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L'anticipation des risques d'inexécution du contrat.

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par gilles quinones
Université Montpellier I - Master 2 Droit de la distribution et des contrats dà¢â‚¬â„¢affaires 2014
  

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§2: Un risque d'inexécution contractuelle

L'admission des mécanismes d'anticipation aurait pour effet d'établir l'idée selon laquelle la responsabilité du débiteur pourrait être engagée à partir de la manifestation d'une inexécution anticipée (A). Le risque d'inexécution devra toutefois répondre à certain degré de certitude pour que celle-ci puisse être mise en oeuvre (B).

A\ La responsabilité pour inexécution anticipée

Il conviendra de déterminer successivement quels sont les fondements (1) puis les éléments permettant de justifier (2) la mise en oeuvre de la responsabilité du débiteur pour inexécution anticipée. Nous démontrerons enfin que la reconnaissance d'un tel type de responsabilité pourrait entraîner une mise à l'écart de la notion de faute (3).

1. Fondement

L'inexécution anticipée ne peut se manifester qu'à travers un risque. Nul ne saurait prédire l'avenir et l'idée de "transformer le futur en présent", de faire "comme si"252 l'inexécution avait déjà eu lieue tire sa légitimité du caractère "manifeste" de l'inexécution future. C'est en raison de ce degré suffisamment élevé de probabilité que nous pouvons employer le terme d'"inexécution anticipée".

Une question mérite cependant d'être soulevée: en quoi l'inexécution anticipée, et partant, le risque "manifeste" d'inexécution, pourrait engager la responsabilité du débiteur? Si l'inexécution anticipée autorise le créancier à résoudre le contrat par anticipation, rien ne permet d'affirmer, à première vue, que la responsabilité du débiteur est engagée. La résolution du contrat, qu'elle soit anticipée ou non, constitue un remède à l'inexécution d'un contrat synallagmatique253, destiné à protéger le créancier des conséquences de cette dernière, et non

252. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM, 2011, p.245; J.-C. HALLOUIN, L'anticipation: contribution à la formation des situations juridiques, thèse Poitiers, 1979

253. D. TALLON et D. HARRIS (sous dir.), Le contrat aujourd'hui : comparaisons franco-anglaises, Coll Bibliothèque de droit privé, 1987

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un moyen de sanctionner le débiteur pour cause d'inexécution.

L'idée d'inexécution anticipée pourrait bien mettre à mal le concept de responsabilité contractuelle et donner un argument de poids à ses détracteurs: comment pourrait-on, en effet, concevoir que la responsabilité d'un contractant puisse être engagée alors que le manquement contractuel redouté n'a pas encore eu lieu? Il convient, pour répondre à cette interrogation, de s'attarder sur les écrits de Genevieve Viney, partisane du concept de responsabilité contractuelle. Selon cet auteur, cette dernière se justifie à travers un certain nombre d'articles du code civil laissant entrevoir l'idée selon laquelle l'allocation de dommages-intérêts ne constituent pas un mode d'exécution par équivalent de l'obligation inexécutée mais a pour objectif de réparer le préjudice causé du fait de l'inexécution. Elle s'appuie notamment sur l'article 1184 alinéa 2 du code civil qui prévoit qu'en cas d'inexécution du cocontractant, le créancier pourra demander en justice la "résolution avec dommages-intérêts". Le Professeur Viney a alors pu tirer argument de cette disposition pour réfuter l'idée selon laquelle les dommages-intérêts auraient une unique fonction d'exécution par équivalent254. On ne peut effectivement ici constater une fonction d'exécution "puisque le créancier a lui-même renoncé à l'exécution, préférant la disparition du contrat"255. Il ressort alors de cette idée de réparation que le débiteur est responsable de l'inexécution contractuelle ayant contraint le créancier à demander la résolution du contrat.

Ce raisonnement traduit l'existence d'un lien indéfectible entre la résolution du contrat et l'allocation de dommages-intérêts. Si le créancier demande en justice ladite résolution, c'est parce qu'il y aura été contraint en raison d'une défaillance du débiteur. Nous pouvons alors transposer ce raisonnement en matière de résolution anticipée et affirmer que de la même manière que le créancier puisse accompagner la résolution judiciaire du contrat, d'une demande d'allocation de dommages-intérêts aux fins de réparer les conséquences de la défaillance du débiteur, il peut également adjoindre à la résolution anticipée du contrat, une demande d'allocation de dommages-intérêts aux fins de réparer les conséquences de la défaillance future du débiteur. Force est d'en déduire que l'inexécution anticipée, et partant, le risque "manifeste" d'inexécution, peut engager la responsabilité du débiteur. Nous pouvons en effet concevoir que si il est possible de demander la réparation des conséquences d'une inexécution ayant contraint le créancier à résoudre le contrat, ce dernier peut également demander la réparation des conséquences d'un risque manifeste d'inexécution l'ayant contraint

254. Ph. REMY, La "responsabilité contractuelle": histoire d'un faux concept, RTD civ, 1997, p.323

255. Geneviève VINEY, La responsabilité contractuelle en question, in Le contrat au début du XXIe siècle, Etudes offertes à Jacques Ghestin, p.928

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à résoudre ledit contrat. Ce raisonnement par analogie nous permet d'admettre que la responsabilité d'un contractant puisse être engagée avant que ses obligations ne soient échues, et partant, qu'aucun manquement contractuel n'ait encore été consommé. Cette idée nous permet de conclure que la notion de "sanction préventive" possède une place en droit de la responsabilité contractuelle256.

2. Justification

Malgré le fait que la résolution anticipée soit principalement justifiée par des impératifs d'ordre économique, l'idée selon laquelle il serait possible d'engager la responsabilité d'un cocontractant avant même que ses obligations ne soient échues pourrait heurter les partisans d'une approche morale de la responsabilité contractuelle. Il pourrait en effet paraître incongru de sanctionner un contractant avant même qu'une inexécution contractuelle n'ait été constatée.

L'on pourrait toutefois objecter que la détection d'un risque manifeste d'inexécution masque en réalité, hormis le cas particulier de la force majeur qui constitue une cause d'exonération de la responsabilité civile, une défaillance actuelle, fautive ou non257. Un tel risque traduit en effet l'inaptitude du débiteur à maîtriser l'évolution de sa situation financière. Ce pourrait être par exemple, en raison de l'incidence causée par des dettes exigibles ou à échoir dont il n'aura su prévoir les conséquences, la contraction inopportune de nouvelles dettes en cours d'exécution du contrat, ou encore le fait d'avoir contracté avec son créancier sans que l'évolution prévisible de sa situation financière ne le lui permette. La manifestation d'un risque d'inexécution démontre alors que le débiteur aura créé, de manière fautive ou non, les conditions de l'inexécution des obligations à échoir.

Ainsi, l' impératif d'efficacité économique, à savoir la réduction du dommage, que poursuit la résolution anticipée, a pour conséquence indirecte de bouleverser notre vision de la responsabilité contractuelle. Bien que ce mécanisme d'anticipation soit avant tout justifiée par des raisons économiques, son introduction pourrait inviter la doctrine à concevoir que la responsabilité du débiteur puisse être engagée avant l'échéance de ses obligations lorsque le risque d'inexécution reflète un degré suffisant de certitude, sans pour autant heurter une

256. Nous pouvons ainsi opérer un rapprochement avec les travaux réalisés par Cyril Sintez pour qui, la notion de "sanction préventive" existe bel et bien en droit de la responsabilité civile délictuelle. (Cyril SINTEZ, La sanction préventive en droit de la responsabilité civile, Dalloz, 2011)

257. Nous verrons ci-après que certains auteurs estiment opportun de détacher la faute de la notion, plus large, de défaillance contractuelle.

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approche morale de la notion de responsabilité. C'est parce que l'on "sait" qu'il y aura inexécution contractuelle en raison de circonstances que le débiteur n'aura su maîtriser que la responsabilité de ce dernier peut d'ores et déjà être engagée. À partir du moment où l'inexécution future paraît évidente, il serait inutile d'attendre l'échéance des obligations avant d'appliquer un régime de responsabilité contractuelle dont la précocité de mise en oeuvre pourrait s'avérer salvatrice pour les deux parties au contrat.

Il convient en revanche de rappeler qu'à l'instar de l'inexécution classique, la responsabilité du débiteur ne saurait être engagée dans le cas où le risque manifeste d'inexécution émanerait d'un événement imprévisible, irrésistible et extérieur, à savoir lorsque les conditions de la force majeur, cause d'exonération de responsabilité, seraient réunies. L'émergence d'une approche économique du droit des contrats ne saurait en effet dénaturer la notion de "responsabilité" qui ne pourrait être engagée à partir de la constatation d'événements sur lesquels le débiteur n'a aucune maîtrise.

3. Mise à l'écart de la faute

La majorité des auteurs semblent assimiler l'inexécution contractuelle, totale ou partielle, à l'idée de faute contractuelle. Manquer à ses engagements serait constitutif d'une faute susceptible d'engager la responsabilité du cocontractant. En effet, la responsabilité civile, qu'elle soit de nature contractuelle ou délictuelle, se fonde en principe sur la faute. Certains auteurs critiquent malgré tout l'emploi de ce terme en matière contractuelle. Si la responsabilité du débiteur est engagée, ce ne serait pas réellement en raison de la commission d'une quelconque faute mais plus précisément en raison d'une "défaillance"258. Le débiteur est tenu d'indemniser son créancier en raison du seul fait qu'il aura failli à ses engagements et qu'un tel manquement aura causé un préjudice à ce dernier. Il s'agirait alors d'une responsabilité objective. Or l'idée de faute renvoie à une "analyse du comportement de l'auteur du dommage" et donc, à l'application d'une responsabilité subjective259. Par ailleurs, force est de constater qu'en matière contractuelle, l'analyse du comportement du débiteur aux fins d'engager sa responsabilité ne pourrait aucunement concerner la totalité des contrats mais seulement ceux au sein desquels est stipulée une obligation de moyens260. Les contrats

258. D.TALLON, "Pourquoi parler de faute contractuelle?", in Mélanges Cornu, 1995

259. Rémy CABRILLAC, Droit des obligations, Dalloz, 11e édition, 2014, p. 195

260. Comme a pu le faire remarquer Genevieve Viney, "une terminologie rigoureuse devrait (...) réserver le terme de "faute contractuelle" à l'inexécution des seules obligations qui n'engagent qu'à un comportement de "bon père de famille"", "c'est-à-dire les obligations de moyens". La responsabilité contractuelle en question, in

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stipulant à la charge du débiteur une obligation de résultat ne sauraient en revanche, imposer au créancier la nécessité d'établir l'existence d'une faute: le constat d'une inexécution contractuelle peut donc, à lui seul, entraîner la responsabilité du débiteur. Nous pouvons donc, à travers cette analyse, admettre l'existence d'un détachement entre la notion de faute contractuelle et celle d'inexécution contractuelle. Cependant, bien que le terme de "faute contractuelle" soit effectivement contesté par une partie de la doctrine261, la majorité des auteurs adhèrent cependant à l'idée selon laquelle une inexécution revêtirait automatiquement la qualification de faute contractuelle262. On peut citer à cet égard, la définition de la faute contractuelle issue du Vocabulaire juridique de Henri Capitant. Ce dernier la définit en effet comme "l'inobservation, par le débiteur, d'une obligation née du contrat (par inexécution totale, exécution défectueuse ou tardive) qui engage sa responsabilité contractuelle".

Il est toutefois opportun de s'interroger sur la place qu'occuperait la faute dans le cas où l'on concevrait que la responsabilité contractuelle du débiteur puisse être engagée en raison d'un simple risque manifeste d'inexécution. Si la plupart des auteurs assimilent l'inexécution à la notion de faute contractuelle, pourrait-on admettre que le risque manifeste d'inexécution contractuelle légitimant la résolution anticipée du contrat ainsi qu'une allocation de dommages-intérêts, puisse revêtir une qualification identique? Nous avons précédemment évoqué l'idée selon laquelle la responsabilisation du débiteur en raison d'un risque d'inexécution pouvait se justifier par la présence masquée d'une défaillance actuelle: si un risque d'inexécution se présente, ce serait parce que le débiteur n'aura su maîtriser l'évolution de sa situation financière. Un tel risque pourrait également être révélé par la manifestation d'un comportement exécutoire déloyal constituant ainsi l'inexécution d'une obligation implicite de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier. Si le caractère fautif de ce deuxième aspect ne fait aucun doute, il en est tout autre pour le premier. La situation irrémédiablement compromise du débiteur peut, certes, révéler un manque de diligence de la part de ce dernier quant à la gestion de sa situation financière mais l'on ne pourra toutefois systématiquement assimiler une telle défaillance à un comportement fautif alors même que les

Le contrat au début du XXIe siècle, Etudes offertes à Jacques Ghestin, p. 941.

261. D.TALLON, "Pourquoi parler de faute contractuelle?", in Mélanges Cornu, 1995, p.429. Selon D. Tallon, il ne faudrait pas parler de faute contractuelle mais d'inexécution, l'emploi du terme "faute" constituant un emprunt inopportun et abusif au droit des délits et quasi-délits.

262. J. FLOUR, J.-L AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, Le rapport d'obligation, Sirey, 8e édition, 2013, p.176: "Le fait de l'inexécution est (...) constitutif d'une faute, dès lors que l'essence de l'obligation est d'être exécutée et que l'inexécution considérée ne trouve pas son origine dans une cause étrangère". On constate malgré tout que les auteurs ne manquent pas de préciser par la suite qu'il y aurait lieu d'accorder statistiquement "une préférence aux mots manquements et défaillance qui sont mieux adaptés au cadre contractuel".

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conditions de la force majeure, très difficiles à réunir, ne seraient pas établies. Il sera d'autant plus ardu d'évoquer un quelconque comportement contractuel fautif lorsque le débiteur en difficulté aura pris soin de signaler par avance au créancier son risque d'insolvabilité dans un objectif de coopération et partant, d'anticipation des conséquences néfastes d'une inexécution potentielle.

Nous pouvons par conséquent affirmer que si le risque d'inexécution justifie l'engagement de la responsabilité du débiteur, ce serait en raison d'une défaillance qui n'aurait aucune raison d'être systématiquement assimilée à une faute contractuelle. Nous pouvons donc émettre l'hypothèse selon laquelle le risque d'inexécution contractuelle constituerait un fait générateur de responsabilité objective susceptible d'être sanctionné par la résolution anticipée du contrat ainsi qu'une demande d'allocation de dommages-intérêts correspondant au préjudice futur résultant de l'inexécution ultérieure. Cette conception est conforme aux objectifs de la résolution anticipée qui a pour finalité principale de répondre à un impératif d'efficacité économique, écartant ainsi toute approche moraliste à laquelle renverrait l'idée de faute.

Nous pouvons admettre que la remise en cause du principe de la responsabilité contractuelle fondée sur la faute dans le cadre du risque d'inexécution, pourrait s'étendre à toute inexécution contractuelle. L'exemple de la résolution anticipée fondée sur des considérations d'efficacité économique pourrait porter une forte atteinte à une approche traditionnellement moraliste de la responsabilité contractuelle. L'impératif d'efficacité économique pourrait en effet inviter la doctrine française à concevoir que si la responsabilité du débiteur est engagée, ce ne serait, par principe, non en raison de la commission d'une faute mais sur le fondement d'une simple défaillance. La responsabilité contractuelle du débiteur serait donc objective.

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