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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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Chapitre 1 : L'état de grâce d'Abdou Diouf (1981-1983)

1. La mise en place d'un gouvernement "d'attente" :

Abdou Diouf, Premier ministre depuis dix années, succède à Léopold Sédar Senghor le 1er janvier 1981. Cette date a pour avantage de permettre à Diouf de se faire accepter par la population sénégalaise avant les élections couplées de 1983. En présence du premier président de la Cour constitutionnelle, M. Kéba Mbaye, qui l'invite à "l'ouverture démocratique et (...) à la justice sociale ", il affirme au cours de son discours d'investiture, "qu 'il sera l'homme de la fidélité (à Senghor) mais qu'il sera aussi l'artisan du changement". Le lendemain, il nomme un nouveau Premier ministre.

Il choisit à la surprise générale Habib Thiam, âgé de 47 ans, qui est certainement son plus grand ami 1 . Celui-ci n'est cependant pas un inconnu, puisqu'il est considéré à l'époque comme l'un des principaux doctrinaires du PS. Tout comme Diouf, il a été formé en France, à l'Ecole nationale d'outre-mer, avant de rentrer au Sénégal en 1960. Il est nommé alors directeur du cabinet du ministre des Affaires Etrangères puis de la Justice. Un temps à la tête du secrétariat d'Etat à la présidence de la République, il est élu député UPS/ PS à partir de 1973. En 1977, Thiam est choisi pour devenir le président du groupe parlementaire socialiste à l'Assemblée nationale.

Ce choix déplait fortement à Léopold Sédar Senghor. En effet, Habib Thiam est tombé en disgrâce en 1973 sur décision du Président-poète, qui lui reproche à cette époque des manquements graves dans sa gestion du département du développement rural 2 . Avant son départ, seul Moustapha Niasse est recommandé par Senghor pour accéder à la Primature. D'ailleurs, un accord tacite semble avoir été conclu entre le Président-poète et son dauphin constitutionnel pour que le ministre des Affaires Etrangères devienne le chef du gouvernement après la passation de pouvoir 3. La nomination de Thiam est donc le premier acte d'affranchissement d'Abdou Diouf à l'égard de son prédécesseur.

Outre le fait d'avoir à ses cotés son plus fidèle ami, Abdou Diouf renforce par ce choix la position présidentielle. Moustapha Niasse, réputé frondeur et "forte tête", est nettement moins malléable qu'Habib Thiam. Or, le Président Diouf tient à avoir d'immenses prérogatives et conduire les affaires du pays. C'est ainsi qu'il décide seul la composition du nouveau gouvernement, sans consulter au préalable le Premier ministre 4.

Abdou Diouf table sur la continuité et la prudence. Il maintient une grande partie de son ancienne équipe. Il n'y a que sept entrées pour seulement quatre sorties sur vingt membres. Parmi les entrants, on compte Médoune Fall, Falilou Kane, Djibo Kâ et Oumar Velé. On note aussi que quatre ministres sont nommés ministre d'Etat. Parmi eux, on distingue deux fidèles de Senghor (Seck et Badara Mbengue), un ancien soutien de Babacar Bâ (Adrien Senghor) et un homme

1 Pour Habib Thiam, la constitution de ce binôme à la tête de l'Etat est la réalisation "d'un rêve d'adolescent". Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp. 16, Paris, Rocher, 2001.

2 Abdou Latif Coulibaly, Le Sénégal à l'épreuve de la démocratie ou L'histoire du PS de la naissance à nos jours, pp. 106, Paris Montréal, L'Harmattan, 1999.

3 Niasse est également persuadé de cette issue. "Un jour, Moustapha Niasse, alors ministre des Affaires Etrangères, sûr de sa nomination comme futur Premier ministre, m 'annonce que je serai son rempla çant. Il l'avait même dit à l'Ambassadeur de France". Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.15, Paris, Rocher, 2001

4 Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.18, Paris, Rocher, 2001.

désavoué par Abdou Diouf (Niasse). Ces titres honorifiques ont donc pour but de faire taire les rancoeurs et les critiques.

Voici ci-dessous la composition du premier gouvernement Thiam de janvier 1981 5 : - Premier ministre : Habib Thiam

- Ministre d'Etat, Ministre des Affaires Culturelles : Assane Seck

- Ministre d'Etat, Ministre de la Justice : Alioune Badara Mbengue - Ministre d'Etat, Ministre de l'Equipement : Adrien Senghor

- Ministre d'Etat, Ministre des Affaires Etrangères : Moustapha Niasse

- Ministre de l'Intérieur : Médoune Fall

- Ministre des Forces Armées : Daouda Sow

- Ministre de l'Economie et des Finances : Ousmane Seck

- Ministre de l'Enseignement Supérieur et Recherches Scientifiques : Djibril Sené - Ministre de l'Urbanisme, Habitat et Environnement : Oumar Wele

- Ministre de l'Education Nationale : Abdel Kader Fall

- Ministre déléguée auprès du Premier ministre : Caroline Diop

- Ministre du Plan et de la Coopération : Louis Alexandrenne

- Ministre du Développement Rural : Sérigne Lamine Diop

- Ministre du Développement Industriel et Artisanat : Cheikh Amidou Kane - Ministre du Commerce : Falilou Kane

- Ministre de l'Information et des Télécommunications : Djibo Kâ

- Ministre de la Santé Publique : Mamadou Diop

- Ministre de l'Action Sociale : Babacar Diagne

- Ministre de la Fonction publique, de l'Emploi et du Travail : Alioune Diagne

Quant à Jean Collin, on lui confie le poste stratégique de secrétaire de la présidence de la République. Il est désigné plus ou moins officiellement numéro deux du gouvernement Thiam, et obtient lui aussi le titre de ministre d'Etat. C'est à partir de 1981 que le cabinet du Président devient le carrefour incontournable de la politique sénégalaise. Jean Collin, l'homme de l'ombre, fait et défait les carrières au sein du PS, en cultivant le mystère autour de sa propre personne.

On sait juste qu'il est né le 19 septembre 1924 à Paris, et qu'il opte assez rapidement pour une carrière dans l'administration coloniale. D'abord au Cameroun, puis au Sénégal. En poste dans le pays lors de l'indépendance du 4 avril 1960, il est l'un des rares blancs à opter pour la nationalité sénégalaise. Sa formation française, sa rigueur et son sens de la discrétion en font très vite un homme indispensable pour Senghor. Ses origines et sa couleur de peau, l'écartant de facto d'un destin présidentiel, renforcent son image d'allié sûr et incorruptible. Ministre des Finances de 1964 à 1971, il passe ensuite dix années au ministère de l'Intérieur. Il se construit au cours de ses longues magistratures une importante clientèle et un très efficace réseau de renseignement, qu'il bonifie avec sa montée progressive dans l'organigramme PS, au même rythme qu'Abdou Diouf. Cette nomination apparaît donc comme une récompense, au vu du rôle joué par Jean Collin dans le départ "précipité" de Senghor 6.

5 Pierre Biarnès, "La plupart des ministres reconduits ", Le Monde, 4 j anvier 1981 et "Abdou Diouf va jouer l'ouverture", Jeune Afrique, n° 1045, 14 janvier 1981.

6 Cette nomination confirme qu'Habib Thiam n'a pas été consulté pour la composition de "son" gouvernement. En effet, Collin et Thiam se détestent ouvertement depuis le début des années 1970, époque durant laquelle Collin était aux Finances et Thiam au ministère du Plan. Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.45, Paris, Rocher, 2001.

En outre, le nouveau Président de la République a besoin d'avoir à ses cotés son "éminence grise" et des hommes fidèles, appartenant comme lui à la première génération des technocrates de 1970 - tels que Thiam, Niasse ou Djibo Kâ - pour mettre en place une véritable "politique du changement" de manière à ne plus être considéré comme le simple "successeur de Senghor". Abdou Diouf n'a en effet aucune légitimité électorale et il lui est bien difficile de justifier auprès de l'opposition la non-tenue d'élections anticipées. Cependant, alors que des voix s'élèvent pour condamner ce "coup d'Etat constitutionnel", Diouf ne se démonte pas et adopte la même attitude politique que son prédécesseur. Dès le 14 janvier 1981, soit à peine deux semaines après son arrivée au palais présidentiel, il cumule le rôle de chef d'Etat et de parti en se faisant nommer secrétaire général du PS 7. Il perpétue la tradition sénégalaise - qui est aussi celle de l'Afrique politique dans sa grande majorité - de "l'Etat-parti". Le même jour, on accorde à Léopold Sédar Senghor un poste sans aucune valeur décisionnelle : il devient Président d'honneur du PS.

Nonobstant sa position dominante, "le dauphin constitutionnel" cherche à légitimer sa présence à la tête de l'Etat. Aussi bien vis-à-vis des opposants, désireux de voir l'avènement d'un véritable pluralisme politique, que des historiques socialistes, qui ont accompagné Senghor depuis la création du BDS en 1948. En effet, "les barons" ont été quelque peu irrités par le choix de l'ancien Président, qui a privilégié les compétences technocratiques de "la génération de 1970" à la filière partisane traditionnelle. Abdou Diouf n'a donc pas l'appui unanime du PS et doit se former une clientèle stable et solide pour sortir de son isolement. Il la bâtit grâce à un jeu de séduction politique, reposant sur des décisions novatrices, qui tranchent avec celles de son prédécesseur.

2. Abdou Diouf et la "réconciliation politique nationale" :

2.1 Le désamorcement de la crise étudiante :

Comme on l'a vu précédemment, la fin de la présidence de Senghor est marquée par l'avènement du SUDES, syndicat indépendant d'enseignants crée en 1976, qui réclame principalement une amélioration des salaires et des conditions d'étude. Devant le manque d'ouverture du gouvernement, le syndicat déclenche une première grève, dite d'avertissement, le 13 mai 1980, suivie à hauteur de 70 % par le personnel enseignant. Le mouvement perdure et se durcit. Il prône un boycott total des notes et l'annulation de l'année scolaire. Le pouvoir en place réagit et prend des sanctions à l'encontre des grévistes, renvoyant notamment 29 syndicalistes.

Mais la crise continue, le SUDES se présentant comme le principal opposant au régime senghoriste. Il mène deux journées d'action, le 25 octobre 1980 et le 21 décembre, qui obtiennent des succès assez conséquents au niveau de la participation. Ces réussites révèlent la place qu'ont pris les groupes à doctrine marxiste au sein de l'opposition. En effet, les milieux universitaires, et plus généralement intellectuels, sont réputés pour être des foyers de l'extrême gauche. Il n'est donc pas étonnant de constater que les deux premiers dirigeants du SUDES sont affiliés à des partis marxistes, non reconnus par le pouvoir senghorien. Magatte Thiam, secrétaire général du SUDES jusqu'en 1979, est membre du PAI-Sénégal. Son successeur, Mamadou Ndoye, fait parti de la Ligue Démocratique. L'affiliation d'un syndicat à un courant politique n'est cependant pas

7 "Senghor président d'honneur, Diouf secrétaire général", Le Soleil, 16 janvier 1981.

une spécialité communiste. La CNTS, malgré son détachement officiel du PS après 1976, reste ostensiblement pro-socialiste tandis que l'Union des Travailleurs Libres du Sénégal (UTLS) de Mamadou Puritain Fall, reconnue le 5 janvier 1977, parait avoir des liens plus ou moins privilégiés, suivant les périodes, avec le PDS d'Abdoulaye Wade.

Dans son souci de fédérer autour de sa personne un maximum de Sénégalais, Abdou Diouf affirme rapidement sa volonté de résoudre la crise universitaire. Dans son premier message à la nation du 1 er janvier 1981, il signale que "le secteur de l'éducation est une priorité pour le gouvernement du Sénégal ". Il expose ensuite ses intentions à très court terme :

"Des correctifs immédiats vont être apportés en ce qui concerne les jeunes universitaires diplômés qui ne trouvent pas de travail (...) Le temps est venu de faire un bilan exhaustif de la loi d'orientation en matière d'éducation (...) le gouvernement provoquera, rapidement, sous l'égide du ministre de l'Education Nationale, une large concertation sur ces problèmes essentiels. Participeront à ces Etats généraux de l'éducation les ministres et administrations concernés, les syndicats d'enseignements, les associations de parents d'élèves, le secteur privé (...) ils auront pour seul souci le bien public, le progrès de l'école sénégalaise, le développement de la nation".

Le terme d'Etats généraux est symbolique. Il ouvre le chemin du dialogue. La rhétorique présidentielle est séduisante, et plait au principal intéressé par cette annonce, le SUDES. Le syndicat approuve et la réunion est organisée dans un laps de temps record, puisque "les états Généraux de l'Éducation et de la Formation" se déroulent du 28 janvier au 1er février 1981. Comme promis par Abdou Diouf, ce sommet historique rassemble l'ensemble des personnes et organisations intéressées par le processus éducatif. On constate la présence d'enseignants, chercheurs, membres du gouvernement, syndicats, parents d'élèves, religieux et étudiants.

Chargés de définir les lacunes du système éducatif sénégalais, les Etats généraux évoquent les moyens de créer "une école nouvelle, démocratique et populaire", adaptée aux réalités sénégalaises, quelles soient sociales ou économiques. La volonté de promouvoir l'utilisation des langues nationales, telles que le wolof, parlé par plus de 70 % de la population, est au centre de tous les débats. La "décolonisation de l'université et de la recherche" est aussi souhaitée. L'omniprésence de "l'assistance technique française" est de ce fait clairement condamnée. L'objectif avoué de cette "sénégalisation" de l'enseignement est d'offrir des postes à de nombreux diplômés sans travail. Les Etats généraux portent ainsi un message d'espoir à une jeunesse sénégalaise frappée de plein fouet par la crise économique de la fin des années 1970.

Les différents membres présents sont satisfaits des conclusions tirées de cette réunion, qui doit aboutir à la création d'une "école nouvelle". Le SUDES affiche son optimisme quant à la volonté de la Commission Nationale de Réforme (CNREF) de modifier en profondeur l'enseignement sénégalais, pendant que le gouvernement se félicite d'avoir débloquer une situation tendue. Abdou Diouf arrive donc, en l'espace d'un mois, à amadouer des mouvements situés "à l'extrême gauche", généralement hostiles au pouvoir socialiste. Il prouve qu'il est capable d'entamer un dialogue constructif avec des opposants, en respectant les règles du jeu démocratique. L'avènement du multipartisme intégral s'inscrit dans cette logique. C'est Habib Thiam qui l'annonce le 30 janvier 1981, le jour de sa déclaration de politique générale.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci