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L'extraterritorialité du droit américain et la violation des droits de l'homme par les sociétés transnationales

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par Clémentine BACRI
Paris-1 Panthéon Sorbonne - M2 Droit anglais et nord-américain des affaires 2009
  

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TITRE PREMIER : LES FONDEMENTS JURIDIQUES

A. Le Droit Pénal

i. FOREIGN CORRUPT PRACTICE ACT

En principe, le droit pénal d'un État s'applique uniquement pour sanctionner les actes commis entièrement ou au moins partiellement, sur le territoire et sous la juridiction de cet État. Ce principe est en vigueur dans tous les États, et donc aussi aux États-Unis 16 .

Pourtant, ces derniers ont fait une exception lorsque le Président Carter a fait voter la

17 Foreign

Corrupt Practice Act (FCPA) de 197718, loi américaine fédérale, à la suite du scandale Lockheed19. Alors que la corruption était à l'époque considérée comme un « mal nécessaire »20, et que plus de 400 firmes américaines avaient procédé à des paiements illégaux ou douteux dans les années 1 97021 , pour la première fois une loi incriminait la corruption d'agents publics étrangers par des entreprises américaines.

Pour les américains, la FCPA est une loi à vocation extraterritoriale. C'est ainsi qu'en 1988, la FCPA a permis au Président des États-Unis de sensibiliser les autres États contre le phénomène de la corruption. Le Président devait par exemple présenter un rapport sur :

- le progrès des négociations au niveau de l'OCDE

- les étapes que les pouvoirs exécutifs et législatifs américains devraient suivre si les négociations à l'OCDE échouaient

16 S JOSEPH, «Corporations and Transnational Human Rights Litigation» (Hart Publishing, Oxford 2004) 13.

17 Nous utiliserons le féminin pour cette loi, étant donné la définition fournie par Homer MOYER Jr., Président du Groupe de Travail anti Corruption de l'International Bar Association dans « Évolution de l'application du Foreign Corrupt Practice Act aux États-Unis », sur www.ethic-intelligence.com/.../Homer%20Moyer%20Jr.pdf : il a nommé la FCPA comme la « Loi sur les pratiques de corruption à l'étranger ».

18 5 U.S.C. §§ 78dd-1, et seq.

19 Rich, Ben R. et Leo JANOS. «Skunk Works: A Personal Memoir of My Years at Lockheed». New York: Little Brown & Co., 1994, p. 10. ISBN 0-75151-503-5

20 Daniel DOMME, président de Transparence International « La corruption internationale au tournant du Siècle ». ISBN 213051 82x, 220 p. p79 à 85, Revue Internationale et Stratégique. Dalloz, dossier n°43 200 1/3. Accessible sur http://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2001-3-page-79.htm. A jour du 14 juillet 2009.

21 Selon une étude de la Securities and Exchange Commission (SEC)

- les actions que l'Administration américaine pourrait entreprendre afin de lutter contre la corruption sur le plan international.

Pour les États-tiers, la FCPA fut (et est toujours) ressentie comme un des exemples de l'hégémonie américaine. Cependant, plusieurs États mirent en place il y eu mise en place des stratégies comparables afin de lutter contre la corruption dans un contexte international, à la suite de la FCPA. En effet, sur l'initiative des États-Unis, des instances internationales et régionales22 se saisirent de la question et proscrirent la corruption. Notons toutefois l'exception notable de l'Organisation Mondiale du Commerce23 et de quelques organismes financiers internationaux.

Revenons au régime de la FCPA. Cette loi confie aux Cours américaines une compétence extraterritoriale pour juger les citoyens et entreprises américains qui auraient corrompu ou tenté de corrompre des fonctionnaires Gouvernementaux étrangers, ou des candidats à des postes Gouvernementaux. Cette loi nous intéresse ici, en ce qu'elle rend compétentes les cours américaines pour juger des actes de corruption ou de violation des Droits de l'Homme, commis par des personnes physiques ou morales américaines.

Concernant la compétence rationae personae : la FCPA s'applique directement à trois types de ressortissants ou entreprises (et indirectement aux dirigeants, administrateurs, salariés, agents et actionnaires agissant pour le compte de la société transnationale ou STN) :

« Les émetteurs » 24 : les sociétés cotées qui ont enregistré des titres auprès de la SEC, doivent lui fournir des documents « dans l'intérêt du public, ou pour la protection des investisseurs, et pour une utilisation équitable des marchés (fair dealing in Security)25 ». Ces obligations ont pour finalité de fournir une image financière exacte des activités de ces émetteurs.

Les « entreprises nationales26 autre que les émetteurs27 » i.e. les citoyens américains et les personnes morales établies aux États-Unis ou organisées selon la loi des États-Unis28 .

personnes29 autres qu'un émetteur ou une entreprise nationale30

», i.e. toute personne physique

Les «

qui n'est ni citoyenne, ni ressortissante ni résidente des États-Unis. Cela vise toute entité industrielle ou

22 Telles que l'Organisation des États Américains, l'Union Européenne et l'Office Européen de Lutte Anti Fraude OLAF, le Conseil de l'Europe, l'Organisation de Commerce et de Développement Économiques OCDE,

23 ( Par la suite nous l'appellerons « OMC ») La question a été évoquée sous l'angle de la transparence des marchés publics, mais n'a pas dépassé le niveau d'un groupe de travail.

24 1484 FCPA (n 6) § 78dd-1(a).

25 Cf. 15 USC §§ 78m, 78o (d); A DAHMS, N MITCHELL, `Foreign Corrupt Practices Act' (2007) 44 Am Crim L Rev 605, fn 21 (n 9) fn 22.

26 FCPA (n 6) § 78dd-2(a).

27 Ibidem (ibid.) §78dd-2(a) (`...other than an issuer under section 78dd-1 ').

28 Ibid § 78dd-2(h) (1) (B).

29 Ibid § 78dd-3(a).

commerciale organisée selon la loi d'un État étranger et dont les titres ne sont pas négociés sur une bourse des États-Unis31.

L'on voit ainsi à quel point cette compétence est large, et peut sanctionner des américains et des non- américains. Cette vocation extraterritoriale et extra-personnelle de certaines lois américaines est mal acceptée et comprise à l'étranger, et est sujette à de vives critiques.

Concernant la compétence rationae materiae : la FCPA interdit « l'offre, le paiement, la promesse ou le don à un dirigeant étranger, un responsable politique étranger, un candidat à un poste politique étranger, ou un agent d'une de ces trois catégories de personnes, en vue d'obtenir, de conserver ou de diriger un marché donné 32 hors des États-Unis ». Cet acte peut avoir eu lieu sur le territoire américain ou à l'étranger33. Quatre actions sont interdites par la FCPA :

- Influencer l'acte ou la décision d'un agent public étranger (du Gouvernement ou d'un parti politique) - Inciter un agent public étranger à violer ses obligations légales34

- Recevoir un avantage indu de la part de l'agent public étranger35 .

- Inciter un agent public étranger à user de son influence auprès de l'autorité publique d'un autre État étranger 36 .

Pour ces quatre actions prohibées, l'intention de corrompre est exigée, de sorte qu'est interdit tout paiement effectué à un agent public étranger afin d'atteindre un but proscrit par la loi. En fait, l'intention de corrompre se confond avec le but illégal de l'acte effectué par l'agent qui a reçu le paiement.

De plus, ces actions interdites, faites dans l'intention de corrompre, doivent être effectuées dans le but d'obtenir ou conserver un marché ou autre avantage indu : cet avantage peut viser l'offre, le paiement, la promesse de paiement ou l'autorisation de paiement de toute somme d'argent ou d'une chose de valeur, cette dernière notion étant comprise au sens large.

Enfin, le corrupteur doit avoir conscience de la violation de la FCPA, une négligence ou une « bêtise » n'étant pas suffisante.37

30 Ibid § 78dd-3(a).

31 Ibid § 78dd-3(f) (1).

32 Ibid. §§ 78dd-1(a) (1) - (3) (pour les émetteurs), 78dd-2(a) (1) - (3) (pour les entreprises nationales), 78dd-3(a) (1) - (3) (pour toute personne).

33 Cf. Ibid §§ 78dd-1(g) (1)-(2), 78dd-2(i) (1)-(2). Il n'y a pas d'équivalent pour les sociétés immatriculées à l'étranger dans la section 78dd-3.

34 FCPA (n 6) §§ 78dd-1(b), 78dd-2(b), 78dd-3(b).

35 Ibid.

36 Ibid §§ 78dd-1(a)(1)(B), a(2)(B), a(3)(B), 78dd-2(a)(1)(B), a(2)(B), a(3)(B), 78dd-3(a)(1)(B), a(2)(B), a(3)(B).

Par ailleurs, puisque cette loi est fédérale, il convient de rattacher l'acte visé au commerce interétatique38 pour qu'il soit prohibé. En pratique, cela ne pose guère de difficultés puisque les activités d'une STN américaine à l'étranger39, et celles d'une STN étrangère aux États-Unis40 , remplissent cette condition.

Envisageons maintenant les défenses que le prétendu corrupteur peut invoquer 41 afin de s'exonérer de toute responsabilité. Ainsi, une entreprise ne sera pas condamnée si elle prouve que :

- Le paiement était licite en vertu des lois et règlements écrits de l'État de l'agent public étranger

- Le paiement était « une dépense raisonnable et de bonne foi, tels des frais de voyage et d'hébergement », encourue par l'agent public étranger ou pour son compte et étant « directement liée à la promotion, la démonstration ou la présentation de produits ou services » ou à la « conclusion ou l'exécution d'un contrat avec une autorité publique étrangère ou l'un de ces organismes »42 . A ce jour, aucun paiement ayant fait l'objet d'une enquête de la part des autorités américaines n'a relevé de cette exception.

Au niveau procédural, les poursuites en vertu de la FCPA ne peuvent être initiées à l'encontre des entreprises que par le Département de la Justice ou le SEC 43, et non par des personnes physiques individuelles44. Par conséquent, les victimes d'une violation de la FCPA ne peuvent pas invoquer directement la FCPA, mais peuvent à la place porter à l'attention des agences Gouvernementales les violations alléguées de la FCPA45.

Ces limites procédurales restreignent considérablement l'action qu'une personne victime d'une violation des Droits de l'Homme pourrait fonder sur la base de la FCPA, en invoquant une pratique corruptrice.

37 Cf. DAHMS et MITCHELL (n 9) 616-17.

38 Constitution des États-Unis, art. I section 8, 3e alinéa. Voir également le Xème amendement de la Constitution des États- Unis « les pouvoirs qui ne dont pas délégués aux États-Unis par la Constitution ni refusés par elle aux États sont réservés aux États ou au peuple ».

39 Selon le Département de la Justice des États-Unis : S. Rep.277, 105th Cong., 2nde Sess (1998). H. Rep. 802, 105th Cong, 2nde Sess (1998).

40 Selon les travaux préparatoires aux modifications de 1998

41 Le ministère public doit prouver que les éléments de l'infraction sont réunis ; mais c'est au défendeur de prouver le moyen de défense alternatif. Selon W. BLACKSTONE, « Commentaries 201 », la charge de la preuve concernant l'effet justificatif des excuses absolutoires ou atténuantes incombe au défendeur.

42 15 U.S.C. § § 78dd-1 (c) et 78dd-2(c) et 78dd-3(c). Mais s'il y a eu intention de corrompre, alors le paiement ne sera pas effectué de bonne foi et le moyen de défense ne pourra pas être valablement invoqué : H. Conf. Rep. 576, 100th Cong. 2nd Sess. 992 (1998).

43 Cf. Clayco Petroleum Corp v Occidental Petroleum Corp 712 F 2d 404 (9th Cir 1983) 409, cert denied 464 US 1040 (1984).

44 Lamb v Philip Morris, Inc 915 F 2d 1024 (6th Cir 1990) 1027-30, cert denied 498 US 1086 (1991).

45 Cf. Infra DAHMS and MITCHELL (n 9) 619-20.

Toutes ces affaires n'ont donné lieu à aucun jugement, puisqu'elles ont fait l'objet de transactions.

De quelles sanctions sont susceptibles de faire l'objet les entreprises qui violent la FCPA ? Tout d'abord, en vertu de la FCPA :

- Les STNs peuvent être condamnées à une amende allant jusqu'à 2 millions de $ 49 .

- Les dirigeants, administrateurs, salariés, agents et actionnaires agissant pour le compte de la STN peuvent être condamnés à une amende allant jusqu'à 100 000 $, et/ou un emprisonnement maximal de 5 ans.

Par ailleurs, selon le Code des États-Unis50 , des amendes alternatives sont possibles : si le délit occasionne un gain ou une perte pécuniaire, le Code autorise des amendes maximales alternatives égales au montant le plus élevé du double du gain brut ou du double de la perte brute.

Les personnes physiques peuvent être condamnées à une amende calculée de cette manière, ou bien à une amende maximale de 250 000 dollars, et/ou à une peine d'emprisonnement de 5 ans.

Les personnes morales peuvent être condamnées à une amende calculée comme précédemment ou à une amende maximale de 500 000 Dollars 51. En annexe (tableau 1), est repris un tableau récapitulatif52 qui compare les sanctions prévues dans la FCPA et dans le U.S.C.

Selon le Département de la Justice, les prévenus dans les affaires relevant de la FCPA ont souvent été condamnés à des amendes supérieures aux montants prévus dans la FCPA.

46 Cf. US Securities and Exchange Commission, `GE InVision, Inc. (connu sous le nom de InVision Technologies, Inc.): Lit. Rel. No. 19078 / 14 février 2005 accessible sur http://www.sec.gov/litigation/litreleases/lr19078.htm au 14 juin 2009.

47 Cf. US Securities and Exchange Commission, `ABB Ltd : Lit. Rel. No. 18775 / 6 juillet 2004 accessible sur http://www.sec.gov/litigation/litreleases/lr18775.htm au 14 juin 2009.

48 US Securities and Exchange Commission, `The Titan Corporation : Lit. Rel. No. 19107 \ 1er mars 2005 accessible sur http://www.sec.gov/litigation/litreleases/lr19107.htm au 14 juin 2009.

49 FCPA (n 9) §§ 78dd-2(g) (1) (A), 78dd-3 (g) (1) (A).

50 United State Code (U.S.C.), accessible par titre sur http://www.gpoaccess.gov/uscode/browse.html

51 18 U.S.C. § 3571.

52 Cf. sur www.oecd.org/dataoecd/16/29/2390476.pdf. Vu le 2 juillet 2009.

ii. RACKETEER INFLUENCED AND CORRUPT ORGANIZATIONS ACT

Le Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act53 (RICO)54 peut être utilisé comme une alternative à la FCPA, puisqu'il peut être invoqué par des requérants lorsque ces derniers ne peuvent pas invoquer la FCPA. Toutefois, le RICO fut à l'origine institué pour combattre le crime organisé au sein des États-Unis, afin de protéger l'économie américaine contre les effets néfastes de l'escroquerie.

Ce n'est donc pas à proprement parler un outil juridique dont le but est de protéger les Droits de l'Homme, mais ces derniers seront protégés indirectement lorsque l'action de la STN qui les aura violé, impactera l'économie américaine. Étant donné cette faculté offerte par le RICO de sanctionner les abus en matière de Droits de l'Homme, nous allons à présent en étudier son régime.

Concernant la compétence rationae personae : le RICO s'applique aux personnes physiques et morales capables de « détenir des biens » 55, et comprend donc les STNs56 . Nous ne nous intéresserons qu'au cas de ces dernières.

Concernant la compétence rationae materiae : constitue un crime - qui sera jugé par les cours fédérales 57 - le fait pour une personne d'appartenir ou d'être associé à une entreprise, dont l'activité affecte le commerce interétatique et qui est impliquée, directement ou indirectement, dans un « schéma de racket »58.

Pour que le schéma de racket soit établi, il faut que :

- Deux des crimes et/ou délits listés aient été perpétrés au cours d'une période de 10 ans (on y trouve entre autres l'usure, la contrefaçon, la fraude postale et électronique, la contrefaçon de papiers d'identité 59, le meurtre, l'enlèvement, le jeu, l'incendie criminel, le vol qualifié, la corruption, l'extorsion et le trafic de stupéfiants mais aussi l'esclavage, le travail forcé et le trafic d'êtres humains60, ou l'exploitation sexuelle de mineurs61 )

53 Traduite par la « Loi sur les organisations corrompues et influencées par les rackets » selon Joseph WHEATLEY « Contre le Crime organisé aux États-Unis : le RICO », Les Cahiers de la Sécurité Intérieure, 07, paru le 30/01/2009, 152-162 p. > Nous utiliserons, comme l'auteur, le masculin pour désigner cette loi.

54 18 USC § § 1961-1968. L'intégralité du texte est disponible ici : http://www4.law.cornell.edu/uscode/18/ch96.html

55 « any individual or entity capable of holding a legal or beneficial interest in property » Ibid § 1961(3)

56 Cf. RICO (n 41) § 1961(4). Cela inclut les groupes d'entreprises, les «partnerships» ou toute autre entité légale, de même que «toute union ou groupe d'individus associés en fait, et non en droit». Exemples : Fitzgerald v Chrysler Corp 116 F 3d 225 (7th Cir 1997) 226; Liquid Air Corp v Rogers 834 F 2d 1297 (7th Cir 1987) 1306.

57 RICO (n 41) § 1964(a).

58 « pattern of racketeering activity » Ibid § 1962(c).

59 RICO (n 41) § 1961(1).

60 Ibid. § 1961(1) (B). Cela inclut des infractions prévues au 18 USC §§1581-1592, qui pénalise, par exemple, l'obtention de travail par une personne contre sa volonté (18 USC § 1589) ou le trafic sexuel d'enfants (18 USC § 1591).

61 RICO (n 41) § 1961(1) (B). Et ce crime est pénalement sanctionné même s'il est commis hors des États-Unis : Cf. 18 USC § 2260.

- ces évènements soient connectés

- ces évènements représentent une « activité criminelle continue », présente, passée ou future.

En outre, le racket doit avoir causé un dommage sur la propriété d'une personne62 , américaine ou non. Par conséquent, l'acte sera sanctionné même s'il n'affecte que le commerce interétatique étranger, l'utilisation de cette loi a donc été étendue et permet ainsi de facilement atteindre l'activité d'une STN, quel que soit son État d'origine.

Quelles sont les sanctions encourues par les STNs dont les activités rentrent dans le champ d'application du RICO ? Les STNs peuvent être condamnées à une peine d'emprisonnement maximale de 20 ans63 et/ou une amende maximale de 25 000 dollars , ainsi que la confiscation de leurs biens. De plus, le RICO permet aux citoyens d'intenter des actions en justice pour les dommages causés à leurs biens. Ces derniers auront droit au triple des dommages subis, ajoutés aux frais de justice64 .

Le RICO apparait donc comme une arme efficace pour lutter contre les violations de certains Droits de l'Homme perpétrés par les STNs non américaines, même lorsqu'elles ont agi en dehors des États-Unis (avec la réserve précitée de l'affectation du commerce interétatique). Cependant, le RICO n'a pas d'application extraterritoriale en principe 65 ; son réel objectif étant, nous l'avons dit, de protéger l'économie américaine contre les effets du crime organisé.

C'est la raison pour laquelle l'application du RICO hors des frontières américaines est possible, mais dépendra du « test des effets » ou du « conduct test » 66 : dans l'arrêt Unocal III67, le requérant devait prouver que le comportement de la STN avait produit des « effets substantiels, directs et prévisibles sur le territoire américain68 », même si ces effets étaient commis à l'étranger. La charge de la preuve revient donc au requérant étranger, et cette dernière est relativement lourde69 .

62 RICO (n 41) § 1964(c).

63 RICO (n 41) § 1963 (a).

64 Ibid § 1964(c).

65 Il y a des divergences entre les cours américaines ; cf. notamment Jose v M/V Fir Grove 801 F Supp. 349 (DC Oregon 1991) 357 selon qui « la lettre et l'histoire du RICO ne sont pas parvenus à démontrer que le Congrès souhaitait voir cette loi appliquée hors des frontières »). A l'inverse, cf. Doe I v State of Israël 400 F Supp. 2d 86 (D DC 2005) 115 selon qui «Le Congrès souhaitait une application extraterritoriale du RICO». En fait, le RICO s'applique de manière extraterritoriale dans des cas très limités.

66 Selon Oxford Pro Bono Publico, « Obstacles to Justice and Redress for Victims of Corporate Human Rights Abuse : A comparative submission prepared for Professor John RUGGIE », 3 novembre 2008, Law Faculty of the University of Oxford, p. 317. Accessible sur http://www.reports-and-materials.org/Oxford-Pro-Bono-Publico-submission-to-Ruggie-3-Nov-08.pdf . Cet article cite, en se référant à ces tests, la jurisprudence Doe I v Unocal 395 F.3d 932 (9th Cir 2002) (Unocal III) 945 fn 15.

67 Doe I v Unocal 395 F.3d 932 (9th Cir 2002) (Unocal III) 945 fn 15,

68 Ibid Doe I v. Unocal : l'arrêt cite, au paragraphe 961, l'arrêt Consol Gold Fields PLC v Minorco, SA 871 F 2d 252 (2d Cir 1989) 261-62.

69 E Eguh UDOBONG, `Multinational Corporations facing the Long Arm of American Jurisdiction for Human Rights and Environmental Abuses: The Case of WIWA v Royal Dutch Petroleum, Co.' (2005) 14 Southeastern Envtl L J 89, 126.

Cette réelle difficulté d'application extraterritoriale explique probablement pourquoi l'usage du RICO pour remédier aux violations des Droits de l'Homme par des requérants étrangers n'a pas été concluant, malgré de multiples tentatives. Citons par exemple les cas de :

- Doe contre Israël70, concernant la requête de Palestiniens résidents sur la West Bank71 contre Israël et des financeurs américains, pour la politique de colonisation d'Israël dans la West Bank

- Unocal III , concernant la requête de Birmans contre une société française, pour des actes du Gouvernement Birman

- Jose72 , concernant une requête de Philippins contre les propriétaires japonais et philippins de navires, pour du travail forcé pratiqué dans les Philippines, au Japon et aux États-Unis.

Toutefois, il existe au moins un cas qui prouve le contraire : l'arrêt Wiwa contre Royal Dutch Petroleum Co73 , relatif au meurtre d'un activiste nigérian des Droits de l'Homme (défenseur actif des Droits de l'Homme, M. SARO-WIWA) an Nigeria. La requête fut déposée au nom de la famille du défunt contre deux STNs européennes (la Royal Dutch Petroleum Company, la Shell Transport and Trading Company), et la filiale nigériane (Shell Petroleum Development Company). Les sociétés étaient accusées d'avoir fourni au Gouvernement Nigérian des armes pour attaquer des villages nigérians, afin de stopper toute opposition aux activités des STNs dans cette région.

La District Court a jugé le 26 mai 2009 que les requérants avaient bien apporté la preuve que le test des effets était rempli, puisque le comportement des sociétés défenderesses avait entrainé une diminution des coûts d'extraction de pétrole, et ainsi affectait le marché américain du pétrole en donnant un avantage comparatif injuste à ces sociétés. Le 9 juin dernier (2009), la STN Shell a transigé avec les plaignants, pour un montant de 15,5 millions de dollars, mettant ainsi fin à l'instance en cours 74. L'association « Remember Saro-Wiwa » a déclaré qu' « aucune société qui aurait été innocente de toute association avec l'armée nigériane et innocente de toute violation des Droits de l'Homme, n'aurait transigé pour 15,5 millions de dollars. Cela prouve clairement que la société avait quelque chose à cacher »75 . Shell a

70 Ibid. (n 143) 95-96

71 Partie Est des territoires palestiniens, à l'Ouest du fleuve Jourdain.

72 Ibid. n143

73 2002 WL 319887 (SD NY 2002). Accessible par Westlaw International ou sur http://ccrjustice.org/ourcases/currentcases/wiwa-v.-royal-dutch-petroleum#files. Vu le 13 juillet 2009.

74 Source : NY Times, «Shell to Pay $15.5 Million to Settle Nigerian Case», 8 juin 2009, http://www.nytimes.com/2009/06/09/business/global/09shell.html?_r=1&ref=global et CNN World, « Saro-Wiwa's son : justice is always hard won», 9 juin 2009 http://edition.cnn.com/2009/WORLD/africa/06/09/saro-wiwa.transcript/. Contenu de la transaction : www.earthrights.org/.../Wiwa%20v%20Shell/Wiwa-v-Shell-agreements-and-orders.pdf

75 The Real News, «Did shell collaborate in Nigerian executions ?» 10 juin 2009.

http://therealnews.com/t/index.php?option=com_content&task=view&id=31&Itemid=74&jumival=3845&updaterx=2009-06- 10+01:43:12

quant à lui répondu que ce n'était qu'un geste de sympathie, niant ainsi toute culpabilité dans la mort de Saro-Wiwa et des autres Ogoni Nine76.

A travers cet exemple, nous voyons que le RICO a pu être utilisé comme fondement juridique par une victime de violation des droits fondamentaux, pour attaquer en justice une STN d'un État-tiers (tiers par rapport à la nationalité de la victime, et tiers par rapport à la législation américaine).

Au vu des sanctions civiles et pénales prévues par le RICO, cette loi était considérée comme mixte. Voyons à présent le contenu du droit américain purement civil, invocable à l'encontre d'une STN pour des faits de violations des Droits de l'Homme hors du territoire américain.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard