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Les compétences statutaires des sociétés de classification

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par Pierre CHEVALIER
Université de Bretagne occidentale - Droit des espaces et des activités maritimes 2009
  

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Chapitre 1. La responsabilité administrative

Depuis l'arrêt Blanco148, il existe en France une responsabilité de principe des personnes publiques. Il s'agit d'une responsabilité dite administrative. L'exercice par les sociétés de classification des compétences déléguées relève de cette responsabilité (Section 1). L'organisme délégataire bénéficie parfois d'une forme d'immunité qui écarte la mise en jeu de cette responsabilité administrative lorsqu'il est habilité par des États complaisants. Ce phénomène soulève de nombreuses questions quant à la légalité des différentes immunités dont elles peuvent

147 M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, op. cit., p. 341.

148 T.C., 8 février 1873, Blanco, G.A.J.A., 14ème édition, n°1.

bénéficier (Section 2).

Section 1. La responsabilité administrative prévue par le droit français

Il convient tout d'abord d'étudier la compétence des juridictions administratives pour traiter de l'exercice du contrôle des navires par les sociétés de classification, avant d'examiner le régime de responsabilité qui est appliqué.

§ 1. La compétence juridictionnelle des tribunaux administratifs : une spécificité française

La dualité de juridictions résulte de la séparation du système juridictionnel français en deux ordres de juridiction, les juridictions judiciaires avec comme juridiction suprême la Cour de cassation et les juridictions administratives dont la juridiction suprême est le Conseil d'Etat. L'existence de ces deux ordres de juridictions distincts est le produit de l'histoire, fruit de la volonté d'empêcher le juge judiciaire de s'immiscer dans les questions de l'administration. Selon le Commissaire du Gouvernement Romieu, « tout ce qui concerne l'organisation et services publics généraux ou locaux constitue une opération administrative qui est par nature du domaine du juge administratif »149.

Avant les conclusions du Commissaire Romieu, le Commissaire du Gouvernement David indiquait que les tribunaux judiciaires « sont radicalement incompétents pour connaître de toutes les demandes formées contre l'administration à raison des services publics, quel que soit leur objet[...] »150. Le service public apparaît alors nettement comme le critère de la compétence des juridictions administratives.

Les sociétés de classification sont des organismes privés ce qui présume de la compétence des juridictions judiciaires. Nous avons vu précédemment qu'elles assumaient une mission de service public qui est celle du contrôle des navires. Mais lorsque la mission de service public est assurée par un organisme privé et dès lors que le critère organique joue un rôle important en droit administratif, le droit administratif va s'effacer au profit du droit privé. Mais cet effacement ne va pas être total car, bien que de nature privée, ces organismes gèrent, sous le contrôle de l'administration, en employant des prérogatives de puissance publique, une mission de service

149 V. concl. Romieu, C.E., 6 février 1903, Terrier, G.A.J.A., n°12.

150 V. concl. David, T.C., 8 février 1873, Blanco, G.A.J.A, n°1.

public. Ainsi, pour Monsieur Negrin, « il ne fait pas de doute que la compétence de la juridiction administrative pour connaître des actions en réparation des dommages causés par des opérations matérielles des services publics administratifs gérés par une personne publique s'étend également dans les mêmes conditions, aux services publics administratifs gérés par une personne privée »151. Les actes unilatéraux qui, « bien qu'émanant de personnes privées, sont relatifs à la gestion du service public administratif et révèlent la mise en oeuvre de prérogatives de puissance publique sont considérés comme administratifs et soumis à la censure du juge administratif [...] »152. L'émission des certificats des navires et le retrait de ceux ci correspondent à des prérogatives de puissance publique, le juge administratif devrait donc être compétent.

Le Conseil d'Etat fixe dans l'arrêt S.A. Bureau Veritas de 1983 les critères de compétence du juge administratif dans le cadre des personnes morales de droit privé qui gèrent un service public. Le juge affirme qu'il ne se reconnaîtra compétent pour connaître des actions en responsabilité intentées contre une personne privée que lorsque les dommages causés par ladite personne privée ont été causés « [...] dans l'exercice des prérogatives de puissance publique qui lui ont été conférées pour l'exécution de la mission de service public dont elle est investie ».

Le Conseil d'Etat confirme dans l'arrêt Société Textron153 du 17 février 1992 que la personne privée chargée d'une mission de service public doit exercer des prérogatives de puissance publique pour que la juridiction administrative soit compétente. Pour la Haute-Juridiction, l'association française de normalisation (A.F.NOR.) ne met pas en oeuvre une prérogative de puissance publique lorsqu'elle remplit la mission de service public qui lui est confiée par décret, car les normes qu'elle enregistre n'ont qu'un effet limité. En l'absence de prérogatives de puissance publique, le Conseil d'Etat doit donc déclarer la juridiction administrative incompétente.

Il y a donc deux conditions pour que le travail d'une société de classification relève de la compétence du juge judiciaire. Il faut qu'elle soit chargée d'une mission de service public et dispose à cette fin de prérogatives de puissance publique, et il faut également que le dommage dont il est demandé réparation au juge administratif résulte de l'exercice de ces prérogatives. Selon Monsieur Ferrer, les sociétés de classification qui reçoivent délégation pour le contrôle des navires et des aéronefs sont du ressort du juge administratif. Mais il ajoute que cette compétence s'exerce à la

151 J.-P. NEGRIN, L'intervention des personnes morales de droit privé dans l'action administrative, L.G.D.J., 1971, p. 295.

152 J.-F. LACHAUME, Droit administratif, op. cit., p. 273.

153 C.E., 17 février 1992, Société Textron, A.J.D.A, 1992, pp. 450-451.

seule condition que « [...] les prestations litigieuses soient liées à la certification et non à l'exercice du contrôle »154. Il en ressort que la compétence de la juridiction administrative s'exerce sur un domaine très réduit. Le contrôle négligent d'un navire serait de la compétence du juge judiciaire, tandis qu'une émission tardive d'un certificat donnerait la compétence au juge administratif. La sphère de compétence du juge administratif est donc extrêmement réduite.

Dans le système anglo-américain, il n'existe pas cette dualité de juridiction et la responsabilité des sociétés de classification du fait de leurs compétences statutaires est appréciée par les juridictions ordinaires155.

Lorsque la juridiction administrative est compétente, elle applique aux sociétés de classification le régime de la responsabilité pour faute. Cette responsabilité de droit public connaît certaines évolutions et tend aujourd'hui vers la suffisance d'une faute simple pour les prestations de contrôle des navires. Le droit communautaire a une fois encore une grande influence en matière de responsabilité des organismes agréés. Les Paquets Erika vont déterminer le régime de responsabilité qui est applicable.

§ 2. L'application d'une responsabilité de droit public aux sociétés de classification

Dans l'arrêt Société Anonyme Bureau Veritas de 1983, le juge affirme qu'il ne se reconnaît compétent pour connaître des actions en responsabilité intentées contre une personne privée que lorsque les dommages causés par la dite personne privée ont été causés « [...] dans l'exercice des prérogatives de puissance publique qui lui ont été conférées pour l'exécution de la mission de service public dont elle est investie ».

L'arrêt susmentionné est le seul rendu par le Conseil d'Etat sur l'engagement de la responsabilité des sociétés de classification dans le cadre de l'exercice de leurs compétences déléguées. A ce titre, il revêt un intérêt tout particulier. Il s'agit tout d'abord de déterminer qui, de l'État déléguant ou de la société délégataire engage sa responsabilité. Selon les juges, la responsabilité de droit public s'applique non à l'État qui habilite mais à la société de classification elle-même. Le Bureau Veritas est ainsi responsable de ses propres prestations car il a « [...] une personnalité juridique propre et une existence effective ». Quels que soient les liens qui l'unissent à

154 M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, op. cit., p. 352.

155 V. K. LE COUVIOUR, La responsabilité civile à l'épreuve des pollutions majeures résultant du transport maritime, op. cit., p. 512.

l'État, les fautes qu'elle commet dans l'exercice de sa mission de service public ne peuvent engager que sa propre responsabilité. Il peut y avoir substitution de responsabilité lorsque la personne privée s'avère insolvable. En l'espèce, la responsabilité de la personne publique est donc engagée à titre subsidiaire, une fois seulement l'insolvabilité de la personne privée effectivement constatée.

Les prestations de l'État en matière de contrôle ou de certification sont considérées comme des prestations techniques et complexes156. Dans le cadre de ces prestations, une faute est nécessaire pour que la responsabilité de l'intervenant soit engagée. Pour que la responsabilité de l'administration ou d'un organe substitué soit engagée, « la faute doit pouvoir être rattachée à l'administration ou rattachable à une activité administrative »157. Il s'agit de ce que l'on qualifie de faute de service. En 1877, le Commissaire du Gouvernement Laferrière opposait à la faute de service qui existe « [...] si l'acte dommageable est impersonnel, s'il révèle un administrateur plus ou moins sujet à l'erreur »158, la faute personnelle révélant « l'homme avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences ». Cette faute de service est constituée par la violation d'une obligation administrative préexistante.

Nous avons vu précédemment que l'exercice de prérogatives de puissance publique rendait applicable la responsabilité de droit public aux sociétés de classification. Pour que la responsabilité des sociétés agissant par délégation de l'État français soit retenue, il faut donc que les fautes relevées soient « [...] interprétées comme des fautes de service »159. Dans la décision du 23 mars 1983, le juge ne qualifie pas expressément les fautes commises par le Bureau Veritas de fautes de service. « Le retard apporté par le Bureau Veritas à la délivrance du certificat de navigabilité [...], a été motivé par l'absence au dossier de la dérogation pour enregistreur de vol, il n'entrait pas dans les attributions du Bureau Veritas d'effectuer ce contrôle ni, par voie de conséquence, de faire obstacle à la délivrance, pour ce motif, du certificat de navigabilité et que, dès lors, la société requérante a commis, dans l'exécution du service public, une faute de nature à engager sa responsabilité »160. Ainsi, dès que la société agit en dehors du cadre de ses prérogatives, et même si c'est pour être encore plus exigent, cet agissement va constituer une faute de service dès lors que la conséquence est un retard dommageable dans la délivrance du certificat.

156 V. J. MOREAU, Responsabilité du fait d'actes de tutelle et de contrôle, J.-CL., Administratif, fasc. 918, n° 123.

157 M. PAILLET, Faute de service, Notion, J.-CL, Administratif, fasc. 818, n°8 et n°33, cité par M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, op. cit., p. 368.

158 T.C., 5 mai 1877, Laumonnier-Carriol, Rec., 1877, p. 437, concl., E. Laferrière.

159 M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, op. cit. p. 369.

160 C.E., 23 mars 1983, déc. préc., note n°93.

Le droit administratif français distingue la faute lourde et la faute simple. La faute lourde intervient « [...] dans des domaines dont le fonctionnement et l'exécution présentent des difficultés et nécessitent par conséquence, la preuve d'une faute qualifiée »161. La faute simple va intervenir dans tous les autres domaines. A l'origine, l'exigence d'une faute lourde a permis de supprimer plus facilement les régimes d'irresponsabilité dont jouissait la puissance publique dans certains domaines162. Mais cette faute lourde était considérée comme exagérément favorable à l'administration, aussi depuis les années 1990 la jurisprudence réduit le champ d'application de la faute lourde au profit de la faute simple. Ainsi, l'exigence d'une faute lourde a été abandonnée dans le domaine médical depuis l'arrêt Epoux V163 rendu par le Conseil d'Etat le 10 avril 1992. Par cet arrêt a été abandonnée l'exigence d'une faute lourde pour engager la responsabilité du service public hospitalier en cas d'acte médical. Par la suite, dans l'affaire dite du sang contaminé, le Conseil d'Etat abandonne dans un arrêt du 9 avril 1993164 l'exigence de la faute lourde pour activités de tutelles et de contrôle sur les centres de transfusion sanguine. Il aurait été choquant de refuser l'indemnisation de ces victimes collatérales du VIH au seul motif qu'aucune faute assimilable à une faute lourde n'avait été commise.

Cet abandon de la faute lourde a été aussi consacré dans le domaine du contrôle des navires. Dans une décision du 13 mars 1998, le Conseil d'Etat supprime cette exigence pour les activités de contrôle des navires. Le 14 février 1979, le navire François Vielj eux , long de 170 mètres et fort de 16000 tonnes sombrait à 55 kilomètres au large du Vigo, port du littoral occidental de l'Espagne. Il n'y eut que 8 rescapés. Cinq ans après les ayant droits des 12 morts et des 11 disparus se sont adressés à l'État français pour lui demander réparation du préjudice matériel et moral qu'ils ont subi. Les demandeurs mettent en avant les problèmes rencontrés lors des opérations matérielles d'assistance et de sauvetage ainsi que les procédures de contrôle technique du navire. Les services chargés de la délivrance des certificats de sécurité (S.O.L.A. S.) n'ont pas relevé le caractère défectueux de l'aménagement des panneaux latéraux de cale et ont admis un abaissement des surbaux165 qui menaçait pourtant la sécurité du navire ainsi qu'une dérogation pour remplacer une porte métallique par une porte en bois.

161 P. GRECIANO, La responsabilité de l'Etat en droit aérien, l'exemple de la France et de l'Allemagne, http://www.rajf.org/spip.php?article2646.

162 V. L'arrêt Tomaso Grecco de 1905 n'invoque plus le principe de l'irresponsabilité de l'Etat en matière de police et est suivi d'une jurisprudence qui précise que seule une faute lourde peut engager la responsabilité de la puissance publique. C.E., 10 février 1905, Tomaso Grecco, Rec. 1905, p. 139.

163 C.E., 10 avril 1992, Epoux V., Rec., 1992, p. 171.

164 C.E., 9 avril 1993, Bianchi, Rec., 1993, p. 110.

165 Le surbau est un rebord vertical protecteur détournant un écoulement d'eau.

Le Conseil d'Etat rend un arrêt de rejet166 le 13 mars 1998 et ne retient pas la responsabilité de l'administration dans cette espèce car il considère que l'armateur avait l'obligation de solliciter une nouvelle inspection du navire. L'initiative du contrôle revient à l'armateur. La Haute-Juridiction établit ensuite : « [...] qu'il ne résulte pas davantage de l'instruction que le remplacement d'une porte en acier par une porte en bois ait joué un rôle quelconque dans le naufrage du François Vielj eux et que les requérants ne sauraient donc en tout état de cause, soutenir qu'en autorisant cette modification la commission de sécurité aurait commis une faute engageant la responsabilité de l'administration ». Dans cet attendu, le juge administratif fonde le rejet de la responsabilité de l'administration sur l'absence de faute. C'est une manière indirecte de juger que la responsabilité de l'administration n'est plus établie sur une faute lourde mais qu'une faute simple suffit.

Aujourd'hui, pour les activités de contrôle et de certification, la faute simple est donc suffisante pour engager la responsabilité de la puissance publique. Cette faute simple sera donc recherchée pour engager la responsabilité d'une société de classification agissant dans le cadre de ses fonctions statutaires. Il n'existe actuellement aucune jurisprudence illustrant cette application aux activités déléguées aux sociétés de classification.

Mais la directive 200 1/105/CE167 du Parlement européen et du Conseil, modifiant l'article 6 de la directive 94/57/CE change de manière très importante le régime de responsabilité des sociétés de classification agissant sur délégation des États membres.

Adoptée dans le cadre du Paquet Erika I, cette directive était inspirée par les travaux du groupe dit de Göteborg, qui rassemblait certaines des administrations du pavillon européennes et certains organismes agréés internationaux, dans le but de débattre et de rédiger des clauses standard en matière de responsabilité. Elle ne régit que la réparation que l'administration d'un Etat membre peut exiger d'un organisme agréé si le premier est tenu responsable à la suite de la faute du dernier, judiciairement ou lors d'un arbitrage. C'est donc l'inverse de la procédure retenue par le Conseil d'Etat dans l'arrêt Société Anonyme Bureau Veritas de 1983168. Avant cette directive, le Conseil d'Etat avait ainsi indiqué que les fautes commises par la société dans l'exercice de sa mission de service public ne pouvaient engager que sa propre responsabilité. Désormais, l'administration de tutelle ne pourra se retourner contre la société de classification qu'une fois qu'elle aura indemnisé les personnes lésées.

166 C.E., sect., 13 mars 1998, M. Améon et autres, A.J.D.A., 1998, p. 418, D.M.F., 1998, p. 790, obs. P. Chaumette.

167 J.O.C.E., L 324 du 29 novembre 2002, p. 53.

168 C.E., 23 mars 1983, déc. préc., note n°93.

La nouvelle directive rajoute trois alinéas à l'article 6 de la directive 94/57/CE. Le premier alinéa (i) traite de ce préalable à la responsabilité des sociétés de classification.

- Il dispose que « si l'administration est finalement déclarée responsable d'un incident de manière définitive par une cour ou un tribunal ou à la suite du règlement d'un litige par la voie d'un procédure d'arbitrage et doit indemniser les personnes lésées dans le cas d'un préjudice ou d'un dommage matériel, d'un dommage corporel ou d'un décès dont il est prouvé, devant cette juridiction, qu'il résulte d'un acte ou d'une omission volontaire ou d'une négligence grave de l'organisme agréé, de ses services, de son personnel, de ses agents ou autres agissant au nom de l'organisme agréé pour autant que ledit préjudice, dommage matériel, dommage corporel ou décès est dû, selon la décision de cette juridiction, à l'organisme agréé [...]. »

- L'alinéa (ii) pose un plancher pour la responsabilité des organismes pour les dommages corporels ou décès résultant d'un acte ou d'une omission par négligence ou imprudence. Ce plancher, fixé par l'État déléguant et l'organisme délégataire lors de l'élaboration de l'accord d'agrément, ne peut pas être inférieur à 4 millions d'euros.

- Le dernier alinéa (iii) indique qu'en cas de préjudice ou de dommage matériel résultant d'un acte ou d'une omission par négligence ou imprudence d'un organisme agréé, les États membres peuvent limiter le montant maximal à verser par l'organisme, mais ce plafond doit être au moins égal à 4 millions d'euros.

La responsabilité des sociétés de classification est donc une responsabilité indirecte. Il faut au préalable que l'administration de tutelle soit déclarée responsable169. Dans une étude d'impact170 concernant le régime de responsabilité prévu au nouvel article 6 de la directive 94/57/CE , la Commission indique qu'au jour de l'étude (février 2006), il n'existait aucune affaire jugée ou en cours dans le cadre de laquelle le recouvrement par l'État du pavillon à l'encontre d'un organisme a été ou pouvait être activé. Aucun organisme agréé n'a encore encouru de responsabilité envers une administration nationale en conséquence de tâches maritimes réglementaires exécutées pour cette administration. Il ressort de ces constatations que l'augmentation du contentieux souvent mentionnée en doctrine est certainement avancée par les organismes agréés eux-mêmes. Cette constatation d'un développement du contentieux, sans cesse réitérée, a un effet comminatoire et

169 Lorsque l'administration a été condamnée au versement de dommages et intérêts à raison d'une faute commise par un organisme délégataire, elle a la possibilité d'exercer une action récursoire contre ce dernier. Cette voie de recours a été admise pour la première fois par les arrêts Laruelle et Delville rendus par le Conseil d'Etat le 28 juillet 1951. V. C.E., Ass. 28 juillet 1951, Laruelle et Delville, Rec. 1951, p. 464.

170 Annexe du document de travail de la commission sur le contrôle par la Commission des organismes agrées et sur
l'impact du régime de responsabilité civile conformément à la directive 94/57/CE
, COM(2006) 588 final, p. 27.

permet ainsi aux organismes de demander que ne leur soit pas appliquée une responsabilité illimitée en matière de négligences simples. Les organismes agréés arguent qu'en raison de l'augmentation « potentielle » des litiges, il est devenu beaucoup plus difficile d'obtenir une couverture adéquate sur le marché de l'assurance et que les taux d'assurance augmentent sensiblement en raison de ce potentiel.

L'alinéa (i) stipule que, pour les cas de négligence grave, il devrait y avoir une responsabilité illimitée. Cette position est suivie par tous les États membres ayant mis en oeuvre la directive. Mais les États membres restent libres pour fixer les plafonds de responsabilité. La directive fixe dans les alinéas (i) et (ii) des peines planchers qui sont pour certains États devenues des peines plafond171. Cinq États membres172 dont la France ont adopté une responsabilité illimitée en matière de décès, dommages corporels ou dommages matériels résultant d'une négligence d'un organisme agréé.

La directive 2001/105/CE modifie le régime de responsabilité applicable aux organismes agréés, dans le cadre de l'exercice de leurs compétences statutaires . Cette modification permet d'encadrer cette pratique de la délégation, de l'agrément communautaire à l'engagement d'une responsabilité. La directive reconnaît ainsi le rôle majeur joué par les sociétés car elle n'impose pas de responsabilité illimitée pour les cas de négligence (alinéa (i) et (ii). Ce choix relève de la compétence de l'État et apparaîtra dans l'accord d'agrément passé entre l'État membre délégant et l'organisme agréé. Il s'agit d'une véritable négociation et l'organisme peut obtenir des contreparties en échange de cette responsabilité illimitée.

Il est alors légitime de se demander si la possibilité de négocier une responsabilité illimitée pour les cas de négligence peut servir d'outil pour restreindre l'accès à ce marché. En effet, certains organismes reconnus choisissent de ne pas intégrer un marché du fait de cette responsabilité illimitée173.

La place très importante tenue par l'arbitrage en matière maritime peut expliquer l'absence de jurisprudence. L'intérêt de cette solution est de mêler l'aspect contractuel et l'aspect juridictionnel. Il s'agit de confier le règlement du litige à un ou plusieurs tiers particuliers.

171 17 Etats membres ont introduit une responsabilité limitée pour les cas de négligence. Les planchers prévus par la directive ont été transformés en plafond, mais dans l'ensemble, les montants correspondent, V. Document de travail de la Commission, op. cit., p. 20.

172 Il s'agit de l'Allemagne, de l'Espagne, de la France, de l'Italie et du Luxembourg.

173 V. Annexe du document de travail de la commission sur le contrôle par la Commission des organismes agrées et sur l'impact du régime de responsabilité civile conformément à la directive 94/57/CE, COM(2006) 588 final, p. 26.

L'arbitrage permet ainsi d'exercer « une mission juridictionnelle mais en ayant recours à des règles dépendant partiellement de la volonté des parties au litige »174 . Ce mode de règlement est plus rapide et plus confidentiel. Les décisions d'arbitrage ne sont généralement pas publiées et la réputation de l'organisme reconnu, partie à l'arbitrage, reste donc intacte.

Au regard de toutes ces constatations, le volontarisme de l'État du pavillon peut-il être remis en question? L'État du pavillon délègue la totalité ou seulement une partie de ses compétences de contrôle aux sociétés de classification. Sa responsabilité n'a de facto jamais encore été engagée du fait de l'exercice des compétences statutaires par les organismes agréés. De plus, c'est l'armateur qui va supporter le coût des visites et l'État est donc désengagé financièrement du contrôle des navires lorsqu'il le délègue. Les États qui délèguent la totalité de ce contrôle comme Chypre ou Malte ne semblent donc pas assumer leur obligations internationales du contrôle des navires arborant leurs pavillons respectifs. Comme le dit Madame Isabelle Corbier, la sécurité maritime qui est l'une des principales préoccupations de notre temps, ne doit pas être le privilège exclusif des sociétés de classification. La sécurité maritime est avant tout de la responsabilité de tous175.

Ce désengagement de certains États est parfois accompagné de complaisance à l'égard des sociétés de classification. C'est le cas dans des États complaisants, tiers à l'Union européenne, qui attribuent dans leur droit national une immunité aux sociétés agissant par délégation. A côté de cette immunité légale dans l'application du droit du pavillon, une partie de la doctrine considère que les sociétés de classification ainsi que leurs agents, agissant par délégation d'un État, peuvent bénéficier du principe de droit international public dit d'immunité de juridiction qui s'oppose à ce que, en dehors de toute acceptation, un État, ses agents ou démembrements soient jugés devant une juridiction d'un État tiers.

Section 2. L'existence d'obstacles à l'engagement de la responsabilité des sociétés de classification

Deux situations juridiques différentes peuvent conduire à une immunité des sociétés de classification agissant par délégation d'un État. Se pose tout d'abord le problème d'une impunité lorsque, par les mécanismes du droit international privé, le droit du pavillon exonérant de toute

174 J.-P. BEURIER, Droits maritimes, op. cit., p. 9.

175 I. CORBIER, Classification societies and maritime security, intervention au VIIIe Colloque organisé par l'I.I.D.M., Bariloche, 29 septembre-2 octobre 2003, J.P.A., 2005, p. 12.

responsabilité l'organisme délégataire, est appliqué par une juridiction d'un État tiers. L'utilisation des règles du droit international privé peut donc conduire à une impunité légale dans l'application du droit du pavillon. Par ailleurs, une partie de la doctrine considère que l'immunité de juridiction, principe de droit international public, peut s'appliquer aux sociétés délégataires. Nous allons étudier les fondements de cette immunité de juridiction ainsi que la jurisprudence pour tenter d'infirmer cette position de la doctrine.

§ 1. Une impunité légale dans l'application du droit du pavillon

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les navires américains, craignant les attaques des sous-marin allemands, ont abandonné leur pavillon pour venir se placer sous le pavillon de Panama ou le pavillon du Honduras176. Cette initiative initialement motivée par la volonté de protéger le navire, son équipage et sa cargaison, s'est accentuée au cours des années 1950 pour des motifs tout autres. Dans le sillage du pavillon Libérien, de nombreux États accordent librement leur pavillon à des navires n'ayant aucun lien de rattachement avec l'État. L'État va recevoir une contribution financière de l'armateur ou de la compagnie maritime qui désire immatriculer son navire. En échange, les navires vont bénéficier de règles très souples en matière de droit du travail, de fiscalité, ou de responsabilité. Certains de ces États dits « complaisants » assurent même des contrôles a minima de la sécurité du navire. Cette complaisance s'exerce également à l'égard des sociétés de classification auxquelles l'État va faire appel pour effectuer les visites et délivrance de certificats du navire. En effet, certains États assurent aux sociétés une exonération de responsabilité pour les faits qui se sont produits dans le cadre de cette mission statutaire. Les deux décisions que nous allons analyser traitent de cette exonération de responsabilité conférée par le droit de l'État complaisant déléguant. Nous prenons le parti de qualifier cette pratique de complaisance car il ne nous semble pas normal qu'une exonération complète de responsabilité puisse être accordée à quelque intervenant que ce soit.

L'affaire du Sundancer illustre cette exonération de responsabilité dont peuvent parfois bénéficier les sociétés de classification dans le cadre de leur fonction statutaire. Ce navire à passagers était immatriculé aux Bahamas. Il fit naufrage en 1984 au large de la Colombie- Britannique. La société A.B.S. avait examiné la conformité du navire aux dispositions des Conventions S.O.L.A.S. et Load Lines pour qu'il puisse être immatriculé dans cet État. L'État des Bahamas déléguait ces prestations à la société A.B.S. à travers le « Bahamian Merchant Shipping

176 V. P. BONNASSIES et C. SCAPEL, Droit maritime, L.G.D.J., 2006, p. 121.

Act » de 1976. A la suite du naufrage, l'armateur du navire et son exploitant assignent en responsabilité la société de classification pour les fautes qu'elle aurait commises lors de la transformation en Suède de cet ancien transbordeur en navire de croisière.

La société de classification demande à bénéficier des dispositions du paragraphe 276 de cette Loi qui dispose que, « Tous les officiers désignés par cette Loi sont exonérés des actions relatives à tout ce qui a été fait [...] de bonne foi ou présumé de bonne foi dans l'exercice ou dans l'exécution [...] d'un devoir conféré ou imposé à lui par cette Loi ». Le procès se déroule aux Etats- Unis et le juge de première instance considère que c'est bien la Loi du pavillon qui doit s'appliquer au litige. En revanche, il refuse d'appliquer l'immunité à la société A.B. S. car elle ne rentrerait pas dans les termes de cette Loi. Néanmoins, le juge accepte de conférer l'immunité aux agents experts de la société.

Dans un arrêt Sundance Cruise v. American Bureau of Shipping177, la Cour d'appel américaine indique que les dispositions du « Bahamian Merchant Shipping Act » relatives à l'exonération de toute responsabilité s'appliquent aux agents experts mais également à la société de classification. Les juges indiquent que la société et ses experts sont des agents de l'Etat des Bahamas lorsqu'ils agissent dans le cadre de leurs prestations statutaires178.

Cette immunité, conférée par la loi de l'Etat des Bahamas a également trouvé application dans le litige né à la suite du naufrage du Scandinavian Star. Cet ancien paquebot transformé en car- ferry a pris feu le 7 avril 1990 au large du Danemark ce qui a entraîné la mort de 159 passagers. A la suite du drame, la société de classification Lloyd's Register of Shipping, précédemment responsable des fonctions de classification et de certification du navire, a été assignée en responsabilité devant les juridictions états-uniennes. En première instance, le Tribunal de Floride, faisant application du « Bahamas Merchant Shipping Act », accorde l'immunité à la société de classification. Cette décision est annulée par la Cour d'appel qui considère que les juges du lieu où s'est déroulé l'incendie sont plus compétents pour traiter de l'affaire179.

Dans ces affaires où les acteurs et les nationalités sont entremêlés, le droit du pavillon est souvent le seul élément de rattachement stable. Devant la difficulté à décider quel droit est applicable au litige, et en l'absence de convention matérielle traitant de la question, les juges

177 V. Sundance Cruise v. American Bureau of Shipping, U.S.C.A., 2nd Circ., 15 octobre 1993, L.L.R., 1994, 1, p. 207.

178 V. M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, op. cit., p. 361.

179 Ibid.

choisissent d'appliquer le droit du pavillon. C'est la raison pour laquelle les armateurs choisissent le pavillon de leur navire en connaissance de cause. Il ne s'agit donc pas d'une immunité de juridiction comme l'avance Monsieur Ferrer180 mais d'une exonération de responsabilité ou immunité conférée par l'application du droit du pavillon. L'immunité de juridiction est un principe de droit international public à la signification tout à fait différente.

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