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L'activité culinaire des étudiants étrangers

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par Frédérique Giraud
Ens-Lsh - Master 1 de Sociologie 2006
  

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3) « L'effet Nouvel-an » comme illustration du rôle déterminant du contexte154 dans le déroulement des pratiques

A partir du Nouvel-an chinois, nous avons pu observer chez Shumeï une variation du registre de ses pratiques alimentaires. Des plats nouveaux et récurrents ont pris place dans son style alimentaire, surtout une préparation typiquement chinoise la soupe de riz est apparue.

153 Bouly de Lesdain, Sophie, « Alimentation et migration », Alimentations contemporaines. L'Harmattan, Paris, 2002

154 Si l'on garde les termes de J-P Corbeau, on parlerait de situation. D'après Le Petit Robert, une situation est le fait d'être en un lieu; manière dont une chose est disposée, située ou orientée. Le contexte est défini comme l'ensemble des circonstances dans lesquelles s'insère un fait. Le terme contexte permet de mettre le doigt sur une pluralité de circonstances, ce qui correspond mieux à la richesse de la réalité sociale.

Comme nous l'avons déjà indiqué, la célébration du Nouvel-an a été l'occasion pour elle de rencontrer beaucoup plus souvent des étudiants chinois. C'est aussi le moment où deux de nos colocataires (Giovanni et un français) sont partis, de sorte que Shumeï s'est retrouvée brusquement solitaire. Si pendant quatre mois elle avait partagé tous ses repas du soir avec ses deux colocataires, et faisait la cuisine à tour de rôle pour trois personnes, avec leur départ, elle se trouvait à nouveau devant la nécessité de faire à manger pour elle seule.

Gwenaël Larmet155 définit la sociabilité alimentaire comme « la propension à partager des consommations alimentaires avec des personnes extérieures au ménage, autrement dit des repas avec des tiers. » A partir de cette définition, on peut proposer l'hypothèse selon laquelle la forme de la sociabilité alimentaire de Shumeï a évolué du fait de la modification du contexte de vie, ayant « perdu » ses colocataires, elle se tourne vers ses amis chinois, et modifie ses pratiques culinaires en retour. Le contexte joue de deux façons : à la fois il met en veille les dispositions qu'elle a acquis à cuisiner pour trois, à cuisiner des plats sino-français, et dans un second temps il réactive sous l'effet du Nouvel-an l'envie et le besoin de manger chinois. La perte de ses colocataires lui fait ressentir plus que d'habitude la nostalgie par rapport à la Chine et à sa famille156. C'est pourquoi cuisiner à nouveau « des choses chinoises » selon son expression permet de combler le manque et le vide affectif.

Quelles sont les distinctions que nous faisons entre les plats que nous qualifions de sinofrançais et les plats typiquement chinois ?

Il faut savoir que ces appréciations par rapport aux préparations de Shumeï sont subjectives, elles résultent d'observations répétées, quotidiennes et des commentaires que Shumeï faisait sur ses pratiques, sur les qualifications de sa cuisine.

Nous avons déjà signalé que les étrangers ont tendance à classer d'eux-mêmes leurs pratiques culinaires selon qu'elles se rapprochent plus ou moins de ce qu'ils avaient l'habitude de consommer dans leur pays. On peut affirmer que leurs pratiques sont hiérarchisées des plus typiques aux moins typiques, la situation de référence étant le registre culinaire du pays d'origine. Par rapport à cette situation de référence les autres pratiques sont toujours endessous.

Les plats sino-français sont ceux que Shumeï dénigre comme non typiquement chinois. Ils sont composés d'éléments souvent utilisés en Chine comme le riz, l'oeuf, les champignons, les aubergines, les courgettes mais ils sont mélangés de telle sorte qu'on s'éloigne des recettes chinoises ou alors il manque un élément que l'on remplace par un autre. Si en Chine, tous les mets sont séparés et préparés à part, Shumeï pour une question pratique les prépare tous ensemble. « Je suis seule c 'est pas pratique, et puis ça fait beaucoup de vaisselle, il faut trois poêles, normalement en Chine, tu mélanges pas comme ça, mais moi je le fais »

« Oui parce que moi je mange seule comme ça je fais que quelque viande, des mélanges,

d 'une manière pratique, c 'est pas très chinois. Le plat chinois en général, euh à Shanghai on fait seulement les légumes, jamais avec c 'est séparé comme ça »

D'autres plats semblent eux dès leur appellation chinois, en plus de détails tels la touche finale qui consiste à ajouter du glutamate ou de la poudre Ve Tsin. Lorsque Shumeï réalise une fondue chinoise, une soupe de riz, ou des soupes diverses tofu-épinard-champignons noirs... on se situe d'emblée dans un registre alimentaire chinois. La qualification « chinois » résulte du fait que cette pratique n'apparaît que chez des chinois, ce sont des plats ou des mélanges dont nous Français n'avons pas l'habitude. Deuxièmement, la présence d'aliments très

155 Larmet, Gwenaël, « La sociabilité alimentaire s'accroît », Economie et Statistique, N°352-353, 2002

156 Le fait que cette période de l'année soit aussi celle du Nouvel-an fait qu'elle éprouve de la nostalgie, parce que l'année d'avant elle était rentrée dans sa famille.

spécifiquement chinois comme les champignons noirs, les algues, les vermicelles de soja, les pâtes somen, les pâtes de curry ou les sauces d'accompagnement chinoises achetées dans un supermarché asiatiques donnent un autre style aux pratiques alimentaires. Certains plats comme les soupes de vermicelles ou la présence d'éléments gluants oblige Shumeï à utiliser les baguettes pour les mélanger et les manger. Comme Shumeï utilise ses baguettes exclusivement pour son petit-déjeuner, le fait qu'elle les utilise pour un autre plat, le fait de le manger avec une fourchette étant plus laborieux, moins pratique, est un indice qui permet de qualifier tel ou tel plat de chinois.

A partir de la célébration du Nouvel-an chinois, nous avons pu observer une modification du contenu du registre alimentaire. On voit disparaître les plats que nous avons qualifiés de sinofrançais au profit des plats chinois qui se répètent à une très grande fréquence. Il s'agit de plus de plats chinois différents de ceux réalisés lors de la première partie de l'année, qui étaient des plats réalisés pour des amis invités français ou d'autres nationalités (principalement italien et tunisien) qui avaient une teneur festive tels que la fondue chinoise ou des plats compliqués de poulet et de légumes.

Les plats chinois réalisés ensuite le sont dans des circonstances différentes : ils le sont pour elle seule, ce sont des plats mangés en Chine quotidiennement, plutôt rustiques tels que la soupe de riz : il s'agit d'une soupe à base de riz que l'on mange avec l'eau de cuisson. D'autres variétés existent : on y ajoute des haricots rouges et des graines de soja que l'on a préalablement faits trempés, ainsi que du chou chinois. Cette soupe est consommée préférentiellement au petit déjeuner ou lors de pré-repas. On peut également consommer le bouillon seul, puis manger le riz après.

Alors que jusqu'en mars 2007, notre colocataire n'avait jamais préparé cette soupe, elle l'a alors préparé deux à trois fois par semaine de façon à en avoir pour tous les jours. Par ailleurs apparaissent dans son alimentation la cuisine du tofu, des vermicelles de soja, des nouilles cellophanes. Si Shumeï continue à cuisiner des épinards, elle les prépare différemment : tandis que pendant la première période de l'année, ils sont cuisinées avec un oeuf et des oignons ou de l'ail ou en accompagnement de poisson, par la suite, ils sont préférentiellement mangés en soupe avec du tofu ou des champignons noirs.

Comment expliquer ces modifications du régime alimentaire ? Doit-on invoquer un effet de lassitude qui pousse à modifier les pratiques alimentaires ? Certainement, mais nous faisons l'hypothèse que c'est l'environnement social, le contexte entendu dans le sens large de contexte relationnel (être seul ou en compagnie d'amis), contexte temporel (période de fête, période normale), contexte individuel (être nostalgique...) qui déterminent les pratiques. Tous les contextes ne sont pas propres à favoriser les mêmes pratiques culinaires. Cette hypothèse de travail trouve son origine dans la lecture des travaux de Bernard Lahire et plus particulièrement le chapitre « Analogie et transfert » de L 'homme pluriel157. Il existe des contextes fédérateurs qui invitent à préparer des plats plutôt chinois et des contextes plus propices à l'ouverture vers l'alimentation française. L'entourage soutient les habitudes : la vie avec des français invite à la découverte de produits culinaires français fortement présents dans les habitudes françaises, tandis que la présence d'un entourage chinois mobilise le souvenir de la Chine et des habitudes liées à l'alimentation dans ce pays. Pour saisir de façon pertinente les variations du contexte social dans lequel vivent les étudiants que nous avons interrogés, on peut repartir du triangle du manger qui nous a permis une première fois de mettre en évidence les variations possibles des situations. Le lecteur se rappelle que le triangle du manger est

157 Lahire, Bernard, « Analogie et transfert », L 'homme pluriel, , Scène III, Acte I, Hachettes Littérature, Pluriel, Paris, 2001, p117-157

constitué par : un mangeur socialement identifié, un aliment (représentations dans l'univers socioculturel) et une situation, c'est à dire le contexte social identifié où a lieu l'interaction entre le mangeur et l'aliment (type de partage, ordinaire ou festif, domicile ou hors foyer, public ou privé...) à un moment donné.

La cuisine du pays se fait lorsqu'on est en groupe avec des amis ou en famille. Maria Payen, une enquêtée d'Annie Hubert d'origine mauricienne, mange d'ordinaire poissons surgelés, escalopes à la crème, sans oublier le thon à la sauce tomate de chez elle. Mais quand elle reçoit Viana, sa nièce, elle prépare un cari de poulet aux saveurs de son pays. « Le plat de référence est utilisé par des groupes émigrés qui y retrouvent sécurité, bien-être, dans un souvenir idéal et idyllique de leur pays et de leur enfance. Cela perdure tant qu 'ils se trouvent en situation d'exclusion ou encore en processus d'intégration », conclut Annie Hubert158. Cela peut se comprendre, dans la mesure où elle prend plus de temps, demande une organisation pour l'approvisionnement et la préparation des plats sans les ustensiles toujours adéquats, coûte plus cher. L'ensemble de ces faits explique qu'on la réserve à des occasions privilégiées.

Si l'on pose cette hypothèse du rôle du contexte dans le déploiement des pratiques et dans le choix des pratiques mobilisées, du rôle de la présence de l'entourage159, on peut mieux comprendre deux faits observés. Shumeï a hébergé pendant deux semaines une amie chinoise de l'Ens de Lyon, sous notre regard avide d'informations. Pendant deux semaines, nous avons pu observer de façon plus ou moins régulière la préparation des repas du soir par les deux amies chinoises.

Le registre culinaire des mets chinois préparés était particulièrement intéressant à étudier dans la variation qu'il faisait apparaître dans les manières de faire de Shumeï. Elle qui n'aime pas selon ses dires faire la cuisine s'est attelé à la préparation de plats longs et nécessitant une grande dextérité (notamment la confection de boulettes de riz gluant aux crevettes, de soupes très compliquées, de calamars). Ces pratiques qui sortaient pour elle de l'ordinaire ne changeaient pas l'ordinaire de son amie. Celle-ci habite à la résidence de l'Ens de sciences de Lyon et partage ses repas avec les étudiants chinois de l'école. Elle nous a raconté cuisiner souvent en compagnie de ses amis, afin de pouvoir réaliser des plats compliqués. Sur le même mode que pour la préparation des raviolis, les étudiants chinois de l'Ens se rassemblent et confectionnent de grandes quantités d'un plat typique, qu'ils se partagent puis congèlent.

Ce n'est que secondés par d'autres amis chinois que les étudiants se lancent dans des préparations longues, traditionnellement préparées par la mère de famille en compagnie de ses enfants. Les amis soutiennent et encouragent des habitudes culinaires proches du pays d'origine, parce qu'on se sent épaulé, et peut-être plus légitimes lorsqu'on les prépare à plusieurs. Lorsqu'elles petit-déjeunent seules, Shumeï, son amie et Tsu Tsu Tuï mangent des oeufs pochés. Mais au cours des deux semaines où Shumeï hébergeait son amie chinoise, elles ont pris des petits déjeuners très différents de celui-ci et beaucoup plus typiquement chinois. Celui-ci se prépare la veille, parce qu'il correspond à un mini-repas : il se compose de riz et de plats de légumes comme le déjeuner. Ce petit-déjeuner est long à préparer et va produire beaucoup de vaisselle à faire. Plus convivial, plus lent, l'étudiant ne le prépare qu'en compagnie d'autres étudiants.

158 Annie Hubert, « Destins transculturels », Milles et une bouches. Cuisines et identités culturelles, Autrement, Paris, 1995

159 Lahire, Bernard, Tableaux de familles. Heurts et malheurs scolaires en milieu populaires, Seuil, Gallimard, Paris, 1995

Cette présence de l'entourage qui mobilise certains registres du système alimentaire d'un individu permet d'expliquer que les pratiques culinaires de notre colocataire diffèrent des pratiques des autres étudiants chinois observés. C'est une des premières choses sur laquelle notre colocataire a volontairement attiré notre attention. « Les autres Chinois c 'est pas pareil que moi, euh ils cuisinent vraiment typique chinois. Avec eux, je cuisine pas chinois, parce que je fais moins bien qu 'eux, je vais faire une tarte, des choses qu 'ils savent pas faire »

Elle tient à marquer sa différence avec les autres Chinois, qu'elle fréquente d'ailleurs très peu au moment de l'entretien, au risque de mentir parce que lorsqu'elle reçoit des Chinois, elle se met à cuisiner plus typique qu'usuellement. Contrairement à ce qu'elle affirme elle ne cuisine pas des choses françaises pour eux.

On peut expliquer cette attitude de prise de distance par rapport aux pratiques des autres chinois par deux faits. Shumeï est l'une des seules étudiantes chinoises à venir d'une province de la Chine campagnarde et très pauvre. D'après ce que nous avons pu apprendre lors de nos discussions, les autres étudiants chinois sont originaires de la ville, rappelons que Tsu Tsu Tuï vient de Shanghaï. Deuxièmement, venant de la campagne, Shumeï n'a pas la même origine sociale que les autres étudiants chinois ; les parents de Shumeï étaient paysans dans leur province. Ils possèdent avec d'autres Chinois un champ qu'ils cultivent ensemble. Le père de Shumeï est décédé alors qu'elle avait 12 ans ;dès 9 ans, ses parents l'ont envoyé à Shanghaï faire des études parce qu'elle était très bonne à l'école, se sacrifiant financièrement pour la réussite de leur fille aînée. Aujourd'hui en thèse, Shumeï a accompli une ascension sociale. Ce qui est notable c'est qu'elle se distancie des autres chinois, pour beaucoup fils de professeur ou de vendeurs...en se mettant en retrait « moi je sais pas cuisiner comme eux, je fais pas des choses typiques chinoises », mais en même temps, elle se distancie de sa mère, des origines paysannes d'une façon presque violente. « Mon père est déjà mort, il y a longtemps et ma mère elle a seulement 51 ans, mais elle a l 'air beaucoup plus vieille. Les cheveux sont tout gris, plein de rides, elle porte pas très jolie, elle s 'habille pour le champ. »

L'idée que Shumeï se fait de sa propre cuisine qu'elle ne trouve pas assez fine, très salée, une cuisine très simple, des choses « pas très fines, c 'est grossier » coïncide avec l'idée qu'elle se fait de sa région d'origine Shaïton province. Si elle préfère les choses de sa région, c'est ambigu parce qu'à d'autres moments elle s'en détache.

« Est-ce que quand tu as commencé à faire à manger à ton mari, est-ce que tu faisais à manger comme ta maman ou plutôt à la façon de Shanghai parce que tu habitais là-bas ?

Non, à la manière de moi-même, parce que ma mère, sa région est trop simple, je n 'aime pas beaucoup, parce que ma mère c 'est pas une femme qui aime beaucoup cuisiner, et comme ça je vais pas faire comme elle, rien du tout je crois»

Le fait qu'elle dénigre ses pratiques alimentaires, qu'elle se considère moins bonne cuisinière que ses amis chinois est liée à son origine sociale inférieure, elle reporte ses origines dans sa manière de faire la cuisine.

Avant qu'elle fréquente de façon assidue des amis chinois, Shumeï cuisinait peu de plats très typiques. Cela peut s'expliquer par son projet de poursuivre sa vie en France. Elle a entrepris des démarches pour amener son fils avec elle en France l'année prochaine, ce premier pas vers une installation en France coïncide avec sa volonté ancienne de faire sa thèse en France. Par cette mobilité géographique elle poursuit son ascension sociale.

Peut-on dire que ce souhait de vivre en France se manifeste d'une façon ou d'une autre dans ses pratiques alimentaires et culinaires ? Contrairement à d'autres étudiants chinois, elle aime

beaucoup le pain, le fromage, et consomme des produits typiques de certaines régions françaises avec la délectation et le plaisir de s'initier aux pratiques culinaires françaises. Une anecdote permet de le faire comprendre : très soucieuse d'apprendre les manières de faire françaises, elle a acheté récemment de la crème liquide pour cuisiner le poisson et délaisse la sauce au soja dont elle a l'habitude, elle est férue de la margarine aux oméga trois et du cervelas, de même que du roquefort. Elle est très ouverte aux produits français, goûte volontiers et fréquemment à la nourriture française, même si par contre elle n'aime pas manger à la cantine ce qui serait un moyen de découvrir des aliments.

Or on peut faire l'hypothèse que ces faits qui peuvent paraître anecdotiques, cette intégration progressive des produits français dans son style alimentaire quotidien est liée à sa volonté d'habiter la France. Elle est très fière de nous raconter que son fils aime lui aussi beaucoup le fromage, tandis que le reste de sa famille à qui elle en a rapporté l'été dernier n'aime pas du tout. Pourtant Theodora nous permet d'exprimer un doute quant au sens de l'incorporation des produits français dans le registre alimentaire pour l'alimentation française. Si elle n'a pas pris le soin d'apporter des provisions de son pays pour son séjour cette année, si elle n'a pas vraiment cherché de produits roumains, elle le fera si elle était amenée à rester en France. « Si je reste ici, je vais essayer quand même de trouver tout ça. De trouver des ingrédients roumains, ça c'est sûr. » C'est aussi quand le séjour dans le pays étranger est amené à se prolonger que se fait sentir avec une importance plus grande la nécessité de trouver des produits de chez soi. Si elle n'a pas amené beaucoup de produits de chez elle, c'est parce que sa vie en France est temporaire, elle n'est pas vouée à perdurer, sinon le manque serait trop important.

W Labov dans « Les motivations sociales d'un changement phonétique »160 démontre que les changements phonétiques qui témoignent d'une perte de la tradition sont distribués parmi les habitants de l'île inégalement, on les retrouve surtout chez les jeunes qui souhaitent partir de l'île. Le changement du style de la prononciation se comprend comme le symbole de leur ouverture à la nouveauté par opposition au maintien de la tradition. De même on peut faire l'hypothèse que l'intégration dans les pratiques quotidiennes de produits occidentaux, voire français participe du détachement par rapport à son pays. Comme dans l'île étudiée par Labov, le changement phonétique prend sens par rapport au groupe : lorsque tout le village est réuni on peut entendre la variation d'accent sur certaines syllabes. Le changement n'est pas tu, il peut même être accentué. Par contre en présence d'amis chinois, Shumeï change ses manières de faire : elle cuisine de façon chinoise, ne mange plus de fromage, ne fait les courses de la même manière. Ce ne sont pas du tout les mêmes produits que l'on trouve dans son frigo dans les deux périodes : lorsqu'elle vit seule, on va trouver du fromage, du pâté ou du cervelas, du camembert, des légumes, des saucisses, des yaourts aux fruits. En compagnie de son amie chinoise, elle a acheté du tofu, des légumes, des fruits.

Shumeï aime beaucoup goûter à des plats français, elle est très friande de tout ce qui est nouveau. Lorsqu'elle faisait la cuisine à tour de rôle pour deux de ses colocataires, elle a pu s'initier à d'autres saveurs. Par opposition, son amie Tsu Tsu Tuï est plus réticente par rapport aux plats français161 « J'ai essayé de manger à la cantine, pour trois ou quatre fois, mais.. je ne peux pas accepter la façon de manger là-bas », « Oui, je vais..je suis heureuse de goûter, ..seulement les plats comme ça, euh je ne je ne peux pas manger toujours, mais parfois je veux bien goûter. Et pour plusieurs j'aime bien, mais pas pour tout..[rire] » On voit que la volonté

160 Labov, William, « Les motivations sociales d'un changement phonétique », Sociolinguistique, Editions de Minuit, 1976

161 Le paragraphe suivant y est consacré.

de concéder le goût pour les plats français est tout de suite gommée par le souci de rappeler que les plats français ne font pas partie de son ordinaire.

Il semble que le rôle du contexte dans le déploiement des habitudes et des pratiques culinaires soit important et permette d'expliquer le maintien ou l'abandon de pratiques de son pays d'origine selon les contextes. La précédente analyse permettait d'expliquer l'alternance entre plusieurs types de pratiques alimentaires. Que dire des étudiants qui veulent conserver l'ensemble de leurs pratiques alimentaires en France ? Le paragraphe suivant se concentre sur deux étudiants qui sont caractérisés par leur volonté de cuisiner comme chez eux.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire