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Le nouveau paradigme économique turc


par Jonathan Martinez
Université Jean Moulin Lyon 3 - Master 2 Relations internationales : Sécurité internationale et Défense 2020
  

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Annexe 7 : L'Empire Ottoman à son apogée (fin du 16ème siècle).

Si le terme « ottoman », relayant à une idée expansionniste et impérialiste n'a jamais été explicitement employé par la classe politique, l'ancien espace ottoman constitue pour la Turquie une zone d'influence traditionnelle légitime, dans lequel l'Etat désire s'investir économiquement, sinon politiquement dans le cadre d'un multilatéralisme coopératif.

59 AKAGUL, Deniz. « À la recherche de l'attractivité perdue », Les Cahiers de l'Orient, vol. 127, no. 3, 2017, pp. 93-110.

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Lorsque l'on évoque la Turquie, économiquement parlant, de quoi parlons nous ? Du fait de sa géographie, la Turquie est un pays essentiellement agricole, en 2018, près de 50% de sa surface était cultivable. Elle dispose toutefois de ressources minières notables : charbon, minerai de fer, cuivre, chrome, antimoine, mercure, or, barytine, borate, célestite (strontium), émeri, feldspath, calcaire, magnésite, marbre, perlite, pierre ponce, pyrites (soufre)60, É Or, contrairement aux pays voisins du Moyen-Orient, la Turquie bénéficie d'une absence de rentes naturelles qui serait susceptibles de décourager l'exploitation. Nous entendons ici par « rentes naturelles » la différence entre le prix mondial de la ressource et le coût nécessaire à son extraction61. Elle dispose par ailleurs d'une répartition géographique qui vient stimuler la demande domestique, principal moteur de croissance du pays : en 2021, 76,6% de sa population recensée se trouvait en milieu urbain. Mais cette autosuffisance agricole et ce capitalisme local, notamment stimulé par les « tigres anatoliens » et les PME, ne suffisent pas à garantir les besoins économiques de l'État turc62.

Alors que l'agriculture représente encore environ 25% de l'emploi national, son économie de marché est majoritairement tirée par son industrie : automobile, pétrochimie, électronique... Toutefois l'instabilité de son environnement régional autant que la dérive autocratique du pays viennent mettre à mal le dynamisme économique : la confiance des investisseurs s'érode, et l'on constate, comme sous l'ère ottomane, que la Turquie reste grandement dépendante des investissements extérieurs comme en atteste la périodicité des crises affectant sa croissance.

60 Site officiel de la Central Intelligence Agency : Op.cit https://www.cia.gov/the-world-

factbook/countries/turkey/#economy

61 PHILLIPPOT Louis-Marie. « Rente naturelle et institutions. Les Ressources Naturelles : Une Ò Malédiction Institutionnelle ? ». 2011. halshs-00553629

62 †LGEN, Sinan. « La transformation économique de la Turquie : une nouvelle ère de gouvernance ? », Pouvoirs, vol. 115, no. 4, 2005, pp. 87-99.

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Annexe 8 : L'instabilité de l'économie turque au cours de la décennie 90 (Source : Banque centrale de Turquie).

Ainsi, la Turquie, quoique pays incontournable dans le transit des hydrocarbures provenant du Moyen-Orient63, doit composer avec deux caractéristiques primordiales et interdépendantes :

Économiquement, elle doit composer avec la nécessité vitale de s'ouvrir aux investissements et au commerce extérieurs puisque son économie se trouve être structurellement déficitaire, conséquemment et en dépit de son héritage politique et historique.

Politiquement, de par le caractère Kémaliste de sa constitution, elle doit composer ses orientations diplomatiques en s'adaptant au choix stratégique de se rapprocher de l'Europe au détriment de partenariats plus larges avec les États du Moyen-Orient.

Une double nécessité donc qui, dans le contexte de pénétration de l'économie internationale à partir de 1980, va induire et justifier l'émergence d'un projet « néo-ottoman » qui, contrairement à l'AKP à partir de 2003, sera davantage considéré comme un choix « pragmatique » plutôt « qu'idéologique ». La mobilisation de ce discours néo-

63 Voir Titre III

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ottoman, à l'origine du nouveau paradigme économique turque, doit toutefois être appréhendé au regard de facteurs à la fois internes mais également externes à la Turquie.

II. La mobilisation du discours ottomaniste visant répondre aux nécessités économiques de la Turquie

L'apparition d'une référence à « l'ère traditionnelle ottomane » apparaît au moment où la Turquie entreprend l'extraversion de son économie, à partir de 1980, cherchant comme nous l'avons vu à s'intégrer au sein de l'économie mondiale. Jusqu'alors, les mesures protectionnistes de l'économie turque avaient été justifiées par deux facteurs.

D'une part, à partir de la crise économique de 1929, les États européens majoritairement industrialisées, avaient mis en place des mesures destinées à protéger leurs économies. Ce recul de l'activité économique, autant que l'asséchement de capitaux extérieurs susceptible de maintenir les importations, ne laisse pas d'autres choix à l'État turc que de prendre des mesures adaptées.

D'autres part, le souvenir de la dette ottomane conduit les politiques turcs à refuser catégoriquement tout endettement extérieur. Plus encore durant la Guerre froide, alors que la position géostratégique de la Turquie au sein de l'OTAN a justifiée l'octroie d'un soutien économique important, ce même discours au passif ottoman se justifie au regard du passif du « régime des capitulations ». Ainsi, en dépit de l'intégration de la Turquie au sein du GATT, ces mesures se maintiennent, tolérés par les puissances occidentales.

L'évolution intervient à partir de Janvier 1980 au travers du vaste programme de stabilisation de l'économie turque, visant à satisfaire les principaux bailleurs de fonds : « L'ajustement turc était fondé sur des politiques de restriction de la croissance de la demande interne et sur des réformes structurelles pour augmenter l'offre moyennant une allocation améliorée des ressources (É). Les deux principales caractéristiques du programme étaient la Ubéralisation des échanges commerciaux et la promotion des exportations, ce qui a produit des résultats extraordinaires dans la politique de croissance des exportations. Par exemple, en 1982, le chiffre des exportations a doublé, les exportations sont passées de 2,9 milliards de dollars en 1980 à 15 milliards en 1993. De même, la composition des exportations a changé considérablement dans les années 80 : tandis que la part des produits agricoles et industriels dans les exportations était respectivement de 57,4 et 36 pour cent en 1980, la part des produits agricoles a diminué à 15 pour cent en 1993. La part des produits industriels s'est considérablement accrue

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jusqu'à atteindre 83 pour cent en 1993 (É) Le programme de 1980 incluait également des mesures pour réformer le système financier visant une réduction significative de l'intervention directe de l'état et une importante libéralisation des produits et des marchés financiers64 È.

Ainsi, si la mise en place de politiques économiques protectionnistes justifiées par la crispation du taux d'ouverture en 1930 correspondait à une réponse de l'État turc à un contexte international particulier, la libéralisation de l'économie de marché à partir de 1980 va le conduire à prendre des mesures pragmatiques tendant à s'adapter à ce nouvel environnement international. L'important développement économique procédant de cette ouverture laisse à penser l'orientation « subie » par la Turquie dans le cadre des mesures protectionnistes. La fin d'une Turquie en marge de l'économie mondiale se manifeste par ailleurs par un changement de discours du politique vis à vis de l'héritage ottoman. Si celle-ci se référait auparavant à l'expérience de l'Administration de la dette publique ottomane, ce discours est abandonné pour dénoncer une crainte illégitime vis à vis de l'extérieur, alors même que la libéralisation de l'économie favorise la mise en place de financement externe.

Mais libéralisation de l'économie ne signifie pas pérennité de la croissance de son économie, bien au contraire. Avec l'ouverture à une concurrence plus large et plus dure, la Turquie se livre à une stratégie beaucoup plus pragmatique, tendant à sécuriser ses financements extérieurs.

En effet, il est à rappeler que le 12 Septembre 1963 à Ankara, la Turquie a été amené à signer un accord d'association avec la Communauté économique européenne, visant à la fois l'établissement progressif d'une union douanière ainsi qu'à la préparation d'une adhésion future à celle-ci65. Cet accord a ainsi été conçu en trois étapes distinctes : une première phase d'une durée de 5 ans, une deuxième phase de transition vers l'union douanière et, in fine une phase de rapprochement et d'harmonisation des politiques économiques et fiscales. Dans ce cadre, d'importants protocoles quinquennaux avaient été négociés avec la Turquie à partir de 1978, incluant notamment la mise en place d'aides

64 ...ZELCI Haluk. « Le modèle turc ». In: Revue d'économie financière. Hors-série, 1994. Bretton Woods : mélanges pour un cinquantenaire. pp. 411-422 ; doi : 10.3406/ecofi.1994.5652 ; http://www.persee.fr/doc/ecofi_0987-3368_1994_hos_4_1_5652

65 Journal Officiel des Communautés Européennes, n° 217,2 9 décembre 1964, article 28.

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budgétaires ainsi que des prêts octroyés par la Banque européenne d'investissement (BEI)66.

Mais, même si l'intégration à l'Union européenne constitue pour la Turquie un objectif principal, ces garanties ne lui étaient pas suffisantes. Il s'agit en effet pour la république turque d'être considérée comme un membre à part entière du cercle occidental plutôt qu'un partenaire étranger privilégié. Dans le contexte de guerre froide et de préparation à l'adhésion communautaire, ceci passe par une volonté de développer d'avantage le commerce, notamment dans la zone moyen-oriental, et de moins compter sur des aides et subventions extérieures. C'est notamment le cas durant la première guerre du Golfe pour deux points. D'une part la Turquie à pu constater qu'en dépit de son appartenance au camp occidental, notamment dans son rôle de « containment » face à l'URSS durant la guerre froide, une certaine réticence a pu être constatée de la part d'États européens pour venir à son secours en cas d'attaque Irakienne67. D'autre part, cette réticence, et cette distanciation de l'Europe ne se fait qu'au détriment de la Turquie. En effet, l'embargo international n'a connu de réel succès que par l'intervention de la Turquie, qui a pris des mesures contre l'État irakien en fermant les oléoducs transportant 60% du pétrole. Pourtant, alors que son action entraînerait irrémédiablement la perte du commerce avec l'État Irakien, l'Europe ne lui offrait pas une alternative économique totale, une sorte de demi-confiance rappelant à la Turquie sa position « d'un pied dedans, un pied dehors ».

On peut observer alors dans cette période la mise en place par la Turquie d'une diplomatie commerciale particulièrement active au Moyen-Orient, et en direction des républiques turcophones de l'ex-Union soviétique. Cette volonté d'investir le Moyen-Orient se manifeste notamment par la mise en place, à l'initiative de la Turquie, de plusieurs organismes de coopérations régionales. Il peut ainsi être souligné la mise en place de l'Organisation de coopération économique (OCE), fondée en 1964. Alors que cet organisme a connu une « caducité » notoire, notamment du fait de l'arrivée au pouvoir de Khomeiny en Iran et de Saddam Hussein en Irak en 1979, celle-ci a connu un second souffle à partir de 1985 et une expansion notable dès 1992. Également, l'Organisation de Coopération économique de la Mer noire (OCEMN), aussi appelé déclaration du Bosphore, en 1992, organisation visant à favoriser la réalisation de projets d'infrastructures

66 TURUNC, Garip. « La Turquie et l'Europe : Une relation embrouillée », Mondes en développement, vol. no 128, no. 4, 2004, pp. 89-113.

67 BOZDEMIR Michel. La Turquie face à la crise du Golfe. In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n°62, 1991. Crise du Golfe, la "logique" des chercheurs. pp. 111-115

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de télécommunications, routier autour de la mer Noire ainsi que dans le domaine des transports maritime. Enfin, le Developing 8 (D- 8), fondé en 1996 visant à développer les échanges entre les pays en développement68.

On remarque toutefois que cet activisme politique conduit par le président ...zal dans les années 80 diffère de l'activisme du gouvernement de l'AKP à partir de 2003 : Selon Deniz Akag·l69 : « Durant les années qui ont suivi l'ouverture de 1980 initiée par ...zal, la Turquie a suivi ce que Edward Luttwak, spécialiste du Center of Study of International Strategy de Washington, qualifiait au début des années 1990 de « stratégie d'indifférence calculée ». Selon cette stratégie, c'est la dimension économique qui était mise en avant. Pour lui, la Turquie « devrait aborder le Moyen- Orient non pas avec des armes, mais avec des caisses enregistreuses. La politique étrangère n'apporte pas d'argent, mais elle en enlève. C'est pourquoi la politique extérieure de la Turquie devrait être passive du point de vue politique et active du point de vue économique. La politique extérieure devrait être non pas au service d'elle- même, mais au service de l'économie70. » Conformément à ces propos, il s'agissait dans les années 1980 et 1990 de l'instrumentalisation des affinités religieuses et culturelles au service des visées mercantiles ».

Il est en effet intéressant de comprendre que le Moyen-Orient, à la fin de la guerre froide, est marqué par d'importants mouvements, notamment religieux et ethniques, soit une islamisation globale résultant notamment de l'opposition entre sunnisme et chiisme (conflit Iran-Irak et guerre civile libanaise notamment). Dans ce cadre, il ne s'agit pas pour le gouvernement turc d'évoquer un « néo-ottomanisme » qui, sous couvert d'une histoire commune, pourrait évoquer dans la mémoire orientale un schéma de domination longtemps combattu, que ce soit au Liban ou en Arabie Saoudite. Il s'agit toutefois pour la Turquie de mettre en avant sa position de médiateur, sa politique étrangère empreint des valeurs kémaliste étant caractérisée par une stricte neutralité, comme le rappel sa devise « Paix dans le monde, paix chez soi ».

68 AKAGUL Deniz; « Nouvelles orientations de la politique commerciale turque : entre pragmatismes et ambitions « néo--ottomanes » ; p. 259-281 ; Configurations économiques dans l'espace post-ottoman, Partie 4 - Production de biens publics internationaux dans l'espace post--ottoman ; Mai 2017 ; https://doi.org/10.4000/anatoli.349

69 AKAGUL Deniz ; « La Turquie, de l'émergence aux premiers revers économiques: causes et conséquences politiques » ; au colloque "Où va la Turquie?" du 29 mai 2017.

70 Dans le texte : « Entretien accordé au quotidien « Cumhuriyet » le 12/02/1991 »

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On constate donc qu'à l'origine d'un « mouvement néo-ottomaniste » se joue une volonté pragmatique de diversification des partenariats économiques, mettant en avant dans un but marchand les affinités culturelles et religieuses de ses voisins, pour substituer, sinon compléter, les échanges lacunaires entre la Turquie et une Europe hésitante quant à l'approfondissement de son intégration. Alors que la Turquie va officiellement poser sa candidature auprès de la Communauté économique européenne en avril 1987, celle-ci va toutefois aboutir à un échec en 1989, notamment en raison de son économie, des relations tendues avec la Grèce et de la crise chypriote susceptible de créer un climat défavorable à l'aboutissement des négociations. Ce n'est alors qu'au Conseil Européen d'Helsinki en 1999 que la candidature turque sera reconnue par les Européens. L'arrivée de l'AKP en 2003 va toutefois faire évoluer et mûrir cette politique extérieure vis à vis du Moyen-Orient vers une dimension plus interventionniste et idéologique71.

La position d'interlocuteur principal au Moyen-Orient présentait à ce titre de nombreux avantages. D'une part, la Turquie incarnerait à l'issue le « pont » entre l'Asie et l'Occident, renforçant sa position incontournable vis à vis des Européens. D'autre part, en se présentant comme un acteur neutre, moderne mais non occidental, la Turquie renforçait son prestige vis à vis des États de cet espace anciennement ottoman, soit le monde afro-asiatique. Elle répondait in fine à un besoin de financement externe pour une Turquie désormais intégrée dans l'économie mondiale. Le Président de la République Turgut ...zale avait notamment déclaré le 5 novembre 1991 : « ... Au point où nous sommes, nous ne devons pas perdre de vue d'autres alternatives éventuelles. La Turquie ne peut pas mettre toutes ses possibilités dans le même panier. Je ne le dis pas pour défier la CE ou l'Europe. Ce n'est pas du tout cela. Mais, nous devons prendre en considération toutes les alternatives (É) De plus, la Turquie doit agir vite et s'insérer dans ces développements régionaux (É) non pas après que ces événements auront eu lieu, mais au moment opportun... ».72

Toutefois, même si l'on constate que l'État turc désire se donner les moyens de ses ambitions, notamment le renforcement de sa notoriété en intégrant l'Organisation de la Coopération Islamique (OCI) en 1969, et en étant à l'initiative du Comité de Coopération

71 Cité par DAL Emel Parlar « The Strategie Dept Doctrine of Turkish Foreign Policy », Middle Eastern Studies, vol. 42, no 6, novembre 2006, p. 945.,

72 lKIN Selim. « Les tentatives de coopération économique de la Turquie et la zone de coopération économique en mer Noire ». In: CEMOTI, n°15, 1993 ; « La zone de coopération économique des pays riverains de la Mer Noire. pp. 51-75 ; Hikmet Çetin, "Deðiþen Dünya ve Türkiye", Mülkiyeliler Birliði Dergisi, N° 142, avril 1992, p. 6-21.

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Économique et Commerciale (ISEDAK ou COMCEC) en 1981 lors de la Conférence de La Mecque, celui-ci se confronte à une double limites : à la fois ses propres limites structurelles, mais également aux limites économiques de son environnement régional.

III. Un environnement géoéconomique structurellement limité

A. Une configuration régionale limitant son développement

En effet, sans toutefois qu'il soit question de « remplacer le marché européen », l'objectif tend à une réduction de sa dépendance via le marché oriental. Mais le potentiel économique de cette zone de substitution fait face à une instabilité structurelle à la fois politique mais également économique.

Politique d'une part, marquée dans un premier temps par une importante opposition entre chiisme et sunnisme à partir de 1979, et par une instabilité sécuritaire plus globale qui s'étend jusqu'à aujourd'hui. Les conflits prennent tour à tour des dimensions internes, l'exemple de la guerre civile au Liban de 1975 a 1990, régionales avec Israël ou la Syrie à partir de 2011, idéologique avec le développement du terrorisme, ou identitaire avec la menace kurde à partir de 1974 (PKK)É Le problème est toutefois double pour la Turquie : Si celle-ci conserve une position de neutralité, son commerce extérieur est affecté directement par le risque d'un essoufflement économique des belligérants - l'exemple du conflit Iran-Irak entre 1980 et 1988 - et si elle prend partie au conflit celle-ci met un terme au commerce avec la partie belligérante - l'exemple de la première guerre du Golfe en 1990 qui est venue réduire à néant le commerce avec l'État irakien.

Économique d'autre part, les États composant son environnement régional proche disposent d'une infrastructure de production limitée. Le dynamisme économique de la zone est en effet issu de l'extraction et du transit des hydrocarbures à destination de l'Europe, et non de l'échange de biens pouvant par ailleurs assurer l'autonomie de la région. Si la Turquie maintient, de par sa situation géographique, une position de « hub énergétique » entre le Moyen-Orient et l'Occident, l'instabilité politique pèse cependant sur cette rente des hydrocarbures. En témoigne notamment les chocs pétroliers ayant grandement impacté l'économie mondiale et le pouvoir d'achat des États régionaux en 1973 avec la guerre du Kipour, en 1979 avec le conflit Iran-Irak, ou en 2008 qui, même si découlant de la crise des subprimes, trouve sa source dans la seconde guerre du Golfe de 2003. Par ailleurs, dans un commerce mondialisé caractérisé par une circulation plus

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importante et moins coûteuse des transports de marchandises, la proximité géographique mis en avant par le gouvernement ...zal durant la décennie 80 perd de sa pertinence.

Ainsi, il doit être interrogé la pertinence pour la Turquie quant à considérer le Moyen-Orient comme un marché de substitution ou marché complémentaire au marché européen, puisque si la proximité géographique peut-être considérée comme un catalyseur d'opportunité économique, celle-ci ne se suffit pas en elle-même mais nécessite au préalable une diversification des économies (industriels, technologiques, services, É) susceptible de créer une interdépendance entre les systèmes. Plusieurs exemples peuvent ici être cités.

Si l'on prend les échanges entre le Canada et les États-Unis, les États-Unis représentent certes 73,5% des exportations et 48,8% des importations du Canada, contre 4,8% des exportations et 14,1% des importations pour la Chine73, mais l'intérêt pour le Canada est d'échanger avec une économie développée, diversifiée, à même de satisfaire de part et d'autres de la frontière la demande du marché.

Le même constat peut être fait entre la France et l'Allemagne, les échanges franco-allemands représentant 14,5 % des échanges totaux de la France ; ou, au niveau régional entre l'Union Européenne et les États-Unis avec une part totale pour les échanges de marchandises estimée à 15,2% en 2020.

Lors de la présentation du rapport de la « Turkish Industry and Business Association » (T†SIAD) en mai 2007, le ministre d'État Kürþat Tüzmen (2005 -2007) avait notamment été amené à se prononcer sur les limites du néo-ottomanisme, dans son acception économique, dans son ensemble régional : « « Nous partageons une histoire culturelle commune avec les pays riverains de ces trois mers (Mer Méditerranée, Mer Caspienne, Mer Noire). Nous pouvons utiliser ceci comme un atout dans nos relations commerciales (É) La malchance de la Turquie est qu'à l'exception de la Grèce et de la Russie, le revenu est bas chez ses voisins. Si ce n'était pas le cas, nous aurions pu réaliser une grande partie de notre commerce avec nos voisins.74 »

Cette tendance se vérifie aujourd'hui si l'on procède à l'analyse de la part des exportations et importations de la Turquie. On observe en effet que, mis à part l'Irak pour

73 Direction générale du trésor ; « Le commerce extérieur du Canada en 2020 - Balance des biens », publié le 29 avril 2021

74 Discours prononcé lors de la présentation du rapport de la TÜSIAD en mai 2007, Gülden AYMAN, Tülay Ayalp KILIÇDAÐ, Aydõn SEZER,, propos rapporté par Deniz Akag·l dans « Nouvelles orientations de la politique commerciale turque : entre pragmatismes et ambitions « néo- ottomanes », 2014.

51

des raisons énergétiques, aucun pays de son ensemble régional proche ne constitue un partenaire économique d'envergure susceptible de « soulager » la dépendance de la Turquie au marché de l'Union européenne. Nous exclurons dans notre exemple les années 2020 et 2021, marquée par l'épidémie de Covid-19, pour exprimer une tendance générale en contexte normalisé.

Exportations

S1 2018

 

S1 2019

Part de marché

S1 2019

Valeur (USD)

Valeur (USD)

Evolution S1

2018-S1 2019

Total

82

222 861

83

716 369

1,9%

100%

Allemagne

8

231 279

7

693 579

-6,5%

9,2%

Royaume-Uni

5

216 727

4

990 567

-4,3%

6%

Italie

5

044 933

4

677 381

-7,3%

5,6%

Irak

3

887 223

4

117 045

5,9%

4,9%

Espagne

3

894 936

3

978 600

2,1%

4,8%

Etats-Unis

3

837 280

3

923 230

2,2%

4,7%

France

3

824 510

3

878 993

1,4%

4,6%

Pays-Bas

2

414 515

2

516 757

4,3%

3%

Israël

1

955 887

2

081 768

6,4%

2,5%

Roumanie

1

916 023

1

944 641

1,5%

2,3%

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand