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L'activité culinaire des étudiants étrangers

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par Frédérique Giraud
Ens-Lsh - Master 1 de Sociologie 2006
  

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Chapitre trois

Les recettes de l'enquête

I. Problèmes méthodologiques de l'étude des pratiques alimentaires

L'étude des pratiques alimentaires pose deux types de problèmes méthodologiques : comment et par quels moyens entrer dans « l'espace social alimentaire » des mangeurs? J-P Poulain76 relève trois types de problèmes méthodologiques dans l'étude des phénomènes alimentaires.

Le premier est relatif à la nature des données sur lesquelles travaille le chercheur. Quels types de données collecter ? Le chercheur a-t-il accès à ce que font réellement les individus ? Ou à ce qu'ils disent faire ? À leurs opinons, leurs attitudes, leurs valeurs par rapport à l'alimentation en général ou par rapport à certains produits alimentaires?

Ces données sont toutes intéressantes et permettent de conduire des analyses sociologiques mais elles ne rendent pas compte du même niveau de la réalité du fait social alimentaire. Il convient donc d'être attentif au statut des variables utilisées. Par l'intermédiaire d'un entretien, on a accès à des données de représentations sur les pratiques et non pas aux pratiques elles-mêmes.

Le second problème tient à la diversité des méthodes de collecte de données, toutes ne permettent pas d'obtenir des données de la même qualité. On peut récolter des données comportementales en observant des mangeurs et/ou leur demander de rapporter ce qu'ils ont mangé.

La situation d'observation permet de jouer sur ces deux tableaux et d'obtenir les deux types de données. En effet, une situation d'observation participante permet au chercheur d'observer l'ensemble des pratiques sans que l'enquêté ne sache vraiment ce qui est observé.

J-P Poulain distingue quatre voies d'entrées différentes dans les pratiques alimentaires : les disponibilités d'aliment à l'échelle des états, les achats alimentaires analysables par catégories sociales, les pratiques domestiques d'achat, de préparation et de consommation, et enfin les consommations individuelles. Ces niveaux correspondent à des focales, à des échelles de lecture complémentaires du phénomène alimentaire.

1) L'entrée par les achats

L'entrée par les achats permet de saisir des données factuelles correspondant à des comportements d'achats réels, soit observés de façon directe (panier de la ménagère (Herpin 1984), soit objectivés à travers des variables macro ou micro économiques (d'une filière, volume de vente d'un magasin,...) Ces données sont dans les études menées au niveau national croisées avec des données sociologiques : sexe, âge, PCS..., attitudes, opinions, normes, valeurs, ou selon les cadres théoriques, des variables d'intégration comme « l'habitus », « le mode de vie », « le style de vie », ou encore « les logiques d'action ».

Jean-Pierre Poulain distingue deux points aveugles de l'entrée dans la consommation par le biais des achats : la part dans les achats qui est consommée par d'autres et celle qui est jetée et le phénomène d'autoconsommation. Le second point ne nous concerne pas directement sous cette forme là. Par l'intermédiaire des dons et des colis reçus par nos enquêtés lors de leur

76 J-P Poulain, « Les outils disponibles », in Première partie, Comment étudier les phénomènes alimentaires ?, Manger aujourd'hui. Attitudes, normes et pratiques, Privat, Toulouse, 2001, 39-58

séjour en France, on assistait à la mise en place de cette situation d'autoconsommation. Toutefois dans la mesure où il ne s'agit pas pour nous de mesurer des pratiques d'achats, cette pratique ne constitue pas pour nous un point aveugle de l'analyse.

La situation d'observation dans laquelle je me trouvais me permettait d'éviter le premier écueil moyennant une vigilance et un « contrôle » quotidien.

Lorsqu'on regarde les achats, on ne peut saisir la part dans les achats qui est consommée par d'autres et celle qui est jetée. Il donne l'exemple des plus de 65 ans qui apparaissent comme sur-consommateurs de fraises. Seule une approche un peu plus fine montre que s'ils achètent plus de fraises que d'autres tranches d'âge, ce n'est pas forcément pour leur consommation personnelle : les fraises en question se transforment en effet souvent en confitures offertes aux enfants ou jouent les desserts lors de la visite des petits enfants.

De même l'analyse des flux économiques montre que l'on consomme aujourd'hui beaucoup moins de pain qu'il y a dix ans. Or l'approche par les achats masque l'ampleur du phénomène, notamment la part du pain jeté à la poubelle.

Il conclut que l'étude des restes peut constituer un lieu de lecture privilégié de la valeur symbolique des aliments, et doit être considéré comme une démarche nécessaire à l'objectivation des pratiques.

Nous avons pris connaissance des achats par deux moyens : tout d'abord nous avons demandé à tous nos enquêtés de conserver pour nous les tickets de caisse correspondant aux achats alimentaires et de nous les confier lors d'une entrevue ultérieure, ou de les glisser dans notre boîte aux lettres. Et par ailleurs, nous demandions lors de l'entretien une liste exhaustive des produits achetés lors des commissions. Dans notre perspective, nous demandions une analyse plus poussée de ces achats, puisqu'il nous fallait savoir dans quel type d'interface les produits étaient achetés (magasin alimentaire « normal » supermarché français ou épicerie spécialisée dans la fourniture de produits d'un pays d'origine).

Grâce à la demande des tickets de caisse nous avons pu récupérer sur plusieurs mois un ensemble de tickets de caisse de trois de nos enquêtés. En réalité seuls nos colocataires ont bien voulu faire l'effort de garder ces tickets. Mais leur utilisation est difficile.

Il peut paraître simpliste mais utile de rappeler que la liste des achats d'une personne ne saurait nous renseigner sur l'utilisation qui est faite de ces denrées, sur leur consommation réelle, c'est à dire sur les pratiques de transformation, de consommation des produits alimentaires, qui nous interpellaient particulièrement dans notre démarche de recherche

Il est vrai que notre situation d'observation participante nous a permis d'une certaine manière de contourner cet obstacle. En effet, nous avons pu observer dans le temps la manière dont étaient consommés, utilisés les produits achetés. Il s'agissait en quelque sorte de surveiller quotidiennement l'évolution des stocks de la personne et de la rapporter à la liste d'achats.

Un rapport de fréquence d'achats pouvait être établi, l'observation des différences dans la consommation. Elle fut facilitée par le fait que nos colocataires s'étaient en quelque sorte pris au jeu, et paraissaient toujours très heureux de m'apporter les tickets de caisse, dès leur retour du supermarché.

De plus, mon colocataire italien me faisait régulièrement « visiter » ses stocks : il ouvrait le réfrigérateur, son placard me montrant et me commentant les produits nouvellement achetés, leur qualité supposée en comparaison des produits du pays d'origine, puis après la consommation leur qualité réelle. Il m'indiquait très fidèlement les produits jugés bons, très bons ou mauvais en comparaison des produits italiens achetés en Italie ou produits par ses parents.

L'approche des achats par l'entretien recouvre elle des difficultés : la liste des produits achetés a toujours été difficile à établir pour les enquêtés et il fallait insister pour qu'ils la continuent sans se mettre à commenter la qualité des produits achetés. Par ailleurs, la plupart des enquêtés n'arrivaient pas à se souvenir de toutes les occurrences des achats.

On retrouve ici un problème général lié aux données déclaratives (ce que les interviewés prétendent faire). Se pose alors le problème de la nature, du statut et de la cohérence entre ce que l'on prétend faire et ce que l'on fait réellement.

Là encore, la situation d'observation participante par la biais de la colocation m'offrait un point de vue privilégié : je pouvais avec mes enquêtés établir une liste exhaustive des achats. Cette partie de l'entretien se déroulait debout la tête dans les placards ou le frigo. J'avais accès à une vision objective des stocks de produits alimentaires.

Dans l'idéal cette démarche aurait pu être reproduite lors de chacun des entretiens77, si j 'avais pu les réaliser dans les cuisines de mes enquêtés. Cela n'a pas toujours été possible, certains de mes enquêtés n'ayant accepté l'entretien que s'il se déroulait à mon domicile. Dans les autres cas, j 'ai pu accéder à chaque fois, sous le regard quelque peu amusé des enquêtés à ma demande de voir et éventuellement de toucher les produits. J'ai pris lorsque la situation le permettait des photos des produits, mais celles-ci ne s'avèrent pas utiles dans l'explicitation des pratiques.

En effet, la seule entrée par les achats ne permet pas véritablement de comprendre les logiques alimentaires. Reproduire une vision objective des achats effectués, les lister n'offre pas dans la perspective de recherche qui est la notre d'intérêt majeur. Nous étions en effet davantage concerné par les pratiques de transformation des produits, par l'acte pratique de nos enquêtés sur ces produits.

Reconstruire la logique de l'approvisionnement nous intéressait également mais nécessitait d'aller plus loin que la seule collecte d'une liste d'achats. C'est pourquoi les tickets de caisse récoltés ne furent pas d'une grande utilité.

Il nous fallait faire parler les enquêtés à partir du ticket de caisse ou des produits eux-mêmes. Notons que les enquêtés étaient plus prolixes lorsque nous avions devant les yeux les produits. Nous avons pensé, mais trop tard pour le réaliser lors de nos entretiens, qu'il aurait été utile de demander à nos enquêtés, lors de la prise de rendez-vous, de conserver dans la perspective de l'entretien quelques tickets de caisse. Cela nous aurait peut-être permis plus facilement d'établir l'entretien sur la base de l'évocation de pratiques concrètes.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille