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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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3.3. Un cadre d'action, le FRTE :

Le FRTE regroupe 19 partis d'opposition. Parmi eux, on compte toutes les formations politiques majeures : le PDS, l'AFP, l'URD, And Jëf et la LD/MPT. Le but de cette organisation est de fédérer l'opposition, la faire travailler en commun pour lutter contre les trafics de cartes électorales et les trucages au niveau du fichier. Le FRTE effectue donc un travail parallèle à celui du ministère de l'Intérieur et de l'ONEL de manière à ce que le scrutin de février 2000 ne souffre d'aucune contestation et ne soit pas entaché de fraudes. Il bénéficie

49 Francis Kpatindé, "Paris-Dakar dans l'avion de Wade", Jeune Afrique, 2 novembre 1999.

50 "Retour de Wade : je suis assuré de ma victoire au premier tour", Le Soleil, 28 octobre 1999.

51 Le Soleil évoque même la polémique concernant la non retransmission télévisée du retour de Wade. "Polémique entre Wade et le président au HCA ", Le Soleil, 29 octobre 1999.

de l'expérience de Niasse et Kâ qui ont fréquenté durant de nombreuses années la "machine à

fraude socialiste ", allant même parfois jusqu'à la diriger. Le déjà vécu est particulièrement palpable dans les propos de Djibo Kâ :

"laissons de côté les querelles de clocher. Tous ceux qui travaillent au départ de Diouf doivent conjuguer leurs efforts pour que la consultation ait lieu dans de bonnes conditions. Ils feraient mieux de suivre de près la révision des listes électorales et la distribution des cartes d'électeur, de s'assurer qu'ils disposeront de représentants dans tous les bureaux de vote. Croyez-moi, c 'est à ces moments-là, propices aux fraudes et aux manipulations, qu 'une élection se gagne ou se perd." 52.

L'opposition "historique" a dorénavant une parfaite connaissance des procédés régulièrement

employés par les socialistes pour "favoriser" des scrutins à leur avantage. Le FRTE devient de ce fait un véritable organe de contrôle capable de dénoncer et d'assainir la vie politique. Djibo

Kâ et surtout Moustapha Niasse mènent la vie dure à leurs anciens collègues.

Le fondateur de l'AFP ne s'arrête pas là et ressort de vieilles affaires qui mettent à mal les discours de probité prononcés par les socialistes. Il évoque notamment un compte, dénommé

"K2", qui aurait durant les années 1970 permit à de nombreux ministres PS d'obtenir des prêts à "des taux défiants toute concurrence". Cette affaire vise à entacher l'image des "sages" du

PS auxquels rendent régulièrement hommage Ousmane Tanor Dieng et Abdou Diouf . Cette révélation entraîne une réaction immédiate du PS, qui via Le Soleil ,déplore que Niasse

"essaie de tenir l'image des anciens du comité consultatif des sages" 53. Si ces révélations sont le plus souvent rapidement laissées de coté par Niasse, elles ont le mérite d'ébranler un peu plus la maison socialiste.

Pour la première fois depuis son accession au pouvoir, Abdou Diouf se heurte à une opposition véritablement unie et solidaire. Si on note l'absence d'un candidat unique, si les

ambitions personnelles sont réelles, si les programmes divergent sur certains points, en somme si la pluralité au sein de l'opposition existe belle et bien, chaque candidat à travers le

FRTE témoigne de sa volonté de voir chuter le chef de l'Etat. L'intérêt supérieur de la nation sénégalaise n'est donc pas pour le FRTE une élection transparente et sans fraudes mais

l'éviction pure et simple - par presque tous les moyens - du Président de la République en place. Ainsi, seuls les anti-dioufistes sont admis au sein du FRTE, comme le prouve

l'exclusion de Jean-Paul Dias et de son parti après le ralliement de l'ancien ministre de l'Intégration Economique Africaine à Abdou Diouf 54.

Plus qu'une organisation de contrôle, le FRTE est un front pour l'alternance. Chacun de ses

membres prend pour habitude de diaboliser le Président en exercice et de l'opposer à son prédécesseur. Moustapha Niasse, Djibo Kâ, voire Abdoulaye Wade, soulignent la

clairvoyance et les vertus démocratiques de Senghor pour mieux insister sur les tares du régime dioufiste. Oubliées les 14 ans de prison de Mamadou Dia, oublié le parti "unifié",

oubliées les réélections à 99 % : Léopold Sédar Senghor apparaît aux dires des opposants comme le véritable père de la démocratie sénégalaise. Par conséquent, toute l'entreprise de

réhabilitation politique de Senghor menée par Abdou Diouf depuis 1988 se retourne contre lui. Le chef de l'Etat n'apparaît plus comme le prolongement de "l'oeuvre senghorienne" mais

comme le traître, celui qui a renié la "pensée du maître" via ses politiques économiques et corruptives héritées pourtant... de Senghor en personne. Cette falsification de l'histoire -

puisqu'il s'agit de cela - est facilitée par le fait que plus de la moitié de la population

52 Francis Kpatindé, "Où s'arrêtera Djibo Ka ?", Jeune Afrique, 1 juin 1999.

53 Le Soleil, 21 et 25 octobre 1999.

54 "Le FRTE : Dias attend notification", Le Soleil, 21 novembre 1999.

sénégalaise n'a jamais connu Léopold Sédar Senghor comme Président. En adoptant un discours pro-Senghor, le FRTE s'approprie une icône jusque là réservée au PS. Le prestige du Président-poète n'est donc plus l'apanage du PS mais celui de l'opposition.

Cette stratégie bénéficie à Niasse et Kâ, qui justifient leurs ruptures avec le PS. Ceci profite également à Abdoulaye Wade, qui propose de mettre fin aux années sombres d'Abdou Diouf. Le FRTE sèvre de ce fait le chef de l'Etat d'un de ses thèmes fédérateurs et le coupe d'une partie de l'électorat socialiste. Le front tente aussi, soit par Kâ-Niasse, soit par Wade, d'empêcher un ralliement clair du PS français en faveur du candidat Diouf.

Les deux anciens membres du PS vont à la rencontre de leurs homologues français, leur explique qu'à l'instar du Président de la République, ils revendiquent une filiation à Léopold Sédar Senghor et qu'il serait donc malvenu que le PS français se risque à soutenir un homme minoritaire et de surcroît adepte de procédés peu démocratiques. Les socialistes français, en dépit du fait qu'Ousmane Tanor Dieng soit depuis 1996 vice-président de l'Internationale socialiste, écoutent avec attention les arguments des anciens ministres et semblent prêts à ne pas appuyer aussi vigoureusement que par le passé le chef de l'Etat.

Abdoulaye Wade souligne également de son coté les dangers que représente une réélection dioufiste. Par l'intermédiaire d'Alain Madelin, le PDS mène une campagne de sensibilisation à l'égard des caciques du PS français 55. Cette "solidarité libérale" 56 amène le président de Démocratie Libérale à écrire en décembre 1999 personnellement à Laurent Fabius, ancien Premier ministre de François Mitterrand et président de l'Assemblée nationale française, pour dénoncer les pratiques de Diouf, qui "préparent manifestement la manipulation du prochain scrutin ". Alain Madelin rajoute à la fin de sa lettre :

"je vous demande, en tant que président de l'Assemblée nationale (...) mais aussi en votre nom propre, compte tenu des liens de M. Abdou Diouf avec les socialistes français, de bien attirer l'attention de ce dernier sur le respect de cet engagement et sur les risques qu 'il y aurait à organiser un scrutin non transparent et non démocratique" 57.

Contrairement à 1993, la précampagne électorale de l'opposition conduite en France n'a pas pour but principal de séduire l'électorat des expatriés sénégalais mais d'obtenir des soutiens explicites d'hommes politiques français.

En l'espace deux ans, les opposants ont réussit à mettre à mal le soutien français sans faille dont bénéficiait autrefois Abdou Diouf. A présent plus ou moins esseulé, le Président doit faire face à une opposition qui constitue un groupe de pression efficace, capable d'influencer le choix du président de l'ONEL, de révéler l'existence d'un double stock de cartes électorales et de jouer sur les peurs suscitées par le putsch militaire ivoirien.

55 Abdoulaye Wade ne s'oriente pas vers le RPR pour deux raisons majeures. La première est que depuis sa défaite aux législatives de 1997, le parti gaulliste a bien du mal à avoir une influence sur la vie politique française et internationale. La deuxième est que Jacques Chirac - qui demeure officieusement le chef du RPR - est un ami personnel d'Abdou Diouf, étant même le parrain de sa fille Yacine. Il parait donc vain de tenter de convaincre le RPR du danger représenté par le candidat socialiste.

56 "Solidarité libérale", Jeune Afrique, 28 décembre 1999.

57 Idem.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo