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Les compétences statutaires des sociétés de classification

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par Pierre CHEVALIER
Université de Bretagne occidentale - Droit des espaces et des activités maritimes 2009
  

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Section 3. Le développement de la délégation aux sociétés de classification

Les sociétés de classification sont les plus anciens organismes de contrôle technique10. Cette activité serait apparue à la fin du XVIIème siècle dans un « Coffee house » de la Tower Street à Londres. Ce bar, situé près des quais, était fréquenté par des armateurs, des assureurs, des courtiers, et des capitaines de navires. Le tenancier du bar, Edward Lloyd, recueillait et diffusait les informations relatives aux navires et au commerce maritime susceptibles d'intéresser les clients de son bar. Un journal fut créé et prit en 1726 le nom de « Lloyd's List ». Mais rapidement victime de son succès, cette publication ne pouvait pas contenir suffisamment de renseignements sur les navires. Les assureurs qui éditaient ce journal créèrent entre les années 1730 et 1760 un registre portant des renseignements plus précis et fiables intitulé «Lloyd's Register of Shipping»11. Il s'agit donc historiquement de la première des sociétés de classification.

Les révolutions industrielles du XIXème siècle ont permis un développement exponentiel des échanges commerciaux, de leur rapidité ainsi que de leur fréquence. C'est dans ce contexte libéral de forte croissance économique et d'intensification de la navigation maritime commerciale qu'apparurent les sociétés de classification, dans le sillage du Lloyd's Register of Shipping.

Alors que de grandes compagnies d'assurance installées à Paris venaient de faire faillite après une succession de catastrophes maritimes, deux assureurs et un courtier ambitionnant de mieux faire face à cette crise, s'allièrent en 1828 pour fonder le Bureau Veritas ouvert la même

8 Article 217 al. 1. de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982.

9 L. KHODJET EL KHIL, La pollution de la mer méditerranée du fait du transport maritime de marchandises, PUAM, 2003, p. 233.

10 M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, PUAM, 2004, p. 19.

11 G. BLAKE, Lloyd's Register of Shipping 1760-196O, Publication du Lloyd's Register of Shipping, 1960.

12 année à Anvers. Installé dès 1832 à Paris, le Bureau Veritas y a encore aujourd'hui son siège social.

L'American Bureau of Shipping fut fondé en 1862, le Det Norske Veritas en 1864... Au cours du XIXème siècle furent ainsi créées les principales sociétés de classification qui subsistent aujourd'hui.

La fonction originelle des sociétés de classification est d'arrêter des normes de qualité des navires à travers la publication de Règlements de classification qui fixent des normes techniques auxquelles doivent se conformer les navires pour être surs. Par l'intermédiaire de ces Règlements, les sociétés de classification déterminent la classe du navire et vont lui attribuer un certificat de classification. Certains auteurs les qualifient à ce sujet de véritables « législateurs techniques »12. Avec l'emploi de nombreux inspecteurs, les sociétés contrôlent, lors de la conception du navire, la conformité des plans au Règlement de la société. La construction du navire doit être réalisée conformément à ces indications pour qu'il puisse recevoir la classe exigée par l'armateur et qu'un certificat de classification soit délivré par la société de classification. Les assureurs se serviront de cette cotation pour déterminer les primes d'assurance que devra souscrire l'armateur.

Cette opération de classification est une opération purement privée dans la mesure où les normes de référence de qualité des navires sont édictées par les sociétés de classification, organismes de contrôle privés à l'égard de navires appartenant à des personnes privées13.

L'originalité des sociétés de classification réside dans le fait qu'elles exercent en même temps des fonctions dites « statutaires », cet épithète « statutaire » signifiant ici « conforme à une règle ». Ce mot « règle » renvoie aux conventions internationales et aux législations nationales sur la sécurité maritime et la prévention de la pollution.

Dans le cadre de ces prestations statutaires, les clients des sociétés de classification sont les Etats qui ont reconnu les sociétés comme organismes habilités à contrôler les navires sous leur pavillon et en leur nom. Initialement, les Etats qui ont ratifié les différentes conventions internationales sont responsables de l'application de ces règles sur les navires qui naviguent sous leurs pavillons. Ces mêmes instruments internationaux prévoient tous expressément le recours aux sociétés de classification. Ainsi, la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie

12 A. BELLAYER-ROILLE, Le transport maritime et les politiques de sécurité de l'Union Européenne, EDITIONS APOGEE, 2000, p. 103.

13 M. FERRER, op. cit, p. 20.

humaine en mer (Convention SOLAS) indique que l'administration de l'Etat du pavillon peut confier l'inspection et la visite de ses navires à des organismes reconnus par elle14.

De nombreux Etats ont en effet pris conscience qu'ils ne disposaient pas des moyens suffisants pour assurer l'application de ces normes internationales et ont rapidement délégué cette compétence aux sociétés de classification.

Dès la fin du XIXème siècle, une législation sur le franc-bord est adoptée par les Anglais et permet de limiter le chargement excessif des navires. Le Lloyd's Register et le Bureau Veritas furent en 1890 les deux premiers organismes habilités pour déterminer les franc-bords aux navires britanniques15

Selon Monsieur Philippe Boisson16, 3 raisons justifient ces délégations de compétence aux sociétés de classification17.

Tout d'abord, les organismes de classification possèdent une compétence universellement reconnue18 ainsi qu'un réseau d'experts qui va faciliter une application homogène des exigences réglementaires. Pour illustration, le Bureau Veritas actuellement emploie plus de 1000 experts marine qui travaillent dans 420 centres d'inspections répartis dans 150 pays.

Par ailleurs, le coût des inspections a incité les Etats à avoir recours à des organismes privés et ce d'autant plus que ces derniers jouissent d'une confiance considérable19. Le coût des inspections est en effet directement supporté par l'armateur.

Enfin l'essor des pavillons dits de libre immatriculation ou de complaisance peut également expliquer ces délégations de compétence aux sociétés de classification. Ce pavillon de complaisance que l'on désigne aujourd'hui « avec pudeur »20 sous le vocable de pavillon de libre immatriculation est le « pavillon accordé par un Etat à un navire de commerce appartenant à des étrangers, ou contrôlé par des étrangers, dans des conditions très libérales qui excluent en pratique tout lien effectif entre l'Etat du pavillon et le navire »21. Pourtant, la Convention des Nations Unies

14 Convention SOLAS Règle 6 chapitre 1 a).

15 P. BOISSON, Etats du pavillon / société de classification, in. LE PAVILLON : actes écrits du colloque organisé les 2 et 3 mars 2007, PEDONE, 2008, p. 39

16 Les personnes citées dans cette étude sont Professeurs de droit, avocats ou experts du monde maritime. Monsieur Boisson est Conseiller juridique et Directeur de la communication du Bureau Veritas..

17 Ibid p. 40.

18 Cette compétence est unanimement reconnue en doctrine et même reconnue dans les grandes conventions internationales telles que SOLAS ou MARPOL.

19 J.-P. BEURIER, Droits maritimes, DALLOZ, 2009, p. 268.

20 S. ROBERT, L 'Erika : responsabilités pour un désastre écologique, PEDONE, 2003, p. 154.

21 J. SALMON (dir.), Dictionnaire de droit international public, BRUYLANT, 2001, p. 813.

sur les conditions d'immatriculation22 rappelle que les lois et règlements par lesquels l'Etat établit les conditions de sa nationalité doivent être suffisants pour permettre à l'Etat d'exercer effectivement sa juridiction et son contrôle sur les navires qui battent son pavillon23. En échange d'une rémunération, l'Etat du pavillon de complaisance offre une législation sociale peu contraignante, des avantages fiscaux et parfois même une certaine souplesse dans les contrôles de sécurité des navires.

Pour illustration, en 2008, le Panama, premier pavillon mondial, enregistrait une flotte de 174,07 millions de tonneaux de jauge brute24. A titre de comparaison, durant la même année, la flotte immatriculée en France était de 5,68 millions de tonneaux de jauge brute25. Ces Etats de libre immatriculation ont largement recours aux sociétés de classification pour faire appliquer les conventions internationales car leurs administrations nationales ne disposent généralement ni des fonds nécessaires, ni des compétences techniques pour assurer le contrôle sur ces navires. Il s'agit d'un cercle vicieux car l'Etat du pavillon complaisant, « [...] en offrant une palette très large de sociétés de classifications [...], et surtout s'il n'exerce aucun contrôle sur elles, favorise indirectement l'immatriculation des navires sous son registre en permettant que l'armateur fasse appel à des organismes de contrôle peu sérieux »26.

Madame Bellayer-Roille se demande s'il est « tout à fait normal que des sociétés privés suppléent les pouvoirs publics »27. Il est en effet de bon droit de se demander si de telles prérogatives régaliennes ne devraient pas être assumées par les services de l'Etat du pavillon. Cette question de la légitimité de l'exercice du contrôle des navires par les sociétés de classification ne peut être étudié qu'à travers le prisme juridique.

Face au développement des critiques, l'Organisation Maritime Internationale a pris des résolutions pour encadrer cette pratique de la délégation à des sociétés privées. Cette intervention est relayée par l'Union Européenne qui a pris conscience de la nécessité de donner un cadre juridique à cette pratique. Plusieurs intérêts s'entremêlent, la garantie de la sécurité maritime comme

22 Cette Convention a été adoptée sous l'égide de la Commission des Nations Unies sur le commerce et le développement le 7 février 1996.

23 Article 8 paragraphe 2 de la Convention des Nations Unies sur les conditions d'immatriculation des navires.

24 La jauge brute est une mesure de la capacité de transport d'un navire. Elle s'exprime en tonneaux de jauge brute, ou en mètres cubes. Un tonneau de jauge brute vaut 100 pieds cubes, soit environ 2,832 mètres cubes.

25 Le Marin, dossier spécial shipping 2008, vendredi 31 octobre 2008, p. 16.

26 V. L. KHODJET EL KHIL, La pollution de la mer méditerranée du fait du transport maritime de marchandises, P.U.A.M., 2003, p. 237. L'auteur considère que le recours systématique aux sociétés de classifications constitue la parade de certains Etats pour se décharger de leurs obligations de contrôle.

27 A. BELLAYER-ROILLE, Le transport maritime et les politiques de sécurité de l'Union européenne, EDITIONS APOGEE, 2000, p. 103.

intérêt supérieur, mais aussi le développement économique d'un Etat complaisant, ou les intérêts financiers d'une société de classification.

La cohabitation de tels antagonismes souligne l'intérêt d'une étude de ce travail statutaire effectué par les sociétés de classification. Il s'agit de se demander quelles sont les compétences qu'elles peuvent exercer au nom des Etats. Ce transfert de compétence est encadré par les législations nationales des Etats du pavillon et dans une moindre mesure par le droit international. Mais il n'y a pas de droit sans responsabilité et si les sociétés ont la faculté d'exercer au nom des Etats le contrôle des navires, elles doivent alors assumer leur part de responsabilité.

La première partie sera consacrée à l'étude des compétences que l'Etat du pavillon peut transférer aux sociétés de classification (Première partie) et la seconde aux différentes responsabilités qui peuvent être engagées du fait de l'exercice du contrôle des navires par les sociétés au nom et pour le compte des Etats (Deuxième partie).

16 Première partie : des compétences déléguées de l' Etat du pavillon aux sociétés de classification

Il convient dans un premier temps d'étudier l'objet de cette délégation. En raison de leurs compétences techniques et de leur réseau international d'experts, les sociétés de classification exercent une mission de service public28. Les plus importantes conventions internationales applicables dans le domaine des prestations statutaires des sociétés de classification portent sur la sécurité des personnes (SOLAS, LLI, code ISM), la sûreté (code ISPS) et la pollution (MARPOL). Les sociétés de classification sont chargées de vérifier que les navires répondent aux exigences des conventions internationales que l'Etat de leur pavillon a ratifiées (Chapitre 1). La société de classification d'origine allemande Germanischer Lloyd était à la fin de l'année 2008 titulaire de délégations de plus de 130 Etats Le Bureau Veritas est actuellement reconnu comme organisme officiel de certification par125 administrations nationales. Ce nombre très important de délégations, ainsi que le nombre de navires qui sont certifiés comme conformes aux exigences des conventions internationales, justifient que l'on parle de leur travail comme d'une « action structurelle sur la sécurité maritime »29.

C'est tout l'enjeu de l'exercice de ces compétences statutaires par les sociétés de classification qui explique la particularité du régime juridique de cette délégation (Chapitre 2).

Chapitre 1. L'objet de la délégation : le contrôle de la conformité aux exigences conventionnelles

Afin d'étudier l'objet de cette délégation, il faut rechercher quels sont les instruments internationaux à caractère technique et s'intéressant au transport maritime auxquelles les Etats peuvent adhérer.

Les Conventions internationales instaurant des normes techniques ont pour principal objet d'assurer la protection des équipages, des passagers, des marchandises et du navire. Il s'agit dans ce cas de Conventions relatives à la sécurité maritime (section 1). Mais les tiers peuvent eux aussi être victimes de ce transport maritime. Ils peuvent en effet subir des dommages sous la forme de pollution marine due principalement aux hydrocarbures. C'est pour cette raison qu'ont été élaborées

28 B. ANNE, Rôle, activités et reconnaissance des sociétés de classification, LA REVUE MARITIME, mars 2003, n°455, p. 28.

29 K. LE COUVIOUR, La responsabilité civile à l'épreuve des pollutions majeures résultant du transport maritime, PUAM, 2007, p. 499.

des conventions techniques sur la pollution (section 2).

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery