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L'anticipation des risques d'inexécution du contrat.

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par gilles quinones
Université Montpellier I - Master 2 Droit de la distribution et des contrats dà¢â‚¬â„¢affaires 2014
  

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B\ L'application détournée de la déchéance du terme

Bien qu'il soit interdit au créancier d'exiger l'exécution d'une obligation avant terme76, il existe une mesure permettant, sous certaines conditions, de procéder à la déchéance du terme même. Ses conditions d'applications demeurent toutefois restrictives: la déchéance ne peut notamment jouer, nous l'avons vu, en cas d'ouverture d'une procédure collective.

L'article 1188 du code civil dispose que "le débiteur ne peut plus réclamer le bénéfice du terme lorsque par son fait il a diminué les sûretés qu'il avait données à son créancier". Le créancier pressentant un danger du fait de la diminution par le débiteur des sûretés qu'il lui avait donné, peut ainsi invoquer la déchéance du terme pour rendre les obligations immédiatement exigibles. L'ordre des prestations étant supprimées, les obligations de chacun deviennent simultanées. Le mécanisme classique de l'exception d'inexécution peut alors être invoqué par chacune des parties, la simultanéité constituant la condition d'exercice de l'exception d'inexécution. Selon Andréa Pinna, ce "détour par la déchéance du terme" masquerait une manoeuvre assimilable à une exception pour risque d'inexécution77.

73. Civ 1er, 23 octobre 1963, bull n°452; Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM 2011, p.231

74. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM 2011, p.234

75. Article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : "la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité."

76. Article 1186 du code civil: "Ce qui n'est dû qu'à terme, ne peut être exigé avant l'échéance du terme ; mais ce qui a été payé d'avance ne peut être répété."

77. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, Rtd civ 2003, p.31 et s.

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Il s'ensuit alors inévitablement la difficulté suivante: l'exception d'inexécution pourra être invoquée par chacune des parties au contrat, de sorte que les effets du contrat feront l'objet d'un blocage plus ou moins prolongé. En effet, "le bénéfice de ce remède étant réciproque par nature, chacune des parties trouve son inexécution justifiée tant que son cocontractant ne s'est pas exécuté"78. Une telle situation ne pourrait perdurer indéfiniment; par conséquent, le blocage peut être résolu par le mutuus dissensus permettant à une partie de demander la révocation de la convention sur le fondement de l'article 1134 alinéa 2 du code civil. Le mutuus dissensus peut en effet résulter de circonstances de fait dont l'appréciation relève des juges du fond79. On aboutit alors en pratique à une sorte de résolution anticipée.

La déchéance du terme peut ainsi constituer une mesure d'anticipation du risque d'inexécution bien qu'il ne s'agisse pas de son objectif premier. Comme le fait remarquer Andréa Pinna, l'anticipation "n'a pas lieu par rapport au terme, c'est le terme même qui est anticipé"80. Autrement dit, si l'anticipation permet de "faire comme si"81 l'inexécution était actuelle, la déchéance du terme permet de "faire comme si" les obligations de chacun étaient d'ores et déjà exigibles.

Ce détour par la déchéance du terme permettrait alors de considérer que notre droit positif admet l'exception pour risque d'inexécution lorsque le débiteur procède à une diminution des sûretés qu'il avait données à son créancier; une telle diminution traduisant un risque sérieux d'insolvabilité. On constate ainsi un rapprochement avec nombre de législations étrangères admettant l'exception pour risque d'inexécution; tel est le cas de l'article 1461 du code civil italien qui permet plus largement au créancier de suspendre l'exécution de ses propres obligations "si les conditions patrimoniales de l'autre partie ont changé de telle sorte que l'obtention de la contreprestation est en sérieux danger"82.

Bien qu'une mutation des conditions patrimoniales du débiteur ne soit pas exactement assimilable à une diminution volontaire par ce dernier des sûretés auparavant données au créancier, les effets que l'on souhaite éviter sont identiques: l'insolvabilité du débiteur. Ce

78. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, Rtd civ 2003, p.31 et s.

79. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, Rtd civ 2003, p.31 et s.

80. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, Rtd civ 2003, p.31 et s.

81. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM, 2011, p.245; J.-C. Hallouin, L'anticipation: contribution à la formation des situations juridiques, thèse Poitiers, 1979

82. Art. 1461 du code civil italien: "Ciascun contraente può sospendere l'esecuzione della prestazione da lui dovuta, se le condizioni patrimoniali dell'altro sono divenute tali da porre in evidente pericolo il conseguimento della controprestazione, salvo che sia prestata idonea garanzia (1822, 1877, 1956,1959; att. 169)."

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rapprochement implicite, par le "détour de la déchéance du terme"83, avec les législations admettant expressément l'exception pour risque d'inexécution traduit ainsi l'opportunité de concevoir un tel mécanisme dans le marbre de la loi française. Tel est l'objet de l'article 1120 du projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats qui admet explicitement l'exception pour risque d'inexécution84.

L'existence d'un détour par la déchéance du terme permettant de déduire l'existence d'un mécanisme d'exception pour risque d'inexécution est toutefois réfutée par Fall Paraiso. Son idée s'appuie en premier lieu sur le fait que l'exception d'inexécution est un "mythe"; seul l'exception pour risque d'inexécution existerait. Il démontre cette hypothèse en expliquant qu'il est nécessaire d'opérer une distinction entre "absence d'exécution" et "inexécution".85

L'absence d'exécution indique la situation selon laquelle, il n'y a pas eu exécution de la part du débiteur alors que le temps pour accomplir celle-ci n'a pas encore expiré. Dans un tel cas, la mise en oeuvre d'une exception d'inexécution serait impossible puisqu'il n'y a pas encore eu d'inexécution. Seul un mécanisme d'anticipation du risque d'inexécution serait alors envisageable: à savoir, une exception pour risque d'inexécution ou une résolution anticipée.

L'inexécution, quant à elle, traduit la situation selon laquelle il n'y a pas eu exécution de la part du débiteur alors que le temps pour accomplir l'exécution a expiré. La seule issue possible serait alors d'appliquer le régime des sanctions de l'inexécution: à savoir, l'exécution forcée ou la résolution pour inexécution assortie de dommages-intérêts. Ce que l'on appelle "exception d'inexécution" ne serait en réalité qu'une mesure transitoire permettant au créancier de protéger ses intérêts économiques en attendant que la résolution ou l'exécution forcée du contrat ne prenne effet. Fall Paraiso qualifie alors cette mesure d'"abstention contentieuse" ou encore de "mise en demeure qui ne dit pas son nom".86

La déchéance du terme ayant pour effet, selon Andréa Pinna, de permettre la mise en oeuvre de l'exception d'inexécution ne pourrait donc avoir une efficacité réelle. Si l'obligation devient immédiatement exigible, l'exception d'inexécution ne pourra être appliquée qu'en vue d'obtenir la résolution du contrat pour inexécution ou bien l'exécution forcée, et ne masquera donc pas une réelle exception pour risque d'inexécution.

83. Andréa PINNA, L'exception pour risque d'inexécution, Rtd civ 2003, p.31 et s.

84. Art. 1220 du projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations: "Une partie peut suspendre l'exécution de sa prestation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais."

85. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM, 2011, p.225

86. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM, 2011, p.226

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Fall Paraiso a par ailleurs pu ajouter que, même dans le cas où l'exception d'inexécution existerait réellement, la condition de simultanéité des obligations n'aurait pu être remplie. L'affirmation selon laquelle il n'y aurait aucun ordre des prestations est un leurre87. En pratique, "il y a toujours un ordre des prestations; soit que celui-ci résulte de l'usage, du type d'obligation, de la nature de la convention, de son objet, ou encore des circonstances elles-mêmes". Tel est le cas de la vente au comptant où l'acheteur paie avant que le vendeur ne délivre la chose ou bien l'inverse88. L'ordre des prestations ne pouvant factuellement être supprimée, seule une exception pour risque d'inexécution pourrait, en pratique, avoir lieue.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe