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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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3. Vers une opposition unifiée et forte :

3.1. Le départ de Moustapha Niasse du Parti socialiste :

Un séisme se produit dans le paysage politique sénégalais le 16 juin 1999. Dans un texte intitulé "Je suis prêt", Moustapha Niasse annonce son intention ferme de quitter le PS et de se présenter aux futures élections présidentielles. Il dénonce dans sa déclaration la corruption, l'absence de projet de société, les fraudes électorales, la révision constitutionnelle d'août 1998 etc. Sans dévoiler leur nom, deux personnes sont visées tout au long du texte : Ousmane Tanor Dieng et Abdou Diouf. Outre leurs échecs politiques et économiques, Niasse remet en cause leur légitimité en critiquant l'instauration du dauphinat tanorien et les conditions d'arrivée au pouvoir d'Abdou Diouf en 1981 :

"j'ai toujours refusé de m'inscrire dans la dynamique d'un dauphinat, pour remplacer qui que ce soit, à la faveur de mécanismes qui se situent toujours en dehors de la morale et de l'éthique démocratique. Les peuples sont seuls habilités à choisir leurs dirigeants conformément à la volonté divine et au droit (...) J'ai toujours considéré

30 On note cette volonté dans une déclaration de Landing Savané faite en France : "nous sommes venu afin de protester contre l'utilisation de cette invitation. C'est comme si on voulait faire passer Abdou Diouf pour le candidat de la France aux élections présidentielles de l'an 2000. Le Sénégal n'est pas du tout la vitrine de la démocratie en Afrique, comme on veut le faire croire aux français".

31 "Campagne de dénigrement de l'opposition : le gouvernement dénonce la diversion", Le Soleil, 7 octobre 1998.

32 "La proposition de Wade rejeté par la classe politique", Le Soleil, 26 octobre 1998.

que toute forme de succession à la tête de l'Etat, qui exclurait, directement ou indirectement. Les procédures du suffrage universel, est totalement condamnable. Le jour où les Sénégalais et leurs dirigeants auront, ensemble, des destins croisés, le pays sera sauvé."

Contrairement à Djibo Kâ, Niasse choisit donc immédiatement de rompre avec le chef de l'Etat en ne le dissociant pas des procédés tanoriens. Il ne se reconnaît plus en Diouf et ne demande pas son arbitrage, le sachant partisan. Il faut dire qu'Abdou Diouf n'a jamais réellement soutenu son ancien ministre d'Etat. En 1981, Habib Thiam est nommé à la surprise générale à la Primature, en lieu et place de Niasse. En 1983, Niasse devient Premier ministre, non pas pour diriger le gouvernement mais... pour supprimer la fonction. Puis l'ancien directeur de cabinet du Président Senghor connaît une longue traversée du désert, suite à un coup de poing asséné à Djibo Kâ en pleine réunion du bureau politique PS. Durant presque une décennie, de 1984 à 1993, Niasse disparaît des médias d'Etat et du monde politique sénégalais. L'homme change, prend position pour une rénovation des procédés socialistes 33 et surtout acquiert un nouveau statut économique grâce à la réussite de ses affaires. A son retour au premier plan, ses discours se veulent plus modérés, portés sur la déontologie, la démocratie ou la religion. Il se distingue des autres dirigeants socialistes en encourageant une participation plus marquée de l'opposition dans la vie politique. Il en vient à s'opposer à Tanor Dieng, dont il critique les choix et les méthodes.

Niasse a les moyens de cultiver sa différence au sein du parti. C'est un homme riche, influent, lié par le sang à l'influente famille niassène de Kaolack et qui a noué des relations très étroites avec les milieux d'affaires et politiques français, saoudiens et américains. Fort de ces soutiens, il décide en 1996 de présenter sa candidature à la succession de Boutros Boutros-Ghali à la tête de l'ONU. Or, Abdou Diouf refuse de le soutenir, arguant du fait que les candidats africains sont déjà trop nombreux. Cette position présidentielle contraint le ministre des Affaires Etrangères à renoncer à ce poste pour le moins prestigieux 34. Le chef de l'Etat sénégalais vient une nouvelle fois entraver la marche en avant de l'ancien protégé de Senghor.

Niasse est humilié, d'autant plus qu'il supporte de plus en plus mal la prédominance au sein du gouvernement de Tanor Dieng, ce dernier prenant souvent en charge des dossiers normalement attribués au chef de la diplomatie sénégalaise35. Excédé, Niasse lance à l'approche des législatives une grande offensive à l'encontre de Tanor Dieng en accordant le même jour des interviews aux trois plus grands quotidiens sénégalais de l'époque : Le Soleil, Wal Fadjri et Sud quotidien 36 . Il polémique à cette occasion sur son investiture comme tête de liste PS dans son fief de Nioro. Il critique le fait que ce soit les dirigeants socialistes qui l'aient investi et non la base, de surcroît sans l'en avertir. Il remet donc en cause les habitudes dioufistes et tanoriennes de cooptation et non de consultation. Il clame à travers ces articles sa liberté au sein du PS, sa non-appartenance à un camp et son désir de voir un PS pluriel. Il accorde ainsi un soutien implicite à la cause de Djibo Kâ, qui vient quelques semaines auparavant de rompre officiellement avec le PS. Pour exprimer sa pensée, il emploie des mots

33 Il déclare en 1990 : "si l'on n 'a pas pu changer le parti de l'intérieur depuis dix ans, il faut envisager sérieusement de créer un nouveau parti qui intégrerait l'expérience et les acquis historiques du PS et qui s 'adapterait mieux au contexte actuel et aux mutations indispensables de la société sénégalaise ". MomarCoumba Diop et Mamadou Diouf, Le Sénégal sous Abdou Diouf. Etat et société, pp.384, Dakar, Codesria, Paris, Karthala, 1990.

34 "Le Sénégal ne déposera pas la candidature de Niasse", Le Soleil, 11 décembre 1996.

35 C'est notamment le cas au sujet des relations sénégalo-bissau-guinéenne. "Dieng coiffe Niasse", Lettre du continent, 15 février 1996.

36 Abdou Latif Coulibaly, Le Sénégal à l'épreuve de la démocratie ou L 'histoire du PS de la naissance à nos jours, pp.161, Paris Montréal, L'Harmattan, 1999.

relativement durs à l'encontre des hauts dirigeants socialistes : "un parti ne peut pas être une

armée, où les généraux doivent commander et les hommes de troupe doivent se mettre au garde à vous, agir avant de réfléchir" 37.

On comprend mieux pourquoi Niasse quitte le gouvernement lorsque Tanor Dieng obtient

pratiquement les pleins pouvoirs après la nomination de Lamine Loum à la Primature. Comme il l'a fait avec Djibo Kâ, Abdou Diouf a donc pertinemment sacrifié l'un des hommes

les plus populaires du PS pour renforcer la position de son "dauphin", au risque de voir une nouvelle scission s'opérer au sein de sa formation. Il n'a pas conscience du danger que

représente Niasse, d'autant plus que durant les premiers mois suivants son départ du gouvernemental, l'ancien Premier ministre se fait relativement discret, conduisant des

missions pour l'Organisation Internationale de la Francophonie au Togo et pour l'ONU dans la région des Grands Lacs. Cependant, en coulisse, Moustapha Niasse tâte le terrain, attend des

signaux favorables.

Jeune Afrique démontre une nouvelle fois son influence sur la politique sénégalaise suite à un entretien accordé par Mgr Hyacinthe Thiandoum à l'hebdomadaire. Même si les catholiques

représentent à peine 5 % de la population du pays, leurs oeuvres caritatives et la bonne entente du clergé catholique avec les confréries mourides et tidjanes offrent à l'archevêque de Dakar

un poids moral et politique assez conséquent. Sa parole est respectée et très attentivement écoutée. D'autant plus que lors de l'entretien, il se présente comme un ami de Diouf et du régime PS 38. Son avis sur la lutte Tanor Dieng-Kâ-Niasse intéresse donc obligatoirement "les

belligérants". Mgr Hyacinthe Thiandoum estime ainsi que Djibo Kâ a eu tort de se couper du

parti tandis qu'il déclare simplement au sujet du premier secrétaire PS : "je ne le connais pas ". Cette déclaration affaiblie l'homme de confiance du Président, puisque cet aveu reflète son

absence de légitimité. Au contraire, l'archevêque dresse un portrait élogieux de Moustapha Niasse et regrette son effacement politique depuis son départ du ministère des Affaires

Etrangères :

"moi, j'attendais comme successeur Moustapha Niasse. Jusqu'à maintenant, il a gardé le silence, et il a eu raison. Mais le moment va venir où il faudra qu'on sache où il se situe sur l'échiquier politique. Il lui faut se positionner dès à présent pour l'avenir, quand Diouf va se retirer. S'il ne m'appelle pas, c'est moi qui vais lui téléphoner, pour le sonder. Pour moi, c 'est le candidat idéal : intelligent, formé par Senghor. Il connaît le pays, il est l'ami des Arabes et affiche une grande ouverture d'esprit à l'égard du christianisme." 39.

Cet article représente un véritable "appel du pied". Il est pris comme tel par Moustapha Niasse. Après mars 1999, il prépare méticuleusement une entrée en scène qui n'a pour seul but

que de conquérir le palais présidentiel. Il l'indique clairement dans son message du 16 juin 1999 : "des ruptures sont parfois nécessaires quand vient le temps du destin. Je suis prêt. Je

les accepte. Pour toutes ces raisons, la voie dans laquelle j 'ai décidé de m 'engager dans les semaines à venir s 'inscrit dans la durée et se situe au niveau le plus élevé du sacrifice pour

l'intérêt de tout un peuple pour les échéances immédiates et les échéances à venir".

Son objectif est donc de renverser le Président Diouf pour mettre en place une nouvelle politique démocratique, économique et sociale. Il esquisse les grandes lignes de son

programme dans son discours de rupture, qui s'articule autour de la limitation des mandats

37 "Moustapha Niasse : ce sont les populations de Nioro qui m'ont investi", Le Soleil, 26 mars 1998.

38 Ce soutien est explicite : à la question "en tant que simple électeur, voteriez-vous Wade ou Diouf ? ", il répond "mon coeur n'a pas la moindre hésitation : Abdou Diouf". Valérie Thorin, "Les vérités d'un cardinal", Jeune Afrique, 9 mars 1999.

39 Valérie Thorin, "Les vérités d'un cardinal", Jeune Afrique, 9 mars 1999.

présidentiels (deux de cinq ans) 40, la lutte contre la corruption, la revalorisation de l'environnement scolaire et universitaire, l'allégement de la fiscalité et la relance du secteur agricole et privé. Il désire aussi mettre fin à la dépendance du Sénégal vis-à-vis des aides extérieures - "l'aide ne fait pas le développement. Nulle part au monde, aucun pays ne s'est développé sur la base de l'aide" - tare qui est l'une des principales critiques des observateurs internationaux à l'égard de la politique économique dioufiste. A 61 ans, Moustapha Niasse s'engage selon ses propres termes à combattre la mafia socialiste. Sa réputation d'homme moral, rassurant, vertueux et incorruptible apporte de la crédibilité à son message 41.

Bien évidemment, suite à cet "appel du 16 juin", Moustapha Niasse est instantanément exclu du PS, même si semble-t-il de "vives discussions" ont lieu quant à la légitimité des propos de l'ancien ministre d'Etat 42. Ce retour au premier plan de Niasse n'arrange pas Djibo Kâ, puisqu'ils lorgnent vers le même électorat, se réclamant tous deux de l'héritage senghorien. Mais contrairement au secrétaire général de l'URD, Niasse a condamné très clairement les pratiques socialistes dès le milieu des années 1980. Sa rébellion vis-à-vis de ses anciens partenaires politiques apparaît donc plus sincère et moins intéressée que celle de Kâ, qui ne doit sa repentance qu'à son éviction du sommet de l'Etat. De plus, les moyens financiers de Niasse sont nettement plus importants que ceux dont dispose l'URD. Quand Niasse fonde le 18 juillet 1999 l'Alliance des Forces du Progrès (AFP) - reconnue par le pouvoir le 23 août 1999 - il occupe immédiatement le terrain et le champ médiatique sénégalais. Cette faculté fait de lui un président potentiel.

Cette candidature change considérablement les rapports de force entre le PS et l'opposition. En effet, Niasse jure dans une conférence de presse datée du 23 août 1999 qu'il y aura un second tour et que lors de celui-ci, il appuiera quoiqu'il arrive le candidat le mieux placé pour vaincre Abdou Diouf. Malgré les tentatives françaises de réconcilier Diouf et Niasse au détriment de Tanor Dieng, rien n'y fait : le fondateur de l'AFP s'est définitivement installé dans le camp anti-dioufiste. Abdoulaye Wade trouve ainsi un allié de poids mais aussi un concurrent dangereux, capable de profiter des faiblesses du camp libéral, fragilisé par son semi-échec aux législatives de 1998. C'est principalement de France que le chantre du sopi tente de rebâtir son parti et de préparer au mieux la campagne de 2000.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon