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La théorie des droits permanents dans la jurisprudence du Tribunal administratif tunisien

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par Faycel Bouguerra
Université Sciences Sociales Toulouse I - Master 2 Recherche Droit Public Comparé des Pays Francophones 2006
  

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Paragraphe II : Limites des limites : La résurrection de la compétence du juge administratif

Toutes ces positions du juge administratif ou du juge judiciaire confirment l'instabilité du système juridictionnel.

Cependant, quelques questions méritent d'être posées :

Quelle solution le juge peut-il adopter, puis quel critère le juge administratif peut-il choisir ? Est-ce qu'il va continuer à admettre la méthode interprétative ou analytique, et ainsi élargir sa compétence sur le fondement du critère matériel ou va-t-il respecter le bloc de compétence judiciaire octroyé au juge de la sécurité sociale ? En d'autres termes, va-t-il respecter les lois et mettre en oeuvre le critère organique ?388(*)

A- Les précurseurs d'une reconquête

Tel un Phénix qui renaît de ses cendres, la compétence du juge administratif en matière de la sécurité sociale marque son retour par une reconquête où le juge a dégainé sans hésitation des armes à maints tranchants.

Il s'agit "d'une valse à quatre notes" : d'abord, on a le sursis à exécution (1), puis le critère matériel (2), ensuite le critère organique (3), et enfin le critère procédural ou formel (4).

1- Le sursis à exécution

Pour fonder sa compétence, le juge administratif estime que le sursis à exécution n'a pas été prévu dans la loi de 2003, donc une tranche du Tribunal administratif pense qu'il reste compétent en cette matière, et ce même pour les décisions prises en application des régimes légaux des pensions et des retraites.

Il est à rappeler que le principe du sursis à exécution est une procédure exceptionnelle car elle se heurte à deux principes fondamentaux, à savoir le principe du caractère exécutoire des actes du pouvoir public, et le principe que le recours pour excès de pouvoir ne peut aboutir à entraver l'exécution de la décision389(*).

Selon le Commissaire du gouvernement, « le Tribunal administratif est compétent pour reconnaître de toutes les décisions qui ont pour objet la demande d'un sursis à exécution, et ce d'une part sur la base que le sursis à exécution des décisions administratives est un droit garanti par la Constitution vu que ce dernier a revêtu ce Tribunal d'une valeur constitutionnelle, d'autre part la loi n° 15 de 2003 n'a pas prévu une technique qui permet de réaliser les mêmes résultats que la demande de sursis à exécution »390(*).

On sait déjà que l'article 39 de la loi de 1996 sur le Tribunal administratif en fait une compétence du Président du Tribunal administratif en matière des référés. Le contentieux des pensions en représente une des cas d'application.

Or, cela contredit la position générale des chambres de première instance du Tribunal administratif qui déclinent leur compétence en matière d'annulation des décisions prises en matière des pensions. Donc, on ne peut admettre que le Président accepte cette compétence du sursis à exécution alors que les chambres la rejettent. De plus, la jurisprudence du Tribunal admet « que la justice de la sursis à exécution ne forme pas une justice autonome et à part entière, mais elle se lie solidement au fond du litige qu'elle en dérive.

Le juge compétent à répondre aux demandes de sursis à exécution doit obligatoirement être celui du Tribunal qui a la compétence de trancher au fond du litige »391(*).

Le résultat est que le justiciable a perdu l'une de ses garanties procédurales, car le juge de la sécurité sociale, compte tenu de sa qualité d'un juge judiciaire, ne dispose pas des moyens suffisants pour décider qu'il soit différé à l'exécution d'une décision administrative.Or, la soustraction de la matière des pensions, des retraites et de la sécurité sociale a été la seule manière efficace pour mettre fin à la controverse et à l'incohérence jurisprudentielle, depuis la réforme de 1996, entre les chambres de première instance du Tribunal administratif sur le contentieux de la Caisse Nationale de la Sécurité Sociale. En d'autres termes, la question qu'elles se sont posée : Est- ce que ce contentieux fait partie du bloc judiciaire ou non ?392(*)

Ainsi, on est en droit d'admettre que la « présence de deux ordres de juridictions, voulue pour des raisons qui empruntent plus à la méfiance qu'à une réflexion active sur le droit »393(*).

Or, en 2003, l'exception de l'article 2 de la loi n° 96-38 de 1996 n'existe plus. À l'heure actuelle, secteur public et secteur privé sont de la compétence du seul juge judiciaire.

2- Le critère matériel

La répartition de 1996 a été qualifiée d'« amputée ». Par voie de conséquence, le Conseil de conflits de compétence a du la rectifier par sa jurisprudence. Dans l'un de ses considérants, il admet que « le contentieux en matière de retraite et de prévoyance sociale est un contentieux purement administratif, abstraction faite des organismes qualifiés par la loi à gérer ce domaine. Cela s'explique par le fait que le régime de la retraite et de la prévoyance sociale a un caractère réglementaire, et que la gestion de ce régime par les Caisses sociales est régie par les règles du droit public qui lui permettent de prendre, à l'égard des affiliés, des décisions unilatérales et autoritaires (...) ».

Après 2003, pour justifier sa compétence en matière des pensions de retraites et de la sécurité sociale, le juge administratif n'hésite point à invoquer l'article 28 de la loi de la finance n° 75-83 du 30 décembre 1975 qui octroie à la CNRPS les prérogatives de l'autorité publique et réserve à elle seule la compétence en matière des pensions des agents de la fonction publique, et il l'a donné pour le recouvrement de ses créances le droit de les poursuivre au moyen d'états de liquidation qu'elle dresse et qui seront rendus exécutables par le Ministre des finances. De plus, la Caisse bénéficie, pour le recouvrement de ses créances du privilège général reconnu au Trésor public394(*).

Ainsi, le juge conclut au fait que « l'organisme de la retraite et la prévoyance sociale présente un service public vu qu'il a un caractère réglementaire, et qu'il dispose des prérogatives de la puissance publique, ainsi, la compétence revient à l'ordre juridictionnel administratif ».

Cela est rassurant pour le maintien de la théorie des droits permanents, pourvu qu'elle soit appliquée, du moins, sans complication aucune.

Dans sa jurisprudence ultérieure à la mise en place de l'institution du juge de la sécurité sociale, le Tribunal administratif se réfère à l'article 3 (nouveau) de la loi n° 38 de 1996 tel que modifié et complété par la loi du 4 février 2002, car le critère de compétence est devenu matériel et non plus organique.

Donc, il voit que le législateur a donné la compétence pour les décisions en matière de sécurité sociale au juge administratif, car mis à part qu'elle est une matière administrative par nature, la Caisse gère un service public administratif de la sécurité sociale.

Ainsi, dans l'une de ses affaires, il admet « (...) que la compétence de principe attribuée au juge de la sécurité sociale en vertu de la loi n° 15 de 2003 (...) trouve ses limites dans les décisions administratives prises en leur occasion, vu la confirmation du législateur de laisser la compétence en leurs cas au Tribunal administratif, et cela manifeste l'extension de la règle de l'interdiction faite aux tribunaux civils de reconnaître des recours en annulation des décisions administratives »395(*).

Le problème des critères de compétence en matière des services publics à caractère social a été tranché par la jurisprudence française, notamment le problème des décisions prises en matière du fonctionnement de ces services publics396(*). Selon certains, le juge de la sécurité sociale est un ordre exceptionnel et à part entière à coté de l'ordre judiciaire et administratif397(*). En d'autres termes, en France on considère le contentieux de la sécurité sociale comme un « ordre social » distinct de l'ordre administratif ainsi que de l'ordre civil398(*).

Donc, le dernier alinéa de l'article 2 et les décisions susceptibles du recours pour excès de pouvoir ne doivent pas être interprétés à la lumière des critères classiques de compétence399(*), cela pour le seul intérêt des justiciables. Ainsi, les chambres d'appel ont accepté les recours en appel des décisions des chambres de première instance qui ont accepté les recours contre les décisions des caisses400(*) « de sorte que les efforts les plus louables ne font trop souvent qu'accroître la confusion dans l'esprit des requérants, plus épris de stabilité que de rigueur juridique... »401(*).

De plus, certains juges administratifs ont crée un nouveau critère de compétence qui prend en compte la volonté du législateur de 2003, et ce sans vider la compétence du juge de la sécurité sociale402(*).

Ce nouveau critère se base sur : D'abord, le juge de la sécurité sociale est un juge de droit commun en matière de sécurité sociale. Ensuite, les termes du législateur en matière de la compétence d'annulation des décisions administratives ne sont pas exclusifs, donc, le juge administratif reste exceptionnellement compétent dans les matières qui lui reviennent naturellement selon les débats parlementaires. Enfin, le législateur veut créer un bloc consacré à un seul juge, donc la décision susceptible d'annulation doit avoir en plus, pour l'accepter, d'autres caractéristiques qui la rendent exclusivement administrative.

Il s'ensuit que « le juge administratif est compétent chaque fois qu'il est établit que les caisses sociales sont revêtues des privilèges de la puissance publique lors de leur prise de la décision, et s'il est établit que cette décision est prise dans un climat de droit public, soit en vertu de son caractère réglementaire, soit que ses cotés administratives objectives priment sur ses cotés subjectives »403(*). Ce qui est déjà la position prise par le législateur français qui a soustrait à la justice de la sécurité sociale les matières qui ne lui reviennent pas par nature404(*). De plus, l'interprétation suivie par le Tribunal administratif va de concert avec le rapport du comité paritaire relatif à l'institution du juge de la sécurité sociale en ce sens qu'il admet que « le juge de la sécurité sociale ne reconnaît que des matières qu'exige la nature de sa compétence ».

Il a été aussi excepté de sa compétence les recours intentés contre l'État en matière de la responsabilité administrative vu qu'ils reviennent par nature à la compétence du Tribunal administratif405(*).Somme toute, le Tribunal administratif a pris la même voie que le juge français qui s'est heurté aux mêmes problèmes concernant l'interprétation du champ d'intervention du juge de la sécurité sociale.

Il s'ensuit que toutes les décisions qui ont un caractère pécuniaire vont revenir au juge de la sécurité sociale vu qu'elles portent sur des contentieux individuels relatifs à l'affiliation, à l'inscription, paiement des contributions, soins, capital-décès, ... etc.

Alors qu'il revient au juge administratif les décisions des administrations qui portent sur la matière de la sécurité sociale à la seule exception des décisions relatives aux paiements des contributions au sens de l'article 4 de la loi n° 15 du 15 février 2003406(*).

Compte tenu de tout ce qui précède, on est enclin à se demander si c'est la fin de l'utilisation du critère organique par le Tribunal administratif en matière de sécurité sociale ?

3- L'utilisation inadéquate du critère organique en matière des décisions des administrations

Le juge administratif n'a pas résigné à l'utilisation du critère organique même après la modification de l'article 3 de la loi de 1972 par la loi organique n° 11 du 4 février 2002.

Sauf que le Tribunal administratif a employé ce critère dans un sens restreint qui aboutit à l'exclusion des entreprises publiques qui oeuvrent dans le domaine de la sécurité sociale, à savoir les caisses sociales.

Au demeurant, les administrations qui rentrent dans l'article 3 (ancien) restent de la compétence du juge administratif dans le contrôle de leurs décisions, « vu qu'il découle de la lecture de l'article 3 de la loi n° 15 du 15 février 2003 relative à l'institution du juge de la sécurité sociale que le législateur a limité la compétence de ce juge aux seuls contentieux entre les fonctionnaires publics et leurs administrations relatifs aux déclarations des salaires et aux paiements des contributions, donc, le reste est de la compétence du Tribunal administratif »407(*). Cette distinction entre administrations et établissements publics à caractère industriel et commercial est la source de l'article 3 (ancien) qui représentait la figure de proue de l'application du critère organique408(*).On croit bien que le système de blocs institué par le législateur n'a pas abouti à ses fins, car si le Tribunal administratif va continuer à appliquer le critère matériel, cela va davantage disperser la matière.

Donc, le législateur avait raison de donner compétence au juge de la sécurité sociale en matière du contentieux des paiements des contributions entre les administrés et les administrations par l'article 4 de la loi n° 15 du 15 février 2003 malgré que ces décisions sont prises par des établissements administratifs.

Reste qu'il est inconcevable qu'un justiciable attaque une décision de refus de bonification devant le Tribunal administratif409(*) et une décision de refus de paiement des contributions devant le juge de la sécurité sociale.

Cette dualité farouche ne facilite pas le contentieux de la sécurité sociale car le critère matériel du juge de la sécurité sociale a englobé et absorbé toute la matière relative aux régimes légaux de la sécurité sociale410(*).

4- Le critère procédural

Le Tribunal administratif estime « que parmi les principes établis dans la doctrine du droit administratif et dans son contentieux est celui que le recours pour excès de pouvoir est le moyen perpétuel pour la réalisation de la légalité, dont le contrôle revient uniquement au juge administratif, et son contrôle se trouve étendu à toutes les décisions administratives prises en matière administrative en vertu de ce que dispose l'article 3 (nouveau) de la loi relative au Tribunal administratif (...) »411(*).

Dans un autre contexte, le juge de l'excès de pouvoir a considéré que « quoi qu'il soit le changement des orientations du législateur et ses choix concernant la partie ou les parties compétentes à reconnaître du contentieux de la retraite et de la prévoyance sociale, il est à confirmer que la matière de la sécurité sociale reste un service public et donc une des matières administratives originaires notamment que sa gestion est faite par des établissements publics »412(*). Cela donne au Tribunal une compétence exclusive en matière des décisions administratives prises par les caisses, surtout en vertu de l'article 2 dans son dernier alinéa qui contient une exception notable.

La position de certaines Chambres du Tribunal administratif, en acceptant de reconnaître des recours en annulation des décisions prises par les caisses sociales, a fait que le juge judiciaire, à savoir le juge de la Sécurité sociale hésite à reconnaitre sa compétence concernant ces décisions. Dans l'un de ses jugements, il a admis « que la compétence générale attribuée au juge de la sécurité sociale trouve ses limites dans les décisions administratives prises à leurs occasions en vertu de la confirmation du législateur d'en laisser la compétence au Tribunal administratif (...). Considérant qu'on ne peut qu'à déclarer le rejet du recours pour incompétence »413(*).

Dans une autre affaire, à l'occasion du recours contre la décision de la CNSS arrêtant le versement de la pension de retraite, ainsi que la demande de restituer la totalité des pensions versées au motif que le requérant avait une activité rémunérée en parallèle à la pension de retraite, le juge de la sécurité sociale considère « que la demande d'annuler la décision administrative prise par la CNSS et qui édicte l'arrêt de versement de la pension du requérant ainsi que la demande de la restitution des montants versées auparavant à titre de pension est un contentieux administratif qui sort évidement de la compétence du juge de la sécurité sociale »414(*).

Plus encore, il a considéré dans une autre affaire « qu'il ne fait pas de doute que le requérant est en droit de réclamer ses indemnités pour non calcul de sa prime de charge fiscale ajoutée dans la base de la liquidation de sa pension de retraite, vu qu'il se fonde en l'occurrence sur un arrêt administratif définitif qui a reconnu son droit dans son principe, et ce en annulant la décision qui lui refuse de prendre en considération la dite prime dans la base de la liquidation de sa pension ; et que le litige s'est cantonné à la détermination de la date de départ du calcul des conséquences qui résultent de l'exécution de la chose jugée »415(*).Ainsi, le juge administratif a réussi à faire secouer les certitudes du nouveau juge ce qui a eu comme conséquence de conquérir de nouveaux territoires et de faire un regain qui s'ajoute au champ qui lui appartient exclusivement.

B- Le champ d'intervention exclusif du juge administratif

Le législateur a fait une unification sectorielle de la sécurité sociale et non pas une unification contentieuse. Cela se trouve confirmé par le fait qu'il a réservé au juge administratif des matières d'intervention exclusive comme les décisions susceptibles du recours pour excès de pouvoir en matière du contentieux de la sécurité sociale (1), ainsi que les décisions insusceptibles du recours parallèle (2).

1- Les décisions qui reviennent au juge administratif eu égard leur nature

Reviennent au juge administratif les actes à caractère réglementaire et les actes à caractère général qui portent sur le fonctionnement et l'organisation du service de la sécurité sociale416(*) comme par exemple les circulaires à caractère réglementaire.

Cela a été confirmé en Tunisie par la décision Mohamed Néji El-th'hibi417(*) et en France, par la décision Dame Léotier du TC418(*).

Toutefois, une différence est à relever. Alors qu'en Tunisie, les circulaires à caractère général et non individuel reviennent de par leur nature au juge administratif420(*), en France, ils reviennent au juge de la sécurité sociale.

Or, en Tunisie on a pu admettre cette distinction du droit français entre les décisions à caractère général et les décisions à caractère individuel en matière de la sécurité sociale421(*).Selon la doctrine, c'est dans ce seul sens des actes administratifs qu'il faut comprendre la formule « les décisions susceptibles du recours pour excès de pouvoir » qui se montre comme une exception dans le dernier alinéa de l'article 2 de la loi de 1996, et ce pour obéir à un minimum de logique juridique qui aboutit à unifier la compétence.

Cela peut être décelé des débats parlementaires, vu que le rapporteur général du gouvernement estime que « s'il se trouve devant le cas de l'annulation d'une décision administrative, le juge de la sécurité sociale sursois à statuer jusqu'à ce qu'il soit prononcé sur la question devant le Tribunal compétent car c'est une question préjudicielle »422(*).

2- Les décisions insusceptibles du recours parallèle

Il est à rappeler que la responsabilité administrative des caisses en matière de sécurité sociale reste, pour l'indemnisation des préjudices, de la compétence du juge administratif423(*).

D'un point de vue purement juridique, cela s'explique par la réforme qui n'a pas touché à la compétence du juge administratif en matière de responsabilité administrative qui est devenue plus compliquée qu'auparavant car son contentieux« n'oppose donc plus seulement, comme autre fois, la victime à la collectivité publique responsable du dommage. Il est devenu un ménage à trois qui oppose la victime, les caisses de sécurité sociale et la collectivité responsable. Dans ce ménage, chacun a ses intérêts »424(*).

D'un point de vue théorique, « l'État se désengage certes mais demeure néanmoins indiscutablement présent, par personnes morales nouvelles interposées »425(*). De plus, les décisions relatives à l'application du régime de la sécurité sociale et des pensions relatives à la matière des accidents de travail et des maladies professionnelles dans le secteur militaire restent de la compétence du seul juge administratif, car la réforme de l'article 2 de la loi n° 39 de 1996 s'est limitée seulement aux pensions de retraite, en plus la loi n° 15 de 2003 n'a pas donné compétence au juge de la sécurité sociale en ces matières.

Il s'ensuit que les décisions relatives à l'application du décret n° 3 de 1972 relatif aux pensions d'invalidité des militaires, ainsi que la loi n° 70 du 6 août 1982 relative au statut spécial des agents de la police nationale qui a prévu que l'indemnisation des accidents de travail et des maladies professionnelles dans ce secteur restent de la compétence des chambres administratives de première instance et ne rentrent pas donc sous l'égide de la loi n° 56 du 28 juin 1995 relative au régime spécial d'indemnisation des dommages résultants des accidents de travail et des maladies professionnelles dans le secteur public.

Donc, le juge administratif va reconnaître des décisions de ce secteur à l'exclusion du secteur des fonctionnaires publics non militaires, ce qui confirme que la réforme de 2003 n'est pas sérieuse et qu'elle consolide davantage la dispersion et l'éclatement de la matière. De plus, le secteur militaire et les forces de police vont se trouver devant une dualité. Ils vont recourir au juge judiciaire pour le contentieux de la retraite et de la prévoyance sociale, puis attaquer les décisions de la Commission de réforme et les décisions de la CNRPS relatives aux pensions d'invalidité devant le Tribunal administratif, vu que l'article 2 (nouveau) de la Loi n° 39 ne traite pas de ces contentieux.

Le Tribunal administratif estime dans l'une des affaires que « tant qu'il est établi que le préjudice du requérant a été subi au moment de l'accomplissement de son travail, l'administration a du le faire passer devant la Commission de réforme (...) pour qu'elle décide de son acquisition de la pension d'invalidité, ce qui aboutit à annuler sa décision de refus (...)».

S'ajoute à ces décisions celles relatives aux bénéfices sociales en application du Statut de la fonction publique.

Il est à noter qu'à l'exclusion des décisions de mise à la retraite que le Tribunal administratif ne les contrôle pas par respect de la volonté du législateur de 2003, le reste des décisions relatives aux bénéfices sociaux est un point de malentendu entre les chambres de première instance et les chambres d'appel du Tribunal administratif. Les chambres de première instance du Tribunal administratif sont d'une seule voix à propos de quelques primes et bénéfices sociaux comme la prime de fonction426(*), la prime de l'habitat427(*), la prime de gestion, et ce en vue d'unifier la matière de l'application du Statut de la fonction publique.

Cela se vérifie en France où l'on distingue entre le contentieux de l'application du statut de la fonction publique et le contentieux relatif à l'application du régime de la sécurité sociale et des pensions.

Ainsi, selon la doctrine française en la matière, « les juridictions administratives demeurant en revanche compétentes pour les prestations statutaires. Échappent ainsi à la compétence du contentieux général de la sécurité sociale au profit de celle des juridictions administratives, les contestations relatives à un ordre de reversement du supplément familial... »428(*).

Dans d'autres affaires, le Tribunal administratif en première instance a admis sa compétence en matière de primes et prestations qui seront ajoutés à la pension de retraite et qui aboutissent à sa révision. Ainsi, il a été jugé « (...) qu'il ressort des dispositions de l'article 37 de la loi n° 12 du 5 mars 1985 (...) que la péréquation de la pension est effectuée lors de toute augmentation de l'un quelconque des éléments permanents de la rémunération correspondante au grade ou à la fonction sur la base de laquelle a été liquidée la pension»429(*). Car, « cela par référence au statut de la fonction publique qui représente la source fondamentale du droit des fonctionnaires à la retraite lequel rentre dans la catégorie des droits garantis, ce qui fait que toute application des dispositions de ce droit est considérée comme une application de tout le statut sus-indiqué »430(*). Cela a déjà permis à la jurisprudence française d'épargner au profit du juge administratif la compétence de toutes les décisions d'application de la loi sur les pensions civiles et militaires.Malgré que cela soit acceptable de point de vue logique et juridique, les chambres d'appels du Tribunal administratif continuent à décliner leur compétence.

À l'occasion de traiter des décisions des chambres de première instance, les chambres d'appel du Tribunal administratif déclinent leur compétence et confirment celle du juge de la sécurité sociale dans ce contentieux.

La 5ème chambre d'appel du Tribunal administratif estime que : « Tant que le contentieux porte sur le droit du requérant à la péréquation de sa pension sur la base de prime de responsabilité ou de fonction créée (...) il rentre ainsi dans le contentieux relatif aux règles de calcul et de péréquation des pensions de retraite, et donc des contentieux relatifs à l'application des régimes juridiques des pensions et de sécurité sociale qui ont été attribués expressément au juge judiciaire (...) est qui ne sont pas du ressort du Tribunal administratif »431(*).

Selon ces chambres, le juge administratif n'est compétent que pour le contentieux d'annulation432(*).Cela a fini par inciter la 1ère Chambre de première instance à revenir sur sa position et de rejeter les recours en soulevant son incompétence à l'occasion d'une décision de la CNRPS refusant de compter des primes dans la base de liquidation de la pension433(*).Or, dans une autre occasion, la 1ère chambre d'appel a reconnu implicitement sa compétence et a tranché au fond434(*). Dans d'autres décisions, le Tribunal administratif accepte sa compétence, mais il applique plutôt la technique de la réitération des recours préalables, et non pas celle du délai ouvert435(*).

Donc, une nouvelle ère de contradiction et de controverse s'annonce dans la jurisprudence du Tribunal administratif436(*), et le "saga" de l'illisibilité et de l'incompréhensibilité des décisions de justice continue.

Il en résulte qu'on est devant un constat d'incohérence dans la matière de la sécurité sociale où le désordre jurisprudentiel fait jurisprudence. Cela se vérifie tant chez le juge administratif que le juge judiciaire.

Du coup, il nous reste qu'à se demander un peu scrupuleusement : Est-ce qu'on est à la présence d'une théorie en chute libre ?

La réponse ne peut être, si l'on reprend les termes à Paul Morand, que :

« Que de temps perdu à gagner du temps ! ».

* 388Ce qui va l'amener à décliner sa compétence pour le cas des caisses sociales car elles sont des entreprises publiques en vertu de la liste dressée par le décret n° 2265-2004 du 27 septembre 2004.

* 389Bahya (Mustapha), « Le sursis à exécution des décisions administratives », In La réforme de la justice administrative : les lois n° 38, 39 et 40 du 3 juin 1996, Actes du colloque organisé du 27 au 29 novembre 1996 à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis, C.P.U., 2e Tirage, 1er Semestre, 1999, partie en langue arabe, p. 212.

* 390 Conclusions du Commissaire du Gouvernement Naïma Ben `Aqla sous la décision du T.A., n° 1/14175, Mohamed Essamaoui c/ CNRPS, Inédite ; Voir aussi : T.A., Déc. SàE n° 41/1965 du 30 janvier 2006, El-jilani Eddali c/ CNRPS, Inédite.

* 391T.A., Déc. SàE n° 783 du 9 janvier 1995, El-azher Ezzghayer c/ PDG de la CNRPS, Inédite

* 392 Infra, p. 53 et ss.

* 393 Teyssié (Bernard), « Droit public et droit social : variation autour d'un thème », Revue droit social, N°3, 1991, p. 185.

* 394 Article 32 de la loi de la finance n° 75-83 du 30 décembre 1975.

* 395T.A., Déc. n° 1/11882 du 28 mai 2004, `Hssan Ezzarouqi c/ PDG de la CNSS, Inédite.

* 396 C.E., 5 février 1954, El-hamidia, précité.

* 397Elloumi (Ettayeb), « L'institution du juge de la sécurité sociale », Article non publié, mars 2004 : « Ainsi, il est clair que le législateur a voulu créer une compétence qu juge de la sécurité sociale qui s'arrête dans certaines limites en n'empiétant pas ni sur ce qui est de la justice administrative ni sur ce qui est de la justice judiciaire ».

* 398 Bouilloux (Alain), « Contentieux général de la sécurité sociale », Juris-classeur sécurité sociale, Fascicule n° 781,2000, p. 2 : « Le contentieux de la sécurité sociale s'affirmant d'ailleurs de plus en plus comme un contentieux original, en raison notamment de la nature des organismes gestionnaires de la sécurité sociale, certains ont pu réclamer de leurs voeux la création d'un troisième ordre juridictionnel, qui serait un ordre social, s'ajoutant aux deux ordres traditionnels ».

* 399 C.E., 5 février 1954, El-hamidia, précité« Nous croyons donc que cette évolution que nous avons relevée dans la jurisprudence ne peut être regardée comme arrivée à son terme. Elle n'a de sens et de justification, pensons-nous, que si elle est la première étape d'un mouvement plus profond et plus ambitieux. Ce mouvement vous conduirait, après avoir abandonné la méthode analytique dont nous parlions en commençant à faire usage d'un nouveaux critère plus linéaire et plus simple faisant appel au contraire à la notion de synthèse ».

* 400 T.A., Déc. n° 25362 du 10 février 2006, CNRPS c/ `Hassan Ben Ahmed Ezzarquni, Inédite.

* 401 T.C., 6 juillet 1957, Lasry, D., 1958, p. 297.

* 402T.A., Déc., Ettayeb Essbe'i c/ PDG de la CNRPS ; `Ammar Ben Essadeq El-`ayari c/ PDG de la CNRPS ; Noureddine El-mejri c/ PDG de la CNSS ; `Ali Ben Ibrahim Ben `Arfi c/ PDG de la CNSS ; Mustapha Ben Salah' Ben Mohammed El-`omrani c/ PDG de la CNSS ; Mohamed El-hédi `Alouène c/ PDG de la CNSS : Précitées.

* 403T.A., Ettayeb Essbe'i c/ PDG de la CNRPS, précitée.

* 404 Article L.142-1 du Code de sécurité sociale, Litec., 7e éd., 2006 : « Il est institué une organisation du contentieux général de la sécurité sociale. Cette organisation règle les différents auxquels donne lieu l'application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole, et qui ne relèvent pas, par leur nature, d'autre contentieux ».

* 405Débats parlementaires du 4 février 2003, p. 821.

* 406C.E., El-hamidia, précité : « Nous pensons donc qu'on fixerait une règle sage en disant que l'intervention de l'autorité administrative ou l'exercice par une personne privée de prérogatives de puissance publique ne suffit plus toujours à attraire devant vous un litige qui reste un litige privé par sa nature et que dès lors, tant que n'est pas invoqué un vice propre à l'acte administratif, tous les litiges individuels relatifs à l'application de la législation sur la sécurité sociale ressortissent à la compétence des tribunaux judiciaires ».

* 407T.A., Déc. n° 1/1983 du 24 juin 2004, El-moncef Ben El-hédi Erqiq c/ Ministre de l'éducation et de la formation, Inédite.

* 408T.A., Déc. n° 1/13143 du 26 octobre 2005, Ettara Etrabelssi c/ Ministre de l'éducation et de la formation, Inédite.

* 409T.A., 3ème Ch., Déc. n° 1/12214 du 25 février 2005, Mohamed Sassi c/ Ministre de l'éducation et de la formation et l'intervenant : PDG de la CNRPS, Inédite : Le Tribunal procède au calcul du délai de recours en application de l'article 37 (nouveau), et décide qu'en cas de non notification de la décision, il sera considéré qu'elle a été portée à sa connaissance le jours même du recours contentieux, le tout sans dire que c'est un droit permanent.

* 410Saint-Jours (Yves), Traité de sécurité sociale, 2e éd. L.G.D.J., Paris, 1984, p. 184 : « Peu importe la nature juridique de l'organisme dont émane le décision contestée, car le critère organique s'efface, en l'occurrence, devant le critère matériel de l'application des lois et règlements de sécurité sociale ».

* 411T.A., Déc. n° 1/11747 du 25 mai 2004, El-`arbi Essoudeni c/ CNRPS, Inédite.

* 412T.A., Déc. n° 1/13477 du 15 juillet 2005, `Abdelqader El-`haded c/ PDG de la CNRPS, Inédite.

* 413JSS, Déc. n° 1/13447 du 28 mars 2005, Inédite.

* 414JSS, Déc. n° 798 du 14 juin 2005, CNSS c/ Mohamed El-ass'ed Moussa, Inédite.

* 415JSS, Déc. n° 693 du 31 mai 2005, Mohamed Kamel Qordeh' c/ CNRPS, Inédite.

* 416 Saint-Jours (Yves), « De la nature juridique des actes unilatéraux accomplis et des conventions conclues par les organismes de sécurité sociale », J.C.P., 1983, I, 3113.

* 417T.A., Déc. n° 1/11774 du 26 octobre 2004, Mohamed Néji El-th'hibi c/ Le Premier Ministre et le Ministre des finances, Inédite.

* 418 T.C., 22 avril 1974, Blanchet, A.J.D.A, 1974, p. 439 : « Considérant que les deux circulaires de la caisse nationale d'assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles, en date du 26 mars (...) ont été prises pour assurer l'exécution du service public de la sécurité sociale ; qu'elles constituent ainsi des actes administratifs qu'il n'appartient pas en conséquence aux juridictions du contentieux général de la sécurité sociale, juridictions de l'ordre judiciaire d'examiner... »419T.C., 22 Avril 1974, Dame Léotier, D. 1974, p.773 : « (...) les instructions données en l'espèce... par cette caisse pour la gestion du service public de l'assurance maladie de la sécurité sociale constituent des actes administratifs dont, (...) les juridictions administratives peuvent seules apprécier la légalité... ».

* 420 Saint-Jours (Yves), Op. cit., p.185.

* 421T.A., Déc. n° 15633 du 5 novembre 2003, `Hatem Ben Ettaher Chri'a c/ Ministre des affaires sociales et de la solidarité et c/ CNSS, Inédite.

* 422Débats parlementaires du 4 février 2003, p. 822.

* 423 T.A., 2ème Ch., Déc. n° 1/11815 du 12 juillet 2003, Mabrouk Ben Belgacem Ben `Ammar El-`amri c/ CNSS, Inédite : « Tant que le recours vise à demander la révision de la pension (...) sans avoir comme but de demander l'annulation d'une décision administrative au sens de l'article 3 de la loi relative au Tribunal administratif, ou d'être un recours en responsabilité administrative au sens de l'article 1er de la loi n° 38 de 1996, le contentieux n'est pas du ressort de ce Tribunal qui doit déclarer son incompétence ».

* 424Dutheillet De Lamothe (Olivier), « Répertoire de la responsabilité de la puissance publique », s, sécurité sociale, (recours des caisses).

* 425 Aouij-Mrad (Amel), Droit des services publics, E.N.A. / C.R.E.A., Tunis, 1998, p. 145.

* 426T.A., Déc. n° 1/11747 du 25 mai 2004, El-`arbi Essoudeni c/ CNRPS ; Déc. n° 1/11882 du 28 mai 2004, `Hssan Ezzarouqi c/ PDG de la CNSS, Inédites.

* 427T.A., Déc. n° 1/12862 du 8 novembre 2005, `Allala Ismaïl c/ CNRPS, Inédite.

* 428Bouilloux (Alain), Loc. cit., p. 20.

* 429T.A., Déc. El-`arbi Essoudeni c/ CNRPS, précitée.

* 430Conclusions du Commissaire du gouvernement Naïma Ben `Aqla, précitées.

* 431T.A., Déc. n° 25362 du 10 février 2006, CNRPS c/ `Hssan Ben Ahmed Ezzarquin, Inédite

* 432 Idem.

* 433T.A., Déc. n° 1/12892 du 8 novembre 2005, Inédite.

* 434T.A., Déc. n° 25299 du 24 janvier 2006, CNRPS c/ `Hamadi Ezzribi, Inédite.

* 435 T.A., 4ème Ch., Déc. n° 1/10943 du 10 juillet 2003, Zina Belgatt c/ Ministre de la santé publique, Inédite : demande de mise à la retraite ; 1ère Ch., Déc., n° 1/10871 du 8 novembre 2005, `Ali Ben El-falah' Ben Belgacem El-falah' c/ Ministre de la défense nationale, Inédite : Demande de la pension de réforme ou d'invalidité.

* 436(Bertégi) Ibrahim, « Incohérence et coordination entre les chambres de première instance », In La justice administrative après la réforme du 3 juin 1996, Actes du colloque organisé par l'Association Tunisienne des Sciences Administratives, FSJPST, 12-13 avril 2001, Éd. Centre des Recherches et des Études Administratives (CREA), Tunis, 2002, p. 43 et ss.

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