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L'extraterritorialité du droit américain et la violation des droits de l'homme par les sociétés transnationales

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par Clémentine BACRI
Paris-1 Panthéon Sorbonne - M2 Droit anglais et nord-américain des affaires 2009
  

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B. Le Droit Civil

Malgré les dispositions pénales permettant de poursuivre pénalement des entreprises transnationales opérant à l'étranger, les recours en droit civil offrent des « remèdes » plus accessibles aux requérants.

Comme nous l'avons vu infra, les États-Unis sont un État fédéral où les compétences fédérales, nationales et locales se superposent. Par conséquent, il n'y a pas de droit commun unifié pour les 50 États-Unis d'Amérique ; la doctrine Erie77 (nommée ainsi car elle fut énoncée par Justice BRANDEIS de la Cour Suprême lors de l'arrêt Erie Railroad Co contre Tompkins78) énonce en effet qu'il n'y a pas de Common Law fédérale qui soit générale79. Par conséquent, la Common Law fédérale «non générale» n'existe que dans les limites « nécessaires aux intérêts fédéraux80 ».

Selon la doctrine Erie, le « Tort Law » ne fait pas partie de cette Common Law fédérale 81 , puisque son évolution dépend principalement des autorités nationales. Étant donné qu'il n'est pas possible d'étudier les Tort Laws en vigueur dans chacun des 50 États américains, nous ne nous intéresserons qu'au Droit Fédéral.

Voyons donc le contenu du Droit Fédéral qui permet d'intenter une action civile contre les STNs. Nous pouvons en recenser trois : le Alien Tort Claims Act (ATCA) de 1789, le Torture Victime

76 Shell.com, « Shell settles Wiwa case with humanitarian gesture », 6 juin 2009.

http://www.shell.com/home/content/media/news and library/press releases/2009/shell settlement wiwa case 08062009.html

77 Cf. pour une étude détaillée en français : A. TUNC « L'application du droit des États-Unis par les juridictions fédérales des États-Unis (Erie Railroad Co v. Tompkins) », Revue Internationale de Droit Comparé, Année 1951, Volume 3, Numéro 1, p. 5-35. Pp. 25-26 et passim. Accessible sur http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ridc_0035- 3337_1951_num_3_1_6310 à jour du 10 juillet 2009.

78 Erie Railroad Co. y. Tompkind (1938), 304 U.S. 64, 82L. ed. 1188, 58 S. Ct. 817, 114 ALR 1487.

79 « There is no federal general common Law».

80 Banco Nacional de Cuba y Sabbatino 376 US 398 (US SC 1964) 426. L'intérêt «uniquement fédéral» dans cet arrêt visait la conduite des relations internationales.

81 Cf. Erie (n 35) 78.

Prosecution Act (TVPA) de 1991 et le RICO de 1970 (ce dernier étant mixte, comme nous l'avons écrit infra. Nous n'étudierons donc que les deux premiers.)

i. ALIEN TORT CLAIM ACT

L'ATCA, ou Alien Tort Claim Act, est un outil juridique très original, qui a soulevé de très nombreuses polémiques en Droit International et en droit américain.

Elle fut adoptée le 24 septembre 1789 par le 1er Congrès américain, en tant que partie intégrante du 1er Federal Judiciary Act, et fut transposée et actualisée à la section 1350 de l'article 28 de l'U.S.C. Elle permet à des victimes de nationalité autre qu'américaine d'intenter une action civile devant les tribunaux fédéraux américains, pour des violations du Droit International commises sur un territoire étranger et par des étrangers. Elle dispose : « Les tribunaux de district auront la compétence en première instance de toute action au civil instituée par un étranger seulement pour les actes délictuels commis en violation du Droit des nations ou d'un traité auquel les États-Unis sont parties ».

Après avoir été quasi ignoré pendant près de deux siècles 82 , l'ATCA s'est développé à partir de l'arrêt Filartiga contre Peña Irala83 qui initia en 1980 l'usage de ce dernier comme instrument de protection des Droits de l'Homme. Depuis cet arrêt, les cours fédérales sont compétentes pour juger des actes de torture commis au nom de l'État ; en l'espèce, les cours ont eu à juger de la plainte portée par des paraguayens, pour des actes de torture commis par un inspecteur général de la police du Paraguay. En vertu de l'ATCA, 10,4 millions de dollars de dommages compensatoires et punitifs furent ordonnés.

Déterminons son régime, afin d'établir dans quelles conditions une STN pourrait se voir condamnée sur son fondement.

Tout d'abord, sa compétence ratione materiae : le but premier de l'ATCA 84 était double : éviter aux étrangers d'être victimes d'un déni de justice, et remédier à toute situation de tension voire de crise internationales85. Ainsi, l'ATCA n'était applicable qu'en cas de violation du Droit des Nations ou d'un Traité auquel les États-Unis sont parties. C'est pourquoi une STN qui aurait violé le Statut de Rome

ayant institué la CPI86 ou le Protocole de Kyoto87

ne pourrait pas être attaquée sur le fondement de

l'ATCA, car les États-Unis ne sont pas partie à ces conventions.

82 Le Juge KAUFMAN, dans l'arrêt Filartiga contre Peña-Irala, 630 F 2d 876 (2d Cir 1980), résume les précédents usages de l'ATCA.

83 630 F 2d 876 (2d Cir 1980).

84 Les motifs qui ont justifié l'adoption de l'ATCA demeurent obscurs. Cette question est discutée par le Juge SOUTER, Juge à la Cour Suprême des États-Unis, dans l'affaire Sosa contre Alvarez-Machain et al., 542 U.S. 692.

85 Les premières invocations de l'ATCA concernaient des actes d'actes de piraterie survenus en Haute mer.

86 Cf. supra, où nous avons vu que les États-Unis n'en sont pas partie.

La notion de « Droit des Nations » a été précisée lors de l'arrêt Sosa contre Alvarez-Machain du 29 juin 200488 : dans cette affaire, un médecin mexicain avait été arrêté et amené de force aux États-Unis par des policiers mexicains, en violation du traité d'extradition entre les États-Unis et le Mexique, afin d'y être jugé pour complicité d'actes de torture et de meurtre perpétré sur la personne d'un américain. Ce M. ALVAREZ-MACHAIN a intenté une action civile contre l'un des mexicains ayant participé à son « arrestation », Jose SOSA, en invoquant l'arrestation arbitraire et la détention dont il a été victime. Afin d'écarter ces violations du champ d'application de l'ATCA, le défendeur avait allégué que le « Droit des Nations » ne couvrait que le « jus cogens89 ».

Dans cet arrêt, la Cour Suprême a restreint le pouvoir discrétionnaire des Cours fédérales, pour que celles-ci n'étendent leur compétence qu'en fonction de certains « standards » 90 ; ainsi, pour qu'une violation du Droit des Nations entre dans le champ d'application de l'ATCA, il faut que le Droit International :

- réponde au paradigme historique défini en 1789 91

- et soit accepté par toutes les Nations civilisées92 .

En l'espèce, l'arrestation arbitraire et la détention ne répondaient pas à ces critères.

Ensuite, sa compétence ratione personae : l'ATCA n'est invocable qu'à l'encontre d'un défendeur présent dans le ressort d'une cour fédérale américaine, ce qui signifie que le défendeur doit :

- soit résider aux États-Unis

- soit être domicilié aux États-Unis

- soit être de passage aux États-Unis (selon la transient rule93 : « la simple remise d'une citation à comparaitre alors qu'il est présent sur le territoire [américain] suffit à conférer compétence au tribunal [américain]».

87 Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques du 11 décembre 1997, dont les États-Unis ne font pas partie.

88 03-339, United States Reports, vol. 542/2

89 Définition du jus cogens : « Une norme impérative du Droit International général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble, en tant que norme à laquelle aucune dérogation n'est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du Droit International général ayant le même caractère. » (Article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969)

90 Sosa v. Alvarez-Machain, Cour suprême des États-Unis, opinion rendue le 29 juin 2004, 03-339, United States Reports, vol. 542/2, p. 35-36, « there are good reasons for a restrained conception of the discretion a federal court should exercise in considering a new cause of action of this kind. »

91 Telle que la traite d'esclave ou la piraterie, par exemple.

92 Ibid. «Accordingly, we think courts should require any claim based on the present-day law of nations to rest on a norm of international character accepted by the civilized world and defined with specificity comparable to the features of the 1 8thcentury paradigms we have recognized.»

Par conséquent, dès qu'une personne physique ou morale est présente sur le territoire américain, elle pourra être attraite devant une cour fédérale américaine pour des faits relatifs à l'ATCA. Concernant les STNs, cela signifie qu'il suffit pour les attraire que :

- un établissement secondaire ou une filiale soit présent(e) sur le territoire américain - une activité continue et répétée substantielle soit pratiquée aux États-Unis94 .

Ces critères semblent très larges, mais d'autres théories ou d'autres Traités viennent en limiter les effets (supra). Pour conclure sur le sujet, nous pouvons considérer que le plaignant doit :

- Être un étranger : seuls les citoyens non américains peuvent initier des poursuites

- Avoir souffert d'un dommage causé par une violation d'un de ses droits, par la faute du défendeur

- Prouver que cet acte dommageable constitue une violation du Droit des Nations ou d'un traité ratifié par les États-Unis. Cette violation doit viser une norme du Droit international qui est « spécifique, obligatoire et universelle »95, et non du jus cogens. Et cette violation peut avoir eu lieu n'importe où dans le Monde96.

Comment ce texte peut-il s'appliquer aux STNs ? Étant donné que la plainte doit être fondée sur une violation du Droit International, i.e. du Droit interétatique, cela peut sembler problématique. A l'origine applicable exclusivement à l'encontre des agents de l'État ou à des individus agissant sous l'autorité étatique, son champ s'est étendu dans un deuxième temps aux acteurs privés :

Tout d'abord, dans Kadic contre Karadzic97, la Cour d'appel du Neuvième Circuit a reconnu qu'il y avait bel et bien eu violation du Droit International, alors même que Karadzic n'était pas un agent officiel d'un Gouvernement reconnu et qu'il avait agi à titre personnel98 .

93 Principe de la transient rule retranscrit dans l'affaire Kadic v. Karadzic, 70 F. 3d 232, 2d Cir. 1995: celui-ci a été assigné à comparaître alors qu'il était en visite officielle sur l'invitation de l'ONU (accessible sur http://www.uniset.ca/other/cs5/70F3d232.html)

94 Selon Ludovic HENNEBEL dans « l'affaire Total Unocal en Birmanie jugée en Europe et aux États-Unis », le juge américain peut connaître des plaintes fondées sur l'ATCA mettant en cause des entreprises étrangères dès lors qu'elles « do business in the forum », i.e. qu'elles exercent des activités commerciales substantielles sur le sol américain.

La plupart des entreprises ont au moins un bureau de représentation ou un agent les représentant aux États-Unis. Or, si ce bureau était sous le contrôle effectif et quotidien de la société mère, cela suffit à faire échec à une exception d'incompétence rationae personae.

95 Cf. Tel Oren v. Libyan Arab Republic, 726 F.2d 774 (n 49) 781, cité dans l'arrêt Sosa (n 43) 732.

96 Filártiga v. Peña-Irala, 630 F.2d 876 (2d Cir. 1980) p. 900 : « Among the rights universally proclaimed by all nations [...] is the right to be free of physical torture. Indeed, for the purposes of civil liability, the torturer has become - like the pirate and the slave trader before him - hostos humani generis, an enemy of all mankind »

97 En l'espèce, une action était intentée contre Radovan Karadzic pour génocide, crime de guerre et crime contre l'humanité, commis en Bosnie.

Par la suite, dans l'arrêt précité Sosa, la Cour suprême a étendu l'usage de l'ATCA aux acteurs non- étatiques, en précisant même explicitement la possibilité d'attraire des entreprises99 devant les cours fédérales américaines. Cette position fut par la suite confirmée, notamment dans Doe I contre Unocal Corp100.

De manière statistique, en 1999 cette affaire avait déjà été citée par d'autres cours américaines 797 fois 101, et en 2007 plus de 40 procès fondés sur l'ATCA furent intentés contre des STNs102 .

Plusieurs critères sont toutefois nécessaires pour que la responsabilité d'une STN puisse être retenue. En fait, certaines normes ne peuvent être violées que par des États, et d'autres peuvent l'être par des personnes privées (telles que des STN). Mais dans les deux cas, la STN peut avoir un rôle à jouer, et peut voir sa responsabilité engagée. Dans un souci de clarté, nous allons distinguer ces deux catégories, et déterminer les critères pour chacune 103 :

En premier lieu, les normes internationales ne pouvant être violées que par les États : dans ce cas, la STN ne sera jugée responsable que de complicité, sa responsabilité sera « indirecte ». Cette dernière doit avoir agi « sous le couvert de l'État », i.e. avec les représentants de l'État ou avec une aide de l'État 104 . Selon divers auteurs 105 , quatre tests peuvent être distingués en fonction de la jurisprudence des cours fédérales :

- Le test de la fonction publique, en vertu duquel la personne privée (la STN) est responsable au même titre que l'État, si ce dernier lui a délégué certaines fonctions étatiques. Ce fut le cas dans l'arrêt Terry contre Adams106.

98 Kadic v. Karadzic précité, Opinion du 13 octobre 1995, Juge NEWMAN, p. 239, « We do not agree, that the law of nations, as understood in modern era, confines its reach to state action. Instead, we hold that certain forms of conduct violate the law of nations whether undertaken by those acting under the auspices of states or only as private individuals »

99 (n° 43) 732 fn 20 : « ...international law extends the scope of liability for a violation of a given norm to the perpetrator being sued, if the defendant is a private actor such as a corporation or individual. »

100 Doe I v Unocal Corp. 963 F Suppl. 880 (CD Cal 1997) (Unocal I) 89 1-92 : La Cour fédérale s'est reconnue compétente pour traiter d'une plainte contre une société, concernant des faits de travail forcé, torture, violations sexuelles et autres violations des Droits de l'Homme commises en Birmanie.

101 George Norris STAVIS, « Collecting Judgments in Human Rights Tort Cases -Flexibility for Non-Profit Litigators? » (1999) 31 Colum.Hum.Rts.L.Rev. 209 aux pp. 211219

102 Selon le Haut Commissariat des Nations Unis pour les Réfugiés, `Business and Human Rights: Mapping International Standards of Responsibility and Accountability for Corporate Acts, Report of the Special Representative of the SecretaryGeneral (SRSG) on the issue of human rights and transnational corporations and other business enterprises' (2007) UN Doc A/HRC/4/035 accessible sur www.business-humanrights.org/Documents/SRSG-report-Human-Rights-Council-19-Feb-2007.pdf

103 Nous reprenons ici la distinction telle qu'elle fut proposée par Catherine DOBSON, Ernesto FELIZ, Emily MOK et James UPCHER dans « Obstacles To Justice And Redress For Victims Of Corporate Human Rights Abuse » accessible sur www.law.ox.ac.uk/.../Obstacles%20Executive%20summary.pdf

104 selon l'arrêt Kadic v Karadzic précité

105 Ibid « Obstacles to Justice and Redress for Victims of Corporate Human Rights Abuse »

106 345 US 461 (US SC 1953) 484 : cette affaire visait une plainte déposée par des citoyens noirs, qui étaient exclus du vote
pour l'élection annuelle des county offices par une Association. Cette association fut considérée par la Cour comme une

- Le nexus test, en vertu duquel la STN est responsable si son comportement est si proche de celui de l'État, qu'il semble commis par l'État lui-même. Dans ce cas, l'État doit être impliqué dans la violation du Droit International invoquée. Ce critère fut utilisé dans l'arrêt Gallagher contre Neil Young Freedom Concert107.

- Le test de la relation symbiotique, en vertu duquel l'État et la STN se sont engagés dans une relation d'interdépendance à long terme108, i.e. que « leurs comportements respectifs sont physiquement et économiquement complémentaires, et que l'un est indispensable à l'autre » selon l'arrêt Burton contre Wilmington Park Authority109.

- Le test de l'action jointe, en vertu duquel la STN a obtenu l'assistance de l'État dans la conduite du comportement reproché, i.e. que ces derniers se sont accordés ou ont coopéré pour perpétrer la violation. Ce fut le cas dans l'arrêt Lugar contre Edmondson Oil Co110 .

En second et dernier lieu, les normes internationales qui peuvent être directement violées par la STN : dans ce cas, l'État n'a pas besoin d'intervenir, la responsabilité de la STN sera directe. Cette hypothèse s'est posée notamment dans l'affaire de l'Apartheid II111, où les victimes sud-africaines avaient attrait une cinquantaine de STNs pour leur « collaboration active »112 , i.e. leur complicité avec le précédent Gouvernement d'Afrique du Sud, dans le maintien de l'apartheid. La Cour de New York rejeta la plainte, considérant que l'ATCA n'était pas applicable. La Cour d'Appel du 2nd Circuit se reconnut compétente et admit l'application de l'ATCA, mais ne parvint pas à s'accorder sur la question de la norme à appliquer, et du test qui en découlait : le Droit International coutumier ou le Droit Fédéral américain ?

Selon le juge KATZMANN 113 , la responsabilité directe d'une STN peut être engagée si son comportement a eu un « effet substantiel » sur la violation du Droit International, ou s'il a facilité la violation. Il retint en l'occurrence les standards du Droit International , et invoqua au soutien de sa position, les précédents des tribunaux militaires d'exception crées à la suite de la 2nde Guerre Mondiale.

organisation politique, qui ne pouvait donc pas exclure les voix des noirs pour les élections. Accessible sur http://supreme.justia.com/us/345/461/case.html

107 Gallagher v Neil Young Freedom Concert 49 F 3d 1442 (10th Cir 1995) 1448 : en l'espèce, la Cour d'Appel du 10e Circuit a jugé qu'une société privée engage pour assurer la sécurité lors d'un concert, n'avait pas une relation « symbiotique » avec l'État sur le territoire duquel le concert a eu lieu.

108 Ajout de l'arrêt Gallagher : le fait que l'interdépendance doit être à long terme.

109 Burton v Wilmington Park Authority 365 US 715 (US SC 1961) 725

110 Lugar v Edmondson Oil Co 457 US 922 (US SC 1982) 939 : le plaignant allègue que la violation de son droit constitutionnel de propriété par un particulier, a été commise conjointement avec l'État. En l'espèce, ce droit ne pouvait être violé que par un État, la victime devait donc prouver l'implication étatique. Dans cet arrêt, la Cour a synthétisé tous les tests en vigueur.

111 Khulumani v Barclay National Bank Ltd 504 F 3d 254 (2nd Cir 2007) (Apartheid II).

112 Ibid 258

113 Ibid 277

À l'inverse, le juge HALL114 retint les standards du Droit Fédéral américain - étant donné le silence de l'ATCA, et exigea que le requérant apporte la preuve que le défendeur :

- Avait assisté en connaissance de cause le principal auteur du délit

- Ou avait encouragé, conseillé, exigé ou sollicité la violation du Droit International par le principal auteur du délit, en sachant que ce dernier le ferait

- Ou avait fourni au principal auteur du délit les outils, instruments et services nécessaires à la violation du Droit International ; ce fut le cas lorsque des personnes ont fourni un gaz (le Zyklon B, dans l'affaire du même nom115 ) pour les camps de concentration et ont formé le personnel SS pour qu'il apprenne à l'utiliser, en sachant que le but final était l'extermination d'êtres humains.

Dans cette affaire, les conditions de la complicité (« aiding and abetting ») ne sont donc pas clarifiées 116 . A l'heure actuelle117 , le tribunal fédéral de New York a déclaré recevable l'action en justice intentée contre 5 STNs (IBM, Ford, General Motors, Daimler et Rheinmetall) pour complicité avec le régime sud-africain au moment de l'apartheid, du fait de leur soutien matériel. L'ancien Président sud- africain Thabo MBEKI critique cet « impérialisme judiciaire » des États-Unis et cette intrusion dans la souveraineté sud-africaine. Quant aux défendeurs, ils estiment qu'aucune norme du Droit International n'imposait aux STNs d'arrêter tout commerce avec l'Afrique du Sud, et que par conséquent le Droit des Nations n'avait pas été violé.

Le procès n'aura vraisemblablement pas lieu avant 2011, et, si la requête était acceptée, la décision ouvrirait encore un peu plus le large champ d'application de l'ATCA. Ce champ d'application peut il s'étendre à l'infini ? L'ATCA aurait il alors réellement vocation à pallier aux lacunes de l'Ordre Juridique International, en instaurant une compétence civile universelle ?

Pour l'instant, l'ATCA a été appliqué non seulement à des actes de torture, mais également à des détentions arbitraires, des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité, de crimes de guerre, des traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou encore à du travail forcé, assimilé à la forme moderne de l'esclavage. Mais cette liste n'est pas infinie ; en effet, cette loi n'établit ni ne reconnaît pas de droit d'action pour toutes les violations du Droit

114 Ibid 286-86

115 Ibid 291. Zyklon B, British military court, Hamburg, 1-18 mars 1946, Law-Reports of Trials of War Criminals, The United Nations War Crimes Commission, Volume I, London, HMSO,1947 Accessible http://www.ess.uwe.ac.uk/WCC/zyklonb.htm

116 Pour un commentaire, voir « federal statutes -- alien tort statute -- second Circuit holds that human rights plaintiffs may plead aiding and abetting theory of liability. -- Khulumani v. Barclay national bank ltd., 504 f.3d 254 (2d cir. 2007) (per curiam). », Harvard Law Review [Vol. 121:1953], p. 1954 et s.

117 Été 2009

International. A l'inverse, la Cour suprême américaine a affirmé dans Sosa contre Alvarez-Machain que cette loi s'appliquait seulement à un nombre limité d'atteintes :

« ...the district courts would recognize private causes of action for certain torts in violation of the law of nations.... courts should require any claim based on the present-day law of nations to rest on a norm of international character accepted by the civilized world and deemed with a specificity comparable to the features of the l8th-century paradigms we have recognize » 118 .

C'est ainsi que les juridictions fédérales américaines ont estimé que l'expropriation, la fraude, les détournements et abus de biens sociaux, la violation de la liberté d'expression, le « génocide culturel », ou encore les atteintes massives à l'environnement, ne constituaient pas des violations du Droit des Nations au sens de l'ATCA.

Voyons pour conclure les sanctions prévues en cas de violation de l'ATCA : étant donné le silence de la loi, les Cours américaines ont dû pallier à cette insuffisance. Et puisque l'ATCA s'inscrit dans un cadre civil, les réparations du préjudice ne peuvent être que civiles, selon l'avocat Général en 1795 : « il ne fait aucun doute que les victimes des comportements prohibés par l'ATCA, ont le droit à une réparation civile devant les cours américaines. Dans l'arrêt Filartiga, la Cour d'appel du 2nd Circuit a précisé que l'A TCA ne devait pas rechercher les fondements d'une telle réparation en Droit International, mais en droit interne de Common Law.119 »

Les dommages-et-intérêts, qu'ils soient compensatoires ou punitifs (ces derniers sont autorisés en droit américain, dans un objectif à la fois de punition et de dissuasion) furent la réparation civile la plus recherchée par les plaignants. Dans l'arrêt Filartiga qui a ouvert la voie, le jury a prononcé en faveur des requérants 10 millions de dollars de dommages-et-intérêts punitifs. Selon la Cour, des injonctions seraient aussi possibles, car elles assureraient le même but que les dommages-et-intérêts punitifs120 .

Enfin, une question que nous n'évoquerons que très partiellement ici : la reconnaissance du jugement à l'étranger. En effet, l'efficacité de la décision de justice américaine dépend des autorités judiciaires de l'État sur le territoire duquel son exécution est demandée. L'ATCA ne permettant pas l'exercice des effets juridiques en-dehors du territoire américain, la procédure d'exequatur des sentences rendues sera soumis au droit de l'État tiers concerné.

118 Les éléments soulignés l'ont été par nous-mêmes, et non par l'auteur de ce jugement.

119 Traduction libre de Op. Attorney General 57 (1795) 59

120 Ibid. 866 : « Punitive damages are designed not merely to teach a defendant not to repeat his conduct but to deter others from following his example ... To accomplish that purpose this court must make it clear the depth of the international revulsion against torture and measure the award in accordance with the enormity of the offense. Thereby the judgment may perhaps have some deterrent effect. In a similar vein, and by analogy, equitable remedies, such as injunctions, are also available. »

Bien que le fait, pour un État, « d'appréhender à travers son ordre juridique des situations extérieures à son territoire »121 ne soit pas contraire au Droit International, les différents systèmes juridiques ont des pratiques, des procédures et des règles disparates en la matière122 . Par conséquent, l'effet dissuasif sera souvent le plus important, à l'instar d'une réelle exécution des jugements américains à l'étranger. En effet, les STNs peuvent être affectées par un jugement fondé sur l'ATCA de deux manières :

- dans leurs avoirs situés dans l'État d'origine de la victime requérante (si la sentence est exécutée)

- dans leur image publique et dans leurs avoirs situés aux États-Unis (et ce quelles que soient les suites données à l'affaire).

Et quoi qu'il en soit, même non exécuté, le jugement affaiblit l'impression d'impunité que les STNs peuvent avoir. Jusqu'à maintenant, lorsque les demandeurs avaient de solides arguments, les STNs tentaient de résoudre ces litiges par des transactions, en l'occurrence des paiements ex gratia, se subrogeant aux éventuelles actions judiciaires.

ii. TORTURE VICTIM PROTECTION ACT

Alors que l'ATCA offre un recours aux étrangers exclusivement, la Loi de Protection des Personnes victimes d'actes de torture, ou Torture Victim Protection Act (TVPA) autorise tant les étrangers que les citoyens des États-Unis à poursuivre en dommages-intérêts tout individu qui se rend coupable d'acte de torture ou d'exécution extrajudiciaire123, au nom d'une autorité réelle ou apparente ou sous le couvert de la loi d'un État étranger124.

Toutefois, les actions fondées sur ce TVPA concernant les violations des Droits de l'Homme par des STNs à l'étranger sont plus rares, et ce pour plusieurs raisons : tout d'abord en raison de la controverse sur son champ d'application (cf infra), et ensuite en raison du champ d'application particulièrement large de l'ATCA qui permet d'« aspirer » les plaintes alléguant des faits de torture ou d'exécution extrajudiciaire.

En fait, les deux normes (à savoir l'ATCA et le TVPA) se complètent : Selon les termes de l'arrêt Karadzic, le TVPA fut institué afin de codifier la nouvelle voie d'action reconnue dans l'arrêt Filartiga (et

121 B. STERN, « Quelques observations sur les règles internationales relatives à l'application extraterritoriale du droit », AFDI, 1986, p. 10

122 Par exemple, en France, l'exequatur n'est accordé que si le jugement étranger n'est pas considéré comme contraire à l'ordre public international français (Cf. A. HUET « Les procédures de reconnaissance et d'exécution des jugements étrangers et des sentences arbitrales en Droit International privé français » JDI, 1988, p. 5 -35)

123 TVPA (n 40) s 3(a) : « ... a deliberated killing not authorized by a previous judgment pronounced by a regularly constituted court affording all the judicial guarantees which are recognized as indispensable by civilized peoples. Such term, however, does not include any such killing that, under international law, is lawfully carried out under the authority of a foreign nation »

124 Voir Filartiga c. Peña-Irala, 630 F.2d 774 (deuxième Circuit 1980)

qui était fondée sur l'ATCA), et d'étendre cette voie aux requérants américains. Ainsi, alors que le TVPA offre une voie d'action125 , la compétence était (et est) fournie par l'ATCA. Par conséquent, le requérant souhaitant fonder son action sur le TVPA devra respecter les conditions d'application (celles tenant au champ de compétence matérielle et personnelle) de l'ATCA.

Toutefois, le TVPA apporte deux éléments supplémentaires concernant la compétence des cours : d'un coté, il étend son application aux citoyens américains, et de l'autre, il restreint son application en imposant l'épuisement préalable des voies de recours internes en vertu de la lex loci delicti 126 .

Par ailleurs, il existe une controverse sur sa potentielle application aux STNs : selon la loi, un « individual » peut être accusé pour des actes de torture ou exécution extrajudiciaire. La question reste donc ouverte : cela vise t'il uniquement les personnes physiques, ou aussi les personnes morales ?

Dans l'arrêt Beanal contre Freeport-McMoran127, la Cour de district a jugé que le terme « individual » ne comprend ordinairement pas les entreprises128. A l'inverse, dans l'arrêt Sinaltrainal contre Coca

Cola129

, la Cour de District a jugé que ce terme visait autant les personnes physiques que morales. Ces

 
 

arrêts contradictoires, tous deux issus de Cours de District, nécessiteraient une position tranchée d'une Cour fédérale d'un niveau supérieur.

Pour l'instant, il ne semble pas possible d'attraire une STN sur le fondement du TVPA. Mais cela n'empêche pas un dirigeant ou employé d'une STN d'être attrait sur ce fondement.

Par ailleurs, étant donné que les actes incriminés (torture et exécution extrajudiciaire) visent des cas de responsabilité indirecte, il est nécessaire que l'État ait eu un rôle à jouer ; pour que cette condition soit respectée, il convient d'appliquer l'un des tests précités.

Enfin, concluons brièvement sur les sanctions prévues : à l'inverse de l'ATCA, le TVPA prévoit expressément le droit à une réparation civile pécuniaire pour le requérant victime de torture ou d'exécution extrajudiciaire commise sous le couvert de l'État. En vertu de la loi, le « individual » qui a commis l'un de ces actes sera jugé civilement responsable et condamné à verser des dommages-etintérêts à la victime ou à ses ayants-droits 130 . Bien que le TVPA ne précise pas le type de dommages-et-

125 Cf. TVPA (n 40) ss 2(a) (1), 2(a) (2) (`...shall, in a civil action').

126 TVPA (n 40) s 2(b).

127 Beanal v Freeport-McMoran, Inc 197 F 3d 161 (5th Cir 1999) 163 ff

128 Ibid. (n 65) 38 1-82.

129 256 F Supp 2d 1345 (SD Fla 2003) 1358.

130 TVPA (n 40) s 2(a) : «...shall, in a civil action, be liable for damages to the victim of torture or rightful claimants for the deceased victim of extrajudicial killings»

l'ATCA, être punitifs ou compensatoires.

De plus, comme nous l'avons dit supra, il faut que les voies de recours internes de l'État de la lex loci delicti 132 soient épuisées. Cette dernière condition est facilement atteinte, étant donné les lacunes dans les ordres juridiques internes aux plaignants - l'obstacle sera ici plus théorique que pratique. Par ailleurs, le Senate Committee Report de 1991133 a précisé que le respect de cette condition sera présumé prima facie : la preuve du non-respect incombera donc au défendeur. SI ce dernier y parvient, alors le requérant devra à son tour apporter la preuve qu'une réparation dans l'État du lieu de commission de l'infraction aurait été « inefficace, inaccessible, excessivement lente, inadéquate ou manifestement futile ».

Enfin, une dernière condition subsiste : les requérants doivent intenter leur action dans les 10 ans suivant la commission de l'infraction, après quoi l'action sera prescrite 134 .

Pour conclure, nous pouvons retenir que ce fondement juridique, bien que facilement invocable, ne permet pas clairement d'attaquer les violations des Droits de l'Homme perpétrées par une STN. Comme nous l'avons vu, la jurisprudence actuelle nécessite certains éclaircissements.

A la suite du droit privé, envisageons maintenant le droit public.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus