WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

( Télécharger le fichier original )
par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

5.3. La campagne législative :

Le PS insiste dès le début de la campagne sur les améliorations économiques constatées depuis quelques mois. Le retour à la croissance est le fruit d'un changement notable dans la politique économique menée par Abdou Diouf depuis la post-dévaluation. Le Président a réussi - enfin - à privatiser les principales entreprises publiques dont la mauvaise gestion, les dépenses en personnel, la faiblesse des investissements et l'absence de performances étaient dénoncés depuis une décennie par l'ensemble des rapports traitant de l'économie sénégalaise. En cédant la plupart d'entre-elles à des multinationales françaises, le Sénégal récupère de précieuses devises tout en se débarrassant d'encombrants fardeaux.

La libéralisation de l'économie est néanmoins longue et difficile - chaque rumeur de privatisation engendrant de grandes opérations syndicales ne faisant que retarder l'inévitable - au grand dam du FMI qui écrit dans un rapport rendu public par Le Soleil en août 1997 : "les administrateurs regrettent (...) qu 'au cours des trois dernières années précédentes, des retards répétés se soient produits dans la mise en oeuvre des privatisations et des réformes des entreprises publiques et du secteur de l'énergie (...) ils engagent vivement les autorités à réaliser intégralement le train des réformes structurelles prévu dans le programme afin de rehausser la crédibilité de leurs efforts d'ajustement et de renforcer la confiance des investisseurs" 142.

Ces privatisations sont accompagnées d'autres réformes : libéralisation des prix ; accroissement notable de l'assiette fiscale (+20% dès 1995, soit 11 milliards FCFA 143) ; augmentation des recettes douanières ; révision du code du travail (avec notamment l'allégement des difficultés pour les licenciements économiques après 1994) etc. Elles permettent ainsi au Sénégal de s'adapter à l'économie de marché et de bénéficier enfin des avantages de la dévaluation, à l'instar des autres pays de la zone CFA.

Outre une croissance du PIB conséquente de 5% à 6%, on constate à partir de 1998 une croissance des exportations qui passe de... -8,4 % en 1997 à 7,8 % en 1998 144 . Même si les variations climatiques ont une influence sur ces pourcentages, les réformes, réellement engagées à partir de 1997, ne sont pas étrangères à ces bons résultats. Les rentrées de liquidités permettent à l'Etat sénégalais d'investir dans des secteurs tels que le textile, l'agroalimentaire, les produits de la mer, les mines ou les nouvelles technologies 145.

Après les débuts chaotiques de la dévaluation - autour de 35% d'inflation en 1994 - l'inflation

142 "Résultats substantiels de l'économie sénégalaise : le FMI préconise d'éviter tout dérapage ", Le Soleil, 19 août 1997.

143 Elimane Fall, "Le credo de deux grands argentiers ", Jeune Afrique, n° 1833, 27 février 1996.

144 "Embellie économique au Sénégal", Le Monde, 20 juin 2000.

145 Mamadou Bah, "Au petit trot", Jeune Afrique, 15 juin 1999.

est pratiquement nulle en 1998 et le déficit budgétaire dépasse à peine les 2%. Toutefois, les importations sont encore très nombreuses et le Sénégal a bien du mal à trouver une culture d'exportation de substitution à l'arachide. Par conséquent, la balance commerciale déficitaire et la dette extérieure importante n'offrent pas la possibilité au pouvoir de faire bénéficier à la population, via le développement, des bienfaits du retour de la croissance dans le pays.

Les Sénégalais ont donc bien du mal à comprendre les dirigeants socialistes, qui expliquent durant trois semaines que le pays va mieux et qu'il est sur la bonne voie, tout en soutenant que le peuple doit encore patienter avant de pouvoir jouir du retour de la croissance. Les discours rassurants prononcés par les socialistes n'ont donc aucune influence positive en terme de popularité, puisque les dirigeants n'ont rien d'autre à proposer que le statut quo et l'attente de jours meilleurs. La reprise économique indéniable constatée au Sénégal ne profite donc absolument pas électoralement parlant au pouvoir en place.

L'opposition profite de l'incapacité socialiste à défendre son bilan économique. Djibo Kâ se présente comme le véritable héritier de Léopold Sédar Senghor - les références à Abdou Diouf ont toutes été abandonnées - et promet, à la manière de... Jacques Chirac, de vaincre la "fracture sociale" et de combattre toutes les inégalités. Il tient ainsi un discours profondément ancré à gauche, certainement motivé par son entente avec l'Alliance Jëf-Jël de Talla Sylla et l'Union pour le Socialisme et la Démocratie de Doudou Sarr. Il n'oublie cependant pas de régler quelques comptes avec Ousmane Tanor Dieng, dont il critique les pratiques et l'omnipotence. En clamant son statut de "candidat du peuple" et d'homme du changement, Kâ tente conjointement de séduire les déçus du socialisme dioufiste mais aussi les partisans d'Abdoulaye Wade.

L'attitude de l'ancien "enfant terrible du PS" ne perturbe pas outre mesure la campagne wadiste. Comme en 1993 et 1996, le chef de l'opposition multiplie les traversées de Dakar et de Thiès à bord d'une Mercedes décapotable, généralement entouré d'Ousmane Ngom et d'Idrissa Seck. Il répète inlassablement que les socialistes ne sont que des fraudeurs, des traîtres de la nation mais que la libération est proche au vu de l'implosion du parti gouvernemental. Il critique les choix politiques PS et affirme que sa présence au gouvernement a permis d'éviter au peuple des souffrances bien plus grandes qu'il ne connaît actuellement. La population est réceptive aux discours du chef de l'opposition, car contrairement à 1993, il n'apparaît pas comme un allié du pouvoir. En effet, il n'a jamais cessé au cours de ses trois ans au gouvernement de s'opposer au PS, en partenariat avec l'opposition : sur la CENI, sur le Sénat, sur les réformes du code électoral. Fort de cette légitimité, le chantre du sopi souhaite reconquérir Dakar qui l'a quelque peu boudé en 1996. Pour espérer gagner dans la capitale, Abdoulaye Wade mise sur la jeunesse. Il n'hésite pas de ce fait à diffuser des morceaux... de rap lors de ses apparitions de campagne 146.

Face à ces procédés, le PS réitère sa stratégie de 1996 pour réussir son triple objectif : gagner les élections, conserver les grands centres urbains, réduire à néant la liste dissidente de Djibo Kâ. Rassemblés autour d'Ousmane Tanor Dieng, les caciques socialistes font campagne dans leur localité. L'ancien président de l'Assemblée nationale, Daouda Sow, a par exemple pour mission de vaincre à Linguère, dans le bastion de son neveu.

Tête de liste pour ces législatives, le secrétaire national PS est secondé au cours de la campagne par la responsable des femmes socialistes, Aminata Mbengue Ndiaye. Elle apparaît

146 Le Soleil, 13 mai 1993.

dans de nombreux meeting, n'hésite pas à attaquer vigoureusement à Djibo Kâ 147 et à chanter les louanges de "Tanor" : "le véritable homme au sourire ravageur, ce n 'est pas Iba der Thiam. C'est ce jeune homme Tanor".

En mal de popularité, ce soutien ne peut lui être que bénéfique dans un climat de violence, qui retranscrit l'extrême fragilité du pouvoir socialiste. Des affrontements sanglants opposent étudiants et policiers à Saint-Louis, membres du PS et du Renouveau au nord du pays et... socialistes et socialistes à Bambey, en présence d'Ousmane Tanor Dieng 148. Toutefois, cette violence n'est rien comparée à celle qui existe en Casamance.

Les faveurs consenties aux séparatistes via la décentralisation n'ont rien changé au conflit casamançais : le front sud ne négocie pas et continue ses actions contre les non-diolas et les militaires ; l'armée, bénéficiant d'une grande liberté d'action 149, mène d'innombrables actions "punitives" ; le chef de l'Etat réaffirme le 31 décembre 1997 "sa ferme détermination à assurer la défense de l'unité nationale et de l'intégration du territoire comme l'impose la Constitution du pays". En outre, l'atout du pouvoir, l'abbé Diamacoune Senghor, n'en est plus un, car s'il multiplie les appels à la paix et au calme depuis 1993, celui-ci n'a plus un impact suffisant auprès des séparatistes de Basse-Casamance pour les résoudre à rendre les armes. Le conflit apparaît sans fin, sans paix possible. Abdoulaye Wade essaie alors de s'immiscer dans le débat casamançais.

Pour mettre fin à la violence en Casamance, le secrétaire général du PDS appelle à la construction d'un nouvel aéroport international, non plus comme il l'avait suggéré en 1996 aux alentours de Dakar, mais en région casamançaise. L'objectif du projet est de désenclaver la région, lui redonner un élan économique et faire de la Casamance un pivot entre le nord du Sénégal, la Gambie, la Guinée-Bissau et la Guinée. Dans le même ordre d'idée, "le Pape du sopi" promet en cas d'alternance la création d'une université régionale à Ziguinchor qui accueillirait des étudiants des pays frontaliers.

Par l"intermédiaires de ses propositions, Wade exprime l'idée que les problèmes en Basse - Casamance ne sont pas politiques mais sociaux et économiques et qu'il faut, via des projets, redonner un espoir aux populations qui ont déserté les alentours de Ziguinchor et aux séparatistes en guerre. Il condamne par conséquence tacitement l'option belliqueuse "choisie" par Abdou Diouf en Casamance, qu'il ne cesse de critiquer depuis le milieu des années 1980.

Face à ce projet, l'attitude socialiste est opportuniste. Dans un premier temps, le PS condamne vigoureusement les propos de Wade, les jugeant fantaisistes. Pourtant, très rapidement le parti gouvernemental reprend à son compte cette proposition pour finalement annoncer dans les colonnes du Soleil le 21 mai 1998 que les financements pour la création de l'aéroport de Tobor-Ziguinchor ont été trouvés 150 . Ce comportement isole un peu plus le PS des autres

147 Elle déclare notamment : "Kâ est un traître qui a été trahi. Il a trahi Senghor avant d'être trahi lui-même. Il est trop pressé. Il aurait pu être patient et attendre à nouveau son tour pour obtenir sa part. Il aurait du s'inspirer du cas de Moustapha Niasse. Lui, c'est un homme. Vous vous rappelez, quand M. Niasse lui a asséné le fameux coup de poing". Abdou Latif Coulibaly, Le Sénégal à l'épreuve de la démocratie ou L'histoire du PS de la naissance à nos jours, Paris Montréal, L'Harmattan, 1999.

148 "Violente campagne", Le Nouvel Afrique-Asie, juin 1998.

149 Cette "liberté" est ouvertement critiquée par Amnesty Internationale entre 1993 et 1998, qui fait état de personnes "torturées à l'électricité." L'organisation rajoute que "certains ont été battus durant des heures, alors qu 'ils étaient suspendus au plafond par une corde, d'autres ont reçu du plastique en fusion sur le corps ou ont dû ingurgiter des substances toxiques". Ces révélations poussent d'ailleurs l'Allemagne à rayer le Sénégal des respectueux des droits de l'homme, le 28 février 1996. "Amnesty International dénonce des cas de torture", Le Monde, 3 juin 1994 et "Surprise à Dakar face aux accusations de l'Allemagne", Le Soleil, 1er mars 1996.

150 "Aéroport de Tobor-Ziguinchor : le financement acquis", Le Soleil, 21 mai 1998.

partis. En effet, pour la première fois depuis 1988, les socialistes sont véritablement seuls contre tous : le PDS n'est plus un parti ambigu, il a rejoint définitivement l'opposition ; la LD/MPT est en passe de quitter le gouvernement ; l'Alliance Jëf-Jël multiplie les attaques à l'encontre des pratiques tanoriennes.

Le dernier jour de campagne est l'occasion pour les deux grands partis sénégalais d'effectuer un ultime grand rassemblement. Après avoir réaffirmer sa filiation avec Abdou Diouf, Ousmane Tanor Dieng déclare dans son "fief" thièssois : "dimanche, les urnes vont traduire notre majorité dans la région. Soyez les boucliers du parti dans les bureaux de vote. Restez vigilants mais calmes. Pas de bagarres ce jour-là. Soyez cependant sans peur, fermes et déterminés" 151 . Cet extrait reflète aussi bien l'état de violence qui règne au cours de ce scrutin que l'important rejet que connaît le parti gouvernemental à travers tout le pays. A présent, voter socialiste peut s'avérer être périlleux. Abdoulaye Wade préfère quant à lui insister sur la nécessité du sopi et le soutien massif qu'il a perçu durant trois semaines : "Après Rufisque, Thiès, Kébémer, Louga, Saint-Louis, Diourbel, Ziguinchor et Tambacounda, c'est le peuple sénégalais tout entier qui a décidé de se libérer".

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote