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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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5.4. Les résultats des élections législatives de 1998 :

A l'annonce des résultats du 24 mai 1998, la propagande étatique célèbre la nouvelle victoire socialiste, qu'elle qualifie d'écrasante en raison du nombre de députés obtenus : 93 sur 140. Pourtant, ce succès est étriqué, voire inexistant. En effet, sur les 3 180 857 personnes inscrites sur le fichier électoral, seules 1 234 274 se sont déplacées le jour du vote. Pis, les socialistes n'obtiennent que 612 559 voix, soit 50,19 % des suffrages exprimés et... 19,26 % du total des inscrits. La défiance du peuple à l'égard du pouvoir est irréfutable. Le faible taux de participation - 38,80 % - confirme aussi que les législatives n'ont pas le même intérêt que les présidentielles pour les Sénégalais. En fait, le PS ne doit son salut qu'à la réforme tanorienne qui a permis le retour de la parité scrutin majoritaire - scrutin proportionnel. Les socialistes ayant remporté 28 des 31 départements, ils raflent 58 des 70 sièges parlementaires mis en jeu par le scrutin majoritaire. Cependant, on constate que les socialistes remportent de multiples départements sans obtenir la majorité absolue, ce qui constitue une nouveauté par rapport aux élections précédentes 152.

Le PDS fait également un score très décevant, étant donné que la formation d'Abdoulaye Wade ne requiert que 19,11 % des voix, contre 30,20 % en 1993. Même si le parti libéral devance le PS dans les départements de Dakar et Pikine, il a perdu 88 298 électeurs en cinq ans 153 , alors que dans le même temps, le nombre de votants a augmenté de 155 551. Cette chute de l'électorat wadiste s'explique par la participation libérale au gouvernement durant trois années, le nombre de partis engagés dans ces élections (18 en 1998 ; 6 en 1993), l'absence d'intérêt de l'électorat sopi pour les législatives et l'émergence d'un nouveau pôle de contestation avec Djibo Kâ.

Le Renouveau change en effet complètement le panorama politique sénégalais. Il parvient à la fois à affaiblir le PS, le PDS mais aussi And Jëf, qui ne représente plus que 5% de l'électorat du pays, contre 11% quelques mois auparavant. L'alliance constituée autour de Djibo Kâ

151 Le Soleil, 24 mai 1998.

152 Voici les départements où le PS l'emporte sans être majoritaire : Bignona, Ziguinchor, Diourbel, Dagana, Podor, Thiès, Kolda, Velingara. Le Soleil, 1er juin 1998.

153 Paradoxalement, si le parti libéral perd des électeurs entre 1993 et 1998, le PS lui en gagne 10 388.

réus sit même à remporter un département, Linguère, fief politique de l'ancien ministre

d'Abdou Diouf. En obtenant 13,22 % des suffrages, Djibo Kâ acquiert le statut de présidentiable.

Les 15 autres partis représentent 17,48% de l'électorat, And Jëf (4,97 %) et la LD/MPT (3,94

%) étant considérés comme les chefs de file des partis dits mineurs. Avec 13 siéges dans la prochaine Assemblée nationale, ils constituent un poids politique non négligeable à quelques

mois seulement des présidentielles.

L'élection de 1998 marque donc la fin de la bipolarisation politique effective depuis 1978. Si on peut touj ours définir deux camps dans le paysage sénégalais - les pro-dioufistes et les anti-

dioufistes - le score de Djibo Kâ jette un voile sur l'identité du principal adversaire d'Abdou Diouf pour les présidentielles de 2000. Le jeu à deux Diouf-Wade se mue donc en jeu à trois

Diouf-Wade-Kâ dont l'is sue est incertaine.

L'exemple du département de Dakar reflète à merveille cette tripolarisation de la vie politique

sénégalaise. Aucune majorité absolue ne se dégage dans la capitale, en dépit de la victoire des libéraux : le PDS fait 30,19 %, le PS 29,82 % et l'Alliance Jëf-Jël 21,5 % 154 . On assiste à des

cas similaires dans les départements de Pikine et Thiès. De ce fait, les libéraux ne peuvent pas considérer que les villes leur appartiennent, comme ils l'avaient clamé en 1993, tandis que

l'ampleur du score du Renouveau met fin aux espoirs socialistes de reconquête de Dakar. Voici les résultats des élections législatives du 24 mai 1998 :

- Electeurs inscrits : 3.180.857

- Votants : 1.234.274 (soit 38,80 % de participation)

- Bulletins nuls : 13.845

- Suffrages exprimés: 1.220.429

- PS : 612 559 soit 50,19 % (93 sièges)

- PDS : 233 287 soit 19,11% (23 sièges)

- Alliance Jëf-Jël / Renouveau : 161 320 soit 13,22 % (11 sièges)

- And Jëf : 60 673 soit 4,97 % (4 sièges)

- LD/MPT : 48 097 soit 3,94 % (3 sièges)

- CDP / Garab-Gui : 24 405 soit 2,00 % (1 siège)

- FSDRJ : 16 282 soit 1,33 (1 siège)

- PDS-R : 12 928 soit 1,06 (1 siège)

- PIT : 10 764 soit 0,88 % (1 siège)

- RND : 8 171 soit 0,67 % (1 siège)

- BCG : 7 468 soit 0,61 % (1 siège)

- RPS : 4 616 soit 0,38 %

- MSU : 3 656 soit 0,30 %

- MRS : 3 597 soit 0,29 %

- PAIM : 3 439 soit 0,28 %

- RPJS : 3 397 soit 0,28 %

- ADN : 2 962 soit 0,24 %

- UDF : 2 808 soit 0,23 %

La réaction des socialistes à l'annonce des résultats démontre l'incapacité du parti

gouvernemental à se remettre en cause. Au lieu de tenter immédiatement de se rapprocher des rénovateurs et des partis de gauche et d'extrême gauche - qui forment plus de 30 % de

l'électorat sénégalais - le PS s'autocongratule et fête son "vainqueur", Ousmane Tanor Dieng.

154 Le Soleil, 28 mai 1998.

La propagande loue "son grand chelem" 155 dans la région de Thiès - il remporte le scrutin dans sa ville natale de Ngueniem, dans son département de Mbour et dans sa région de Thiès - et fustige l'attitude séparatiste de Djibo Kâ qui a fait perdre Dakar et Pikine au parti, détruisant par conséquent "l'oeuvre tanorienne" de reprise de la capitale de 1996. Pour expliquer son faible score national, le PS accuse... l'ONEL d'avoir fait preuve de trop de zèle, comme le déplore le porte-parole PS, Abdourahim Agne, dans un entretien accordé au Soleil le 2 juin 1998 : "je pense qu'il y a encore des efforts à faire du point de vue de la neutralité de certains membres de l'ONEL (...) la distinction à faire entre l'organisation et supervision n 'était pas tout à fait claire dans l'esprit de certains membres de l'ONEL" 156.

Au contraire, les partis d'opposition saluent dans leur ensemble la prestation de l'observatoire. Néanmoins, Abdoulaye Wade et les autres candidats, dont Djibo Kâ, s'insurgent des errements constatés le jour des élections. Ils dénoncent d'une seule voix "l'utilisation massive de fausses cartes d'identité, le détournement de cartes d'électeur ainsi que l'utilisation massive des moyens de l'Etat aux fins de la campagne électorale" 157.

L'ONEL confirme les critiques des opposants en dressant dans son rapport post-électoral un bilan bien peu élogieux de ce scrutin 158. On peut notamment lire que :

- Des bureaux de vote ont été dirigés par des membres de l'administration... étant sur des listes de candidats

- 10 % des bureaux de vote ont été touchés par des dysfonctionnements (sécurité, organisation, identification des électeurs etc.)

- Dans 2483 bureaux de vote sur 8467, la mise en place du matériel électoral a été tardive, il y a eu des "délocalisation de bureaux de vote", des absences de matériel, des prolongations des votes après l'heure prévue etc.

- Dans 843 bureaux de vote sur 8467, les forces de l'ordre étaient soit absentes, soit partisanes

- Dans 762 bureaux de vote sur 8467, on a noté la circulation de fausses cartes ou l'absence de cachet sur les pièces d'identité

- Dans 830 bureaux de vote sur 8467, les bourrages d'urnes, les trafics d'influence, les irrégularités de vote, les détentions de cartes et les contestations de résultats ont été manifestes

La RADDHO souligne toutefois que l'ONEL a eu véritablement un rôle de dissuasion à l'égard des fraudeurs et qu'ainsi, "malgré les dysfonctionnements, les élections se sont mieux déroulés par rapport aux précédentes" 159 . Mais sans pouvoirs punitifs, l'observatoire a montré son incapacité à sévir en cas de fraudes. Ceci amène And Jëf - qui qualifie l'ONEL de simple "juge de touche" - et les autres grands partis d'opposition à réclamer la réouverture du dossier CENI. Leurs contestations se portent aussi sur d'autres sujets.

Par exemple, Djibo Kâ remet en cause la suprématie socialiste dans le pays, au vu du très faible taux de participation : "il y a eu 3 170 000 d'inscrits ou plus. Le PS ou ce qu 'il en reste, a obtenu 612 000 voix, soit environ 1/5 de l'électorat (...) c'est une minorité qui gouverne le pays" 160 . On remarque que si la question de l'abstention est soulevée, Kâ ne le fait que pour mettre à mal son ancien parti et non pour tenter de trouver une explication plus générale, afin de ne pas remettre en cause la portée de son audience et de ne pas faire remarquer qu'il n'a été finalement choisi que par... 5,07 % des gens inscrits sur le fichier électoral. Ces critiques ont

155 Le Soleil, 26 mai 1998.

156 "Abdourahim Agne : nous sommes tout à fait satisfaits de nos résultats", Le Soleil, 2 juin 1998.

157 "Au Sénégal, des partis d'opposition contestent le résultat des élections ", Le Monde, 29 mai 1998.

158 "L'ONEL dresse l'état des lieux", Le Soleil, 18 août 1998.

159 "Les recommandations de la RADDHO", Le Soleil, 1er juin 1998.

160 Le Soleil, 2 juin 1998.

donc pour but non pas de servir l'intérêt général mais un intérêt particulier.

On note le même genre de comportement de la part de Landing Savané lorsqu'il condamne les violences en Casamance, qui ont fait huit morts le jour du scrutin. Il évoque notamment des "bombardements systématiques, aériens et terrestres, sur les populations" de la communauté rurale de Dibidione par l'armée sénégalaise. Il dénombre, selon ses propres sources, 2 morts et 19 blessés 161 . Il relate ce fait non pas pour déplorer la situation de guerre en Casamance et apporter des solutions mais pour affirmer que les socialistes ont fait bombarder le village uniquement dans le but... d'empêcher les 8 727 électeurs de la commune de voter pour son parti.

Les différentes formations d'opposition essaient ainsi de mettre en avant leur propre cas sans se soucier véritablement des intérêts supérieurs de la nation. Ils sont néanmoins tous d'accord sur l'origine des différents problèmes : le PS. C'est pourquoi ils adoptent rapidement une position commune. De multiples facteurs encouragent une unification de l'opposition : la proximité du scrutin de 2000, une vingtaine de mois, qui favorise une alliance à moyen terme; le faible score du PS, qui laisse entrevoir la possibilité d'un second tour aux présidentielles ; la détérioration des relations PS-PDS-LD/MPT depuis 1995, qui rend impossible une quelconque reconduction du gouvernement d'union nationale ; la volonté d'une très large part de l'opposition d'en finir avec un parti et des procédés en place depuis le début des années 1950 ; l'arrivée de Djibo Kâ dans l'opposition, qui affaiblit la prédominance wadiste et pousse le chantre du sopi à être plus consensuel.

Au lendemain du 24 mai 1998, le PS ne perçoit pas la constitution d'un front d'opposition uni. Par conséquent, Ousmane Tanor Dieng s'aventure à proposer la formation d'un nouveau gouvernement à majorité présidentielle élargie. Ce à quoi répond Abdoulaye Wade : "nous nous sommes aperçus à la lumière de ce qui s'est passé aujourd'hui qu'il vaut bien mieux lutter pour l'éradication du PS de ce pays que de nous battre sur la question de savoir s'il fallait aller au gouvernement ou pas !" 162.

Le PS se heurte donc après mai 1998 à une opposition soudée. Le Renouveau, qui est devenu une réalité grâce à sa troisième place aux législatives, décide après les élections de se couper définitivement des socialistes et de rejoindre le camp des anti-dioufistes. Un camp auquel appartient maintenant sans ambiguïté Abdoulaye Wade, qui après avoir longtemps collaboré avec le chef de l'Etat, n'a plus qu'une seule idée en tête : faire chuter Abdou Diouf.

161 "Landing Savané : le PS utilise l'armée à des fins politiques", Le Soleil, 29 mai 1998.

162 Le Soleil, 27 mai 1998.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo