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Agents géographiques et société libertaire

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par Gérard Gonet-Boisson
Université de Pau et des Pays de l'Adour - DEA de Géographie 2000
  

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1.3 - Les "lois" reclusiennes de la compréhension du monde.

1.3.1 - La lutte des classes ou la critique de la domination

" La " lutte des classes ", la recherche de l'équilibre et la décision souveraine de l'individu, tels sont les trois ordres de faits que nous révèle l'étude de la géographie sociale et qui, dans le chaos des choses, se montrent assez constants pour qu'on puisse leur donner le nom de " lois ". " 102(*)

Son ouvrage politique L'évolution, la révolution et l'idéal anarchique103(*) et ses brochures militantes L'anarchie , A mon frère le paysan , Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes104(*) entre autres, vont nous servir de référentiel complémentaire pour dégager l'essentiel du concept de lutte de classe énoncé par Élisée Reclus.

L'existence des classes sociales, déjà démontrée par d'autres auteurs et popularisée par Marx105(*), repose pour Reclus sur l'inégalité sociale causée par la domination du système économique sur le pouvoir politique. Il observe que la capacité du capital à traverser les frontières d'État et de nationalité lui donne un grand avantage sur le pouvoir politique.

"Le pouvoir des rois et des empereurs est limité, celui de la richesse ne l'est point." 106(*)

S'il remarque d'autre part, que le pouvoir politique est pérennisé par l'État moderne et la bureaucratie inhérente, entraînant avec lui un système de hiérarchie sexuelle enraciné dans la famille patriarcale et un système d'oppression ethnique découlant du racisme, c'est surtout le capital qui fait l'objet de son attention. Il affirme que c'est celui-ci qui demeure l'obstacle majeur de l'émancipation sociale. Pour sa démonstration, il étudie en détail l'évolution des formes de propriété contribuant ainsi à l'enrichissement de la théorie anarchiste sur la propriété. Comme d'autres précurseurs (Godwin107(*)) ou théoriciens (Proudhon108(*)) de l'anarchisme, il dévoile l'existence de formes anciennes d'appropriation fort différentes des formes de " propriété " actuelles. Il rejoint les analyses de Kropotkine109(*) en affirmant que les anciennes sociétés liaient la possession à l'usage, et n'avaient aucun concept de " propriété privée " individuelle ou collective ; que la forme la plus ancienne d'appropriation fut suivie d'un système de possession par la communauté dans son ensemble. Même la propriété collective, ne le satisfait pas :

" C'est déjà une limitation du droit primitif de labour appartenant à tous". 110(*)

La forme la plus ancienne reste la plus proche de ce que Reclus propose pour le futur, c'est-à-dire la distribution selon le besoin ou, comme il le dit, fondée sur la solidarité humaine et intercommunautaire. Il fait la distinction entre les formes de propriété et possession, et sur la distinction entre les formes de propriété qui sont du "vol" et celles qui expriment la "liberté". Pour lui, c'est le maintien du type d'appropriation privée des moyens de production qui est facteur d'inégalité sociale. Il attribue l'échec des hommes à se reproduire adéquatement à l'égoïsme de l'abondance111(*), et présente le phénomène comme un exemple de la façon dont, dans un système capitaliste, la poursuite des intérêts personnels entre en conflit avec le bien général.112(*) Pour lui :

" perpétuer la morale de la résignation de la prétendue " loi naturelle " de l'existence d'une classe pauvre est non seulement un crime collectif commis par les possédants mais surtout une absurdité puisque aujourd'hui les produits disponibles dépassent les nécessités de la consommation ". 113(*)

En ce domaine, il anticipe les thèses économiques du socialisme distributiste de Jacques Duboin des années 1930114(*). Il mesure aussi les conséquences de la domination du pouvoir économique engendrées par l'exploitation de la nature en prévenant des graves risques encourus sur la bio-diversité et l'équilibre écologique. L'autre aspect de sa démonstration se dirige sur le terrain éthique, partageant en cela la vue de Godwin sur la non pertinence de la justification des classes :

" Rien dans la nature humaine, rien dans la loi naturelle, pour autant que l'on puisse parler de l'une ou de l'autre, ne justifie les inégalités sociales. Aucun privilège n'est mérité, il n'est dû qu'à un simple concours de circonstances." 115(*)

Elisée Reclus argumente que le pouvoir économique détruit la possibilité d'épanouissement de l'être humain. Nonobstant, il remarque que la division croissante du travail, en dépit de ses aspects cruels et destructeurs, apporte une nette contribution au progrès, non seulement en augmentant la richesse de la société, mais également en permettant la :

" participation d'un nombre d'ouvriers de plus en plus grand à la science de la mécanique et à toutes les connaissances qui s'y rattachent : électricité, chimie, travail des métaux ". 116(*)

Au lieu de souhaiter la suppression de ce processus, il pense, comme Bakounine, Kropotkine et d'autres théoriciens anarchistes, que le but de la société doit être plutôt d'étendre ce processus pour qu'il en résulte finalement :

" une synthèse des travaux intellectuels et manuels dans laquelle la science devienne active ". 117(*)

Les solutions préconisées par Reclus pour résoudre cette inégalité sociale, repose sur l'éducation et le savoir118(*) et la prise en compte de la liberté de l'homme, pour non seulement opposer une force suffisante pour :

" détruire le pouvoir despotique des personnes et des choses et l'accaparement personnel des produits du travail collectif ". 119(*)

mais pour construire, par l'association des travailleurs et par l'esprit de grève des systèmes d'entraide permettant l'arrivée de la révolution sociale :

" Nous comprenons que la vie est impossible sans groupement social. Isolés, nous ne pouvons rien, tandis que par l'union intime nous pouvons transformer le monde. Nous nous associons les uns aux autres en hommes libres et égaux, travaillant à une oeuvre commune et réglant nos rapports mutuels par la justice et la bienveillance réciproque ". 120(*)

Que penser de cet "ordre de fait" de lutte de classe développé par Reclus ? A l'évidence, comme le souligne la note de Marx, d'autres scientifiques et théoriciens du socialisme tels Guizot, Augustin Thierry ou De Girardin ont démontré l'affrontement existant entre les bourgeois et l'aristocratie durant la Révolution française. Puis plus tard, vers les années 1830, après la révolte des Canuts à Lyon, la prise en compte de l'opposition entre bourgeois et prolétaires prend un caractère plus nettement politique. En cela, Élisée Reclus n'a pas innové avec l'usage du concept de lutte de classe. N'oublions pas que déjà un autre anarchiste célèbre, Proudhon a mis en évidence la lutte au sein de la société entre la classe qui possède et celle qui ne possède pas et l'a théorisée. 121(*)

* 102 L'homme et la terre. Op. cit., volume 1, p. IV de l'introduction. Nous avons conservé les caractères typographiques de l'auteur.

* 103 L'évolution, la révolution et l'idéal anarchiste. Op. cit. et tout récemment réédité par Phénix éditions dans la Bibliothèque libertaire et anarchiste. 1999, 314 p.

* 104 Pour avoir une vision complète de ses oeuvres, il est souhaitable de consulter l'excellent site Internet de l'Université de Montpellier consacré à sa bibliographie : http ://alor.univ-montp3.fr/RA_Forum/Reclus/

* 105 Au sujet de l'inventeur du concept de "lutte de classes" que l'on peut attribuer à Marx, nous pouvons apporter ces deux précisions :

A- Selon Delacampagne Christian dans La philosophie politique aujourd'hui. Paris : Seuil, 2000, p. 94 : Marx lui-même a reconnu, dans une lettre à Engels du 27 juillet 1854, que son propre concept de "lutte des classes" devait à la théorie de la "guerre des races" propagée par les historiens "bourgeois" Thierry et Guizot - lesquels avaient eux-mêmes trouvé la théorie en question chez Boulainvilliers.

B- Selon Marx lui-même : "Maintenant, en ce qui me concerne, ce n'est pas à moi que revient le mérite d'avoir découvert l'existence des classes dans la Société moderne, pas plus que la lutte qu'elles s'y livrent. Des historiens bourgeois avaient exposé bien avant moi l'évolution historique de cette lutte des classes et des économistes bourgeois en avaient décrit l'anatomie économique. Ce que j'ai apporté de nouveau, c'est :

1°) de démontrer que l'existence des classes n'est liée qu'à des phases historiques déterminées du développement de la production ;

2°) que la lutte des classes mène nécessairement à la dictature du prolétariat ;

3°) que cette dictature elle-même ne représente qu'une transition vers l'abolition de toutes les classes et vers une société sans classes ". Marx Karl dans une lettre à Weydemeyer J. datée du 5 mars 1852.

* 106 L'homme et la terre. Op. cit., volume 6, p. 256.

* 107 Godwin William. Et l'euthanasie du gouvernement. Lyon : ACL, 1993, 151 p. Textes traduits et présentés par Thévenet Alain.

* 108 Proudhon Pierre Joseph. Qu'est-ce que la propriété ? Paris : Flammarion, 1966, 315 p.

* 109 L'entraide, un facteur de l'évolution. Op. cit., 356 p.

* 110 L'homme et la terre. Op. cit., volume 6, p. 258.

* 111 L'évolution, la révolution et l'idéal anarchique. Op. cit., p. 98-99.

* 112 L'homme et la terre. Op. cit., volume 5, p. 416.

* 113 L'évolution, la révolution et l'idéal anarchique. Op. cit., p. 98.

* 114 Pour une analyse plus fine des thèses distributistes : Lambert Jean-Paul. Le socialisme distributiste. Paris : L'Harmattan, 1998, 189 p. ou la revue La Grande Relève BP 108, 78110 Le Vésinet.

* 115 Godwin William. Et l'euthanasie du gouvernement. Op. cit., p. 21.

* 116 L'homme et la terre. Op. cit., volume 6, p. 324.

* 117 Ibid.

* 118 " Le savoir dirigera bientôt le pouvoir ". affirme-t-il dans L'évolution, la révolution et l'idéal anarchique. Op. cit., p. 175.

* 119 L'évolution, la révolution et l'idéal anarchique. Op. cit., p. 176.

* 120 Reclus Élisée. Pourquoi sommes-nous anarchistes. Brochure de 1889. Consultable sur le site Internet de l'Université de Montpellier.

120 Proudhon Pierre Joseph. Idées générales de la révolution au 19° siècle. Paris : FA, 1979, 255 p.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery