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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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6. Le départ du "Père de la nation" :

Le PDS joue son rôle d'opposant parlementaire dès 1978 en contestant la victoire de Senghor. Abdoulaye Wade s'appuie sur les irrégularités constatées pendant le scrutin, concernant notamment l'absence d'isoloir dans les bureaux de vote. Pour les mêmes raisons, il demande l'annulation d'une trentaine de mandats de députés socialistes. La Cour suprême ne donne pas suite à ces requêtes. Le passage dans l'isoloir demeure facultatif.

Senghor apparaît usé par ces querelles incessantes et désireux de retourner à ses compositions poétiques. Grâce à l'article 35, il sait qu'il peut quitter le pouvoir à tout moment. Il tient néanmoins à parfaire "sa" démocratie sénégalaise en autorisant un quatrième parti, à connotation "conservatrice" cette fois-ci. Cette volonté, votée par le Parlement le 28 décembre 1978, bénéficie au Mouvement républicain sénégalais (MRS), fondé en juillet 1977 par Boubacar Guèye, descendant de l'illustre Lamine Guèye.

L'homme de Joal est confronté à une dernière difficulté : le choix de son dauphin putatif. Si son choix s'est depuis longtemps porté sur Abdou Diouf 14 , l'émergence de son ministre de l'Economie Babacar Bâ remet en cause son idée initiale. Par l'intermédiaire de son ministère, Bâ s'est constitué une importante clientèle. En outre, il dispose d'un soutien de choix en ayant à ses cotés le neveu du Président, Adrien Senghor 15.

Son style, plus politique et moins technocratique que celui d'Abdou Diouf, séduit de nombreux

14 Abdou Diouf affirme que Léopold Sédar Senghor a songé dès 1964 à son Premier ministre pour lui succéder. Abdou Diouf : entretiens avec Philippe Sainteny, Emission livre d'or, RFI, 2005.

15 Abdou Latif Coulibaly, Le Sénégal à l'épreuve de la démocratie ou L'histoire du PS de la naissance à nos jours, pp.101, Paris Montréal, L'Harmattan, 1999.

chefs d'Etat étrangers, notamment Félix Houphouët-Boigny et Valéry Giscard D'Estaing 16. Sentant sa chance, Babacar Bâ mène une grande campagne de presse contre Abdou Diouf. Le Premier ministre est accusé d'être impliqué dans une affaire de trafic d'influence, via un prêt de l'Union Sénégalaise des Banques.

Il se forme alors un groupe de soutien à Diouf, articulé autour du trio Jean Collin - Moustapha Niasse - Djibo Kâ. Ils usent de leur influence respective auprès de Senghor pour le persuader de maintenir en place Abdou Diouf. Avec succès, puisque ce dernier reste à la Primature après les élections de 1978. Bâ est quant à lui muté aux Affaires Etrangères, de façon à l'éloigner des deniers publics. Le danger reste toutefois réel. Bâ doit être définitivement écarter de la voie successorale.

Jean Collin profite d'un "incident diplomatique" entre Diouf et Bâ 17 pour le rapporter à Senghor, alors en vacances à Verson. Le Président rentre précipitamment de Normandie et convoque le comité central du PS le 18 septembre 1978. Le trio Collin-Niasse-Kâ discréditent de nouveau Babacar Bâ au cours du rassemblement. Senghor conclut alors la réunion du comité par ces quelques mots : "Il sera procédé à un remaniement ministériel, Abdou Diouf me proposera une liste de ministres ". Babacar Bâ est renvoyé du gouvernement le lendemain. La voie présidentielle est libre pour Abdou Diouf.

La fin du règne de Senghor est passablement difficile. Le pays est placé en 1979 sous la tutelle du Fond Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale, pour faciliter la mise en oeuvre d'un plan de réajustement économique à moyen terme. De surcroît, l'agitation universitaire qui débute après des échauffourées à Ziguinchor en janvier 1980 révèle l'importance qu'a prit dans le monde enseignant le Syndicat Unique et Démocratique des Enseignants Sénégalais (SUDES), crée après l'ouverture démocratique de 1976. Sa principale revendication est la mise sur pied d'états généraux de l'éducation, de manière à aborder les différents problèmes du monde scolaire et universitaire. Le programme du syndicat insiste sur "une scolarisation totale, l'utilisation des langues nationales ainsi que la revalorisation de la fonction enseignante" 18 . L'aura de ces thèmes dans le monde étudiant souligne l'échec total de l'incorporation de la CNTS dans la machine politique socialiste.

C'est sur ces faits que le premier Président de la République se retire progressivement des affaires, déléguant au fur et à mesure de l'année 1980 ses prérogatives à son Premier ministre. Toutefois, l'entourage de Diouf, notamment Jean Collin, craint un revirement de Léopold Sédar Senghor. Pour l'éviter, Jean Collin remet au Président un rapport, "Notes sur les risques politiques dans la sphère africaine", faisant état d'un possible coup d'Etat au Sénégal "si des changements radicaux et en profondeur n 'étaient pas apportés dans la conduite des affaires du pays" 19 . Dans un contexte de multiplication des renversements politiques sanglants dans la région (Libéria, Guinée-Bissau), ces conclusions inquiètent grandement Senghor. Il hâte son

16 "A une réunion du bureau politique du Parti socialiste, Senghor n'hésite pas à rapporter tout le bien qu'un Président de la République française avait dit sur Babacar Bâ. Comme Senghor ne parle jamais gratuitement, le fait n 'était donc pas fortuit". Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp. 47, Paris, Rocher, 2001.

17 Dans son fief politique de Kaolack, Babacar Bâ refuse de serrer la main d'Abdou Diouf lors d'une visite de ce dernier. Abdou Latif Coulibaly, Le Sénégal à l'épreuve de la démocratie ou L'histoire du PS de la naissance à nos jours, pp.103, Paris Montréal, L'Harmattan, 1999.

18 François Zuccarelli, La vie politique sénégalaise (1940-1988), pp. 151, Paris, Publication du Cheam, 1988.

19 Abdou Latif Coulibaly, "Retrait programmé", Sud quotidien, 2 octobre 1996.

départ du pouvoir, prévu en novembre 1981, pour l'avancer en décembre 1980.

Jean Collin décide alors de rendre officielle la nouvelle, de manière à mettre Senghor devant le fait accompli. Il prend contact avec le journaliste du Monde Pierre Biarnès, qui publie l'information le 21 octobre 1980 sous le titre : "Le chasseur qui guette ne tousse pas" 20 . Cette révélation est confirmée le 2 décembre 1980 par un second papier, "Le Président Senghor annonce qu'il quittera le pouvoir à la fin de l'année". Ces deux articles prennent de court Senghor. Il précipite son annonce et rend officiel son départ le 4 décembre 1980 par le biais du journal gouvernemental Le Soleil. Il n'oublie pas à cette occasion de critiquer la déontologie journalistique de Pierre Biarnès : "un principe de droit nous dit : "est coupable celui a qui cela

profite". Manifestement, les indiscrétions que voila ont, d'abord, profité au journaliste du Monde et a son journal" 21.

C'est ainsi qu'en cette fin d'année 1980, Léopold Sédar Senghor se présente de manière solennelle devant le Président du Conseil constitutionnel, M. Kéba Mbaye, et lui lit ce texte très laconique, où chaque mot est doté d'un sens capital :

"Après y avoir mûrement réfléchi, j'ai décidé de me démettre de mes fonctions de Président de la République. La cour suprême est la gardienne vigilante de notre Constitution. C'est pourquoi j'ai l'honneur de remettre ma démission entre vos mains. Je vous prie d'en tirer les conséquences et de recevoir le serment de M. Abdou Diouf, l'actuel Premier ministre, qui me remplace" 22.

Le 31 décembre au soir, Léopold Sédar Senghor s'adresse une dernière fois en tant que Président de la République au peuple sénégalais, à travers une allocution radiotélévisée. Plus chaleureux que dans son message retranscrit ci-dessus, il explique tout d'abord les raisons de son départ. Il met en avant la rudesse du travail de Président, inadaptée pour un homme de 74 ans. Il se doit ainsi de passer la main à son "dauphin constitutionnel" plus jeune, doté "d'un caractère plus ferme qu'on ne le croit". Il défend ensuite le bilan de ses vingt années de pouvoir. Il affirme que les revenus du Sénégal ont triplé depuis 1960 et que le pays est devenu l'Etat d'Afrique noire francophone le plus industrialisé. Une fierté pour un progressiste tel que Senghor. D'un point de vue social, le désormais ex-Président constate avec joie que sa nation se situe en troisième position derrière la Côte d'Ivoire et le Gabon pour ce qui est du Salaire Interprofessionnel Minimum Garanti (SMIG). Enfin, il se félicite d'avoir favorisé une nette progression de la scolarisation dans le pays, les enfants scolarisés étant passés de 107 789 en 1960 à 400 000 en 1980. Le pays a donc pour lui des perspectives d'avenir, et peut compter sur des ressources en voie d'aménagement, telles que le pétrole off-shore dont l'exploitation est prévue pour 1983.

20 "La bonne source" dont il est question dans l'article est Jean Collin. Pierre Biarnès, "Le chasseur qui guette ne tousse pas", Le Monde, 21 octobre 1980.

21 Pierre Biarnès répondra quelques semaines plus tard aux "attaques" de Senghor. "Le Président Senghor nous a reçus le 28 novembre dernier, à notre demande, comme il avait coutume de le faire une ou deux fois par an depuis vingt ans. Comme à l'ordinaire, nous avons rendu compte de cet entretien. Contrairement à ce qu 'il laisse entendre aujourd'hui, pour des raisons qui lui appartiennent, le chef de l'Etat ne nous avait pas prié de faire le silence sur les intentions qu 'il nous a révélées. Au demeurant, nous avions déjà présenté sa démission comme très probable (le monde 21 octobre) sur la base d'informations qui circulaient dès cette époque dans les milieux gouvernementaux. ". Pierre Biarnès, "M.Senghor appelle ses compatriotes à faire confiance au Président Abdou Diouf", Le Monde, 2 janvier 1981.

22 Pierre Biarnès, "M.Senghor appelle ses compatriotes à faire confiance au Président Abdou Diouf", Le Monde, 2 janvier 1981.

Senghor s'est voulu pour cette dernière intervention télévisée optimiste, préférant mettre de coté les difficultés économiques causées par la crise arachidière et la hausse de la facture pétrolière.

La nouvelle de la retraite politique de Senghor crée une véritable onde de choc dans le monde. L'ensemble de la classe politique internationale salue cette décision sage, pleine de bonté de la part du "Président-poète", qui contraste avec l'attitude "despotique" de la plupart de ses homologues africains. Toutefois, ce départ est interprété par quelques observateurs comme étant la conséquence des divers troubles qui ont secoué le Sénégal depuis 1968. Il ne serait ainsi pas le fait voulu de Senghor mais une obligation causée par la "pression sociale" 23.

S'il est fort probable que celle-ci joue un rôle dans la décision de Senghor, ce retrait définitif repose plus sur des motivations personnelles, mais également - voire surtout - sur la volonté des collaborateurs d'Abdou Diouf de ne pas voir leur protégé être limité dans ses initiatives par son prédécesseur. En effet, si Senghor désire depuis longtemps mettre fin à son mandat présidentiel, il est beaucoup moins résolu à abandonner la tête du PS 24. Il faut toute la force de persuasion de ses compagnons de la première heure pour que Senghor laisse définitivement le champ libre à son successeur 25.

Le Président-poéte est âgé en 1980 de 74 ans. Il vient de consacrer plus de trente années à la vie politique. En quittant la tête de l'Etat, Léopold Sédar Senghor aspire à voir d'autres choses, à mettre en avant ses écrits et sa pensée, à acquérir un statut auquel il accédera en 1983 : celui d'immortel 26 . Les qualités intellectuelles indéniables du "chantre de la négritude" laissent croire que sa démission est le fruit d'une réflexion profonde, d'une véritable conception de la vie politique en Afrique. "Le chef" abandonne son fauteuil présidentiel de son plein grès, sans aucune volonté de le reprendre ultérieurement. De Verson, jamais - ou presque - il ne commentera l'action gouvernementale sénégalaise ou la présidence de son successeur Abdou Diouf. Le "Père de la nation sénégalaise" s'éclipse le 31 décembre 1980, pour ne plus jamais réapparaître.

23 Théorie de Christian Coulomb, défendue par Mar Fall dans l'Etat d'Abdou Diouf ou le temps des incertitudes, pp 15, Point de vue l'Harmattan, 1986.

24 Cette impression est confirmée par un extrait de l'article du Monde du 2 décembre 1980 : "le Président Senghor nous a confirmé vendredi 28 novembre (1980) au cours d'un entretien, son intention de renoncer prochainement à ses fonctions de Président de la République du Sénégal, tout en continuant à jouer pendant un temps, un rôle apparemment important au sein du PS". Pierre Biarnès, "le Président Senghor annonce qu 'il quittera le pouvoir à la fin de l'année", le Monde, 2 décembre 1980.

25 "Lorsque Senghor prit la décision de démissionner, il voulut, à un moment continuer sinon à avoir la main sur le parti, du moins à y conserver certaines positions. Cela n 'était pas raisonnable mais Abdou était très mal placé pour le dire à Senghor. Ce sont les "barons", y compris Jean Collin, qui allèrent le voir et lui expliquèrent qu 'une telle attitude serait source de conflits et de difficultés ultérieures et qu 'il falla it soit rester, soit s 'en aller totalement et donner ainsi à Abdou toutes ses chances. Senghor, devant cette position unanime de ses premiers compagnons, finit par s'incliner et se retirer". Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.62, Paris, Rocher, 2001. Foccart a sensiblement la même version : "(Senghor) Il a eu la grande sagesse (...) d'écouter ceux qui l'ont dissuadé de rester secrétaire général de son parti et ensuite, de s'abstenir d'exprimer publiquement ses critiques à l'égard des nouvelles orientations adoptées par son successeur". Jacques Foccart, Foccart parle, entretiens avec Philippe Gaillard, tome 2, pp.291, Paris, Fayard, 1997.

26 Nom accordé aux pensionnaires de l'Académie française. Il prend le 16ème fauteuil en 1983, succédant à Antoine de Lévis Mirepoix.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand