B. Manque de vision stratégique
Les enjeux du partenariat issu du jumelage sont mal compris
par les intervenants, car l'AAMP qui est l'organe chargé de l'animation
et gestion de la coopération décentralisée ne communique
pas assez et appréhendent de moins en moins les véritables
opportunités qu'offre une pratique comme la coopération
décentralisée.
? Absence de communication et d'une véritable
stratégie de pérennisation
Les enquêtes menées entre la fourchette de temps
allant de 1993 à 2013 ont montré les limites du jumelage entre
les communes Moundou et de Poitiers, ces limites se situent au niveau
structurel et du personnel. D'emblée, il ressort que les
activités du jumelage sont menées sans un mode de communication
bien structuré pour permettre une grande visibilité des
retombées de ce dernier. En effet, le jumelage entre les communes de
Moundou et de Poitiers est carrément méconnu de la population
moundoulaise et ceci est du à une absence criarde de communication
interne et externe. La communication est un instrument très important
pour impliquer la population dans la coopération
décentralisée et de s'approprier de ses acquis, elle
94
a le mérite de privilégier la proximité,
le développement à la base qui sont aussi les principes du
développement local.
Par ailleurs, dans le cadre du jumelage Moundou-Poitiers, il
faut souligner qu'il n'existe pas une cellule de communication avec des experts
de coopération décentralisée, néanmoins la mairie
de Moundou dispose d'une direction de relations internationales et de
communication mais puisque le jumelage est géré en plein
temps par l'AAMP. La promotion de cette coopération
décentralisée et de sa portée doit passer par la
communication externe mais il est aussi important de garder un climat de
sérénité, d'associer les acteurs à toutes les
actions du jumelage et de faire en sorte qu'ils sentent leur opinion pris en
compte et reconnus c'est le rôle de la communication interne. Si l'on
admet que les acteurs du jumelage constituent le premier vecteur d'image vers
l'extérieur c'est la théorie de l'agent ambassadeur d'image, il
devient une logique de communiquer vers lui afin que la portée du
jumelage trouve écho chez la population.
En effet, il nous a été donné
d'être confronté à un réel problème lors de
la collecte d'information, car tous les acteurs en charge du jumelage vers qui
nous sommes allés sont incapables de nous informer sur le jumelage et
nous orientés directement vers le président de l'AAMP. Par
ailleurs, le bureau de l'AAMP, comme nous l'avons souligné ci-dessus,
est géré par des personnes exerçant à la fonction
publique, n'est pas ouvert de façon permanente pour permettre à
la population d'y venir pour s'informer.
Au niveau de la communication externe, le même constat
se dégage, les agents de la mairie et de l'AAMP ne communiquent
quasiment pas sur les activités du jumelage. En effet, quelque rares
fois ou on parle de la coopération décentralisée
coïncide soit avec l'arrivée des partenaires de Poitiers à
Moundou ou à la veille du voyage de la délégation de
Moundou à Poitiers. Comme conséquence, la population n'est pas
vraiment associée aux activités qui sont menées à
travers cette coopération avec la ville de Poitiers. Pour
s'enquérir des activités menées dans le cadre de ce
jumelage, nous étions obligés de consulter plutôt le site
web de l'AAMP qui est animé par les partenaires de la ville de
Poitiers.
Concernant la politique de pérennisation des
retombées du jumelage, il faut souligner que la stratégie
adoptée jusqu'à présent comporte encore quelques failles.
En effet, en ce qui concerne l'entretien et la maintenance, à titre
d'exemple, de bornes fontaines sous la supervision des chefs d'arrondissements
et de certaines écoles, il faut souligner que ces derniers sont
occupés avec d'autres taches et du coup laissent les bornes fontaines au
bon-
95
vouloir des usagers, ainsi les bornes fontaines se retrouvent
dans un état délabré parce que le suivi n'est constant. De
ce fait, il arrive de voir des robinets défectueux sinon des bornes
fontaines abandonnées ou purement transformées en lieu de repos
par les badauds du quartier.
Photo 6: Borne fontaine défectueuse
Source : ALLANDIGUIM REOUMBAYE Christian
Ces photos ci-dessus, montrent des bornes fontaines mal
entretenues et abandonnées, elles sont confiées au 4e
arrondissement.
96
? Méconnaissance des enjeux de la
coopération décentralisée et la persistance de l'esprit
d'assistanat
La prise de conscience de la situation de pauvreté dans
laquelle se trouve beaucoup d'Etats sur la planète pousse les dirigeants
des pays avancés, les acteurs étatiques de la
société civile, les acteurs des Organisations
Intergouvernementales, les Organisations non-gouvernementales ainsi que les
individus à penser à un moyen par lequel l'on pourrait aider les
pays pauvres à atteindre le stade de développement. Ainsi le 05
juin 1947, Georges Marshall64 lance le plan
Marshall65à travers un discours qui marque le
début de l'histoire de la coopération au développement
même si la période de la guerre froide a laissé entrevoir
une autre visée. Cette aide n'était pas seulement philanthropique
puisqu'elle devait également stimuler l'économie
Américaine.
Après la seconde guerre mondiale, plusieurs instruments
sont mis au service du développement au départ des pays de
l'Europe de l'est ravagés par la guerre et en suite les étendre
à tous les autres pays qualifiés de pauvre. Dès lors, le
développement devient une entreprise commune.
Plusieurs décennies ont été
consacrées par l'Organisation des Nations unies au développement
et ceci en faisant de la coopération internationale le cheval de
bataille. En 2000, l'Assemblée générale de l'ONU adopte la
Déclaration du Millénaire66. Le
développement par la coopération est réaffirmé par
l'OMD 867 de ce texte d'où la coopération
internationale en générale et la coopération
décentralisée en particulier doit être
considérée comme un levier de développement par les pays
du sud.
Par contre, l'enjeu de la coopération
décentralisée pour la ville de Moundou ne doit plus se limiter au
niveau des échanges culturels et des voyages ponctuels d'ici et
là, les enjeux de la coopération décentralisée sont
plus importants que la réalisation de quelques bornes fontaines et
autres. En ce qui concerne les enjeux de cette pratique pour la ville de
Moundou, il faut souligner qu'à travers la coopération
décentralisée l'on pourrait faire beaucoup de chose tendant
améliorer le niveau de vie de la population moundoulaise.
64 George Marshall fut secrétaire d'Etat des
Etats-Unis d'Amérique.
65 Plan à travers lequel une importante aide
financière et économique a été octroyée
à toute l'Europe après la seconde guerre mondiale (1947) par les
Etats-Unis d'Amérique.
66 Résolution adoptée par
l'Assemblée générale de l'ONU en septembre 2000 qui
proclame l'atteinte des 10 OMD d'ici à l'horizon 2015.
67Objectif 8. Mettre en place un partenariat mondial
pour le développement.
97
La coopération décentralisée est une
opportunité certaine pour la collectivité territoriale de Moundou
pour la réduction de la pauvreté et des inégalités
sociales. Si les programmes de partenariat arrêtés par la
collectivité de Moundou avec son homologue français sont bien
conçus , ils pourront permettre à contribuer significativement
à la réduction de la pauvreté à travers
l'amélioration des conditions de vie des populations mais aussi à
renforcer la démocratie et accompagner la collectivité de Moundou
dans le processus d'apprentissage de la gouvernance locale. Elle peut soutenir
alors la dynamique de démocratisation engagée depuis les
élections communales historiques de 2012.
La commune de Moundou gagnerait avec le soutien de son
homologue de Poitiers à se former au montage des projets internationaux
ce qui renforcera sa capacité à aller capter des financements
internationaux sans passer par des intermédiaires. Il faut souligner que
dans la plupart des cas les collectivités locales du Nord captent ses
financements internationaux à travers les projets pour leur homologue du
Sud et n'investissent qu'une partie du budget au Sud.
Un autre problème majeur au niveau de la
collectivité locale de Moundou est la persistance de l'esprit
d'assistanat. Comme José Hipolito dos Santos déclare« un
des traits culturels les plus persistants au changement que représente
une action de développement est sans doute l'attente des bienfaits venus
d'en haut. »68En effet, la commune de Moundou est
de plus en plus assistée dans cette pratique du jumelage, le
développement en principe dans cette vision doit être une
entreprise commune, et dans la logique de projets de développement, il y
a le principe de cofinancement qui est pratiqué. Dans les projets la
contrepartie du bénéficiaire dans le financement d'un projet de
développement peuvent osciller entre 15% à 20% mais dans les
copies des projets présentées par la commune de Moundou aux
partenaires de Poitiers que nous avons eu ne laisse aucune trace de la part du
budget amorti par la partie moundoulais. Ceci peut s'expliquer par l'absence
d'une enveloppe budgétaire allouée à la pratique de la
coopération décentralisée au niveau de la mairie de
Moundou sinon au niveau de l'Etat tchadien, d'emblée le jumelage
Moundou-Poitiers est à sens unique et confondu à l'assistanat.
68 José Hipolito dos santos, les femmes au
Coeur du développement, Paris, l'Harmattan, pp. 7-8, 2013.
98
? Un jumelage confronté aux difficultés
opérationnelles de la décentralisation
Malgré l'existence des textes et des structures, la
décentralisation peine à se mettre
véritablement en place, les hésitations et les
mauvais choix politique liés à la décentralisation ne
favorisent pas vraiment une large autonomie des régions, ce qui entraine
un manque de ressources au niveau local dont absence de
réciprocité dans les partenariats.
- Des hésitations dues à
l'ineffectivité de la décentralisation au Tchad
L'histoire de la coopération
décentralisée est intimement liée au processus de
décentralisation au Tchad. La pratique de la coopération
décentralisée est rythmée par la mise en place de la
décentralisation. En rappel, il faut dire que le processus de
décentralisation est enclenché au Tchad sur la base des
résolutions de la conférence Nationale Souveraine du 15 janvier
1993. Ces résolutions ont été confirmées par la
constitution du 31 mars 1996 révisée par la loi constitutionnelle
du 15 juillet 2005. La loi fondamentale en son article 2 a institué la
décentralisation comme mode de gestion du pouvoir : « la
République du Tchad est organisée en collectivités
territoriales décentralisées dont l'autonomie est garantie par la
présente constitution ». Ainsi, les résolutions issues de
toute la disposition constitutionnelle ont mis beaucoup de temps pour
être traduites dans les faits. Avec les premières élections
locales qui se sont déroulées en janvier 2012 et n'ont
concerné que 42 communes (23 communes chefs lieu de région, 9
communes chefs lieu de département et 10 Arrondissements de
N'Djaména). Toutes ces hésitations ont un peu freiné
l'évolution de la coopération décentralisée au
Tchad, car les partenaires hésitaient de travailler avec les
autorités locales qui ne sont pas l'émanation de la
volonté populaire, plusieurs maires de la ville de Moundou ont
été nommés par les autorités de N'Djamena sans
consulter la population à la base juste avec le premier maire élu
en 2012. En effet, une décennie est marquée par la
léthargie du Jumelage Moundou-Poitiers, car cette période est
caractérisée par une instabilité à la tête de
la mairie de Moundou, ceci a semblé perturber la vie de cette
coopération décentralisée.
- Absence de réciprocité
Beaucoup de concept sont nés autour de la
coopération décentralisée. L'émergence de la
coopération décentralisée pour un développement
durable69 vient une fois de plus mettre en lumière les
sacrés principes qui caractérisent cette pratique.
69Le Point sur, n° 146,
Octobre 2012.
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La coopération décentralisée est une
forme de partenariat entre deux collectivités de pays différents,
unies dans un intérêt commun. Dans cette option de
durabilité, une démarche de coopération
décentralisée doit dans une démarche de demande de projet
territorial de développement durable tel qu'un Agenda 2170
pour favoriser la rencontre des dimensions locale et globale. Ces
démarches répondent toutes deux aux enjeux locaux, et la synergie
entre elles renforcent l'action en faveur de l'émergence de territoires
plus durables, ici et là. Cette coopération
décentralisée est basée sur les quatre principes
d'égalité, de solidarité, de réciprocité
fixée par la Charte de la coopération décentralisée
en 2004. Elle est matérialisée par une convention et peut prendre
plusieurs formes : jumelage, aide au développement, relation technique
d'appui à la décentralisation. Reliant des territoires à
l'échelle infra nationale, la coopération
décentralisée permet l'adaptation et la réactivité
ainsi qu'une grande proximité avec les citoyens et une
démultiplication des actions.
De tout ce qui précède, depuis la signature de
convention de cette coopération décentralisée en janvier
1989, il faut signaler qu'il y a une seule rencontre culturelle entre les
jeunes de Poitiers et Moundou, ce concours théâtral inter
établissement date de 1992.
Bref, la coopération décentralisée entre
les villes de Moundou et Poitiers marche à sens unique.
À la suite des limites identifiées, nous
tacherons à émettre quelques propositions pour permettre à
la redynamisation de la coopération décentralisée. Ces
propositions seront adressées à l' endroit de l'Etat tchadien et
aux autorités locales de la commune de Moundou.
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