. Il convient toutefois de noter que la distinction entre obligation de résultat et obligation de moyen mise en lumière par Demogue a eu une influence sur l'appréciation de ce caractère fautif. Ainsi, lorsqu'une obligation de résultat est exigée, la faute pourra être caractérisée à partir du constat d'une simple inexécution. En revanche, lorsqu'une simple obligation de moyen est exigée, la faute sera assimilée à une négligence ou une imprudence ayant pour effet de démontrer que le débiteur n'a pas mis tous les moyens en oeuvre pour remplir ses engagements244. L'existence de cette distinction tempère ainsi les dispositions de l'article 1147 ayant pour objet d'assimiler toute inexécution à une faute contractuelle susceptible d'engager la responsabilité du débiteur. Nous verrons, en outre, que l'introduction de la résolution anticipée en droit positif pourrait avoir plus largement pour effet d'écarter la faute du cadre contractuel, celle-ci faisant par ailleurs l'objet de nombre de critiques doctrinales245. La responsabilité contractuelle revêtirait alors un caractère objectif246.

B\ L'inexécution des obligations implicites

J. Flour, J.-L Aubert et E. Savaux ont pu souligner l'évidence selon laquelle "la référence à la convention des parties est globale. Cela signifie qu'il convient de prendre en

243. Article 1134 alinéa 1

244. Rémy CABRILLAC, Droit des obligations, Dalloz, 11e édition, 2014, p.136

245. D.TALLON, "Pourquoi parler de faute contractuelle?", in Mélanges Cornu, 1995, p.429

246. Voir infra, p.98

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considération non seulement les obligations qui ont été spécialement établies par les contractants mais encore toutes celles que la loi attache à la convention considérée"247. La responsabilité contractuelle du débiteur ne saurait donc dépendre uniquement des obligations cristallisées au sein du contrat. Le bon déroulement de l'exécution contractuelle implique également l'existence d'obligations implicites mises à sa charge en vertu de divers principes, telles que l'exigence de bonne foi.

Nous l'avons précédemment évoqué, l'idée de contrer le risque d'inexécution contractuelle en l'absence de mécanisme d'anticipation consacré par le législateur, a parfois motivé la jurisprudence à autoriser, sur le fondement de l'article 1184 du code civil, la résolution pour inexécution dans le cas où le débiteur aurait adopté un comportement faisant obstacle à l'exécution ultérieure du contrat248. Mme Vanwijck-Alexandre a alors pu soutenir, en se fondant sur le principe de bonne foi contractuelle, qu'il existait à la charge du débiteur "une obligation de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier"249. Comme nous l'avons toutefois précédemment démontré, il nous semble que si une telle obligation peut effectivement tirer sa raison d'être de l'exigence d'exécution de bonne foi, son champ d'application ne devrait se limiter qu'aux seules manoeuvres déloyales du débiteur ayant pour objet de faire obstacle à son exécution future250. Il convient par ailleurs de rappeler que l'obligation implicite de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier constitue en réalité un fondement indirect de la résolution anticipée251; l'objectif étant, outre la sanction du comportement déloyal du débiteur, de faire face à un risque d'inexécution. L'inexécution de l'obligation implicite de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier constitue alors un manquement à une obligation actuelle tandis que sa sanction a pour finalité de faire face aux conséquences d'une telle inexécution: à savoir, le risque d'inexécution de l'obligation stipulée. Le comportement exécutoire déloyal du débiteur tendant à faire échec à l'exécution d'obligations à échoir, présume, en effet, de manière irréfragable un risque d'inexécution et constitue alors un fait générateur de responsabilité dont la mise en oeuvre répond à un double objectif: sanctionner l'attitude du débiteur par une mise à l'écart du devoir de minimisation du dommage et du principe de réparation du dommage prévisible, mais également, anticiper

247. J. FLOUR, J.-L AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, Le rapport d'obligation, Sirey, 8e édition, 2013

248. Cass req 4 janvier 1927, DH 1927, p.65; S. 1927, 1, p.188

249. VANWIJCK-ALEXANDRE (M.), Aspects nouveaux de la protection du créancier à terme. Les droits belges et français face à l'"anticipatory breach" de la common law, préf. David-Contant (S.). Liège. 1982, n°235, p.498

250. Voir supra, p.68

251. Voir supra, p.67

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l'apparition de l'inexécution redoutée.

§2: Un risque d'inexécution contractuelle

L'admission des mécanismes d'anticipation aurait pour effet d'établir l'idée selon laquelle la responsabilité du débiteur pourrait être engagée à partir de la manifestation d'une inexécution anticipée (A). Le risque d'inexécution devra toutefois répondre à certain degré de certitude pour que celle-ci puisse être mise en oeuvre (B).

A\ La responsabilité pour inexécution anticipée

Il conviendra de déterminer successivement quels sont les fondements (1) puis les éléments permettant de justifier (2) la mise en oeuvre de la responsabilité du débiteur pour inexécution anticipée. Nous démontrerons enfin que la reconnaissance d'un tel type de responsabilité pourrait entraîner une mise à l'écart de la notion de faute (3).

1. Fondement

L'inexécution anticipée ne peut se manifester qu'à travers un risque. Nul ne saurait prédire l'avenir et l'idée de "transformer le futur en présent", de faire "comme si"252 l'inexécution avait déjà eu lieue tire sa légitimité du caractère "manifeste" de l'inexécution future. C'est en raison de ce degré suffisamment élevé de probabilité que nous pouvons employer le terme d'"inexécution anticipée".

Une question mérite cependant d'être soulevée: en quoi l'inexécution anticipée, et partant, le risque "manifeste" d'inexécution, pourrait engager la responsabilité du débiteur? Si l'inexécution anticipée autorise le créancier à résoudre le contrat par anticipation, rien ne permet d'affirmer, à première vue, que la responsabilité du débiteur est engagée. La résolution du contrat, qu'elle soit anticipée ou non, constitue un remède à l'inexécution d'un contrat synallagmatique253, destiné à protéger le créancier des conséquences de cette dernière, et non

252. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM, 2011, p.245; J.-C. HALLOUIN, L'anticipation: contribution à la formation des situations juridiques, thèse Poitiers, 1979

253. D. TALLON et D. HARRIS (sous dir.), Le contrat aujourd'hui : comparaisons franco-anglaises, Coll Bibliothèque de droit privé, 1987

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un moyen de sanctionner le débiteur pour cause d'inexécution.

L'idée d'inexécution anticipée pourrait bien mettre à mal le concept de responsabilité contractuelle et donner un argument de poids à ses détracteurs: comment pourrait-on, en effet, concevoir que la responsabilité d'un contractant puisse être engagée alors que le manquement contractuel redouté n'a pas encore eu lieu? Il convient, pour répondre à cette interrogation, de s'attarder sur les écrits de Genevieve Viney, partisane du concept de responsabilité contractuelle. Selon cet auteur, cette dernière se justifie à travers un certain nombre d'articles du code civil laissant entrevoir l'idée selon laquelle l'allocation de dommages-intérêts ne constituent pas un mode d'exécution par équivalent de l'obligation inexécutée mais a pour objectif de réparer le préjudice causé du fait de l'inexécution. Elle s'appuie notamment sur l'article 1184 alinéa 2 du code civil qui prévoit qu'en cas d'inexécution du cocontractant, le créancier pourra demander en justice la "résolution avec dommages-intérêts". Le Professeur Viney a alors pu tirer argument de cette disposition pour réfuter l'idée selon laquelle les dommages-intérêts auraient une unique fonction d'exécution par équivalent254. On ne peut effectivement ici constater une fonction d'exécution "puisque le créancier a lui-même renoncé à l'exécution, préférant la disparition du contrat"255. Il ressort alors de cette idée de réparation que le débiteur est responsable de l'inexécution contractuelle ayant contraint le créancier à demander la résolution du contrat.

Ce raisonnement traduit l'existence d'un lien indéfectible entre la résolution du contrat et l'allocation de dommages-intérêts. Si le créancier demande en justice ladite résolution, c'est parce qu'il y aura été contraint en raison d'une défaillance du débiteur. Nous pouvons alors transposer ce raisonnement en matière de résolution anticipée et affirmer que de la même manière que le créancier puisse accompagner la résolution judiciaire du contrat, d'une demande d'allocation de dommages-intérêts aux fins de réparer les conséquences de la défaillance du débiteur, il peut également adjoindre à la résolution anticipée du contrat, une demande d'allocation de dommages-intérêts aux fins de réparer les conséquences de la défaillance future du débiteur. Force est d'en déduire que l'inexécution anticipée, et partant, le risque "manifeste" d'inexécution, peut engager la responsabilité du débiteur. Nous pouvons en effet concevoir que si il est possible de demander la réparation des conséquences d'une inexécution ayant contraint le créancier à résoudre le contrat, ce dernier peut également demander la réparation des conséquences d'un risque manifeste d'inexécution l'ayant contraint

254. Ph. REMY, La "responsabilité contractuelle": histoire d'un faux concept, RTD civ, 1997, p.323

255. Geneviève VINEY, La responsabilité contractuelle en question, in Le contrat au début du XXIe siècle, Etudes offertes à Jacques Ghestin, p.928

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à résoudre ledit contrat. Ce raisonnement par analogie nous permet d'admettre que la responsabilité d'un contractant puisse être engagée avant que ses obligations ne soient échues, et partant, qu'aucun manquement contractuel n'ait encore été consommé. Cette idée nous permet de conclure que la notion de "sanction préventive" possède une place en droit de la responsabilité contractuelle256.

2. Justification

Malgré le fait que la résolution anticipée soit principalement justifiée par des impératifs d'ordre économique, l'idée selon laquelle il serait possible d'engager la responsabilité d'un cocontractant avant même que ses obligations ne soient échues pourrait heurter les partisans d'une approche morale de la responsabilité contractuelle. Il pourrait en effet paraître incongru de sanctionner un contractant avant même qu'une inexécution contractuelle n'ait été constatée.

L'on pourrait toutefois objecter que la détection d'un risque manifeste d'inexécution masque en réalité, hormis le cas particulier de la force majeur qui constitue une cause d'exonération de la responsabilité civile, une défaillance actuelle, fautive ou non257. Un tel risque traduit en effet l'inaptitude du débiteur à maîtriser l'évolution de sa situation financière. Ce pourrait être par exemple, en raison de l'incidence causée par des dettes exigibles ou à échoir dont il n'aura su prévoir les conséquences, la contraction inopportune de nouvelles dettes en cours d'exécution du contrat, ou encore le fait d'avoir contracté avec son créancier sans que l'évolution prévisible de sa situation financière ne le lui permette. La manifestation d'un risque d'inexécution démontre alors que le débiteur aura créé, de manière fautive ou non, les conditions de l'inexécution des obligations à échoir.

Ainsi, l' impératif d'efficacité économique, à savoir la réduction du dommage, que poursuit la résolution anticipée, a pour conséquence indirecte de bouleverser notre vision de la responsabilité contractuelle. Bien que ce mécanisme d'anticipation soit avant tout justifiée par des raisons économiques, son introduction pourrait inviter la doctrine à concevoir que la responsabilité du débiteur puisse être engagée avant l'échéance de ses obligations lorsque le risque d'inexécution reflète un degré suffisant de certitude, sans pour autant heurter une

256. Nous pouvons ainsi opérer un rapprochement avec les travaux réalisés par Cyril Sintez pour qui, la notion de "sanction préventive" existe bel et bien en droit de la responsabilité civile délictuelle. (Cyril SINTEZ, La sanction préventive en droit de la responsabilité civile, Dalloz, 2011)

257. Nous verrons ci-après que certains auteurs estiment opportun de détacher la faute de la notion, plus large, de défaillance contractuelle.

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approche morale de la notion de responsabilité. C'est parce que l'on "sait" qu'il y aura inexécution contractuelle en raison de circonstances que le débiteur n'aura su maîtriser que la responsabilité de ce dernier peut d'ores et déjà être engagée. À partir du moment où l'inexécution future paraît évidente, il serait inutile d'attendre l'échéance des obligations avant d'appliquer un régime de responsabilité contractuelle dont la précocité de mise en oeuvre pourrait s'avérer salvatrice pour les deux parties au contrat.

Il convient en revanche de rappeler qu'à l'instar de l'inexécution classique, la responsabilité du débiteur ne saurait être engagée dans le cas où le risque manifeste d'inexécution émanerait d'un événement imprévisible, irrésistible et extérieur, à savoir lorsque les conditions de la force majeur, cause d'exonération de responsabilité, seraient réunies. L'émergence d'une approche économique du droit des contrats ne saurait en effet dénaturer la notion de "responsabilité" qui ne pourrait être engagée à partir de la constatation d'événements sur lesquels le débiteur n'a aucune maîtrise.

3. Mise à l'écart de la faute

La majorité des auteurs semblent assimiler l'inexécution contractuelle, totale ou partielle, à l'idée de faute contractuelle. Manquer à ses engagements serait constitutif d'une faute susceptible d'engager la responsabilité du cocontractant. En effet, la responsabilité civile, qu'elle soit de nature contractuelle ou délictuelle, se fonde en principe sur la faute. Certains auteurs critiquent malgré tout l'emploi de ce terme en matière contractuelle. Si la responsabilité du débiteur est engagée, ce ne serait pas réellement en raison de la commission d'une quelconque faute mais plus précisément en raison d'une "défaillance"258. Le débiteur est tenu d'indemniser son créancier en raison du seul fait qu'il aura failli à ses engagements et qu'un tel manquement aura causé un préjudice à ce dernier. Il s'agirait alors d'une responsabilité objective. Or l'idée de faute renvoie à une "analyse du comportement de l'auteur du dommage" et donc, à l'application d'une responsabilité subjective259. Par ailleurs, force est de constater qu'en matière contractuelle, l'analyse du comportement du débiteur aux fins d'engager sa responsabilité ne pourrait aucunement concerner la totalité des contrats mais seulement ceux au sein desquels est stipulée une obligation de moyens260. Les contrats

258. D.TALLON, "Pourquoi parler de faute contractuelle?", in Mélanges Cornu, 1995

259. Rémy CABRILLAC, Droit des obligations, Dalloz, 11e édition, 2014, p. 195

260. Comme a pu le faire remarquer Genevieve Viney, "une terminologie rigoureuse devrait (...) réserver le terme de "faute contractuelle" à l'inexécution des seules obligations qui n'engagent qu'à un comportement de "bon père de famille"", "c'est-à-dire les obligations de moyens". La responsabilité contractuelle en question, in

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stipulant à la charge du débiteur une obligation de résultat ne sauraient en revanche, imposer au créancier la nécessité d'établir l'existence d'une faute: le constat d'une inexécution contractuelle peut donc, à lui seul, entraîner la responsabilité du débiteur. Nous pouvons donc, à travers cette analyse, admettre l'existence d'un détachement entre la notion de faute contractuelle et celle d'inexécution contractuelle. Cependant, bien que le terme de "faute contractuelle" soit effectivement contesté par une partie de la doctrine261, la majorité des auteurs adhèrent cependant à l'idée selon laquelle une inexécution revêtirait automatiquement la qualification de faute contractuelle262. On peut citer à cet égard, la définition de la faute contractuelle issue du Vocabulaire juridique de Henri Capitant. Ce dernier la définit en effet comme "l'inobservation, par le débiteur, d'une obligation née du contrat (par inexécution totale, exécution défectueuse ou tardive) qui engage sa responsabilité contractuelle".

Il est toutefois opportun de s'interroger sur la place qu'occuperait la faute dans le cas où l'on concevrait que la responsabilité contractuelle du débiteur puisse être engagée en raison d'un simple risque manifeste d'inexécution. Si la plupart des auteurs assimilent l'inexécution à la notion de faute contractuelle, pourrait-on admettre que le risque manifeste d'inexécution contractuelle légitimant la résolution anticipée du contrat ainsi qu'une allocation de dommages-intérêts, puisse revêtir une qualification identique? Nous avons précédemment évoqué l'idée selon laquelle la responsabilisation du débiteur en raison d'un risque d'inexécution pouvait se justifier par la présence masquée d'une défaillance actuelle: si un risque d'inexécution se présente, ce serait parce que le débiteur n'aura su maîtriser l'évolution de sa situation financière. Un tel risque pourrait également être révélé par la manifestation d'un comportement exécutoire déloyal constituant ainsi l'inexécution d'une obligation implicite de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier. Si le caractère fautif de ce deuxième aspect ne fait aucun doute, il en est tout autre pour le premier. La situation irrémédiablement compromise du débiteur peut, certes, révéler un manque de diligence de la part de ce dernier quant à la gestion de sa situation financière mais l'on ne pourra toutefois systématiquement assimiler une telle défaillance à un comportement fautif alors même que les

Le contrat au début du XXIe siècle, Etudes offertes à Jacques Ghestin, p. 941.

261. D.TALLON, "Pourquoi parler de faute contractuelle?", in Mélanges Cornu, 1995, p.429. Selon D. Tallon, il ne faudrait pas parler de faute contractuelle mais d'inexécution, l'emploi du terme "faute" constituant un emprunt inopportun et abusif au droit des délits et quasi-délits.

262. J. FLOUR, J.-L AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, Le rapport d'obligation, Sirey, 8e édition, 2013, p.176: "Le fait de l'inexécution est (...) constitutif d'une faute, dès lors que l'essence de l'obligation est d'être exécutée et que l'inexécution considérée ne trouve pas son origine dans une cause étrangère". On constate malgré tout que les auteurs ne manquent pas de préciser par la suite qu'il y aurait lieu d'accorder statistiquement "une préférence aux mots manquements et défaillance qui sont mieux adaptés au cadre contractuel".

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conditions de la force majeure, très difficiles à réunir, ne seraient pas établies. Il sera d'autant plus ardu d'évoquer un quelconque comportement contractuel fautif lorsque le débiteur en difficulté aura pris soin de signaler par avance au créancier son risque d'insolvabilité dans un objectif de coopération et partant, d'anticipation des conséquences néfastes d'une inexécution potentielle.

Nous pouvons par conséquent affirmer que si le risque d'inexécution justifie l'engagement de la responsabilité du débiteur, ce serait en raison d'une défaillance qui n'aurait aucune raison d'être systématiquement assimilée à une faute contractuelle. Nous pouvons donc émettre l'hypothèse selon laquelle le risque d'inexécution contractuelle constituerait un fait générateur de responsabilité objective susceptible d'être sanctionné par la résolution anticipée du contrat ainsi qu'une demande d'allocation de dommages-intérêts correspondant au préjudice futur résultant de l'inexécution ultérieure. Cette conception est conforme aux objectifs de la résolution anticipée qui a pour finalité principale de répondre à un impératif d'efficacité économique, écartant ainsi toute approche moraliste à laquelle renverrait l'idée de faute.

Nous pouvons admettre que la remise en cause du principe de la responsabilité contractuelle fondée sur la faute dans le cadre du risque d'inexécution, pourrait s'étendre à toute inexécution contractuelle. L'exemple de la résolution anticipée fondée sur des considérations d'efficacité économique pourrait porter une forte atteinte à une approche traditionnellement moraliste de la responsabilité contractuelle. L'impératif d'efficacité économique pourrait en effet inviter la doctrine française à concevoir que si la responsabilité du débiteur est engagée, ce ne serait, par principe, non en raison de la commission d'une faute mais sur le fondement d'une simple défaillance. La responsabilité contractuelle du débiteur serait donc objective.

B\ Le degré de certitude du risque

L'engagement de la responsabilité du débiteur serait conditionnée à un certain degré de certitude du risque d'inexécution. Celle-ci pourra être engagée chaque fois que le risque sera certain (1) ou découlera de l'évidence (2). Il conviendra toutefois de noter que la simple probabilité sérieuse de risque d'inexécution appelant la mise en oeuvre du mécanisme de l'exception pour risque d'inexécution pourrait avoir pour effet indirect d'engager, du moins partiellement, la responsabilité du débiteur. Telle est la raison pour laquelle il reviendra au

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créancier d'indemniser le débiteur chaque fois qu'une exception pour risque d'inexécution dommageable aura été mise en oeuvre à tort (3).

1. Certitude de l'inexécution future

Il ne fait aucun doute que la responsabilité du débiteur pourra être engagée chaque fois que l'inexécution future sera certaine. Anticiper, et partant, "faire comme si" le futur était d'ores et déjà présent est effectivement relativement aisé lorsque l'on est sûr que l'événement redouté aura lieu. Le créancier pourra donc procéder à une résolution anticipée accompagnée d'une demande d'allocation de dommages-intérêts. Le caractère certain de l'inexécution future reste toutefois une hypothèse relativement rare et ce faisant, quasi-impossible à démontrer. La faculté de déterminer avec certitude un tel événement relèverait de l'utopie. Partant de l'idée selon laquelle il serait inconcevable d'exiger du créancier un certain pouvoir de prédiction263, les systèmes juridiques admettant en leur sein le mécanisme de la résolution anticipée exigent que l'inexécution future soit "certaine ou apparemment certaine"264. En d'autres termes, elle doit découler de l'"évidence"265.

2. Évidence de l'inexécution future

L'"évidence"266 de l'inexécution future, traduit dans la plupart des textes législatifs énonçant la résolution anticipée par les termes "risque manifeste d'inexécution", est purgé de toute exigence de prédiction de la part du créancier. Affirmer que l'inexécution ultérieure doit paraître évidente revient à exiger du créancier une simple analyse de la situation actuelle. Cette dernière doit en effet laisser raisonnablement penser que le débiteur n'exécutera ses obligations contractuelles lorsque ces dernières arriveront à échéance. Par conséquent, la responsabilité du débiteur pourra être engagée toutes les fois que les circonstances actuelles permettront légitimement de penser qu'il n'exécutera pas ses obligations. Comme les termes "légitime" ou "raisonnable" que nous venons d'évoquer, l'indique, l'évidence ne saurait aucunement procéder d'un subjectif sentiment d'anxiété du créancier: elle doit se fonder sur

263. Comme a pu l'affirmer M. Le juge Posner, "personne n'attend du créancier qu'il lise l'avenir ou qu'il prédise une modification hautement probable de la situation ou des intentions du débiteurs" (Central States, SE & SW Pen v. Basic Am. Ind., 252 F.3d 911, spéc., p.919: "(...) the doctrine of anticipatory repudiation does not traffic in the miraculous. A breach occurs when it is reasonably certain that the other party is not going to meet its obligations under the contract in timely fashion");

264. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 568.

265. Aurélie BRES, La résolution du contrat par dénonciation unilatérale, Litec, 2009, p.306 et s.

266. Aurélie BRES, La résolution du contrat par dénonciation unilatérale, Litec, 2009, p.306 et s.

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des éléments objectifs tels qu'une situation financière irrémédiablement compromise confirmée par une réponse négative ou une absence de réponse à une demande d'attestation d'exécution, une déclaration non équivoque par le débiteur d'exécuter ses obligations futures, ou encore un comportement exécutoire déloyal de la part de ce dernier.

3. Probabilité de l'inexécution future

Seule l'exception pour risque d'inexécution peut être justifiée par une simple éventualité d'inexécution, quoique le degré de probabilité se doit malgré tout de revêtir un caractère sérieux267. Il convient par ailleurs de noter que seul l'inexécution et le risque manifeste d'inexécution peuvent avoir pour effet d'engager la responsabilité du débiteur. On ne pourrait assurément concevoir qu'un simple risque d'inexécution puisse constituer un fait générateur de responsabilité. Toutefois, lorsque celui-ci revête un caractère de probabilité sérieux, le créancier craintif pourra adopter une mesure visant à protéger ses intérêts économiques: à savoir, la mise en oeuvre d'une exception pour risque d'inexécution. Certains auteurs ont malgré tout pu faire observer que l'application d'une telle mesure pouvait, en pratique, déployer des effets similaires à une résolution partielle du contrat. Tel serait notamment le cas de la suspension d'un contrat de travail268. Cette observation permet alors d'affirmer qu'un simple risque d'inexécution pourrait indirectement avoir pour effet de responsabiliser le débiteur; ce qui peut nous sembler regrettable. Il serait donc opportun d'exiger que, nonobstant le caractère sérieux de la probabilité d'inexécution, le créancier soit contraint d'indemniser le débiteur des conséquences dommageables de la mise en oeuvre d'une exception pour risque d'inexécution lorsque cette dernière aura été appliquée inutilement.

Section 2: Le préjudice

"Point de dommage, point de réparation"269. L'idée d'anticipation conduit malgré tout à réfléchir sur une éventuelle interprétation extensive de cette affirmation. Si la présence d'un dommage est nécessaire à l'octroie d'une réparation, serait-il exclusivement nécessaire que celui-ci ait été effectivement subi? (§1) Bien que la doctrine y apporte d'ores et déjà une

267. Voir supra, p.54

268. Denis TALLON et Donald HARRIS, Le contrat aujourd'hui: comparaisons Franco-Anglaises (sous la direction de Jacques Ghestin): "L'exception d'inexécution suspend le contrat, ce qui peut conduire, selon la remarque de J. Ghestin, à une situation irréversible, équivalent à une résolution partielle (par exemple, en matière de contrat de travail)"

269. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, dalloz, 11e edition, 2013

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réponse négative, l'introduction des mécanismes d'anticipation aura pour effet de renforcer la prise en considération du dommage futur (§2).

1. Un dommage actuel et certain

A l'instar du régime de la responsabilité civile délictuelle, le dommage ne peut, en principe, être réparé que s'il est "actuel, direct270 et certain"271. Du moins, telle est la vision dominante des auteurs en l'absence de toute idée d'anticipation, pour l'heure, étrangère au droit français.

Le caractère certain implique, selon Flour, Aubert et Savaux, que le dommage ait été définitivement subi par la victime. Tout dommage éventuel doit alors être exclu de la réparation.

Quant au caractère actuel, il signifie que ne pourrait être pris en considération que le "préjudice que le juge a la possibilité d'apprécier au jour où il statue". Les auteurs font toutefois remarquer que l'exigence d'actualité n'exclue pas le dommage futur lorsque celui-ci "constitue la prolongation certaine de la situation actuellement constatée par le juge et qui peut être d'ores et déjà appréciée par lui"272.

2. Un dommage futur et certain

L'inexécution contractuelle peut, certes, provoquer un dommage immédiat mais également un préjudice futur. Les conséquences néfastes d'une inexécution peuvent effectivement être différées dans le temps. Il est notoirement admis que le juge puisse prendre en considération le dommage futur lorsque ce dernier est directement relié à l'inexécution constatée et qu'il peut d'ores et déjà être apprécié par le juge, autrement dit, lorsque le dommage futur est certain273.

Quid du dommage futur qui résulterait non d'une inexécution actuelle et constatée par le juge mais d'un simple risque manifeste d'inexécution? Nous pouvons constater que le caractère de certitude exigé est ici mis à mal par le caractère incertain de l'inexécution elle-même. Cette

270. Voir infra, p.105

271. J. FLOUR, J.-L AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, Le rapport d'obligation, Sirey, 8e édition, 2013, p.209

272. J. FLOUR, J.-L AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, Le rapport d'obligation, Sirey, 8e édition, 2013, p.209

273. J. FLOUR, J.-L. AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, Le rapport d'obligation, Sirey, 8e édition, 2013, p.209

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dernière, nous l'avons vu, devant être "certaine ou apparemment certaine"274. Si l'inexécution future n'est qu"apparemment certaine", il pourrait, à première vue, paraître incongru d'affirmer que le dommage que le créancier s'apprête à subir serait quant à lui certain. Cet écueil reviendrait toutefois à méconnaître le réel sens de la notion d'anticipation. Rappelons en effet que cette dernière consiste à "faire comme si" l'événement redouté avait d'ores et déjà eu lieu afin d'en tirer les conséquences nécessaires. Autrement dit, il s'agit de "transformer le futur en présent" et partant, de "faire comme si" l'inexécution contractuelle avait eue lieu dès lors que la situation actuelle laisse raisonnablement imaginer un tel événement. Ainsi, à partir du moment, où l'on considérera l'inexécution comme juridiquement acquise, il incombera seulement de vérifier que cette dernière causerait un dommage. Le caractère certain du dommage ne saurait donc être démenti par l'incertitude de l'inexécution ultérieure. Dès lors qu'il est certain qu'une telle inexécution causerait un dommage et que la survenance de ladite inexécution serait certaine ou ne serait qu'"apparemment certaine", il y aura lieu d'engager la responsabilité du débiteur; les trois conditions de mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle étant remplies.

Nous pouvons alors constater que le principe selon lequel le dommage réparable devrait nécessairement revêtir un caractère actuel et certain se heurte au phénomène d'anticipation. Si le dommage demeure certain, ce n'est que par le biais de l'utilisation d'une "fiction juridique" consistant à "faire comme si" le fait générateur avait déjà eu lieu. En réalité, le dommage redouté n'est pas plus certain que l'inexécution ultérieure. Si cette dernière n'est qu'"apparemment certaine", il ne peut qu'en être de même pour le dommage.

Quant au caractère actuel du dommage, bien que la doctrine admette que celui-ci puisse faire l'objet d'exception, l'introduction de mécanismes d'anticipation en droit positif pourrait bien le destituer de son rang de principe. Le rôle de l'anticipation étant d'éviter l'événement redouté afin d'en diminuer au maximum les conséquences dommageables, l'idée de dommage actuel par principe n'aurait plus lieu d'être proclamée. L'introduction de mécanismes d'anticipation aura en effet pour objectif d'offrir au créancier une faculté de faire face à un risque d'inexécution et ce faisant, contrer ou diminuer les conséquences d'un dommage futur.

274. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 568.

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Section 3: Le lien de causalité

Bien que les rédacteurs du code civil aient adhéré à la théorie de la causalité adéquate (§1), la prise en compte du risque d'inexécution comme fait générateur aurait pour effet d'entraîner une distension du lien de causalité (§2).

§1: La causalité adéquate

La responsabilité d'un contractant ne saurait être engagée sans qu'un lien de causalité ne soit démontré entre le manquement contractuel du débiteur et le dommage subi par le créancier. Cette exigence est prévue à l'article 1151 du code civil qui dispose que "dans le cas même où l'inexécution de la convention résulte du dol du débiteur, les dommages et intérêts ne doivent comprendre à l'égard de la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention." L'emploi des termes "suite immédiate et directe de l'inexécution" dénote une volonté des rédacteurs du code civil d'écarter tout ce qui n'aurait qu'un lien lointain et indirect avec le dommage. Autrement dit, si le débiteur se doit de réparer le dommage qui ne se serait pas produit sans sa faute, il ne doit aucunement réparation des conséquences indirectes, qui auraient normalement pu se produire sans celle-ci275. De nombreux auteurs se sont donc appuyé sur cette rédaction pour concevoir la théorie de la "cause adéquate" ou "cause générique" et rejeté le "système de l'équivalence des conditions" consacré par une partie de la doctrine. Cette dernière "consiste à dire que toutes les causes doivent être considérées comme équivalentes en ce qui concerne la production de l'effet. Il suffit donc que le dommage puisse être rattaché par un lien quelconque à la faute du débiteur pour que celui-ci en soit déclaré responsable"276. Le système de la causalité adéquate implique quant à lui, de distinguer, "parmi les causes qui ont produit l'événement", celles qui sont prépondérantes et partant, "dont il est certain, évident, que l'effet ne se serait pas produit" sans elles, de celles qui sont secondaires; c'est à dire que sans leur réalisation, l'événement aurait également pu se produire. Selon cette théorie, à laquelle les rédacteurs du code civil semblent avoir adhéré, le débiteur ne peut être tenu responsable que si l'inexécution de l'obligation est réellement la

275. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz, 11e edition, 2013, p.645; Civ 9 nov 1953, D.1954.5; 5 mars 1963, JCP 1965.II.13148

276. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz, 11e edition, 2013, p.645

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cause générique du dommage277.

§2: L'élargissement de la causalité

L'anticipation du risque d'inexécution pose un problème délicat quant à la détermination du lien direct de cause à effet. Il est en effet ardu de détecter un tel lien entre un dommage futur et un événement qui ne s'est non pas produit mais qui risque seulement de se produire. Autrement dit, il pourrait paraître utopique de pouvoir démontrer qu'un simple risque manifeste d'inexécution constituerait la cause directe d'un dommage ultérieur. Afin d'illustrer cette difficulté, prenons l'exemple d'une obligation de donner une somme d'argent pesant sur un débiteur dont la situation financière laisserait légitimement penser que ladite obligation ne sera pas satisfaite. Si le créancier souhaite procéder à la résolution anticipée du contrat avec une demande d'allocation de dommages-intérêts, et ce faisant, engager la responsabilité contractuelle de son débiteur, le fait générateur ne sera pas l'inexécution elle-même, à savoir le non paiement de la somme d'argent puisque la dette n'est pas encore échue, mais le risque d'inexécution qui pourrait par exemple se traduire par l'insolvabilité durable et la situation irrémédiablement compromise du débiteur. Or l'insolvabilité de ce dernier ne saurait constituer la cause directe du dommage affectant le créancier, à savoir la perte de gain subie et le gain manqué. En effet, si le créancier subirait une perte et serait privé d'un gain à l'échéance, la cause directe d'un tel préjudice serait le non paiement par le débiteur et non l'insolvabilité de ce dernier. Si celle-ci serait une cause directe de l'inexécution par le débiteur, elle ne constitue qu'une cause indirecte du préjudice subi par le créancier. Le risque d'inexécution ne cause donc pas directement de dommage mais laisse entrevoir, avec plus ou moins de certitude, la survenance d'un préjudice. La reconnaissance de la responsabilité du débiteur sur le fondement du risque manifeste d'inexécution impliquerait alors une certaine distension du lien de causalité, tranchant ainsi avec le système de la "cause générique" ou "causalité adéquate" actuellement soutenu par la majeure partie de la doctrine. Il n'en demeure pas moins que toutes les fois où le risque d'inexécution sera manifeste, c'est à dire, dès lors que la présence d'une inexécution future sera "certaine ou apparemment certaine", la vigueur du lien de causalité ne saura, malgré son caractère indirect sur le plan matériel, être nié. Si le dommage subi ne pourrait être qualifié de "suite immédiate et directe" du risque manifeste d'inexécution, il n'en demeurera pas moins une conséquence directe de l'inexécution, qui elle-même, aura été une conséquence directe du risque manifeste d'inexécution. L'assouplissement

277. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz, 11e edition, 2013, p.645

107

du lien de causalité ne saurait remettre en cause sa pertinence.

108

Chapitre 2: Les effets modifiés de la responsabilité
contractuelle

Nous ne présenterons pas les sanctions de l'inexécution consommée dont le régime resterait inchangé. Il conviendra en revanche de s'intéresser aux sanctions de l'inexécution anticipée (§1) avant de conclure que l'introduction de la résolution anticipée aura certainement pour effet d'entraîner une reconnaissance explicite du principe de résolution unilatérale du contrat (§2).

Section 1: La sanction de l'inexécution anticipée

A la survenue du risque d'inexécution, un choix s'offre au créancier: une demande d'exécution forcée lorsqu'elle est possible (§1) ou bien encore, une résolution anticipée accompagnée d'une demande de dommages-intérêts (§2).

1. L'exécution forcée

Bien que la réparation en nature constitue le principe en droit français, elle est en pratique rarement réalisable. Par ailleurs l'article 1142 du code civil dispose que "toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur", bien que certaines exceptions soient prévues, notamment aux articles 1143 et 1144 du code civil.278

Par conséquent, le créancier peut théoriquement opter pour l'exécution forcée à l'échéance lorsque le risque d'inexécution se présente mais celle-ci étant rarement praticable, un tel risque amènera beaucoup plus fréquemment le créancier à résoudre le contrat par anticipation avec une demande de dommages-intérêts.

2. Les dommages-intérêts

L'allocation de dommages-intérêts demandée dans le cadre d'une inexécution

278. J. FLOUR, J.-L AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, Le rapport d'obligation, Sirey, 8e édition, 2013, p.221

109

anticipée est théoriquement indissociable de la mise en oeuvre de la résolution anticipée (A). Il s'ensuivrait par ailleurs une atténuation du principe de réparation intégrale (B).

A\ l'indissociabilité de la résolution anticipée

L'allocation de dommages-intérêts demandée dans le cadre d'une inexécution anticipée est théoriquement indissociable du mécanisme de la résolution anticipée. En effet, si l'inexécution future est manifeste et que le créancier ne choisit pas la voie de l'exécution forcée ou que cette dernière est impossible ou inopportune, il ne pourra légitimement attendre l'échéance de l'obligation du débiteur en vertu du devoir de minimisation du dommage qui pèse sur lui. Si il le fait, son préjudice sera diminué du montant correspondant au dommage qu'il aurait pu éviter. Il incombe en effet au créancier, dès lors que le risque d'inexécution se manifeste, de prendre toutes les mesures nécessaires à la réduction de son préjudice. Autrement dit, il devra, dans le cas où l'exécution forcée serait impossible ou ne remplirait pas cet objectif, procéder à la résolution anticipée dès lors que le risque d'inexécution sera manifeste. Par conséquent, la responsabilité du débiteur fondée sur le risque manifeste d'inexécution se traduira soit par une exécution forcée, soit par une résolution anticipée accompagnée d'une allocation de dommages-intérêts au bénéfice du créancier.

B\ L'atténuation du principe de réparation intégrale

Le principe de réparation intégrale suppose que la totalité du préjudice soit réparé mais que le montant des dommages-intérêts ne saurait dépasser ce dernier. Ce montant recouvre aussi bien le préjudice matériel que le préjudice moral mais exclue toutefois le dommage que l'on n'aura pu prévoir au moment de la conclusion du contrat279 ainsi que toutes conséquences dommageables qui ne seraient pas une "suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention"280. Le préjudice matériel comprend, aux termes de l'article 1149 du code civil, la perte subie et le gain manqué par le créancier, résultant de l'inexécution contractuelle.

L'application de la résolution anticipée entraînerait inévitablement une forte atténuation du principe de réparation intégrale; l'objectif de l'anticipation étant de réduire le préjudice subi par le créancier, et partant, le montant des dommages-intérêts dus par le débiteur. En réalité, si

279. Article 1150 du code civil

280. Article 1151 du code civil

110

le préjudice du créancier serait réparé intégralement, ce ne serait qu'à condition que ce dernier ait pris soin de minimiser son dommage par application de la résolution anticipée au moment opportun. Autrement dit, le préjudice n'est réparé intégralement qu'en présence d'un comportement contractuel diligent tendant à la minimisation du dommage par le créancier. Le dommage consécutif à l'inexécution du débiteur, ne pourra donc être réparé intégralement si il s'avère que le créancier n'a pas exécuté son devoir de minimiser son dommage. Seul le dommage minimisé est intégralement réparable. Ce bouleversement implique donc un nouveau mode d'évaluation du préjudice: celui-ci sera évalué à la date où le risque d'inexécution sera manifeste, c'est-à-dire, au moment où les circonstances visibles par le créancier laisseront raisonnablement penser que l'exécution du débiteur n'aura lieu. De telles circonstances peuvent provenir d'une déclaration non équivoque du débiteur quant à l'inexécution de ses obligations futures ou encore d'une insolvabilité durable et une situation irrémédiablement compromise du débiteur confirmée par une demande d'attestation d'exécution émise par le créancier demeurée infructueuse. C'est en effet, à partir de ce moment, que le créancier pourra prendre les mesures propres à l'anticipation du risque d'inexécution. Il en résulte ainsi que le montant des dommages-intérêts dus par le débiteur correspondra à la valeur de la perte que le créancier aurait subi et au gain qu'il aurait manqué dans le cas où l'obligation arrivée à échéance n'aurait été exécutée, diminuée de la "valeur économique du temps"281 séparant la manifestation du risque d'inexécution et l'échéance de l'obligation pesant sur le débiteur. La "valeur économique du temps" inclura divers paramètres tels que les fluctuations du marché, ou encore, l'opportunité pour le créancier de se remplacer.

Ce mode d'évaluation diffère fortement de notre conception actuelle tendant à évaluer le préjudice au jour du jugement définitif rendu à la suite de l'inexécution de l'obligation et ayant pour objet de prononcer l'indemnité282. On ne se place plus à la date du jugement rendu à la suite de l'échéance d'une obligation inexécutée mais au moment où le créancier aura raisonnablement pu réduire son préjudice283 aux fins de répondre à un impératif d'efficacité économique. Or, si la date d'évaluation du préjudice correspondait au jour du jugement rendu à la suite de l'échéance de l'obligation inexécutée, il y aurait notamment un risque d'enrichissement du créancier dû aux potentielles fluctuations du marché séparant la manifestation du risque d'inexécution et l'échéance de l'obligation.

281. A. ETIENNEY-DE SAINTE MARIE, Le temps et le contrat, in Le temps et le droit, journée nationale tome XVIII, Dalloz 2014

282. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz, 11e edition, 2013, p.651

283. Y.-M. LAITHIER, Étude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ, 2004, p.585

111

Il convient toutefois de rappeler qu'en cas de comportement exécutoire déloyal du débiteur tendant à faire échec à l'exécution des obligations à échoir, le devoir de minimisation du dommage n'aura pas lieu de s'appliquer. Le préjudice devra donc être évalué à l'échéance de l'obligation inexécutée quand bien même la résolution aurait été appliquée de manière anticipée et "y compris si l'échéance est postérieure à la date à laquelle le jugement est rendu"284.

Section 2: La reconnaissance du principe de résolution unilatérale

Le projet de réforme du droit des contrats consacre expressément la possibilité de résoudre unilatéralement le contrat, à côté du jeu de la clause résolutoire ainsi que de la demande en justice. En effet, l'article 1224 dudit projet dispose que "la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire, soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice." Nous pouvons ainsi observer une disparition du principe de la résolution judiciaire actuellement exposé à l'article 1184 du code civil aux termes duquel la résolution du contrat doit être demandée en justice. Un tel bouleversement était largement prévisible dans le sens où la jurisprudence accorde depuis de nombreuses décennies la faculté au créancier de résoudre "à ses risques et périls" en présence d'un comportement grave du débiteur285.

L'admission de la résolution anticipée devrait malgré tout entraîner un agrandissement de la "place" offerte à "l'unilatéralisme"286 en droit positif. Alors qu'aucune hiérarchie ne semble instaurée entre les modes de rupture du contrat octroyés au créancier à l'article 1224 du projet de la Chancellerie, la reconnaissance de la résolution anticipée pourrait bien inviter le législateur à reléguer la résolution judiciaire au rang d'exception alors que la résolution unilatérale du contrat deviendrait le principe. Il convient en effet de rappeler que la résolution

284. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat, LGDJ, 2004, p.584585: Y.-M Laithier critique à juste titre la règle selon laquelle le préjudice doit être évalué à l'échéance de l'obligation inexécutée. En effet, le devoir de minimisation du dommage pesant sur le créancier devrait impliquer que le préjudice soit évalué à partir du moment où celui-ci aura raisonnablement pu le réduire, à savoir à partir de l'instant où apparaît un risque manifeste d'exécution. Toutefois, cette obligation n'a pas lieu de s'appliquer en présence d'un comportement exécutoire déloyal du débiteur, appelant ainsi l'application de la résolution anticipée pour perte de confiance. La date d'évaluation du préjudice doit donc dans ce cas, être évaluée à l'échéance de l'obligation inexécutée.

285. Voir supra, p.73

286. S.Bros, Le projet de droit commun européen de la vente: menace ou opportunité pur la modèle contractuel français - la place de l'unilatéralisme: progrès ou danger? S. Bros, RDC Octobre 2012 p.1452

112

anticipée ne peut être efficacement mise en oeuvre que de manière unilatérale287: imposer au créancier menacé d'inexécution une demande en justice priverait de toute utilité ce mécanisme d'anticipation qui est de répondre à un impératif de célérité288. L'obligation de recourir à un juge serait par ailleurs d'autant plus mal venue si l'on impose au créancier de satisfaire à un devoir de minimisation du dommage qui nécessite de prendre les mesures nécessaires dès lors que le risque d'inexécution est manifeste et non au moment où le juge aura statué.

Nous pouvons alors aisément conclure que si l'on admet que le créancier puisse s'extraire unilatéralement du contrat en raison d'un risque manifeste d'inexécution, il serait incohérent d'obliger ce dernier à saisir le juge dans le cas où l'inexécution aurait eu lieue. La résolution judiciaire deviendrait alors une mesure d'exception. Il conviendra toutefois de ne pas négliger l'existence, bien que résiduelle, de cette dernière. Si la résolution unilatérale, anticipée ou non, aurait vocation à devenir un principe du droit commun des contrats, cette dernière ne saurait aisément s'appliquer au sein des rapports contractuels naturellement déséquilibrés tels que les relations entre professionnels et consommateurs289290. Il conviendrait alors que certains régimes spéciaux ne manquent pas de subordonner la résolution du contrat à un recours judiciaire aux fins de protéger la partie faible au contrat.

287. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour inexécution, LGDJ, 2007

288. Voir supra, p.22

289. Thomas Piazzon, La place de l'unilatéralisme: progrès ou danger?, RDC Octobre 2009 in (Le projet de droit commun européen de la vente: menace ou opportunité pour le modèle contractuel français): S'agissant de la protection des consommateurs, "certaines prérogatives unilatérales qui peuvent être reconnues au vendeur ou à l'acquéreur risquent de constituer, pour ce dernier, autant de pièges disséminés ça et là dans le (projet de droit commun européen de la vente). Notre avis est que ces différentes prérogatives, adaptées aux contrats entre professionnels, peuvent difficilement faire l'objet d'une transposition en droit de la consommation. Il en va ainsi de la résolution pour risque d'inexécution."

290. Voir supra, p.22

113

114

Conclusion générale

L'idée de "considérer comme juridiquement acquise" une inexécution future, et donc de "faire présent ce qui est futur"291 pouvait de prime abord, paraître déroutante au regard des fondements traditionnels de la force obligatoire du contrat. Le succès rencontré par les mécanismes d'anticipation que sont la résolution anticipée et l'exception pour risque d'inexécution sur le plan international, tant dans les pays de common law qu'au sein des systèmes de droit romano-germanique, ont pu inspiré l'élaboration de nombreux travaux doctrinaux sur le sujet alors que la jurisprudence semble avoir ouvert la porte à l'admission de tels mécanismes. Les barrières législatives semblent par ailleurs sur le point d'être partiellement franchies avec la reconnaissance explicite de l'exception pour risque d'inexécution au sein du projet de réforme du droit des contrats.

L'objet de notre étude s'attachait malgré tout à démontrer que tant la résolution anticipée que l'exception pour risque d'inexécution devraient trouver place en droit positif. L'anticipation du risque d'inexécution contractuelle ne pourrait efficacement s'opérer qu'à travers la complémentarité de ces mécanismes juridiques: alors que la résolution anticipée permettrait au créancier de procéder à l'anéantissement du lien contractuel en présence d'un risque manifeste d'inexécution, l'exception pour risque d'inexécution pourrait subsidiairement être mise en oeuvre lorsque le risque n'est que sérieusement probable avec une faculté de demander une "assurance suffisante d'exécution" dont la demande infructueuse permettrait de basculer vers la résolution anticipée.

En ce qui concerne la résolution anticipée qui constitue le mécanisme d'anticipation le plus efficace, mais également le plus radical et controversé, deux formes pourraient coexister: la résolution anticipée fondée sur l'atteinte à la confiance légitime du créancier ainsi que la résolution anticipée fondée sur l'efficacité économique du contrat.

La première ne pourrait être mise en oeuvre qu'en présence d'un comportement exécutoire déloyal du débiteur. Elle ne saurait évidemment recouvrir à elle seule l'ensemble des situations de fait objective dénotant un risque d'inexécution mais possède néanmoins

291. J.-C Hallouin, L'anticipation: contribution à la formation des situations juridiques, thèse Poitiers, 1979, p.VIII

115

l'avantage de ne pas soumettre le créancier à l'obligation de démontrer le caractère manifeste de l'inexécution future. L'apport de la preuve du comportement exécutoire déloyal du débiteur postulerait l'existence d'un risque manifeste d'inexécution. Elle permettrait en outre d'éviter l'application du devoir de minimisation du dommage qui devrait peser sur le créancier dans le cadre de la résolution anticipée fondée sur l'efficacité économique du contrat, et par ailleurs écarter la réparation du seul dommage prévisible.

La deuxième pourrait en revanche être appliquée dès lors que le créancier se situerait face à un risque manifeste d'inexécution; ce dernier pouvant se traduire par un refus univoque du débiteur d'exécuter ses obligations à l'échéance, ou encore par la situation financière irrémédiablement compromise de ce dernier. Il appartiendrait alors au créancier d'apporter la preuve du caractère manifeste de l'inexécution future dans le cadre d'un éventuel contrôle a posteriori.

Plus globalement, l'admission de ces mécanismes d'anticipation pourrait avoir non seulement pour effet de bouleverser notre conception traditionnelle de la responsabilité contractuelle mais également d'entraîner la consécration de nouveaux fondements: à savoir, le principe de confiance légitime et celui d'efficacité économique du contrat. La reconnaissance explicite de ces principes permettrait ainsi de répondre à l'un des objectifs les plus cruciaux du droit des contrats: concilier la sécurité du lien contractuel avec l'impératif de célérité que commande la vie des affaires.

116

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Ouvrages

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Textes législatifs

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- §321 (1) du BGB (Droit allemand)

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119

Modernisierung des Schuldrechts) (Droit allemand)

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- Article 111 du projet Terré

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- Article 1186 du code civil

- Art. 1220 du projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

- Article L621-40 du ccom - Article 1135 du code civil - Article 1150 du code civil

- Art. 1224 du projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

- Art. 1226 du projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

- Article 1151 du code civil

Notes de jurisprudence

- Cass req 4 janvier 1927, DH 1927, p.65 - Civ 1er, 23 octobre 1963, bull n°452

120

- Com. 2 févr. 1993

- Tcom Le Havre 28 novembre 1934 (obs René Demogue, Rtd civ 1935, p.647)

- Com 2 juillet 1996, bull civ IV n°198

- Com 15 janvier 1973, bull. civ IV, n°24, p.18, D.1973.473

- Com 1er décembre 1992, rtd civ 1993. 578 obs. J.Mestre

- civ 26 févr 1896, S.97.1.187

- Civ 2e du 24 novembre 2011 (10-25635)

- Cass. 1ère Civ., 2 juillet 2014, n°13-17.599

- Cass 3ème Civ., 10 juillet 2013, n°12-13.851

- civ 25 avril 1936, DH 1936.331

- Soc 22 oct 1991, D. 19923.189, note Karaquillo

- Civ 30 décembre 1941: DA 1942. 98

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Sites internet

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- http://www.larousse.fr

121

Table des matières

Remerciements 3

Sommaire 4

Introduction 5

Partie 1: L'admissibilité des mécanismes d'anticipation du risque d'inexécution 11

Titre 1: L'existence avérée des mécanismes d'anticipation 12

Chapitre 1: L'expansion internationale des mécanismes d'anticipation 13

Section 1: Des mécanismes d'anticipation dans les pays de common law 13

§1: L'"anticipatory breach of contract" 13

A\ L'émergence de l'inexécution anticipée 13

B\ Le fondement de l'inexécution anticipée 15

§2: l'exception pour risque d'inexécution 17

A\ En droit américain 17

B\ En droit anglais 18

Section 2: Des mécanismes d'anticipation en droit continental et international 18

§1: Des mécanismes d'anticipation dans les pays de tradition civiliste 18

A. L'anticipation du risque d'inexécution en droit chinois 18

1. L'exception pour risque d'inexécution 18

2. La résolution anticipée 19

B. L'anticipation du risque d'inexécution en droit européen 20

1. Droit de l'ue 20

a) Les PDEC 20

b) La proposition de règlement du parlement européen et du conseil

relatif à un droit commun européen de la vente 22

2. droit des pays voisins 24

§2: Droit du commerce international et mécanismes d'anticipation 25

A\ Convention de Vienne du 11 avril 1980 25

B\ Principes Unidroit 26

Chapitre 2: L'ouverture du droit interne aux mécanismes d'anticipation 27

Section 1: La reconnaissance de l'exception pour risque d'inexécution 27

§1: La dissimulation de l'exception pour risque d'inexécution 27

A\ Les dispositions relatives au contrat de vente 27

B\ L'application détournée de la déchéance du terme 29

C\ L'application détournée des référés spéciaux 32

§2: La consécration de l'exception pour risque d'inexécution 33

A\ L'opportunité d'un principe général 33

B\ Le projet de la chancellerie 34

Section 2: L'admissibilité de la résolution par anticipation 35

§1: L'absence de consécration de la résolution anticipée 35

A\ Une réticence législative 35

B\ Un souhait doctrinal 37

§2: L'applicabilité de la résolution anticipée 38

A\ L'article 1186 du code civil 39

B\ L'article 1184 du code civil 39

§3: Une ouverture jurisprudentielle 41

Titre 2: Le régime suggéré des mécanismes d'anticipation 43

Chapitre 1: La résolution anticipée 44

Section 1: Les conditions de la résolution anticipée 44

§1: conditions de fond 44

122

A\ Une inexécution future 44

B\ Une inexécution suffisamment grave 45

1. L'exigence de gravité 45

2. Les caractères de la gravité 45

C\ Un risque d'inexécution manifeste 46

1. L'absence de certitude absolue 46

2. Les formes du risque d'inexécution manifeste 47

a) Le refus univoque d'exécuter à l'échéance 47

b) L'impossibilité avérée d'exécution à l'échéance 48

c) Le comportement exécutoire déloyal 48

§2: conditions de forme 49

A\ Une notification au débiteur 49

B\ Une demande d'attestation d'exécution future 49

Section 2: Les effets de la résolution anticipée 50

§1: L'anéantissement rétroactif du contrat 50

§2: La date d'évaluation du préjudice 50

Chapitre 2: L'exception pour risque d'inexécution 53

Section 1: Les conditions de l'exception pour risque d'inexécution 53

§1: conditions de fond 53

A\ Une inexécution future 53

B\ Une inexécution suffisamment grave 53

C\ Une inexécution probable 54

§2: conditions de forme 55

Section 2: Les effets de l'exception pour risque d'inexécution 55

§1: La suspension de l'obligation 56

§2: L'éventuelle conversion en résolution anticipée 56

A\ La possibilité de provoquer la résolution anticipée 56

B\ L'exception pour risque d'inexécution comme préalable à la résolution

anticipée 57

Partie 2: La portée des mécanismes d'anticipation du risque d'inexécution 59

Titre 1: La consécration de principes novateurs 60

Chapitre 1: Le principe de confiance légitime 61

Section 1: Le contrat comme "acte de foi" 61

§1: l'assouplissement de la force obligatoire du contrat 61

A\ Rappel sur la conception traditionnelle de la force obligatoire du contrat 61

B\ Proposition d'un nouveau fondement de la force obligatoire du contrat 63

1. La confiance en droit des contrats 63

a) L'insuffisance du pouvoir de la volonté 63

b) La redécouverte de la notion de confiance 64

2. La légitimité de la confiance accordée 65

C\ Conséquences de la confiance légitime comme fondement de la force

obligatoire du contrat 66

§2: La confiance du créancier trahie 66

A\ Rupture du lien de confiance et anticipation de l'inexécution 66

1. L'atteinte à la confiance du créancier comme inexécution d'une obligation

implicite 67

2. L'atteinte à la confiance du créancier comme fondement indirect de

l'anticipation 67

3. L'atteinte à la confiance du créancier comme fondement partiel de

l'anticipation 68

123

B\ Admission des modes d'anticipation et reconnaissance du principe de

confiance légitime 70

Section 2: Les réticences du droit français 72

§1: La méfiance de principe en droit français 72

A\ Méfiance et formalisme 73

B\ Méfiance et unilatéralisme 73

C\ Méfiance de l'avenir 74

§2: Le maintien d'une approche traditionnelle 75

A\ L'approche libérale du lien contractuel préservée 75

B\ L'approche morale du lien contractuel préservée 77

Chapitre 2: L'efficacité économique du contrat 79

Section 1: l'influence de l'anticipation sur l'efficacité économique du contrat 79

§1: La protection améliorée des cocontractants 79

A\ la réduction du préjudice 79

1. Par la résolution anticipée 80

2. Par l'exception pour risque d'inexécution 80

B\ La réduction des dommages-intérêts 81

1. La coopération contractuelle incitée 82

2. Le devoir de minimisation du dommage 82

a) Le devoir de résolution anticipée 82

b) L'écueil de la résolution anticipée abusive 83

c) Perspective sur une éventuelle consécration en droit positif 84

§2: l'efficacité économique comme fondement de la résolution anticipée 86

Section 2: L'influence de l'efficacité économique sur le droit positif des contrats 87

§1: L'assouplissement de la force obligatoire du contrat 87

§2: L'efficacité économique comme fondement de la résolution pour inexécution

88

A\ La mise à l'écart de la notion de cause 88

B\ L'indifférence du caractère fautif de l'inexécution 90

Titre 2: Le bouleversement du régime de la responsabilité contractuelle 91

Chapitre 1: Les conditions modifiées de la responsabilité 92

contractuelle 92

Section 1: Le fait générateur 92

§1: Une inexécution contractuelle 92

A\ L'inexécution des obligations stipulées 93

B\ L'inexécution des obligations implicites 93

§2: Un risque d'inexécution contractuelle 95

A\ La responsabilité pour inexécution anticipée 95

1. Fondement 95

2. Justification 97

3. Mise à l'écart de la faute 98

B\ Le degré de certitude du risque 100

1. Certitude de l'inexécution future 101

2. Évidence de l'inexécution future 101

3. Probabilité de l'inexécution future 102

Section 2: Le préjudice 102

§1: Un dommage actuel et certain 103

§2: Un dommage futur et certain 103

Section 3: Le lien de causalité 105

§1: La causalité adéquate 105

124

§2: L'élargissement de la causalité 106

Chapitre 2: Les effets modifiés de la responsabilité contractuelle 108

Section 1: La sanction de l'inexécution anticipée 108

§1: L'exécution forcée 108

§2: Les dommages-intérêts 108

A\ l'indissociabilité de la résolution anticipée 109

B\ L'atténuation du principe de réparation intégrale 109

Section 2: La reconnaissance du principe de résolution unilatérale 111

Conclusion générale 114

Bibliographie 116






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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo