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Le droit de l'OMC dans le sillage du commerce des aéronefs civils

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par Simon TURMEL
Université Montesquieu Bordeaux IV - Master 2 Droit international 2006
  

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CONCLUSION

À une question posée à Jean PIERSON, ancien président d'Airbus dans les années 80, à qui l'on demandait pourquoi le gouvernement américain supportait l'industrie aéronautique américaine par le biais de contrats octroyés par le Département de la défense, il répond : « Simply because the future of the U.S., and of Europe in our case, in not in perfume or popcorn. The future is in electronics, computers, aircraft, missiles and space339(*) Bien qu'anecdotique à première vue, cette réponse résume plutôt bien la problématique qui résulte du particularisme du secteur de l'aéronautique ainsi que les enjeux importants qui y sont associés. Pour les différentes raisons évoquées, l'aéronautique ne peut être considérée comme un produit comme les autres en regard du droit de l'OMC.

Ainsi, les efforts mis tant par le Brésil que le Canada pour donner une apparence de conformité à leurs programmes respectifs plutôt que de réellement se conformer à l'esprit des décisions de l'ORD, sont une démonstration éloquente de l'importance que ces pays accordent à leur industrie aéronautique. Un effet de ce différend entre les deux pays est que les contributions à l'industrie aéronautique sont désormais plus difficiles à identifier puisqu'elles sont dorénavant octroyées sur des bases discrétionnaires plutôt qu'en vertu d'un texte de loi exigeant l'octroi de telles subventions. Pensons simplement aux modifications apportées au PROEX! Le litige entre les États-Unis et l'Europe, pour sa part, confirme que les subventions sont répandues dans cette industrie, mais permet également de constater qu'elles prennent des formes diverses, parfois difficilement décelables.

Un certain nombre de facteurs, relevant de la science économique, permet d'expliquer pourquoi cette industrie a toujours bénéficié d'un support important des pouvoirs publics, bien que ce support puisse prendre différentes formes. Des auteurs ont résumé ainsi certaines des caractéristiques qui expliquent ce support des pouvoirs publics:

« Large commercial aviation markets are characterized by high research investment, high costs of production, and relatively small orders. This combination of factors seems to promote state intervention: an industry that is costly to run and yet is judged to be in the nation's interest, particularly if that nation has the capacities of a strong state. »340(*)

On peut penser, à la lecture de ce dernier extrait, que les particularités propres à l'industrie aéronautique que sont les coûts de développement et de production importants ou encore les commandes relativement peu nombreuses sont donc des éléments qui font en sorte qu'il serait particulièrement risqué pour des investisseurs commerciaux traditionnels, tel des banques, d'offrir des modalités de financement intéressantes pour les constructeurs. C'est un peu l'idée qui se cache derrière le «Risque Brésil» ou encore la SEE! Il s'agirait ici d'arguments purement financiers pour justifier l'intervention des pouvoirs publics.

Mais il y a également tous les facteurs relatifs à l'intérêt national que sont la fierté pour un peuple d'avoir une industrie de pointe et de haute technologie, ainsi que tous les emplois qui y sont liés. Et c'est sans compter les aspects plus géostratégiques, étayés en introduction.

Voilà autant de raison qui tendent à démontrer qu'il est illusoire et probablement utopique de penser que les pouvoirs publics pourraient totalement se désengager de l'industrie aéronautique et cesser du jour au lendemain de la subventionner. Bref, les subventions font partie intégrante de cette branche de production et du fait notamment que l'industrie aéronautique soit tournée essentiellement vers l'exportation, il en résulte que la presque entièreté des subventions qui lui sont consenties seront soit prohibées en vertu de l'article 3 de l'Accord SMC ou pourront donner lieu à une action en vertu de l'article 5 du même accord. Vouloir les éliminer totalement reviendrait probablement à se battre contre des moulins à vent.

Malgré tout, constater la réalité des subventions dans cette branche de production ne devrait pas être considéré comme l'équivalent de permettre leurs distribution à tout azimut. Une telle approche ne règlerait rien et pourrait vraisemblablement empirer les choses en accentuant les tensions.

La solution pourrait donc être l'adoption d'un véritable accord, sous les auspices de l'OMC, et qui prendrait en compte les particularités de cette branche de production. Cette solution n'est pas très originale en ce qu'elle a déjà été tentée. Toutefois, les tentatives ont toutes présentées des faiblesses. Il y a eu tout d'abord l'Accord plurilatéral de 1979, davantage considéré comme un énoncé d'intentions qu'autre chose. Ensuite, il y a eu l'Accord bilatéral de 1992 entre l'Europe et les États-Unis qui se situait en dehors du cadre de l'OMC. Toutefois, pour différentes raisons, les négociations pour aboutir à un véritable accord qui se situerait dans le giron de l'OMC n'ont pas abouti. Il en résulte que, par défaut, le commerce des aéronefs civils est, dans les faits, régi par les mêmes règles du droit international économique que n'importe quel autre produit comme le parfum ou le popcorn.

Bien que l'Accord de 1992 se situe en dehors du cadre de l'OMC et que sa vocation qui se devait temporaire permet d'expliquer son absence de contenu véritablement normatif, il s'agit néanmoins du texte le plus réaliste pour constituer la base d'un nouvel accord. D'ailleurs, dans l'esprit des cosignataires de cet accord, il était en quelque sorte une ébauche du texte qui aurait normalement vu le jour à l'issue du cycle d'Uruguay.

Cette absence d'instrument efficace et minimalement satisfaisant pour réglementer l'octroi d'aides publiques dans le commerce des aéronefs civils n'est pas sans conséquences. Dans un premier temps, la décision, tant pour le litige entre le Canada et le Brésil que celui entre les États-Unis et l'Europe, de judiciariser devant l'ORD les disputes à propos des aides octroyées oblige les groupes spéciaux établis par l'ORD à se pencher sur ces dossiers selon une perspective purement juridique. Or, pour ce faire, les groupes spéciaux sont dans l'obligation d'appliquer le droit de l'OMC tel qu'il existe au moment où les litiges sont intentés, qu'il soit adapté ou non à cette branche de production. Ils sont pris entre l'arbre et l'écorce et, bien involontairement, mettent ainsi la tête de l'OMC sur le billot.

Les groupes spéciaux sont alors nécessairement appelés à rendre des décisions qui sont en décalage par rapport à la réalité du milieu. Or, en rendant des décisions en décalage, nécessairement elles risquent d'être accueillies avec une certaine tiédeur par les parties. La mauvaise foi apparente de la part tant du Canada que du Brésil pour se mettre en conformité avec les recommandations formulées le démontre. C'est peut-être également une raison pour laquelle le litige a toujours gardé cet aspect politique malgré tout.

Fort de cette expérience, il est permis de craindre des dérapages si jamais le litige entre l'UE et les États-Unis devait se rendre jusqu'au stade de la mise en oeuvre des recommandations qui seront éventuellement formulées par l'ORD. Certains, parmi les plus pessimistes, avancent même l'idée que ce litige pourrait se transformer en véritable guerre commerciale entre les deux continents et entacher sérieusement la crédibilité de l'OMC. Parmi les contrecoups d'une telle guerre, il pourrait y avoir un prolongement sine die de la suspension des négociations du cycle de Doha. Ce sont donc les négociations relatives à l'accès aux marchés pour les PVD, sur l'accès aux médicaments, et quoi encore, qui s'enliseraient davantage.

La véritable problématique ne serait donc pas, comme certains observateurs l'ont avancé, de savoir s'il est opportun de recourir à l'ORD pour régler ce litige hautement politisé entre l'Europe et les États-Unis. Il nous semble qu'être en accord avec cette affirmation impliquerait de nier la nécessité d'un accord sur le commerce des aéronefs civils qui se situerait dans le cadre du droit de l'OMC. La véritable problématique est plutôt de voir si les instruments juridiques que doivent appliquer les différents groupes spéciaux sont véritablement adaptés pour la résolution de ce litige.

Un accord satisfaisant relativement au commerce des aéronefs civils et se situant sous l'égide de l'OMC nous semble une nécessité. Toutefois, afin de véritablement être satisfaisant et offrir une solution qui permettra d'assurer une saine compétition entre les différents constructeurs d'aéronefs, cet accord devrait impérativement répondre à certaines conditions afin d'éviter une solution partielle qui, finalement, risquerait de ne pas régler grand-chose et peut-être d'envenimer la situation.

Dans un premier temps, il est important de se questionner sur la portée qu'aurait un tel accord. S'il n'y avait que deux constructeurs d'aéronefs sur la planète, peut-être serait-il envisageable qu'une forme de régime parallèle à l'OMC ou d'entente bilatérale sur le type de celle de 1992 puisse exister et régler véritablement la question. Or, la réalité est toute autre et il existe plus de deux constructeurs d'aéronefs civils. Et c'est sans compter les différentes compagnies qui ont annoncé leur intention d'entrer dans ce marché dans les prochaines années. Parmi ces nouveaux arrivants imminents, il y a la Chine qui est appelée à devenir un joueur incontournable. Il faut donc éviter un simple accord bilatéral comme en 1992 de même qu'un accord plurilatéral tel celui de 1979. En effet, un accord plurilatéral risquerait de laisser à l'écart certains joueurs importants. Le Brésil par exemple n'est pas partie à l'Accord de 1979. L'option la plus viable est donc un accord multilatéral qui serait d'application obligatoire pour tous les pays membres de l'OMC. Il est vrai, toutefois, que la Russie resterait alors à l'écart d'un tel accord tant qu'elle ne sera pas membre de l'OMC.

Un tel accord impliquerait impérativement pour les acteurs majeurs de faire un certain nombre de compromis. Les États-Unis avaient déjà fait un pas en ce sens dans l'Accord de 1992 en reconnaissant l'existence des aides indirectes. Quant aux européens, ils avaient consenti à la limitation des aides au lancement ainsi qu'au remboursement de ces aides sur une période de 17 ans. Peut-être faudrait-il aller encore plus loin dans les concessions. Il va sans dire que cet accord devrait également prendre en considération les situations des autres pays ayant une industrie aéronautique et tenir compte du fait que certains de ces pays sont des PVD.

Paradoxalement, peut-être que les deux différends actuellement devant l'OMC et qui pourraient s'éterniser dans la mesure où chaque partie pourrait décider de porter en appel les rapports des groupes spéciaux constitue le moment idéal pour établir les bases d'une solution négociée. Dans l'optique où l'ORD se prononce à la fois contre l'Europe et contre les États-Unis et formule des propositions pour adapter les mesures prises par ces deux pays, les conséquences pour ceux-ci résultant de la mise en oeuvre de ces recommandations pourraient être importantes, notamment d'un point de vue politique. Il s'agirait alors d'une victoire à la Pyrrhus de part et d'autre. La conclusion d'une entente qui pourrait devenir la base d'un éventuel accord multilatéral pourrait peut-être permettre de limiter les dégâts politiques et éviter les risques de dégénération du conflit. Autrement, si le conflit dégénère, il pourrait être encore plus difficile, du moins à court terme, d'en arriver à des négociations qui permettraient de déboucher sur un accord qui règlerait cette délicate question des contributions des pouvoirs publics au commerce des aéronefs civils.

Une chose est toutefois certaine, les prochains mois risquent d'être critiques et déterminants pour le commerce des aéronefs civils et pour les acteurs impliqués. Les prochains mois pourraient également être critiques et déterminants pour l'OMC et particulièrement pour l'ORD. Il sera donc intéressant de voir quelle tangente cette affaire prendra et ce, tant juridiquement que politiquement.

* 339 Jaime DE MELO, Op. Cit., section 2.1, note 2.

* 340 John G. FRANCIS et Alex F. PEVZNER, Op. Cit., p. 634.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci