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Philosophie et Poésie

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par Benoit ROUILLER
UFR de Philosophie, Université de Rennes 1 - Master de Recherche 2006
  

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TROISIÈME PARTIE

ONTOLOGIE ET POÉSIE

 

« Car il ne règne jamais seul. »

HÖLDERLIN, Hymnes et autres poèmes, « L'Unique »

1. La métaphysique impensée

Pour Heidegger, l'allégorie de la caverne ne donne pas tant un modèle d'instruction philosophique universellement valable qu'il n'ouvre sur un sens nouveau à la vérité. Il écrit, dans « La Doctrine de Platon sur la vérité » (Platons Lehre von der Wahreit) : « Le mythe ne nous décrit pas seulement, en langage sensible, l'être de la formation, il nous ouvre aussi un aperçu sur le changement d'essence de la vérité »183(*). Étymologiquement, le mot grec « vérité » (alètheia) est synonyme d'une désoccultation. Ce mot est constitué d'un a « privatif » qui se déploie par opposition à un fond, à une énigme. La pensée n'est dans le vrai qu'une fois ce fond éclairé. Avec Platon, elle expose tout ce qui se présente à l'idée comme à une pleine intelligibilité. Le bien, dérivé du mot agathon, signifie « ce qui rend possible ». Il a pour tâche de jeter un éclairage absolu sur tout ce qui est. Indépendamment de toute connotation morale, il ne laisse rien demeurer dans l'obscurité184(*). Au contraire, il commande au dévoilement total et au plein accomplissement de ce qu'il éclaire. Tout l'édifice de l'étant repose sur cette attente du bien qui viendrait l'éclairer et, plus exactement, le fonder. En outre, ce bien est lié à une « vision juste » (orthotès) qui ne se contente pas du simple fait d'être d'une chose. Elle évalue l'étant et tout ce qui est à l'aune d'une idée et du bien. Tout est donc « dépendant » et comme « subordonné » à « l'exactitude du regard » (orthotès)185(*). Cette dépendance contraint tout ce qui est à être évalué à partir d'une certaine convenance ou d'une forme d'accomplissement. Plus vraisemblablement, Platon refuse de prononcer des jugements avant d'avoir élaboré soigneusement l'être d'un étant.

La différence ontologique existe bien chez Platon, entre l'être et l'étant. Pourtant, elle repose sur une discrimination de l'être de l'étant. Le poète et ses oeuvres sont donc soumis à une activité communautaire de la pensée, au nous. Pour qu'une chose soit, elle doit être conforme à une pensée qui la rende visible. L'analogie de l'oeil et du soleil, décrite par Platon au livre VI de la République186(*) impose une certaine visibilité à tout étant. Tout étant et, a fortiori, toute production poétique sont soumises à une délibération. Il est entendu que Platon reconnaît le savoir-faire de l'artisan. Toutefois, ce savoir-faire n'est pas réellement. Pour être, il doit encore se faire savoir de l'administration et de la preuve. C'est sur cette capacité du poète à répondre à un besoin que son oeuvre est jugée. Une idée commune du bien s'impose donc au poète, dès lors qu'il souhaite produire quelque chose. Aucun personnage ou aucune action ne peuvent être mis en scène, s'ils n'ont pas été l'objet d'un examen par un comité de censure. De ce fait, le poète devrait déchirer lui-même le voile de l'apparence qui recouvre ce qui est. Il devrait envisager l'étant dans sa seule clarté, être ébloui lui-même par les idées. Selon cette même doctrine, Platon condamnerait donc Homère et les tragiques, non en raison de leur ignorance (apaideia), mais du fait de leur inadéquation à une pensée commune, l'épistémè philosophique dont l'agent est l'esprit. La critique des philosophes n'en serait pas moins partiale et les poètes toujours incompris depuis ce temps. En conclusion, cette détermination générale de l'essence de la vérité en terme de bien, d'exactitude du regard et de visibilité commune imprimerait un changement d'essence à la pensée à venir. De même, elle neutraliserait l'émergence d'une vérité proprement poétique chez les poètes eux-mêmes. Elle nécessiterait de cette dernière qu'elle néglige le monde sensible et devienne, elle aussi, « métaphysique » : « l'interprétation de l'être par Platon marque de son empreinte la philosophie occidentale des temps ultérieurs. L'histoire de celle-ci depuis Platon jusqu'à Nietzsche est l'histoire de la métaphysique »187(*). De cette exigence de clarté, l'être-là (dasein) n'existerait plus dans le souci. Inauthentique ou nouvellement barbare, il s'éloignerait du corps et de ses « raisons », de même que de l'être tout entier.

Descartes tire les enseignements de cette conception. Il revient, après la scolastique, à l'être comme suprême intelligibilité. La vérité advient à condition qu'une idée soit saisie avec certitude. Est vrai ce qui est tenu pour indubitable, après avoir été soumis à une épreuve de son contenu. L'être se confond avec la certitude que le sujet a ou qu'il peut acquérir. Il se découvre grâce à une méthode. Or, la méthode impose sa subjectivité à l'être dont elle ne reconnaît, encore une fois, que l'effectivité. C'est donc toujours devant le sujet que se légitiment les choses. L'objectivité dont la science et la philosophie font usage se rapportent toujours au sujet et à son appréhension méthodique de la réalité. Les grands systèmes métaphysiques du dix-neuvième siècle seraient animés de cette même volonté de réduire tout à soi, sans toutefois y parvenir. Le principe ultime et unitaire de tout se trouverait, à l'époque moderne, dans le sujet. La question « qu'est-ce que l'étant ? » deviendrait la question du « fondement absolu et inébranlable de la vérité » chez ce dernier188(*). Une telle conception subjective de la vérité a donc pour conséquence une subordination de l'être par la pensée. L'être est livré à la juridiction d'un sujet, le cogito moderne, dont il dessine les premiers contours, les premières formes. Dans la théorie des idées innées de Descartes, après la théorie de la réminiscence chez Platon, les idées sont le lieu d'une réappropriation, en plus d'une participation. Elles n'apparaissent plus que dans un ordre ontologique où le sujet occupe la première place. Pour bien comprendre cela, il est important de revenir au problème du fondement. Dans l'Essence du fondement (Vom Wesen des grundes)189(*), Heidegger fait remarquer que dans l'histoire de la pensée, un « principe de raison » a toujours prévalu. Tout ce qui existe doit avoir une cause naturelle (aition) ou bien un principe d'intelligibilité (arkè) qui l'explicite ou le fonde. La connaissance est donc elle-même une connaissance des premières causes et des premiers principes. Le principe de raison est toujours valable, dans l'étendue et pour le temps qui appartient à la pensée.

La validité de ce principe de raison se rapporte le plus souvent à l'être-là inauthentique, détaché du souci. Elle repose sur un prétendu caractère « objectif » de l'étant, une propriété que les objets partageraient dans une même doxa. L'être-là a en effet toujours une précompréhension de l'être. Pourtant, c'est cette même précompréhension qui s'articule dans le discours fondateur. Il n'y a de fondement que parce qu'il y a antérieurement un projet qui ouvre le monde. Le vrai fondement est l'être-là. En tant qu'il est lui-même un projet (Entwurf), il ouvre un horizon au sein se dessine l'avenir, un futur190(*). Toute vérité suppose que soit ouverte au préalable une compréhension de l'être. C'est de cette vérité que dépend ce qui est présent. La vérité a elle-même pour origine une absence de fondement. Elle se rapporte à la transcendance de l'être-là qui fonde (Grund), à partir de lui-même, ce qui est un abîme (ab-grund). La question : « pourquoi de l'étant plutôt que rien ? »191(*) surgit alors comme un effort pour remettre en jeu l'étant tel qu'il est déjà constitué - ce qui est rendu manifeste par la disjonction « plutôt que ». Heidegger considère cette question comme « la question constitutive de la métaphysique », celle qui nécessite une réponse à tout prix. Elle en appelle le plus souvent à une réponse oublieuse de l'être et de la parole, comme des poètes. En trouvant une solution dans le fondement, la pensée s'oppose au discours ne satisfaisant pas aux exigences de la raison. Elle dément son absence « objective » de fondement pour se fonder sur un a priori, comme ce Dieu leibnizien « au géométral de tous les points de vue ». Poser à nouveau cette question du néant revient cependant à poser la question de l'être, indépendamment du fondement de l'étant. Cela interroge le rapport spécifique de l'être au néant. Cela permet de discuter l'être de l'étant et celui, plus spécifique, de l'être-là.

Jusqu'à présent, presque rien n'a été dit de la possibilité, pour l'être-là, de comprendre ce « rien ». Ce qu'il est, nous ne le saisissons avant tout que de façon émotive, dans l'angoisse. L'angoisse est, depuis Etre et temps, définie comme « une situation affective fondamentale », laquelle permet une « ouverture spécifique de l'être-là ». À la différence de la peur ou des sentiments de pitié et de crainte, l'angoisse est la « peur de rien »192(*). Celui qui l'éprouve ne craint rien de particulier. Il sent pourtant son monde sombrer dans l'insignifiance, sans parvenir à nommer ce qui lui fait défaut. Son existence est sans cesse remise en question. L'angoisse incite l'être-là à ne pas se fondre dans le présent. En outre, elle apparaît explicitement comme un lien entre le problème du néant et la question de l'être. La manifestation de l'être de l'étant dépend tout d'abord de cette peur du néant, non de la constitution objective de l'étant. Dans Qu'est-ce que la métaphysique ? (Was ist metaphysik ?) Heidegger écrit : «Le rien est ce qui rend possible la manifestation de l'étant comme tel pour l'être-là humain. Le rien ne fournit pas d'abord le concept antithétique de l'étant, mais il appartient originairement à l'essence elle-même »193(*). Le néant est la mesure de l'être jeté. L'élaboration conduite par Heidegger met en lumière le rapport de l'être-là à son là. Il met en évidence ce qui surgit du « néant d'être », d'une privation d'être. Le « projet du monde » s'oppose à l'étant en tant qu'étant déjà constitué. Ce n'est pas tant l'organisation de l'étant qui est essentiel que le projet lui-même. L'axiome selon lequel : du rien, rien ne vient (ex nihilo nihil fit) doit être renversé.

Dans Etre et temps, la vérité n'est possible que si l'étant lui-même est déjà accessible, autrement dit si un domaine est ouvert au préalable194(*). C'est dans une ouverture originelle que l'être-là peut saisir une chose et s'y rapporter. Dans l'Essence de la vérité (Wom Wesen der Wahreit), une étape décisive est franchie. Heidegger repart de la notion de vérité, telle qu'elle est présente dans toute l'histoire de la pensée : comme conformité d'une proposition à une chose. La recherche de la vérité présuppose de prendre comme norme du jugement cette chose qui est déjà là. Il est possible de refuser cette présence, le plus souvent inauthentique. Pourtant, cela témoigne plutôt d'un manque d'engagement à connaître ce qui conditionne une telle présence, que d'une réelle liberté. S'ouvrir à la chose, telle qu'elle est donnée, banalisée et normée relève davantage d'un acte libre. La liberté fait même partie de la vérité, de la conformité de soi-même aux conditions d'une telle présence195(*). Le fait est que ce qui est d'abord accessible ne dépend pas du libre-arbitre de l'homme. Ce dernier peut néanmoins se constituer en être-là en tant qu'il est lui-même une ouverture sur le monde, un être au monde. Cette liberté n'est cependant pas une faculté que l'être-là aurait le loisir d'exercer : « La liberté est l'être-là existant et [se] dévoilant »196(*). Elle dispose l'être-là à s'ouvrir, à entretenir lui-même un rapport plus originaire avec ce qui est. Si l'homme s'accorde avec cette liberté, il compose avec sa propre situation. Cet ensemble donné de critères, de normes et même de préjugés lui permet d'accéder à l'étant et de s'y découvrir lui-même comme projet197(*).

Heidegger fait un pas de plus dans la détermination de la vérité en tant que « non essence ». L'obscurité, le voilement ou l'absence de vérité appartient désormais à la vérité elle-même. La vérité, même lorsqu'elle est énoncée librement, implique toujours un obscurcissement. Ce qui surprend à première vue se révèle dans l'analyse phénoménologique. Il est impossible de considérer toutes choses dans une égale importance, ou en dehors d'un intérêt personnel qui nous les ferait entrevoir198(*). En outre, toute vérité n'est l'apparition que d'une, voire de plusieurs choses. Elle n'est jamais l'apparition d'un tout, de l'étant dans sa totalité. Ce qui apparaît en toute clarté et au premier plan voile ce qui, en arrière fond, rend possible une telle apparition. C'est la raison pour laquelle Heidegger écrit : « Dans la liberté existante de l'être-là se réalise donc la dissimulation de la totalité de l'étant »199(*). La découverte de l'étant nécessite de ne retenir qu'une partie de ce qui est. C'est à cette condition qu'il est possible de connaître quelque chose de donné. L'erreur est une conséquence du fait qu'il est impossible de « tout savoir » et de comprendre ce sur quoi repose la vérité. Elle appartient donc à l'essence de la vérité présente, qui correspond à ce qui est. De là, il découle que les poètes ne sont pas tenus à certaines imitations plutôt qu'à d'autres. Leurs choix produisent des images qui, si elles ne sont que partielles, laissent entrevoir une réelle liberté. L'existence authentique de l'homme demeure, d'un certain point de vue, « déchue » et inauthentique. Elle ne peut se départir de l'erreur ou de la fausseté.

L'homme est donc toujours un être jeté, un être là et non un être en soi. En amont de telle ou telle attitude, d'un certain être au monde, l'homme, avant même d'être poète, se tient dans la dissimulation. Heidegger affirme que l'homme est toujours déchu, quand bien même il se projette librement. Il assigne volontairement un pourquoi, une justification au monde, sans que cette justification n'ait de sens conformément à un état de choses200(*). L'homme justifie le monde sans interroger ce que c'est qu'être pour une chose. L'être-là, tout d'abord inauthentique dissimule l'être de l'étant. Ce dernier est imaginé à partir de ce qui est absolument présent, effectif ou réel. Il se conforme à la doctrine de Parménide où, si l'être est, le néant n'est rien et mieux vaut en rester là. L'être inauthentique se tient donc tout entier dans ce qui est, sans même tenir compte de sa spécificité d'être. La poésie refondée sur les idées et sur le bien suprême, s'inscrit dans cette même « histoire de l'être », ce même oubli. Elle occulte le demeuré manquant de ce qui est, dans le strict respect des normes : « Au commencement de son histoire, l'être s'éclaircit en tant qu'épanouissement et désoccultation. De là, il reçoit l'empreinte de la présence et de la consistance au sens de ce qui demeure. Ainsi, commence la métaphysique proprement dite »201(*). La métaphysique, tout comme la vérité, se constitue dans l'oubli de ce qui se dévoile et s'épanouit. Elle ne dépend pas de nous, ni des générations passées. L'oubli de l'être est « quelque chose en quoi nous nous trouvons », un « état de notre être-là ». Il dépend de « la manière dont nous sommes situés quant à l'être »202(*). Du fait de sa situation, de l'ouverture dans laquelle il est jeté, la métaphysique fait partie de l'essence de l'être-là. L'être-là apparaît dans une ouverture historique qui le destine à être comme un étant, non pas seulement en retrait.

La réflexion historique menée par Heidegger se démarque du système de Hegel où l'être n'est que le dévoilement progressif d'une vérité, en vue d'un savoir absolu. La méthode hégélienne (die Aufhebung) dépasse ces affirmations partielles tout en conservant ce qui est vrai de la philosophie. Heidegger lui oppose le « pas en arrière » (der schritt zurück) qui tend à laisser demeurer la métaphysique comme un processus, comme le fait d'une origine constitutivement obscure. Cette dissimulation n'est donc jamais tout à fait levée chez Heidegger, pas même à « la fin de l'histoire ». Elle ne peut être l'objet de théorisations et de définitions, sans devenir à son tour oublieuse de ce sur quoi elle repose. La caractéristique « négative » de l'être, dans les écrits immédiatement postérieurs à Etre et temps, repose sur cette absence d'être de l'étant. L'être y apparaît en creux et se refuse à la constitution d'un savoir de l'existant. Sa vérité repose sur un oubli, une alternance de découvertes et d'occultations qui lui ont été imposées. Il reste donc comme suspendu et tributaire des époques dans lesquelles il est énoncé. La question posée aux poètes est la suivante : comment un authentique dépassement de la métaphysique est-il possible ?

Après Nietzsche, la métaphysique semble être arrivée à son terme. Elle témoigne de ses dernières « possibilités d'essence », de la dernière promotion de l'étant (le mè on platonicien). Comme le remarque Heidegger en 1939, Nietzsche n'a pas lui-même dépassé le nihilisme qu'il avait deviné. Il n'y a plus de méta ou d'« au-delà » de l'étant. La place que Dieu occupait, dans le monde suprasensible, est vacante, conformément à ce mot : « Dieu est mort »203(*). Cette formule ne se contente pas de revendiquer un athéisme forcené. Elle provoque, comme l'a remarqué Franz Hoffmann : «  une sorte de crise et de décision suprême dans le problème de l'athéisme »204(*). Elle relève d'une crise religieuse. L'homme y dévoile son ultime égarement. La totalité de l'étant, sans autre support que la volonté de puissance, est désormais insensée, voire insensible et forcenée : « La destruction du suprasensible supprime également le purement sensible et, par là, la différence entre les deux »205(*). Le poste unique, garantissant à la fois le bien et la visibilité du monde sensible, est abandonné et le monde physique demeure en friche. Ce dernier est abandonné à une emprise ou à un savoir-faire technique, confondu avec une « volonté de puissance » débridée. Si Platon inaugure l'histoire de la métaphysique, Nietzsche caractérise une époque de fin de civilisation. Il est sujet à une compréhension historique (Geworfenheit) de l'être, non plus comme être livré à la volonté, comme chez les Modernes, mais comme l'expression même de cette volonté. Il thématise la dernière ouverture de l'être où l'homme se voit contraint d'épuiser ses forces.

L'art est également dissocié de la vérité. Nietzsche l'entend comme une apparence et comme un symbole du dionysiaque206(*). Elle a pour tâche d'exciter et d'aiguillonner la sensibilité. Ce « grand stimulant de la vie » agit pour conserver et accroître les forces dans l'illusion de l'apparaître : « l'art excite avant tout la volonté de puissance vers elle-même et l'éperonne à se dépasser elle-même »207(*). Il organiserait finalement la totalité de l'étant autour d'un individu particulier et instituerait des valeurs où dominerait la force. Après la faillite de l'interprétation nietzschéenne par l'idéologie national-socialiste, un profond désarrois s'installe en Allemagne. L'activité artistique et productive et de l'homme est en crise et les hommes ont le sentiment d'avoir étés abandonnés. Heidegger écrit : « Désormais, l'époque est déterminée par l'éloignement du dieu, par le « défaut de dieu »208(*). Le « défaut de dieu » succède à la « mort de Dieu ». L'abyme se creuse entre les hommes, par cette absence de sol qui les réunissait. La poésie ressurgit donc, avec certains poètes comme Hölderlin ou Rilke, pour faire le constat d'une actuelle « nuit du monde ». L'élégie Pain et Vin pose cette question : «Pourquoi des poètes en temps de détresse ? ». Une époque d'éloignement du divin signifie qu'il ne suffit pas de croire en dieu. Inversement, il se pourrait que les dieux soient déjà présents sans que les hommes ne s'en soient aperçus. Que les dieux aient été assassinés ou qu'ils soient devenus invisibles nécessite que soit frayé de nouveaux chemins (Holzwege). Cependant, ces chemins n'aboutissent pas nécessairement. « Ici, le chemin de la réponse qui examine et qui écoute est tout »209(*).

* 183 M. Heidegger, Questions II, «La Doctrine de Platon sur la vérité» (1940), trad. A. Préau, Paris, Gallimard, 1968, p. 442.

* 184 Ibid., p. 455.

* 185 Ibid., p. 459.

* 186 Platon, La République, op. cit., VI, 508 b.

* 187 M. Heidegger, Nietzsche II (1940), «Le Nihilisme européen», trad. Fr. P. Klossowski, Paris, Gallimard, 1961, p. 175.

* 188 M. Heidegger, Nietzsche II, «Le Nihilisme européen», op. cit., p. 115.

* 189 M. Heidegger, Questions I, «Ce qui fait l'être-essentiel d'un fondement ou `raison'» (1929), trad. fr. H. Corbin, Paris, Gallimard, 1968.

* 190 M. Heidegger, Etre et temps, trad. fr. H. Corbin et F. Vezin, Paris, Gallimard, 1976, § 65, p. 388.

* 191 M. Heidegger, Questions I, «Qu'est-ce que la métaphysique?» (1929), op. cit., p. 43.

* 192 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., § 40, p. 236.

* 193 Ibid., p. 63.

* 194 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., § 44, p. 263.

* 195 M. Heidegger, Questions I, «De l'essence de la vérité» (1930), op. cit., p. 173.

* 196 Ibid., p. 148.

* 197 Ibid., p. 179.

* 198 Ibid., p. 184.

* 199 Ibid., p. 182.

* 200 M. Heidegger, Introduction à la métaphysique, trad. fr. G. Kahn, Paris, Gallimard, 1972, p. 37.

* 201 F. Nietzsche, Nietzsche II, «La métaphysique en tant qu'histoire de l'être», op. cit., p. 324.

* 202 M. Heidegger, Introduction à la métaphysique, op. cit., p. 61.

* 203 F. Nietzsche, Le Gai Savoir, OPC, op. cit., § 125, «L'insensé».

* 204 F. Nietzsche, Ecce Homo, «Pourquoi j'écris de si bon livres: Les considérations inactuelles», § 2, OPC, op. cit.

* 205 M. Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle part, «Le mot de Nietzsche `Dieu est mort'» (1943), trad. fr. G. Brokmeier, Paris, Gallimard, 1962, p. 253.

* 206 Cf. F. Nietzsche, Ecrits Posthumes, 1870-1873, «La Vision dionysiaque du monde», § 3, OPC, op. cit.

* 207 M. Heidegger, «Le mot de Nietzsche `Dieu est mort'», op. cit., p. 291.

* 208 M. Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle part, «Pourquoi des poètes?» (1946), op. cit., p. 323.

* 209 M. Heidegger, Essais et Conférences, «Lettre à un jeune étudiant», trad. fr. A. Préau, Paris, Gallimard, 1958, p. 219.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand