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La politique étrangère américaine à l'épreuve des évènements du 11 septembre 2001: Le cas irakien

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par Mamadou DIA
Université de Toulouse I Sciences Sociales - Master de Relations Internationales 2005
  

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SECTION II : La doctrine de guerre préventive

Lorsque en septembre 2002 l'administration Bush définissait la nouvelle stratégie de sécurité de son pays, le signal était donné qu'un revirement complet de la politique étrangère de la première puissance mondiale allait s'accomplir. Si comme l'affirme Madeleine Albright, « l'objectif de la politique étrangère consiste à influer sur les politiques et les agissements des autres pays dans un sens qui serve vos intérêts »96(*), le président Bush est bien décidé à le faire appliquer. En effet, pour lui, « nos ennemis ont clairement déclaré qu'ils cherchent à se doter d'armes de destruction massive et il y a des preuves qu'ils y travaillent avec détermination. Les Etats-Unis ne permettront pas à ces efforts de réussir. Nous construirons des défenses contre des missiles balistiques et d'autres vecteurs. Nous coopérerons avec d'autres pays pour empêcher nos ennemis d'acquérir des technologies dangereuses. Et, parce que c'est le bon sens même et qu'il s'agit d'autodéfense, l'Amérique agira contre de telles menaces émergeantes avant même qu'elles ne soient prêtes à nous frapper. »97(*) N'empêche, Henry Kissinger considère cette doctrine comme « imprudente » et pense qu' « elle allait faire tâche d'huile à travers le monde et serait utilisée pour légitimer toutes sortes d'agressions des forts contre les faibles »98(*).

Il est clair que cette doctrine qui veut qu'on attaque avant de l'être va à l'opposé de celle qui a pendant longtemps a fait office de document officiel des Etats-Unis en la matière et ce, pendant toute la période de la guerre froide. Pour preuve, cette affirmation du président Dwight Eisenhower qui, devant l'invasion de l'Egypte par la France, l'Angleterre et Israël déclarait en 1957 : « Nous ne pouvons considérer que l'invasion armée et l'occupation d'un autre pays sont des moyens pacifiques ou des moyens appropriés pour garantir la justice et la conformité avec le droit international. » Le monde a changé depuis lors : on est passé de l'adversaire partisan du statut quo, peu enclin à prendre des risques et donc pour qui la dissuasion était un mode efficace, à un adversaire constitué d'Etats de non droit prêts à prendre tous les risques et à jouer aux dés la vie de leur population et la prospérité de leur pays. Désormais, comme le déclara le président Bush lors d'une conférence de presse le 31 janvier 2003, «  après le 11 septembre, la doctrine de l'endiguement ne tient plus ».

La nouvelle stratégie nationale de sécurité du président Bush note que les concepts d'autodéfense traditionnels reconnaissent la « menace imminente » comme base possible d'action préventive, mais une menace imminente traditionnellement comprise comme « une mobilisation visible d'armées, de flottes et de forces aériennes se préparant à attaquer ». Mais dans ce nouveau contexte d'un monde assailli par des terroristes, les Etats-Unis doivent adapter le concept de menace imminente aux capacités et aux objectifs de ces adversaires d'aujourd'hui. Les Etats voyous et les terroristes n'ayant pas l'intention de se conformer, pour attaquer les Etats-Unis, aux méthodes qu'on peut considérer comme « classiques », « les Etats-Unis ne resteront pas sans rien faire pendant que les dangers s'amoncellent »99(*) et agir ainsi, serait « un jeu de dés imprudent »100(*) selon Wolfowitz rejoint dans on jugement par le président Bush pour qui « l'histoire jugera sévèrement ceux qui ont vu venir ce nouveau danger sans réagir et dans le monde qui commence, la seule voie vers la paix et la sécurité est celle de l'action » car l'idée principale de cette doctrine est que plus la menace est grande, plus le risque de l'inaction est grand et plus il est important de prendre des mesures préemptives pour se défendre même si des doutes persistent quant au moment et à l'endroit de l'attaque ennemie. Comme l'indique Gary Schmitt, l'action préventive n'est pas une option de premier recours car dit-il « il faut qu'un Etat ait une longue histoire de violation du droit international et de ses populations pour devenir une cible potentielle ».101(*)

Peu importe ce qu'en pensent les autres pays. Le président n'a-t-il pas affirmé dans un de ses discours : «  (...) Toutes les nations sont concernées par la prévention d'attaques soudaines et catastrophes. Nous leur demandons de nous rejoindre, et nombreuses sont celles qui agissent. Mais le destin de cette nation ne dépend pas des décisions d'autrui. (...) Nous consulterons. Mais pas de malentendu : si Saddam Hussein ne désarme pas complètement, pour la sécurité et pour la paix du monde, nous dirigerons une coalition pour le désarmer. »102(*)

Cette doctrine de guerre préventive formalisée par le président Bush dans son rapport annuel au Congrès (National Security Strategy, septembre 2002) s'inscrit dans la lignée de la doctrine Monroe formulée au début du 19è siècle (1823) et au corollaire de Roosevelt au début du 20è siècle (1904). La doctrine Monroe énonçait alors le refus de l'intervention étrangère dans l'hémisphère occidental autant que la volonté de préserver le droit des Etats-Unis d'intervenir et éventuellement d'annexer des territoires. Le corollaire à la doctrine Monroe de Roosevelt précise que la défense de la prééminence des Etats-Unis passe par son rôle et devoir de « police internationale » pour un « intervention préventive » (preventive intervention) en cas de « méfait ou défaillance » (wrondoing or impotence) des acteurs régionaux et extérieurs.103(*) Mais l'un des dangers principaux de cette doctrine est sa banalisation pouvant donnant des idées à certaines puissances avides de régler leurs différends par des voies guerrières. Ainsi, qu'en sera-t-il si demain le Pakistan utilisait cette méthode contre l'Inde à propos du Cachemire ou encore Israël contre ses ennemis (Israël, Iran etc...) ? Les exemples sont multiples : Corée Nord contre Corée du Sud ou Japon, Chine contre Taïwan ou vice versa.

Dans un monde considéré comme peu amical voire hostile, les institutions internationales comme l'ONU ou l'OTAN doivent d'abord servir les intérêts américains, sinon il faut agir en dehors de leur cadre. Cette dangereuse conception est en train d'aboutir à la remise en question de la légalité internationale, de la sécurité coopérative et notamment de tous les efforts réalisés patiemment depuis une trentaine d'années dans le domaine de la maîtrise et de la limitation des armements. Richard Perle, conseiller influent auprès de l'administration Bush a ainsi déclaré : « Les Etats-Unis ont un droit fondamental à se défendre comme ils l'entendent. Si un traité empêche d'exercer ce droit, alors il faut passer outre. »104(*) C'est ainsi que les Etats-Unis ont dénoncé le traité sur les missiles anti-balistiques de 1972, remis en question celui sur les armements stratégiques (START) de 1993, freiné l'application de la Convention sur l'interdiction des armes biologiques de 1972, ainsi que celle sur les armes chimiques de 1993.

A- Les Etats-Unis hors la loi ?

Une telle politique a des conséquences très dangereuses en apportant des signaux d'encouragement aux Etats qui seraient tentés de se lancer ou de poursuivre des programmes de fabrication d'armes de destruction massive. Les Etats-Unis sont d'ailleurs contradictoires face à ces Etats, puisqu'ils exigent de des derniers de respecter des traités internationaux qu'eux même ne cessent de dénoncer ou d'affaiblir. Dans le domaine du respect des droits de l'homme, les Etats-Unis sont tout aussi contradictoires depuis qu'ils se sont retirés du Traité instituant la Cour pénale internationale. Ils dénoncent les dictatures mais rejettent les moyens qui permettent de les juger.

Les Etats-Unis se situent donc délibérément en dehors de la légalité internationale, tout en voulant que les autres Etats s'y conforment. Leurs motivations sont notamment socio-économiques dans la défense de leurs intérêts immédiats. A propos du refus de ratifier le protocole de Kyoto sur les gaz à effet de serre, le porte-parole du président affirme : «  une forte consommation d'énergie fait partie de notre mode de vie, et le mode de vie américain est sacré ». Rappelons que les Etats-Unis sont responsables de 25 % du rejet des gaz à effet de serre, lorsqu'ils ne représentent que 5 % de la population mondiale. Sous le présidence Clinton, Madeleine Albright avait résumé la position de son gouvernement par la formule : « Multilatéraux quand nous le pouvons, unilatéraux quand nous le devons »105(*). Mais il semble que la formule se soit inversée dans l'administration américaine. Les Etats-Unis seraient à la fois responsables, garants et exemptés des normes internationales, puisque détenteurs principaux du droit et de la morale.

L'aboutissement de l'unilatéralisme est l'impérialisme, terme utilisé sans complexe par certains idéologues néo conservateurs. Par exemple, le directeur de l'Institut d'études stratégiques OLIN a déclaré : « Une entité politique disposant d'une puissance militaire écrasante et utilisant ce pouvoir pour influer sur le comportement des autres Etats s'appelle bel et bien un empire. Notre but n'est pas de combattre un rival, car il n'y en a pas, mais de conserver notre position impériale et de maintenir l'ordre impérial »106(*).

L'autre conception fondamentale défendue par les néo conservateurs a trait à l'usage de la force. L'administration Bush a opéré une militarisation progressive de la politique étrangère américaine. L'action militaire n'est plus considérée comme un moyen ultime, mais bien un outil utilisable pour atteindre ses objectifs. La diplomatie est d'ailleurs considérée comme inopérante notamment dans le domaine des armes de destruction massive : le choix américain s'est porté sur une politique de contre prolifération (anéantissement de la menace par la force) plutôt que de non-prolifération (traités de désarmement et de contrôle des armements) qui est celle suivie par le reste du monde.

Ce choix de mise en oeuvre d'action unilatéraliste est tenté d'être expliqué par Lauren Cohen Tannugi : « Comment ne pas être tenté d'agir conformément à ses seuls intérêts et selon ses propres convictions lorsqu'on en a les moyens, qu'on a la certitude de défendre une juste cause et des valeurs universelles, qu'on est la cible première du terrorisme et l'objet d'une hostilité planétaire, et qu'on ne dispose enfin, à ses côtés, d'aucun partenaire à la fois totalement fiable et à sa mesure ? »107(*) Cette perception de Tannugi rejoint celle de Kissinger qui définit la protection des intérêts vitaux de l'Amérique comme critères d'intervention armée unilatérale des Etats-Unis. Mais comment les définir de façon précise dans un monde de communication globale et instantanée où l'Internet peut servir d'instrument et d'arme de politique étrangère ?

Kissinger rappelle : « il s'agit de la sécurité de nos frontières et de notre peuple, à laquelle s'ajoutent certaines questions politiques et économiques. »108(*) Les anciennes doctrines politico-militaires américaines de « dissuasion » et « d'endiguement » sont bel et bien abandonnées. Les derniers doutes se sont évanouis lorsque le président Bush a présenté en juin 2002 le concept de « guerre préventive », marquant un tournant capital dans la politique étrangère. En effet, jusqu'alors, les Etats-Unis affirmaient que, conformément au droit international, ils n'emploieraient la force que pour répondre à une agression.

Une telle évolution dans la gestion militaire s'explique par le sentiment d'invincibilité des dirigeants américains, fondée sur des progrès technologiques considérables. Pourquoi dès lors s'en priver ? Cet excès de confiance dans la technique leur fait oublier qu'au-delà des moyens militaires, ce sont des solutions politiques qu'il faut trouver. Et dans un grand nombre de cas, l'usage de la force crée davantage de problèmes qu'il n'en résout. Il y a quelques années un général américain disait d'ailleurs avec dépit : « Nous les Américains, nous ne réglons pas les problèmes, nous les écraserons ». La menace des organisations terroristes au 21è siècle est telle que la préemption est devenue nécessaire de l'avis de Jack Spencer.109(*)

Les idées unilatéralistes et militaristes, mises en application par l'équipe du président Bush, ont pu l'être grâce à une double conjoncture internationale. D'une part, après la fin de la guerre froide et de la disparition de l'URSS, les Etats-Unis sont devenus la seule et unique hyperpuissance, désormais libre de ses mouvements sur la scène internationale. D'autre part, les attentats du 11 septembre 2001 ont donné un prétexte rêvé à la nouvelle équipe dirigeante. Puisqu'ils ont été victimes, ils croient détenir la légitimité de leurs choix actuels.

B - De la « dissuasion » à l'unilatéralisme

Il faut revenir en arrière pour comprendre cet infléchissement vers l'unilatéralisme. Après l'effondrement de l'Union soviétique, les Etats-Unis avaient plusieurs grandes options stratégiques. En simplifiant, on peut les ramener à trois :

· Premièrement, privilégier la coopération et le multilatéralisme dans une optique de cogestion d'un système mondial en voie de multipolarisation et de pacification (entre les principaux Etats).

· Deuxièmement, adopter une politique classique d'équilibre des forces, comparable à celle de la Grande-Bretagne en Europe continentale au XIXe siècle.

· Troisièmement, pérenniser l'unipolarité par une « stratégie de primauté».

Les deux premières options admettent des possibilités combinatoires, comme l'a montré le dosage de coopération et de contrainte introduit depuis 1989 dans la gestion des relations bilatérales avec la Chine. Mais la grammaire de la force et de la contrainte a rendu exclusive la troisième option.

La stratégie dite de la primauté a été articulée au sein du Pentagone en 1992 dans un rapport confidentiel intitulé Défense Policy Guidance 1992-1994 (DPG). Ecrit par Paul Wolfowitz et Lewis Libby, aujourd'hui respectivement secrétaire adjoint à la défense et conseiller aux questions de sécurité du vice-président, M. Dick Cheney, ce texte préconisait d' « empêcher toute puissance hostile de dominer des régions dont les ressources lui permettraient d'accéder au statut de grande puissance », de « décourager les pays industrialisés avancés de toute tentative visant à défier notre leadership ou à renverser l'ordre politique et économique établi », et de « prévenir l'émergence future de tout concurrent global »110(*). Ces recommandations ont été écrites au plus fort du « moment unipolaire », peu après la chute de l'URSS et la guerre contre l'Irak.

Ce détail a son importance, car la guerre du Golfe a joué un rôle décisif dans la remobilisation des forces armées américaines. Elle a justifié le maintien de budgets militaires élevés et a légitimité la conservation de l'archipel militaire planétaire des Etats-Unis, c'est-à-dire du réseau mondial de leurs forces armées. Celui-ci était dirigé contre les « Etats voyous » susceptibles, disait-on, de menacer les équilibres stratégiques régionaux. En février 1991, Dick Cheney, alors secrétaire à la Défense, considérait cette guerre comme la « préfiguration typique du genre de conflit que nous pourrions connaître dans la nouvelle ère (...). Outre l'Asie du Sud-Ouest, nous avons des intérêts importants en Europe, en Asie, dans le Pacifique et en Amérique latine et centrale. Nous devons configurer nos politiques et nos forces de telle sorte qu'elles dissuadent ou permettent de vaincre rapidement de semblables menaces régionales futures ».111(*)

La guerre, en somme, a sauvé un Pentagone et un complexe militaro-industriel devant la perspective d'une ample démobilisation découlant de la disparition de l'Union Soviétique ; Mais, comme l'ont souligné à l'époque Robert Tucker et David Hendrickson, « en démontrant que la puissance militaire demeurait toujours aussi significative dans les relations interétatiques », elle a aussi «  été perçue aux Etats-Unis comme un coup rude, peut-être fatal, porté à la vision d'un monde multipolaire ». Faiblement autonomes, les concurrents allemand et japonais s'étaient révélés pendant le conflit « aussi dépendants que jamais de la puissance militaire américaine ».112(*)

La stratégie de primauté a été mise en veilleuse sous la présidence Clinton. Celui-ci a privilégié la poursuite des intérêts nationaux à travers les institutions multilatérales (dominées par les Etats-Unis, soit dit en passant) et la mise en oeuvre d'une stratégie internationale libérale axée sur la globalisation.

Face à cette inquiétante évolution de la politique américaine, et après la guerre en Irak, l'Europe et la Communauté internationale devront réévaluer leurs politiques dans le cadre des institutions en construisant une doctrine alternative basée sur des choix clairs et une action volontariste. Sinon, le monde connaîtra de nouvelles aventures guerrières, avec le risque de création d'un chaos permanent. Les présupposés sur lesquels se base la nouvelle stratégie de guerre préventive plongent leurs racines dans la théorie stratégique rationaliste qui a produit l'équilibre de la terreur.

C - : Primauté des forces militaires

La stratégie des sécurité nationale de M. Bush reconnaît avec la confiance la supériorité des Etats-Unis en tant que première puissance mondiale et note sans ambages que l'un des objectifs de la stratégie d'ensemble des Etats-Unis doit être d'assurer la primauté des Etats-Unis en décourageant l'émergence de toute puissance capable de les défier. On peut lire dans le document : « Aujourd'hui, les Etats-Unis jouissent d'une force militaire sans égale et d'une grande influence économique et politique. Conformément à notre héritage et à nos principes, nous n'employons pas notre force pour obtenir des avantages unilatéraux. Nous cherchons au contraire à établir un équilibre des pouvoirs favorables à la liberté humaine... ».113(*) Et dans un passage qui a suscité de nombreux débats et discussions, on trouve la déclaration suivante : « Nos forces seront d'un niveau suffisant pour dissuader les adversaires potentiels de chercher à accroître leur puissance militaire dans l'espoir de surpasser ou d'égaler la puissance des Etats-Unis ».

Les critiques de la stratégie de sécurité nationale de M. Bush voient dans cette proclamation une évolution inquiétante dans le sens d'une confiance excessive et d'une tendance impériale extrême. Le souci de maintenir la primauté de l'Amérique en cherchant à prévenir la montée d'un concurrent de force comparable a guidé la politique étrangère américaine pratiquée durant la majeure partie du siècle dernier. La logique stratégique fondamentale explique en grande partie pourquoi les Etats-Unis sont finalement intervenus dans les deux guerres mondiales et pourquoi les forces américaines ont été ramenées dans leurs foyers après la première guerre mondiale, mais ont été redéployées pour assurer la défense de l'Europe peu après la fin de la deuxième guerre mondiale (en raison de la présence d'un concurrent de calibre égal dans le second cas mais le premier).

L'objectif de la préservation de l'hégémonie militaire des Etats-Unis n'est lui-même pas nouveau. En 1992, un document de planification stratégique du ministère de la défense révélé par des fuites a présenté un programme visant à prévenir la montée d'un concurrent de force analogue, énoncé en des termes remarquablement semblables à ceux de l'actuelle stratégie de sécurité nationale de M. Bush. (Le texte de 1992 a fini par l'objet d'un désaveu des responsables officiels américains, mais le concept fondamental n'a pas été abandonné).114(*)

Pour Lieber, il y a d'excellentes raisons de penser que la suprématie des Etats-Unis est, de fait, bonne pour la paix et la stabilité mondiales, et également préférable de loin aux autres options. La meilleure preuve selon lui, en est l'accueil favorable fait à la présence militaire américaine dans un grand nombre de régions du globe. Mais on peut se demander aussi si les motivations des Etats des diverses régions ne sont pas simplement de bénéficier gratuitement du bouclier de la sécurité américaine, ou encore de l'effet pacificateur ou stabilisateur de le présence américaine, car malgré les tensions politiques évidents et prévisibles résultant ipso facto du stationnement de troupes américaines à l'étranger, de nombreux Etats peuvent considérer la suprématie militaire américaine à la stabilité et préférable aux autres options, notamment en Europe, en Asie de l'Est et dans le golfe persique.

Au bout du compte, cet élément de le nouvelle stratégie de sécurité nationale de M. Bush ne risque guère de redéfinir les contours de la politique étrangère américaine. Il est improbable, par exemple, que les Etats-Unis prendront délibérément des mesures visant à retarder la croissance économique et militaire de grandes puissances potentielles telles que la Chine. Par ailleurs, selon toute vraisemblance, les dépenses de défense des Etats-Unis continueront d'augmenter avec la guerre contre le terrorisme, ce qui continuera de creuser l'écart militaire qui les sépare d'éventuels et cela pourra en fait dissuader les adversaires potentiels de défier les Etats-Unis dans le domaine militaire.

La simple préservation de cette position militaire - sans même parler de son renforcement - coûte de l'argent. Le budget de la défense américaine était de 403 milliards de dollars en 1988, de 260 milliards en 1998, pour remonter à nouveau à 300 milliards en 2000, dernière année de l'administration Clinton. Depuis 2002, le budget militaire américain dépasse les 400 milliards de dollars annuels. Cela sans compter les guerres qui exigent souvent des rallonges. Celle d'Irak a commencé en mars 2003 avec un budget de 75 milliards de dollars pour couvrir les dépenses opérationnelles et de normalisation pour six mois.115(*) Salamé nous rappelle d'ailleurs que le Président Bush a obtenu en octobre 2003 un supplément de 87 milliards, 25 milliards en mai 2004 alors qu'il en réclamait 50, sans oublier sa demande de 80 autres milliards en février 2005 d'où le coût total de 200 milliards de dollars payés par contribuable américain dans les deux ans qui ont suivi son déclenchement.116(*) Ces chiffres sont confirmés aussi par Michael Parenti qui ajoute que des fonds additionnels étaient également promis à la NSA, à la CIA, au FBI et à d'autres unités de l'Etat.117(*)

Eliot Cohen cité par Salamé rappelle que l'émergence des acteurs transnationaux n'affectent pas la prévalence des Etats, le problème étant dit-il, que les Américains ont oublié comment penser le stratégique en l'absence d'un ennemi évident. Pour Cohen, cinq raisons au moins font que les Américains font tout pour rester la première puissance militaire :

- Défendre le territoire

- soutenir des Alliés menacés

- jouer le coupe-feu entre deux protagonistes dont le conflit peut menacer les intérêts de l'Amérique

- protéger les flux du commerce international.

- La cinquième raison qui fut reprise par l'administration Bush est : l'incertitude, car à leurs yeux, il faut demeurer puissant pour faire face à des menaces que l'on sait pas ne pas connaître.118(*)

D - Avènement d'un nouveau multilatéralisme

Au vu de tout ce qui a été affirmer, certains ont interprété la nouvelle doctrine de l'administration Bush comme l'incarnation d'un unilatéralisme, ou tout simplement comme «  le gant de velours rhétorique cachant la main de fer de la force brute américaine » pour reprendre la belle expression de Robert Lieber.119(*) La stratégie de sécurité nationale de M. Bush énonce clairement les avantages et la nécessité d'une coopération multilatérale, en particulier que le comportement récent de l'administration Bush ne le donnerait à penser.

La nouvelle stratégie déclare : «  Nous sommes guidés par la conviction qu'aucune nation ne peut, à elle seule, bâtir un monde meilleur et plus sûr. Les alliances et les institutions multilatérales peuvent multiplier la force des nations éprises de liberté. Les Etats-Unis sont attachés à l'existence d'institutions durables (...) », le document note également : « Les Etats-Unis s'efforceront constamment de rallier l'appui de la communauté internationale, mais ils n'hésiteront pas à agir seuls (...)».

Ce qui est différent, c'est que l'administration Bush semble rejeter la poursuite aveugle du multilatéralisme par égard pour le multilatéralisme, c'est-à-dire en tant qu'approche intrinsèquement nécessaire à la légitimité ou à la moralité internationale. La stratégie de sécurité nationale de M. Bush considère au contraire que la volonté de faire cavalier seul ne s'oppose pas un multilatéralisme productif et qu'elle pourrait même en faciliter l'instauration. Ici encore, il faut se garder d'exagérer la rupture avec le passé. Ceci est confirmé par Richard Armitage l'actuel secrétaire d'Etat adjoint qui révèle que l'échange de renseignements et la coopération des forces de police ont conduit à l'arrestation ou à la détention de presque 2300 suspects dans 99 pays et ont permis d'éviter des attaques sur des civils dans le monde entier, même si malheureusement certaines n'ont pu être empêchées, que 160 pays ont gelé plus de 100 millions de dollars d'avoirs appartenant aux terroristes et à leurs alliés.120(*) Le gouvernement Clinton lui-même malgré son attachement résolu au multilatéralisme, a fréquemment choisi de faire passer ce principe au second plan dans la poursuite d'intérêts nationaux plus directs lorsque ces deux positions étaient inconciliables.

L'hypothèse de la sécurité coopérative débouche sur celle de communauté de responsabilité. Une coordination et une harmonisation des politiques nationales sont donc sources d'un gain collectif appréciable d'où l'importance accordée au consensus entraînant cette réflexion de Bertrand Badie : « L'ingérence apparaît ainsi de plus en plus comme un faux ami de la puissance et le contournement du multilatéralisme s'impose de plus en plus comme un piège qui se referme sur celui qui en fait usage »121(*)

Il est de bonne stratégie de se déclarer disposé à agir seul. La stratégie de sécurité nationale de M. Bush stipule que la guerre mondiale contre le terrorisme exige la coopération au plan international de pays qui partagent les mêmes idées. Mais il apparaît également que d'autres nations évalueront elles-mêmes les coûts et les avantages de la coopération avec les Etats-Unis (ou de leur opposition). Même les pays qui se hérissent devant l'unilatéralisme américain finissent souvent par se décider à coopérer avec les Etats-Unis si l'alternative est d'être laissés sur la touche. Il en a été ainsi de la récente adoption à l'unanimité de la résolution 1441 du Conseil de sécurité des Nations unies exigeant de l'Irak qu'il se conforme pleinement à ses obligations en matière de désarmement. Plusieurs membres permanents du Conseil de sécurité (la Russe, la Chine et la France) ainsi qu'un Etat arabe (la Syrie) avaient d'abord exprimé leurs divers désaccords avec la politique américaine mais ont finalement choisi de coopérer en votant en faveur de la résolution.

Néanmoins, l'émancipation des alliés des Etats-Unis dans la phase diplomatique de la crise irakienne évoque selon Bertrand Badie tout autre chose car selon lui « dans un contexte où le jeu solitaire n'apporte aucune chance de gain hors de l'alignement total sur le plus fort, le jeu multilatéral devient avantageux en étant en même temps inclusif et effectif. »122(*) Le contournement de l'ONU suppose, pour réussir, une légitimité propre soutenue par l'opinion publique internationale comme ce fut le cas lors de la guerre du Kosovo en mars 1999. Il faut aussi rappeler que l'élévation des coûts est également sensible sur le plan matériel car en prenant le risque de ne pas partager les gains, l'action unilatérale se réserve de fait la totalité des pertes. Même si l'enjeu évolue très vite, comme ce fut le cas pour l'Afghanistan ou pour l'Irak avec la mise en place d'une conférence de donateurs qui atténue les effets de l'unilatéralisme, leur résultat est généralement médiocre avec le peu d'empressement des exclus à la rejoindre. Le multilatéralisme tend à devenir le lieu d'investissement privilégié des puissances moyennes trop faibles pour triompher sur le mode unilatéral, mais trop solides pour renoncer à tout rôle international et se réfugier dans la passivité du client, les puissances moyennes font des institutions multilatérales le réceptacle privilégié de leur démonstration de force internationale.

E : La propagation de la démocratie

La stratégie de sécurité nationale de M. Bush ne concerne pas exclusivement la puissance et la sécurité au sens étroit de ces termes. Elle énonce l'engagement des Etats-Unis de répandre la démocratie dans le monde entier et d'encourager la formation « de sociétés libres et ouvertes sur tous les continents ». A ces fins, le document prévoit une vaste campagne d'information du public, « une lutte idéologique » pour aider les étrangers, notamment dans le monde musulman, à connaître et à comprendre l'Amérique. Rappelons que cette ambition américaine de propager la démocratie a été formulée pour la première fois par l'ancien conseiller de Bill Clinton Anthony Lake en 1994 et qu'elle est à géométrie variable selon qu'on est en Afrique ou au Proche-Orient où des intérêts énergétiques sont bien visibles. Cet état de fait en plus du faible intérêt des médias américains pour le génocide rwandais explique, selon Thomas Lindemann l'absence de réaction américaine face à la catastrophe rwandaise en 1994.123(*)

Cet engagement reflète des thèmes profondément ancrés dans la grande stratégie américaine et s'inscrit dans le droit fil des idées américaines en politique étrangère. En particulier, l'idée que l'exercice de la puissance américaine va de pair avec la promotion des principes démocratiques se retrouve dans les déclarations de politique des présidents des Etats-Unis depuis Woodrow Wilson jusqu'à John Kennedy, Ronald Reagan et Bill Clinton. Cet amalgame de valeurs est l'expression à la fois d'une croyance en la démocratie et en la liberté en tant qu'idéaux universels (« Les Etats-Unis, lit-on dans le document, doivent défendre la liberté et la justice parce que ces principes sont justes et vrais pour tous les gens en tous les lieux »), et celle d'un jugement selon lequel la propagation de ces principes à l'étranger bénéficie non seulement aux populations d'autres pays mais renforce également la sécurité nationale des Etats-Unis en réduisant les risques de conflit entre les nations.

La stratégie de sécurité nationale de M. Bush exprime l'engagement des Etats-Unis de « s'employer à porter l'espoir de la démocratie, du développement, de l'économie de marché et du libre échange aux quatre coins du monde ». Cet objectif est motivé par la conviction que la cause fondamentale du terrorisme de groupes islamiques radicaux est l'absence de démocratie, la fréquence de l'autoritarisme et le manque de liberté et de possibilités dans le monde arabe. Cette idée avait été rejetée dans le passé comme relevant de la rhétorique politique. Mais après le 11 septembre les Nations Unies dans leur rapport sur le développement humain ont identifié le problème et lancé un appel à la mise en oeuvre de mesures d'expansion des institutions démocratiques et du respect des libertés humaines fondamentales dans le Moyen-Orient musulman.

* 96 Madeleine Albright, « Madame le Secrétaire... » op cit p 394

* 97 Stratégie nationale de sécurité des Etats-Unis d'Amérique

* 98 Ghassan Salamé, Quand l'Amérique refait le monde, Fayard, Paris, 2005, 568 p

* 99 Ibid.

* 100 « What does disarmament look like », allocution prononcée devant le Council on Foreign Relations, New York, 23 janvier 2003

* 101 Gary Schmitt, « La stratégie de sécurité nationale de l'administration Bush » in Les Etats-Unis aujourd'hui, Choc et changement, Odile jacob, Paris, 2004 p 280

* 102 Dario Battistella, « « Liberté en Irak » ou ... » op cit p 70

* 103 Saïdar Bédar « La préemption conforme à la globalisation » Le Débat Stratégique n° 65 novembre 2002

* 104 Bernard Adam, « Unilatéralisme et militarisme », note d'analyse du Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité (GRIP)

* 105 Pierre Hassner, Justin Vaïsse Les Etats-Unis et le monde p 75

* 106 Cité par Adam opcit.

* 107 Laurent Cohen Tannugi, Les sentinelles de la liberté, l'Europe et l'Amérique au seuil du XXè siècle, Odile Jacob, Paris, 2001, 225 p

* 108 Henry Kissinger, « Ce que je ferai » opcit

* 109 Jack Spencer, « Why Preemption is necessary » www.heritage.org

* 110 Paul Marie de La Gorce, « Washington et la maîtrise du monde », Le Monde diplomatique, avril 1992

* 111 Déclaration devant la commission de la défense du Sénat, le 21février 1991

* 112 Robert Tucker et Frederick Hendrickson, « The Imperial Temptation », Council on Foreign Relations, New York, 1992, pp 9-10

* 113 La stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis : une ère nouvelle http://usinfo.state.gov/journals/journals.htm.fr

* 114 Keir Lieber, La stratégie de sécurité nationale du président Bush http://usinfo.state.gov:journals:itps/1202/ijpf/frtoc.htm

* 115 Ghassan Salamé, Quand l'Amérique refait le monde opcit

* 116 Ibid.

* 117 Michael Parenti L'horreur impériale, les Etats-Unis et l'hégémonie mondiale, Ed Aden, Bruxelles, 2004, 243p

* 118 Ghassan Salamé, Quand l'Amérique....opcit

* 119 Robert Lieber professeur de gestion publique et de politique étrangère, université de Georgetown http://usinfo.state.gov/journals:itps/1202/ijpf/frtoc.htm

* 120 Richard Armitage, « La place de la coopération internationale dans la stratégie de sécurité nationale » http://usinfo.state.gov/français/homepage.htm

* 121 Bertrand Badie, L'impuissance de la puissance, Fayard, Paris, 2004, p 243

* 122 Bertrand Badie, L'impuissance de la puissance, Essai sur les nouvelles relations internationales, Fayard, Paris, 2004, p 227

* 123 Thomas Lindemann, « Les guerres américaines.... » op cit p 45-47

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle