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Les compétences statutaires des sociétés de classification

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par Pierre CHEVALIER
Université de Bretagne occidentale - Droit des espaces et des activités maritimes 2009
  

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Section 2. Une délégation originale du contrôle des navires aux sociétés de classification

La notion de service public tenant une place centrale en droit français, il faut au préalable s'interroger sur l'existence d'un service public de la sécurité maritime. Le contrôle des navires intègre la recherche de la sécurité maritime. Il conviendra ensuite de définir et d'identifier les éléments constitutifs d'une délégation de service public dans ce domaine. Ce travail de qualification juridique nous amènera à démontrer que, tant par l'intervention du droit communautaire en la matière que par le régime retenu, la délégation aux sociétés de classification est originale.

§ 1. Identification des éléments constitutifs d'une délégation de service public

La notion de service public a une valeur extrêmement forte en droit public français. Certains pays ne connaissent pas le service public tel qu'on l'évoque en France, il y a des « différences profondes de formulation en ce domaine de droit »115. Il existe plusieurs significations du service public et une distinction est généralement faite entre une conception organique et une conception matérielle. La conception organique définit le service public comme une institution ou un organisme constituant un ensemble de moyens matériels et humains chargé d'assumer une mission pour le compte de la personne publique à laquelle l'institution ou l'organisme est rattaché. La conception matérielle définit quant à elle le service public comme la prestation elle-même qui est fournie à la population afin de satisfaire l'intérêt général. Dans cette conception matérielle également dite fonctionnelle, la notion de service public ne désigne plus une institution mais le service rendu.

Au regard de ces deux conceptions, il faut déterminer s'il existe un service public de la

114 P. COSSALTER, Les délégations d'activités publiques dans l'Union Européenne, L.G.D.J., 2007, p. 12.

115 J.-M. PONTIER, Sur la conception française du service public, D. 1996, chron. p. 9.

sécurité maritime ou, de manière plus restreinte, un service public du contrôle des navires. Toute activité constitue un service public quand « [...]elle est assurée ou assumée par une personne publique en vue d'un intérêt public »116.

Nous allons tout d'abord tenter d'identifier le service public de contrôle des navires par un critère matériel. Selon la doctrine117, il faut que l'activité en question soit « de plus grand service » c'est-à-dire qu'elle tende à satisfaire, le mieux possible, l'intérêt de tiers par rapport à l'organisme qui les exerce. L'activité de contrôle de la conformité des navires aux exigences des Conventions internationales participe « pleinement »118 de la sécurité maritime. En effet, les sociétés de classification, dans le cadre de leurs fonctions statutaires, ne contrôlent pas la conformité des navires à leurs propres règlements mais aux normes conventionnelles dont l'Etat doit assurer le respect. Dans un arrêt du 23 mars 1983 relatif aux certificats de navigabilité aéronautique délivrés par le Bureau Veritas119, le Conseil d'Etat indique que la société doit être regardée comme participant à l'exercice du service public de la sécurité aérienne. La sécurité aérienne et la sécurité maritime sont deux exercices très similaires et il est donc raisonnable de penser qu'il existe un service public de la sécurité maritime. L'objet de la délégation aux sociétés, le contrôle et les visites de conformité des navires, tend à assurer le mieux possible la sécurité du commerce maritime, ce qui est manifestement une activité d'intérêt général. L'activité de contrôle des navires présente substantiellement, et de façon centrale, un caractère d'intérêt général. Les sociétés assurent ainsi la continuité du contrôle de la sécurité du commerce maritime en France.

L'identification d'une activité de service public de contrôle des navires par un critère matériel est donc accomplie. Aussi il s'agit désormais de l'identifier à travers un critère organique.

A lui seul le critère matériel ne suffit pas à l'identification d'un service public. Il faut qu'un lien adéquat existe entre cette activité de contrôle des navires et une personne publique120. Il est donc nécessaire que l'activité soit directement ou indirectement reliée à une personne publique.

Un arrêté du Ministère des transports et de l'équipement du 23 novembre 1987 délègue la capacité à certaines sociétés de classification de pouvoir visiter les navires dans le but de contrôler

116 R. CHAPUS, Droit administratif général, Tome 1, MONTCHRESTIEN, 2001, 15ème édition, p. 579.

117 R. CHAPUS, op. cit. p. 583. L'auteur distingue entre les activités du plus grand profit qui qui tendent à satisfaire l'intérêt financier de l'organisme qui les exerce, et les activités de plus grand service qui tendent à satisfaire l'intérêt du tiers par rapport à l'organisme qui les exerce.

118 M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, op. cit., p. 347.

119 C.E., 23 mars 1983, Ministre des transports c/ Société Anonyme Bureau Veritas, Rec. 1983, p. 133.

120 R. CHAPUS, Droit administratif général, op. cit. p. 580.

leur conformité avec les dispositions légales. Cette délégation est une habilitation à exercer le contrôle des navires au lieu et place des agents publics. L'activité est donc indirectement rattachée à l'administration traditionnellement dévouée au contrôle des navires, l'administration des affaires maritimes.

Mais est ce que le contrôle des navires, constitutif d'une activité de service public est susceptible d'être délégué? Certaines tâches ne peuvent en effet pas être déléguées. Ainsi en est-il des tâches de police, cela a été confirmé dans un arrêt Ville de Menton que le Conseil d'Etat a rendu en 1994121. Dans son acception générale, « la police administrative consiste à prévenir et empêcher les troubles de l'ordre public »122. L'activité de contrôle des navires ne relève pas de la police administrative qui a pour mission de veiller à la sûreté, à la tranquillité et à la salubrité publiques.

De plus, il faut savoir qu'il n'y a aucune activité de service public qui soit « pleinement délégable »123. La personne publique ne peut jamais se décharger totalement et doit conserver des pouvoirs de contrôle sur l'exercice de l'activité en question. L'administration française intervient directement dans l'activité de contrôle des navires. Cette activité n'est pas entièrement déléguée aux sociétés de classification. La délégation accordée par la France aux sociétés de classification est très limitée et concerne principalement la délivrance du certificat de franc-bord, en raison de la technicité de celui-ci, liée en particulier à la structure du navire. Les autres contrôles sont effectués par l'administration des affaires maritimes par l'intermédiaire des centres de sécurité des navires. La délégation porte sur des questions d'une particulière technicité ou sur les contrôles de certains navires qui focalisent moins l'attention des centres de sécurité des navires. Ainsi le contrôle de navires Ro-Ro124 est régulièrement délégué car ces navires ne sont pas accidentogènes.

Quant au contrôle exercé sur l'activité, l'administration des affaires maritimes procède à de nombreux audits des sociétés de classification et l'agrément qui leur est accordé par l' Etat français peut être retiré si des manquements sont constatés.

Le contrôle de la conformité des navires est donc une activité de service public. La gestion de ce service public peut être déléguée et ce d'autant plus que l'Etat français ne délègue qu'une

121 C.E., 1er avril 1994, Ville de Menton, R.D.P., 1994, p. 1825, note J.-B. AUBY.

122 M. AUBOIN, A. TEYSSIER, J. TULARD, Histoire et dictionnaire de la police du Moyen Âge à nos jours, BOUQUINS, 2005, p. 814.

123 J.-B. AUBY, C. MAUGUE, La notion et le régime de la délégation de service, quelques précisions du Conseil d'Etat, J.C.P., 1996, Ed. Gén., chron. 3941.

124 V. A. G. CLOUET, Dictionnaire technique maritime, LA MAISON DU DICTIONNAIRE, 2000, p. 455, qui les définit comme les navires avec des portes pour l'embarquement de véhicules roulant.

partie du contrôle. Mais la question se pose alors de savoir si l'activité de contrôle des navires peut être déléguée à une personne privée. Pendant longtemps la gestion des services publics administratifs125 relevait directement d'une personne publique. Il y avait, en principe, coïncidence entre l'élément organique et l'élément matériel du service public126. L'arrêt Caisse primaire « Aide et Protection »127 rendu le 13 mai 1938 par le Conseil d'Etat a remis en cause cette conception organique du service public. L'arrêt consacre, à côté de la gestion des services publics par une personne publique, l'existence de « services publics gérés, en dehors de la concession, par des personnes privées »128. La personne privée peut gérer directement un service public administratif indépendamment de toute technique contractuelle et sur la base d'une habilitation légale ou réglementaire. Une fois cette possibilité ouverte, il convient de rechercher des indices montrant qu'une personne privée est chargée d'une mission de service public.

L'arrêt Narcy129 rendu en 1963 par le Conseil d'Etat indique trois critères applicables en la matière. Le premier critère est satisfait lorsqu'une mission d'intérêt général est confiée à la personne privée. Ce critère est rempli car, comme nous l'avons démontré, un arrêté délègue une partie du contrôle des navires battant pavillon français aux sociétés de classification.

Le Conseil d'Etat indique ensuite que l'administration doit exercer un contrôle sur l'organisme. Les nombreux audits menés par l'administration des affaires maritimes ainsi que la possibilité d'une suspension ou d'un retrait d'agrément formalisent le contrôle qu'exerce l'administration française sur les sociétés de classification. Ce contrôle est nécessaire, non seulement pour vérifier l'effectivité du travail mais également pour vérifier l'impartialité ou l'indépendance du contrôle. L'exemple du Bureau Veritas illustre bien cette nécessité. Il s'agit d'une société anonyme cotée en bourse et l'exercice d'une mission de service public dans ce cadre appelle un contrôle rigoureux et régulier de la part des pouvoirs publics.

Le Conseil d'Etat indique que des prérogatives de puissance publique doivent être attribuées à l'organisme. Cette exigence est compréhensible car pour un exercice effectif du service public, l'administration délégante doit donner un certain pouvoir au délégataire. L'arrêté de 1987 donne aux sociétés agréées la capacité d'émettre les certificats de conformité aux conventions internationales.

125 Le contrôle des navires est une activité relevant d'un service public administratif car les prestations « [...]contribuent à la sécurité du commerce maritime et non à la gestion d'un service industriel et

commercial[...] ».V. M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, op. cit. note n° 1318.

126 V. J.-F. LACHAUME, Droit administratif général, P.U.F. DROIT, 13ème édition, p. 262.

127 C.E. Ass., 13 mai 1938, Caisse primaire « Aide et Protection », Rec. 1938, p. 417 ; G.A.J.A. N° 54.

128 J.-F. LACHAUME, op. cit., p. 262.

129 C.E. Sect. 28 juin 1963, Narcy, Rec. 1963, p. 401.

Les sociétés peuvent délivrer les certificats à la suite des différentes visites statutaires et elles ont également la capacité de les suspendre ou de les supprimer si le navire n'est pas en état de conformité130. Toutefois, les sociétés de classification ne disposent pas d'un pouvoir coercitif légal car le blocage d'un navire dans un port dépend uniquement de l'autorité administrative131. Elles possèdent des pouvoirs exorbitants du droit commun par lesquels elles peuvent invalider, au nom du Ministère des transports, un certificat d'un navire arborant le pavillon français132.

Les trois critères posés par la jurisprudence Narcy, critères permettant d'identifier une mission de service public dans l'activité des personnes privées, sont identifiés dans le travail statutaire des sociétés de classification. L'arrêt Société anonyme Bureau Veritas rendu par le Conseil

d' Etat en 1983 confirme cette analyse. Le juge administratif indique que la société de classification Bureau Veritas participe à l'exécution d'une mission de service public133. Cette situation de droit et de fait est analogue à celle existant en matière de contrôle des navires et le raisonnement utilisé par le juge dans l'arrêt de 1983 est transposable en la matière.

Les éléments constitutifs d'une délégation de service public étant identifiés, il convient désormais d'en étudier les particularités.

§ 2. Une délégation au régime juridique original

Par rapport aux conceptions plus « traditionnelles » de la délégation de service public, le transfert du contrôle des navires aux sociétés de classification est original. La gestion des services publics se présente en droit positif sous deux formes.

Tout d'abord le service public administratif ou industriel et commercial peut être directement géré en régie134 par une collectivité publique ou un établissement public. Les sociétés de classification étant des organismes de droit privé, cette hypothèse de la régie ne s'applique pas en matière de contrôle des navires. Le service public est parfois directement géré par une personne privée, mais toujours sous le contrôle d'une personne publique. La personne privée peut tout d'abord

130 V. M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, op. cit., p. 348.

131 Ibid.

132 Ibid.

133 J.-F. LACHAUME, Droit administratif, op. cit., p. 270.

134 Avec la régie directe, la gestion d'un service public est assurée directement par la personne publique dont dépend ce service avec son personnel et ses moyens matériels et financiers. La régie peut aussi être intéressée, la gestion sera alors assurée par un régisseur n'en supportant pas les risques, mais intéressé financièrement aux résultats de l'exploitation.

être investie de cette gestion sur la base d'un contrat dit de délégation de service public. La rémunération du délégataire est alors substantiellement assurée par les résultats de l'exploitation135. Mais, depuis l'arrêt Caisse primaire précité136, la personne privée peut gérer directement un service public administratif indépendamment de toute technique contractuelle et sur la base d'une habilitation légale ou réglementaire137. Dans l'arrêt Société anonyme Bureau Veritas de 1983, le Conseil d'Etat indique que la société a été agréée comme société chargée d'assurer le contrôle pour la délivrance et le maintien des certificats de navigabilité des aéronefs civils. Le juge ne fait à aucun moment référence à un contrat de délégation. Ainsi, comme en matière de délivrance des certificats de navigabilité des aéronefs, les sociétés de classification reçoivent une délégation globale à partir du moment où elles sont agréées. L'arrêté du ministère des Transports et de l'Equipement, du 23 novembre 1987, délègue des compétences en matière de contrôle des navires aux sociétés de classification qu'il agrée. Il n'y a donc pas d'acte de délégation particulier fait pour chaque certificat délivré par une société agréée à un navire sous pavillon français. La délégation aux organismes agréés est ainsi faite indépendamment de toute technique contractuelle et sur la base d'une habilitation réglementaire.

En Grèce la délégation n'est pas faite par une simple habilitation légale ou réglementaire. Cette délégation prend la forme d'un contrat administratif. La convention est conclue « [...] par écrit et sans discriminations entre le Ministre de la Marine Marchande et le représentant de l'organisme en question »138.

Les articles R 5 12-61 et suivants du Code de l'environnement nous montrent que ce procédé d'habilitation réglementaire n'est pas limité aux organismes ayant pour mission le contrôle des navires. Ils sont relatifs à la procédure d'agrément des organismes chargés du contrôle des installations classées. Les organismes doivent faire une demande d'agrément pour être habilités. Ils doivent préalablement être accrédités par le Comité français d'accréditation ou par un organisme membre de la coordination européenne des organismes d'accréditation. L'activité de ces organismes est contrôlée par l'administration et cette habilitation réglementaire peut être retirée. A l'exception de l'exigence d'un agrément communautaire, cette délégation du contrôle des installations classées est assez semblable à celle accordée en matière de contrôle des navires.

135 J.-F. LACHAUME, Droit administratif, op. cit., p. 264.

136 Arrêt prec. Note n° 101.

137 Ibid.

138 L. J. ATHANASSIOU, Le rôle et la responsabilité des sociétés de classification du point de vue du droit grec, op. cit., p. 107.

Cette délégation de la gestion d'un service public par habilitation réglementaire est également singulière au regard de la procédure de choix des délégataires. En France, historiquement, les premières délégations de contrôle étaient attribuées au Bureau Veritas. L'État du pavillon était seul maître du choix du délégataire. Dans les pays hébergeant une grande société de classification, comme le Bureau Veritas en France, la délégation n'était souvent accordée qu'à la seule société de classification ressortissante de l'État du pavillon.

L'article 51 du Traité instituant la Communauté européenne pose le principe de la libre prestation des services sur le territoire de la Communauté. Cette libre prestation de service est également applicable en matière de contrôle des navires et la directive 94/57/CE intègre bien cette exigence dans ses considérants introductifs. Elle indique dans son deuxième considérant que « [...] la sécurité maritime et la prévention de la pollution maritime peuvent être efficacement améliorées en appliquant strictement les Conventions, résolutions et codes internationaux, tout en favorisant l'objectif de la libre prestation de service ». Un considérant est ensuite spécifiquement consacré à cet objectif de la libre prestation de service. Les organismes qui ont reçu l'agrément communautaire « [...] ne peuvent se voir empêchés d'offrir leurs services à l'intérieur de la Communauté [...] ». Ce principe interdit donc à un État de déléguer les tâches réglementaires auxquelles il est tenu par la Loi à un seul organisme. C'est la raison pour laquelle plusieurs sociétés de classification sont habilitées en France. L'article 5 de la directive indique que l'État déléguant peut néanmoins restreindre le nombre d'organismes qu'il autorise en fonction « [...] de ses besoins définis de manière transparente et objective, sous réserve d'un contrôle exercé par la Commission[...] ». Pour les organismes qui sont situés dans des États extérieurs à la Communauté, et avant toute délégation, l'État membre peut exiger de cet État tiers qu'il agrée, sur la base de la réciprocité, les organismes situés dans la Communauté.

Cette délégation du contrôle des navires est également singulière du fait de la procédure prévue pour le retrait de cette habilitation réglementaire. La décision de suspendre ou retirer cette habilitation est prise par le Ministre chargé de la marine marchande lorsqu'une société ne répond plus aux critères communautaires de reconnaissance et/ou n'accomplit pas de manière satisfaisante les fonctions déléguées. Si le travail de la société met gravement en danger la santé ou l'environnement, l'habilitation peut également être suspendue139. L'administration doit au préalable demander des explications à la société. Puis elle doit notifier sa décision motivée. Elle informe alors la Commission européenne et les autres États membres de sa décision. La Commission examine si

139 M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, op. cit., p. 334.

la suspension est justifiée au regard des critères d'agrément communautaire ou du fait de raisons mettant gravement en danger la santé ou l'environnement. C'est donc la Commission qui a le dernier mot et indique à l'administration si la suspension est justifiée ou si elle doit annuler sa décision.

En France, la délégation aux sociétés ne porte en principe que sur la délivrance du certificat de franc-bord. L'administration maritime demeure un acteur fondamental de la sécurité maritime. Mais cette participation importante et active de l'État ne peut pas être constatée pour de nombreux États du pavillon. Certains auteurs prennent acte d'un désengagement des États dans la sécurité maritime. Pour Monsieur Khodjet El Khil, le recours systématique aux sociétés de classification constitue « [...] la parade de certains États pour se décharger de leur obligation de contrôle »140. Monsieur Baumler, quant à lui, fait un bilan à charge de l'exercice des compétences statutaires par ces sociétés141. Il constate d'abord que les sociétés s'imposent au même tire que les États comme régulateur de la sécurité maritime. Elles «[...] profitent de la crise des organisations intergouvernementales et du désengagement des États »142. La lutte commerciale que les sociétés mèneraient entre elles entraînerait à terme, « [...] l'émergence d'un accroissement de l'insécurité dont les prémisses ne sont qu'à peine visibles. L'abandon progressif des prérogatives des Etats du pavillon laisse aux seules sociétés de classification la maîtrise de la sécurité en nom et cause des États »143. Ces propos sont rarement tenus et il n'est pas nécessaire de se poser la question de leur pertinence pour dire qu'ils soulignent l'enjeu de la délégation du contrôle des navires aux sociétés de classification.

Si l'État du pavillon se désengage du contrôle des navires, la question de la responsabilité des sociétés de classification dans le cadre de leur fonction statutaire devient fondamentale. Sur l'aspect privé de leur travail, c'est à dire en matière de classification des navires, les actions contentieuses menées contre elles se sont développées144. Ce développement des actions contentieuses illustre l'idée de la « deep pocket »145 qui signifie que les plaignants cherchent l'argent là où il est, dans la « poche profonde » des sociétés de classification car leur solvabilité est assurée. Ces actions sont menées même si parfois cela revient à les faire payer pour les carences d'autres intervenants. Mais on ne constate pas un tel développement des actions contentieuses dans le cadre des compétences statutaires des sociétés. Le recours privilégié à l'arbitrage explique pour partie

140 L. KHODJET EL KHIL, La pollution de la mer méditerranée du fait du transport maritime de marchandises, op.

cit., p. 237.

141 R. BAUMLER, Nouvelles maîtrises de la sécurité industrielle, sur le site de l'association française des capitaines de navire, http://www.afcan.org/dossiers_sécurité/sécurité-industrie.html.

142 Ibid.

143 Ibid.

144 M. REMOND-GOUILLOUD, Droit maritime, PEDONE, 2ème édition, 1993, n°345.

145 V. « Le syndrome de la « deep pocket » », LES ECHOS, n° 17376 du 15 avril 1997, p. 51.

cette quasi inexistence de jurisprudence en la matière.

Il est donc d'autant plus nécessaire que cette responsabilité du fait des fonctions statutaires soit en adéquation avec leur rôle prépondérant dans la garantie de la sécurité maritime. En 2003, la Secrétaire Générale de l'Organisation Maritime Internationale, Monsieur William O'Neil posait la question de savoir si les inspecteurs des sociétés de classification devaient être blâmés du fait de la survenance des catastrophes maritimes. Il répondait lui même qu'aucun bouc-émissaire ne ressortait de ces catastrophes146. C'est donc à l'ensemble des acteurs du transport maritime d'assumer leurs responsabilités, au sens des tâches qu'ils ont à mener, mais aussi d'assumer leur responsabilité au sens des conséquences d'une mauvaise exécution de ces tâches.

146 W. O'NEIL, Raising world maritime standards, MARITIME POLICY AND MANAGEMENT, 2004, n°1, p. 84.

52 Deuxième partie : la responsabilité du fait des fonctions statutaires, la nécessité d'une adéquation avec leur rôle prépondérant dans la garantie de la sécurité maritime

Malgré une réelle action structurelle sur la sécurité maritime, il y a très peu de jurisprudence concernant leur responsabilité du fait des fonctions statutaires. Pourtant, leur solvabilité, le nombre important de délégations dont elles sont titulaires, ainsi que leur présence dans tous les grands ports mondiaux devraient entraîner un développement des actions contentieuses. Les mécanismes juridiques pour engager cette responsabilité existent. Il n'existe pas d'impunité « de jure » mais dans les faits cette responsabilité reste très rarement engagée. Il ne faut pas que la société de classification puisse agir en dehors de la légalité et échapper à toute mise en jeu de sa responsabilité. Mais, à l'opposé, il ne faut pas qu'elle soit le « bon responsable » et connaisse un développement considérable du contentieux. La solvabilité des sociétés de classification ne doit pas être l'unique justification à l'engagement de leur responsabilité.

En droit français, les juridictions administratives peuvent être compétentes pour apprécier le contentieux issu des prestations réglementées des organismes de contrôle147. Le cadre statutaire des prestations va pouvoir entraîner l'application d'un « certain droit administratif », apprécié par les juridictions administratives, ou judiciaires pour les systèmes de droit anglo-américains (Chapitre 1). Dans l'exercice de ces compétences statutaires, les sociétés peuvent aussi voir engager leur responsabilité pénale. Il existe ainsi une jurisprudence conséquente quant à cette responsabilité pénale (Chapitre 2).

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote