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Les compétences statutaires des sociétés de classification

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par Pierre CHEVALIER
Université de Bretagne occidentale - Droit des espaces et des activités maritimes 2009
  

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§ 2. La question de l'immunité de juridiction par l'application du droit du for

Reconnaître l'immunité de juridiction à un sujet de droit consiste à interdire à un organe d'appliquer le droit normalement applicable par lui à une situation en raison de la qualité particulière du sujet considéré. En vertu du principe de droit international public par in parem non habet imperium, un État ne peut être soumis à la juridiction d'un autre État. L'octroi de l'immunité souveraine à un État dans une procédure civile ou pénale, poursuit le but légitime d'observer le droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entres États grâce au respect de la souveraineté d'un autre Etat181. Cette immunité des États était à l'origine considérée comme une chose absolue, mais les États ont de plus en plus assumé des activités économiques auparavant réservées aux particuliers et il fut considéré par de nombreux pays qu'ils ne pouvaient pas continuer à se prévaloir de leur qualité au détriment de leurs partenaires privés182. Dans la plupart des États, le principe de l'immunité des États étrangers n'est ni une règle absolue, ni d'une portée générale. Il faut au contraire faire une distinction suivant que l'État étranger agit en vertu de sa souveraineté par un acte dit de jure imperii ou comme titulaire d'un droit privé par un simple acte dit de jure gestionis. C'est dans le premier cas seulement que l'État peut invoquer le principe de l'immunité de juridiction. L'immunité de juridiction est donc le plus souvent limitée aux actes accomplis par son bénéficiaire dans l'exercice de ses fonctions183.

La Convention de Bâle du Conseil de l'Europe du 16 mai 1972 traite de l'immunité des États, mais elle n'a pas été ratifiée par la France et huit États seulement y sont parties (Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suisse). D'autre part, le travail

180 « Les experts des sociétés de classification qui agissent dans le cadre des fonctions statutaires de certains Etats complaisants bénéficient, en cas de négligence ou d'omission involontaire de leur part, d'une immunité de juridiction », V. M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, op. cit., p. 359 et 361.

181 V. M. PUECHAVY, note sous C.E.D.H., 21 novembre 2001, Al-Adsani v. Royaume-Uni, GAZ. PAL., 4 décembre 2001, p. 23.

182 B. AUDIT, Droit international privé, 4ème édition, EDITIONS ECONOMICA, p. 336.

183 V. J. VERHOEVEN, Les immunités propres aux organes ou autres agents des sujets du Droit international, in. Le Droit des immunités, contestation ou consolidation?, BIBLIOTHEQUE DE L'INSTITUT DES HAUTES ETUDES INTERNATIONALES DE PARIS, 2004, p. 71.

de la Commission de droit international des Nations Unies a abouti à l'élaboration d'une Convention du 17 janvier 2005 sur les immunités juridictionnelles des États et leurs biens. La France a signé cette Convention le 17 janvier 2007 mais ne l'a pas encore ratifiée.

Si les États n'ont pas ratifié de Conventions relatives à l'immunité de juridiction ou dans le flou de celles-ci, il revient aux États de choisir de faire une interprétation large ou restrictive de cette immunité de juridiction. Au XIXème siècle, les juridictions françaises se prononçaient pour une conception absolue de celle-ci184. Mais dans un arrêt de 1929 admettant qu'une saisie soit pratiquée contre la Représentation commerciale des Soviets, organisme émanant de l'État soviétique, la Chambre des requêtes indique que l'organisme pratiquait « [...] des actes de commerce auxquels le principe de souveraineté des États demeure étranger »185. La France suit le mouvement de nombreux États qui adoptent une conception plus restrictive de l'immunité de juridiction. Ils considèrent que lorsqu'un État conclut des engagements dont la nature ressort du droit privé, il n'y a aucune raison qu'ils ne soient pas jugés par les juridictions ordinaires compétentes186. De plus, un État qui fuit toujours ces obligations commerciales, en se réfugiant derrière son immunité de juridiction, n'aura plus aucune réputation d'intégrité dans ces futures relations commerciales187.

Dans certains États, le législateur est intervenu pour tracer les contours de cette immunité de juridiction188. En France, la question est traitée par la jurisprudence. Pour déterminer si la situation qui lui était soumise et qui impliquait un État étranger ou ses démembrements, pouvait être jugée devant une juridiction française, les juges ont eu recours à un critère organique puis à un critère fonctionnel. Tout en rappelant « qu'il est de principe absolu que les États étrangers, en raison de l'indépendance et de la souveraineté des nations, jouissent en France du privilège de l'immunité de juridiction »189, les juridictions françaises ont ainsi clairement opté pour une conception restrictive de l'immunité de juridiction.

Le critère organique, tiré de la personnalité juridique a été rapidement écarté car il était trop formaliste190. La Cour de cassation a indiqué dans l'arrêt Société Levant-Express de 1969 que

184 V. Cass., 22 janvier 1849, Gouvernement Espagnol contre Casaux, SIREY, 1849, I, col. 81.

185 D. P. 1929. 1. 73.; G.A.D.I.P., p. 439, § 2.

186 H. FOX, The Law of State Immunity, THE OXFORD INTERNATIONAL LAW LIBRARY, 2008, p. 64.

187 Ibid.

188 Ainsi aux Etats-unis existe le Foreign Sovereign Immunities Act de 1976 et en Australie, le Foreign States Immunities Act de 1985.

189 C. A. Aix en Provence, 23 novembre 1938, Socifross contre U.R.S.S., DALLOZ, 1939, 7ème cahier, II, p. 66.

190 V. B. AUDIT, Droit international privé, op. cit., p. 336.

« l'immunité est fondée sur la nature de l'activité et non sur la qualité de celui qui l'exerce »191. C'est ce critère fonctionnel tiré de la nature des actes en cause (ratione materiae192) qui est aujourd'hui encore utilisé par les juridictions françaises. Les actes d'autorité (jure imperii) et les actes de gestions (jure gestionis) sont opposés. Cette distinction est directement inspirée des principes utilisés par la juridiction administrative pour déterminer sa propre compétence par rapport à celle des tribunaux judiciaires.

Ce critère tiré de la nature des actes est formulé dans l'arrêt Société Levant-Express : « Attendu que les États étrangers et les organismes agissant par leur ordre ou pour leur compte ne bénéficient de l'immunité de juridiction qu'autant que l'acte qui donne lieu au litige constitue un acte de puissance publique ou a été accompli dans l'intérêt d'un service public ».

La question se pose alors de savoir si une entité, distincte de l'État, et exerçant parfois des activités commerciales, peut bénéficier de l'immunité de l'État. Est-ce qu'une société de classification, effectuant les contrôles et la délivrance des certificats des navires au nom et pour le compte de l'État du pavillon, peut bénéficier de cette immunité de juridiction?

L'accomplissement d'une mission de service publique ou l'exécution d'un acte de puissance publique sont les éléments que doivent rechercher les juges avant d'accéder à une demande d'immunité de juridiction. Dans un arrêt de 2003, relatif à l'affiliation à la sécurité sociale française d'un professeur de l'école saoudienne de Paris, la Cour de cassation fait une reprise quasi similaire d'un attendu de l'arrêt Société Levant-Express193 : « Attendu que les États étrangers et les organismes qui en constituent l'émanation ne bénéficient de l'immunité de juridiction qu'autant que l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces États et n'est donc pas un acte de gestion ». Cette position est aussi celle de la Convention de Bâle sur l'immunité des États, du 16 mai 1972, du Conseil de l'Europe qui écarte toute immunité de juridiction pour les activités étatiques sans rapport avec l'exercice de la souveraineté, notamment actes de gestions194.

Les poursuites menées en France contre la Malta Maritime Authority à la suite du naufrage

191 Cass., civ., 25 février 1969, Société Levant-Express, G.A.D.I.P., n° 47.

192 V. H. FOX, The Law of State Immunity, op. cit., p. 102, qui distingue les immunités ratione materiae des immunités ratione personnae.

193 Cass. ch. Mixte, 20 juin 2003, J.D.I., 2003, p. 1115.

194 Cette Convention n'a pas été ratifiée par la France, huit Etats seulement y sont parties : Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suisse.

du navire Erika illustrent la question de l'application de l'immunité de juridiction à un intervenant de la sécurité maritime. Rappelons que l'Erika était un pétrolier battant pavillon maltais, construit en 1975 et affrété par la société Total-Fina-Elf. Il a fait naufrage le 12 décembre 1999 au large de la Bretagne. L'acteur ici en question, parmi beaucoup d'autres intervenants, est la Malta Maritime Authority qui avait délivré au navire et à la société gestionnaire du navire, les certificats du pavillon de Malte. Le 19 avril 2002, le juge d'instruction français en charge a délivré commission rogatoire aux autorités judiciaires de l'État de Malte avec pour mission notamment d'entendre les responsables de l'État du pavillon maltais. Après retour de la commission rogatoire, le juge d'instruction a mis en examen les 25 et 26 septembre 2003, la Malta Maritime Authority (M.M.A.) représentée par son Président ainsi que son directeur exécutif, responsable de la marine marchande, en des termes identiques des chefs de mise en danger de la vie d'autrui et de complicité de pollution. La M.M.A. a alors formé une requête en annulation de ce procès verbal.

La procédure lancée, la Chambre de l'Instruction de la Cour d'appel de Paris, le 14 juin 2002, annule les mises en examens de la M.M.A. et d'un de ses directeurs. Pour annuler les actes de poursuite à l'encontre de la M.M.A. et de son directeur exécutif, la juridiction pénale retient que même si la M.M.A. peut effectuer des actes de commerce, il est incontestable qu'elle dispose de prérogatives de puissance publique démontrant qu'elle est une émanation de l'État de Malte exerçant sous le contrôle étroit du ministre de tutelle. La Cour juge donc que la M.M.A. bénéficie de l'immunité de Juridiction reconnue à l'État de Malte195.

L'Agent judiciaire du Trésor français forme alors un pourvoi en cassation de cette décision au motif que la M.M.A. et son directeur ne peuvent pas bénéficier de l'immunité de juridiction. La chambre criminelle de la Cour de cassation rend un arrêt de rejet le 23 novembre 2004196. Les juges confirment l'annulation de la mise en examen de la M.M.A. et d'un de ses directeurs au motif que « La Coutume Internationale qui s'oppose à la poursuite des États devant les juridictions pénales d'un État étranger s'étend aux organes et entités qui constituent l'émanation de l'État ainsi qu'à leurs agents en raison d'actes, qui comme en l'espèce, relèvent de la souveraineté de l'État concerné ».

La décision de la Cour de cassation suit les traces laissées par les jurisprudences antérieures mais elle est néanmoins critiquable. Il faut noter que dès le milieu du XXème siècle, l'immunité a été octroyée à des organismes dotés d'une personnalité indépendante197. Par la suite, en 1990, la

195 V. P. BLIN, note sous arrêt C.A. Paris, 14 juin 2004, Navire Erika, D.M.F., octobre 2004, p. 862.

196 V. J.-L. RENARD, note sous arrêt Cass. ch. crim., 23 novembre 2004, Navire Erika, D.M.F., avril 2005, p. 312.

197 V. Pour une immunité accordée à des organismes bancaires privés, Cass. civ, 1ère, 3 novembre 1952, R.C.D.I.P.,

Cour de cassation accorde le bénéfice de l'immunité à un organisme doté d'une personnalité juridique distincte de celle de l'État mais également d'une indépendance budgétaire198. Concernant, la M.M.A., les juges indiquent qu'elle a été créée par une loi de l'État de Malte, qu'elle a un Ministre de tutelle qui nomme certains des membres et peut les révoquer. La M.M.A. et son directeur ont agi par l'ordre ou pour le compte des autorités de l'État de Malte. De plus, ils ont agi dans le cadre stricte de leurs fonctions et n'ont pas commis de fautes personnelles. Il s'agit donc d'émanations de l'État de Malte. La Cour a ensuite étudié la nature des actes en cause dans le naufrage de l'Erika. L'attribution du pavillon est en France un acte de puissance publique et peut donc être considérée comme un acte de jure imperii. Cet acte relève du pouvoir souverain de chaque État et l'immunité de juridiction doit être accordée lorsque de tels actes sont en cause. La Cour considère également que la délivrance et le maintien des autorisations de naviguer relèvent du pouvoir souverain de chaque État. Elle indique que « [...] l'immatriculation subséquente ainsi que le maintien des autorisations de naviguer sont des actes relevant « [...de la souveraineté [...] » de la République de Malte.

Le Professeur Ancel, cité par Monsieur Renard dans ses observations sous l'arrêt de cassation indique que « la Chambre de l'Instruction fusionne l'ensemble des opérations accomplies du chef de l'autorité publique et tendant à l'immatriculation et à la délivrance ou au maintien des autorisations de naviguer dans la qualification d'actes administratifs de puissances publiques » alors que selon lui ces actes comporteraient une dimension décisionnelle dont le caractère souverain n'est pas contesté et une dimension matérielle qui répond à « une fonction non régalienne qui est d'assurer la sécurité et la navigabilité des navires »199. Il est pourtant avéré que la M.M.A. dans son travail de certification des navires poursuit principalement des finalités d'ordre économique. Au regard des critères précédemment employés par la jurisprudence, on peut dire que la M.M.A. réalise une mission de service public, que l'acte d'immatriculation d'un navire constitue un acte de puissance publique, mais également que la M.M.A. agit dans un but commercial. C'est cette confusion des genres qui rend critiquable l'application de l'immunité de juridiction à la M.M.A. et à l'un de ses présidents. La M.M.A., émanation de l'État de Malte selon la Cour de cassation, agit également, au cours de la même mission, en représentation d'intérêts privés.

Ce même raisonnement est applicable aux sociétés de classification qui agissent sur

1953, p. 423.

198 V. Cass., 12 juin 1990, Bull., 1990, I, n° 155, p. 110.

199 Consultation du Professeur ANCEL du 4 août 2004, citée par J.-L. RENARD, note sous arrêt Cass. ch. crim., 23 novembre 2004, Navire Erika, D.M.F., avril 2005, p. 310.

délégation des États pour contrôler les navires et délivrer les certificats de conformité aux exigences internationales. L'arrêt Société Anonyme Bureau Veritas200 de 1983 avait bien indiqué que le contrôle exercé par les sociétés est une mission de service public et leur capacité d'émettre des certificats une prérogative de puissance publique. On peut alors considérer que lorsqu'elles émettent des certificats de conformité aux dispositions des Conventions internationales, « les sociétés sont des organes agissant par ordre et pour le compte [d'un État délégant], dans le cadre d'une mission de service public en exécutant des actes de puissance publique »201. La délivrance d'un certificat ne peut pas être réalisée par une personne privée202 si celle si n'en a pas reçu délégation. Cet acte doit par principe être effectuée par l'État du pavillon et, par exception, par un organisme agréé et ayant reçu délégation. Mais comme pour la M.M.A., du point de vue des sociétés de classification ayant reçu la délégation, il ne s'agit pas pour elles d'un acte de puissance publique mais d'un acte de commerce. L'immatriculation dans les pavillons de complaisance procède en priorité d'une recherche d'opportunité commerciale. Ces pavillons de complaisance sont désignés parfois comme la « gangrène »203 du commerce maritime international. L'armateur recherche les facilités sociales, fiscales ou sécuritaires du pavillon de libre immatriculation et l'organisme responsable recherche à percevoir les droits d'enregistrement. Si l'immatriculation est de facto assimilable à un acte commercial dans certains États complaisants, la certification de la conformité des navires par les sociétés de classification agréées dans ces États peut, elle aussi, se révéler éloignée de toute considération de service public.

Le jugement Erika, rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 16 janvier 2008 traite de cette question de l'immunité de juridiction invoquée par les sociétés de classification agissant sur délégation des États. Pour les juges, l'inspecteur de la société RINA a commis une faute en renouvelant, moins d'un mois avant le naufrage, le certificat de classification. Ce renouvellement a été pris « dans la précipitation et sous la pression de contraintes commerciales ». Par ailleurs, les juges voient dans la faute de l'inspecteur, qui était l'un des représentants du RINA, une faute engageant la responsabilité pénale de cette personne morale. Le Tribunal écarte le bénéfice de l'immunité de juridiction invoquée in limine litis par la société qui ne voulait pas voir ses

200 V. note n° 93.

201 V. M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, op. cit., p. 363. L'auteur considère que les critères établis par les tribunaux français s'appliquent parfaitement au régime et au domaine des prestations statutaires des sociétés. Il évoque aussi le Sovereign Immunity Act de 1976 applicable aux Etats-Unis. Il indique que « l'immunité

de juridiction pourrait s'appliquer aux sociétés de classification étatiques, c'est à dire dont l'Etat possède au moins 51% du capital social ». La majorité des sociétés de classifications, entreprises sans capitaux publics, est donc exclue de cette définition.

202 V. les développements sur les actes commerciaux des Etats, « an act which a private person may perform », H. FOX, The Law of State Immunity, op. cit., p. 506.

203 L. CARROUE, Ces espaces hors le loi du transport maritime, LE MONDE DIPLOMATIQUE, février 2000, p. 24.

responsabilités civiles et pénales engagées devant les juridictions françaises.

Les derniers arrêts rendus par des juridictions françaises à propos de l'immunité de juridiction indiquent que, pour que celle-ci soit accordée, il faut que les actes en question relèvent de la souveraineté d'un Etat étranger et soient accomplis par l'ordre ou pour le compte de ce même État. Or les juges relèvent que la société RINA est intervenue en exécution d'un contrat conclu avec le propriétaire du navire204. L'activité de la société serait donc restée d'ordre privé. Les relations de l'État de Malte avec les différentes sociétés de classification, tout comme « l'objectif de service public » prétendument poursuivi, n'avaient ni pour objet, ni pour effet de rattacher cette activité à l'exercice de la souveraineté de l'État de Malte205. C'est l'activité privée qui semble être en cause dans ce jugement du Tribunal de grande instance.

La société maltaise TENERE SHIPPING, contrôlée elle même par deux sociétés libériennes, a en effet conclu le 3 août 1998 un contrat avec le RINA pour la prise en classe du navire Erika. Il n'y a pas d'exercice d'actes de puissance publique pour la prise en classe d'un navire. En revanche, si les juges ont considéré que l'activité de certification exercée par le RINA au nom de l'Etat de Malte est une activité privée, cela constituerait un revirement de jurisprudence. Dans l'arrêt Société Anonyme Bureau Veritas, le Conseil d'Etat se considère compétent car les faits sont intervenu« [...] dans l'exercice des prérogatives de puissance publique qui lui ont été conférées pour l'exécution de la mission de service public dont elle est investie »206. Si la société de classification dispose de prérogatives de puissance publique pour cette activité de certification, elle devrait pouvoir bénéficier, au regard de la jurisprudence antérieure, de l'immunité de juridiction accordée à l'État qui lui délègue cette compétence. Ainsi, la société de classification a invoqué l'exception d'immunité de juridiction d'un État étranger au titre de cette activité au motif qu'elle est le délégataire de l'Etat maltais pour la délivrance des certificats statutaires et de sécurité. Ce moyen est écarté par les juges. En effet, lorsqu'elle consiste à vérifier la mise en oeuvre des règles de sécurité au moyen d'inspections portant sur la solidité structurelle de la coque, l'activité des sociétés de classification est d'ordre privé, réalisée à la demande du propriétaire, en exécution d'un contrat conclu avec lui. Telle est bien la situation en l'espèce et l'activité de classification ne peut être rattachée à l'exercice de la souveraineté des États dont le pavillon flotte sur les navires pris en classe par la société. La société de classification ne dispose pas d'une délégation pour retirer la certification I.S.M. et ne peut donc pas prétendre pour ces faits à l'existence d'une immunité de

204 V. P. BONNASSIES, Le droit positif en 2007, D.M.F., hors-série n°12, juin 2008, p. 22.

205 Ibid.

206 v. note n° 93.

juridiction.

Le jugement du Tribunal de grande instance de Paris n'apporte pas de réponse quant à la question de savoir si une société de classification agissant par délégation de l'Etat du pavillon peut invoquer à son bénéfice l'exception d'immunité dont ce dernier bénéficie. Il faudra un arrêt rendu par une juridiction supérieure pour que le droit soit établi en la matière. Or, au regard de la quasi inexistence de jurisprudence sur la responsabilité administrative ou civile du fait de l'exercice de compétences statutaires, il est certainement plus salutaire d'attendre une décision en matière de responsabilité pénale. Exclue du domaine de l'arbitrage, la responsabilité pénale de la société de classification ou de ses experts peut être recherchée dans le cadre d'une mission déléguée par l'État du pavillon207.

Chapitre 2. La responsabilité pénale du fait de l'exercice de compétences statutaires

La responsabilité pénale de la société de classification ou de ses experts peut être recherchée dans le cadre d'une mission déléguée par l'État du pavillon. Cette mission des sociétés qui consiste en la fourniture de prestations intellectuelles de contrôle et de surveillance n'expose pas directement autrui à un danger. Néanmoins, les infractions d'imprudence fondent des poursuites à l'encontre des sociétés (section 1). Les règles répressives du droit de l'environnement se sont de plus en plus développées et ont, elles aussi, justifié des procédures à l'encontre des organismes (section 2).

Section 1. les infractions d'imprudence comme source de la responsabilité pénale des sociétés de classification ?

Les procédures engagées contre les sociétés de classification se fondent sur les infractions volontaires d'imprudence ou de négligence. La société et son expert peuvent être poursuivis pour atteintes involontaires à la vie et à l'intégrité physique d'autrui. L'infraction de mise en danger de la vie d'autrui peut également être le fondement de l'engagement d'une procédure. Ce n'est alors pas le dommage créé qui leur est reproché mais le risque de la survenance d'un dommage. Ainsi, dans l'affaire du naufrage de l'Erika, la société de classification RINA était notamment poursuivie pour

207 V. P. BOISSON, Politiques et droit de la sécurité maritime, op. cit., p. 496.

mise en danger de la vie d'autrui.

§ 1. Atteintes involontaires à la vie et à l'intégrité physique d'autrui.

Aujourd'hui, c'est l'article 221-6 du Code pénal qui traite de l'infraction d'atteinte involontaire à la vie. Il dispose que, « le fait de causer [...], par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la Loi ou le règlement, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire [...] ». Le caractère direct du lien de causalité entre le dommage et la faute n'est pas exigé, ce qui explique que la responsabilité des sociétés et de leurs experts soit retenue sur ce fondement.

Les prestations immatérielles des sociétés n'ont pas vocation à entraîner la mort. Monsieur Ferrer note à juste titre que l'armateur est le premier et dernier responsable de la qualité de son navire et qu'il apparaît alors comme le premier responsable de la mort de personnes en cas de pertes ou d'avarie de ce dernier208. La Cour de cassation a néanmoins retenue la responsabilité pénale d'un expert du Bureau Veritas pour manquement à son devoir de substitution et de conseil envers l'acquéreur d'un navire. Par une décision de la chambre criminelle du 30 mai 1980209, un expert du Bureau Veritas est reconnu coupable d'homicide involontaire à la suite du naufrage d'une drague.

La société Union Maritime de Dragage était propriétaire de la drague Cap de la Hague. Celle-ci est mise en service pour le compte de la Société des Ballastiers et Agglomérés du Rouennais afin de transporter des matériaux à béton. Le 11 octobre 1973, alors qu'elle est chargée de matériaux criblés et essorés, la drague fait face à de mauvaises conditions météorologiques et chavire. Ce naufrage entraîne la mort de 9 des 15 membres d'équipage. Deux rapports d'expertise montreront que la drague a été utilisée conformément au franc-bord délivré par la société de classification210.

La Cour d'appel de Douai, dans son arrêt du 6 juillet 1978211 conclut que, « le Bureau Veritas qui reçut de l'armateur mission d'assurer des prestations de contrôle technique avait le devoir de se substituer à l'armateur pour toutes les interventions de son ressort, hors de la compétence de celui-ci : la vérification et la mise au point des conditions d'exploitation de la drague ». Les juges constatent

208 M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, op. cit. , p. 380.

209 V. Cass. ch. crim., 30 mai 1980, Cap de la Hague, D.M.F., 1982, observations E. Langavant et P. Boisson, p. 146.

210 Monsieur Ferrer éclaire explique bien le fond de cette affaire très complexe, V. Ibid.

211 C.A. Douai, 6 juillet 1978, D.M.F., 1982, p. 153.

que le directeur des affaires maritimes du Bureau Veritas n'a pas suivi les dispositions obligatoires de l'article 2-151 de l'arrêté du 5 août 1971 imposant la fourniture au capitaine des données d'une expérience de stabilité et de la règle 102 de la Convention internationale sur les lignes de charge qui impose les mêmes obligations212. La Cour de cassation décide donc que le Directeur des affaires maritimes du Bureau Veritas doit répondre de l'inobservation des obligations contractuelles de la société avec l'armateur et de l'inobservation des règles générales de stabilité et de sécurité. Il est condamné à 10 mois de prison avec sursis et 10 000 francs d'amende. La Cour de cassation confirmera la décision des juges du fond213 et indique que la faute pénale est constituée du fait que « la société de classification avait le devoir de se substituer à l'armateur pour la mise au point des conditions d'exploitation de la drague ; en n'étendant pas son étude à toutes les densités possibles de la cargaison, elle aurait manqué à son devoir de conseil ».

La responsabilité pénale des experts des sociétés de classification semblait rester exceptionnelle car les jurisprudences postérieures ne l'avaient pas retenue. Dans l'affaire du Snekkar Arctic214 par exemple, la Cour d'appel de Rennes a relaxé l'expert du Bureau Veritas mais l'a condamné civilement. La jurisprudence du Cap de la Hague semble donc être une exception car les experts des sociétés de classification n'ont pas été pénalement condamnés depuis cette affaire.

Depuis l'introduction de la responsabilité pénale des personnes morales215 dans le Nouveau Code Pénal de 1994 à l'article 121-3, la responsabilité des sociétés de classification peut être directement recherchée216 en plus de celle de l'expert.

La jurisprudence française a retenu la responsabilité pénale des sociétés de classification sur le fondement de la négligence commise dans l'exécution des opérations d'inspection. Ainsi l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes du 23 septembre 2004 Number one217 confirme la décision du Tribunal correctionnel de Saint Nazaire du 18 mai 2003 qui avait retenu le comportement fautif de la société Nippon Kaiji Kiokai au sens des articles 221-6 et 121-3 du Code pénal et l'a condamné à une peine d'amende de 225.000 euros. Le navire Number One était classé depuis sa construction par la société de classification japonaise Nippon Kaiji Kiokai (NKK) et a coulé au large du Sri Lanka le 11 juin

212 V. M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, op. cit., p. 382.

213 V . E. LANGAVANT et P. BOISSON, L'affaire du naufrage de la drague Cap de la Hague et le problème de la responsabilité des sociétés de classification, D.M.F., 1982, p. 131.

214 C.A. Rennes, 17 sept. 1998, Snekkar Artic, D.M.F., 1999, p. 110 et D.M.F., 1999, hors série, n° 4, au n° 21, observations P. Bonassies.

215 V. J. PRADEL, Droit pénal général, EDITIONS CUJAS, 2004, p. 473

216 V. J.-P. BEURIER, op. cit., p. 268.

217 V. P. BLIN, observations sous C.A. Rennes, 23 septembre 2004, Navire Number One, D.M.F. 2005, p. 44.

1999 emportant avec lui 11 personnes dont le capitaine. Les ayants droit des victimes ont porté plainte contre l'armement et ont dénoncé le mauvais état du navire.

La Cour d'appel tire argument de la structure interne de la société et des procédures de contrôle hiérarchique permettant de garantir la fiabilité des rapports pour affirmer que le représentant qui a signé les rapports était bien qualifié, et à ce titre, a engagé la responsabilité de la société de classification218. La Cour d'appel pour confirmer la culpabilité de l'organisme de contrôle retient que : « La société connaissait les graves problèmes de corrosion affectant le navire, ayant exigé dans le passé le remplacement des tôles affectées de sévères corrosions. Elle connaissait aussi les réticences du précédent armateur à réaliser les travaux nécessaires, déjà très importants en 1990 et encore en 1993, avec des délais non respectés, puis à nouveau en 1995 ». Dans un arrêt du 10 janvier 2006, la Cour de cassation rejettera le pourvoi de la société de classification qui invoquait l'absence de lien de causalité entre les fautes qui lui étaient reprochées et le dommage. La Haute Juridiction se réfère à l'appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause par le juge du fond et confirme ainsi l'arrêt d'appel.

La responsabilité pénale des sociétés de classification peut donc être retenue pour atteintes involontaires à la vie et à l'intégrité physique. La mise en cause de la responsabilité pénale d'une société de classification pour homicide involontaire est « de nature à attirer l'attention des autorités maritimes concernées par les pratiques laxistes de contrôle de certaines sociétés de classification et de les inciter à contrôler plus rigoureusement la manière dont les certificats sont délivrés »219. La garantie de sécurité issue de l'attribution d'une classe élevée ne doit pas être de façade et doit correspondre à la réalité de l'état du navire.

En revanche, il est raisonnable de penser que l'engagement de la responsabilité pénale des experts devrait demeurer exceptionnelle220.

L'article 223-1 du Code pénal définissant le délit de risques causés à autrui peut aussi servir de fondement pour rechercher la responsabilité pénale des sociétés de classification.

218 V. L. JANBON, Le naufrage du Number One, D.M.F., 2006, p. 570.

219 V. commentaire de Monsieur Polère à propos de la condamnation du NKK et publié sur le site http://www.fortunesde-mer.com

220 V. M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, op. cit., p. 386., qui considère que la Loi du 10 juillet 2000 relative à la définition des délits non-intentionnels va permettre « d'exonérer » les experts. Il indique qu'à moins de violer délibérément une loi ou un règlement, l'agent indirect du dommage ne pourra plus être jugé pénalement responsable s'il ignorait que son comportement, d'action ou d'omission, créait à l'encontre des tiers un dangers d'une particulière gravité.

§ 2. Une infraction de prévention applicable aux sociétés de classification ? : le délit de risques causés à autrui.

L'article 223-1 dispose que « le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende ».

« Par son indifférence au résultat, et donc à ses effets tangibles, cette infraction perd en certitude ce qu'elle gagne en prévention [...] »221 , il faut donc étudier en détail ses éléments constitutifs.

Il doit tout d'abord exister une obligation particulière de prudence et de sécurité, ce qui désigne toute prescription relative au fait de ne pas porter atteinte à la vie et à l'intégrité physique. Il s'agit de l'imposition d'une conduite circonstanciée222 précisant exactement la conduite à avoir dans telle ou telle situation.

Cette obligation particulière de prudence et de sécurité doit découler d'une loi ou d'un règlement. Le terme loi n'est pas d'interprétation difficile et désigne les normes votées par le Parlement. La notion de règlement est en revanche plus délicate à délimiter. L'emploi du singulier semble indiquer qu'il s'agit d'une notion générique qui désignerait donc « tous les actes administratifs à portée réglementaire y compris les arrêtés municipaux [...] »223. Concernant l'activité des sociétés de classification, la notion de règlement engloberait donc les réglementations communautaires et les règles internationales de sécurité maritime. Le jugement rendu récemment par le Tribunal de grande instance de Paris apporte des précisions sur cette question.

Ainsi, dans le jugement Erika rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 10 janvier 2008, le réquisitoire de la poursuite indiquait que la société RINA avait délibérément violé des obligations de sécurité et de prudence imposées par la Convention S.O.L.A.S. et le Code I.S.M.. Mais les juges considèrent qu'aucune de ces règles conventionnelles « [...] n'édicte, à la charge des prévenus, une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement

221 V. P. MAYAUD, observations sous Cass. ch. crim., 11 février 1998, R.S.C., 1998, p. 545.

222 V. M. PUECH, De la mise en danger d'autrui, DALLOZ, 1994, p. 154.

223 V. M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, op. cit., note n° 1441.

au sens de l'article 223-1 du Code pénal, soit en déterminant un modèle de conduite circonstanciée précisant exactement l'attitude à adopter dans une situation donnée, soit en comportant des prescriptions objectives précises, immédiatement perceptibles et clairement applicables de façon impérative, sans faculté d'appréciation individuelle par la personne qui y est soumise »224. Le délit de mise en danger de la personne n'est pas constitué.

Si l'existence d'une obligation particulière de prudence et de sécurité imposée par le loi ou le règlement avait été prouvée, il aurait également fallu que soit constatée une violation manifestement délibérée de celle-ci. Cette formule traduit « la nécessité d'une méconnaissance intentionnelle de l'obligation de sécurité imposée par la loi ou le règlement, à l'exclusion de tout manquement par imprudence ou négligence »225. Dans le cadre de l'activité des sociétés de classification, il faut que l'expert ait perçu qu'il y avait du danger à laisser naviguer un navire qu'il inspecte. Cette appréciation du travail de l'expert est faite in concreto par le juge qui cherche à savoir s'il n'a pas eu conscience d'omettre de signaler un navire sous-norme par exemple226. Selon Monsieur Ferrer, il apparaît « difficile de démontrer par le silence de l'expert sa connaissance du mauvais entretien du navire , que ce silence constitue un risque grave pour l'intégrité physique d'autrui et enfin que l'expert n'a rien fait pour remédier à la situation »227.

La violation délibérée d'une obligation particulière de sécurité et de prudence et la connaissance d'un risque ne suffisent pas à constituer l'infraction, il faut également que soit constatée l'exposition directe à un risque imminent. Concernant l'objet du risque, il s'agit du risque de mort ou de nature à entraîner une mutilation ou un infirmité. Le danger doit être certain, actuel et non hypothétique228. L'exposition à ce risque doit être directe. Il faut donc démontrer un lien de causalité directe entre la violation délibérée de l'obligation particulière et l'exposition au risque. Ce lien de causalité est ainsi constaté lorsqu'un capitaine de navire a accepté à son bord un nombre excessif de passagers229. La démonstration de ce lien de causalité est ardue concernant les sociétés de classification. Il faudrait que la délivrance d'un certificat ait permis à un navire de prendre la mer

224 V. T.G.I. Paris, 10 janvier 2008, jugement Erika, p. 299.

225 V. T.G.I. Saint-Etienne, 10 août 1994, GAZ. PAL., 7-8 décembre 1994.

226 V. M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, op. cit., p. 395. L'auteur précise qu'il est bien plus difficile d'avoir conscience du danger que représente le mauvais état d'un navire lors de l'exercice d'une simple visite annuelle que lors de la réalisation d'une visite en cale sèche. C'est la raison pour laquelle une interprétation in concreto est salvatrice.

227 Ibid.

228 V. M. PUECH, De la mise en danger d'autrui, op cit., p. 156

229 Cass. ch. crim., 11 février 1998, R.S.C., 1998, p. 545, observations de Yves Mayaud. Lors d'un contrôle effectué par la gendarmerie maritime, le navire assurait le transport de 112 personnes en surnombre et le commandant du navire fut condamné pour mise en danger de la personne.

alors que ce dernier est endommagé. Dans de telles circonstances, une forte probabilité d'accident existe et donc le risque immédiat pourrait être constaté230. Selon Monsieur Ferrer, « la délivrance d'un certificat, même basée sur une visite extrêmement négligente, ne peut créer à elle seule un danger fortement probable »231.

La responsabilité pénale des sociétés de classification et des experts semble être difficile à retenir pour les infractions d'imprudence. L'exception de l'affaire du Cap de la Hague doit en rester une car, jusqu'à présent, les simples négligences n'ont pas fondé la responsabilité pénale d'un agent. Il faudrait beaucoup plus que de simples négligences mais une réelle perception des conséquences de son action par l'agent232. Les éléments constitutifs des infractions pénales spécifiques à la pollution de l'environnement marin s'appliquent plus facilement aux missions des sociétés de classification.

Section 2. La répression des infractions aux règles pénales de l'environnement comme nouveau foyer de la responsabilité des sociétés de classification

En droit français, la loi n°83-583 du 5 juillet 1983 fixe les peines relatives à l'inobservation des prescriptions de sécurité et de prévention des pollutions et les peines qui sanctionnent le rejet d'hydrocarbure. Elle sanctionne donc l'inobservation des dispositions des Conventions internationales M.AR.P.O.L. et S.O.L.A.S. qui ont été ratifiées par la France. Les dispositions de la loi française concernent les navires naviguant sous pavillon français mais aussi, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat, les navires étrangers touchant un port français. Le décret d'application est le décret n° 84-810 du 30 août 1984, sur la sauvegarde de la vie humaine en mer, l'habitabilité à bord des navires et la prévention de la pollution.

Monsieur Ferrer considère que les dispositions de la loi de 1983 ne sont pas directement applicables aux sociétés de classification car elle vise expressément le constructeur, l'armateur, le propriétaire ou le capitaine du navire233. Les règles prévues sont « spécifiques à l'observation des dispositions des différentes Conventions internationales et ne visent donc que les exploitants des navires, en d'autres termes elles ne visent que les acteurs maritimes contrôlés par les organismes classificateurs »234. Le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 10 janvier 2008

230 V. M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, op. cit., p. 400.

231 Op. cit., p. 401.

232 V. M. PUECH, De la mise en danger d'autrui, op. cit., p. 154.

233 V. M. FERRER, La responsabilité des sociétés de classification, op. cit., p. 404.

234 Ibid. L'auteur écarte toute application des règles pénales de l'environnement maritime aux sociétés de classification.

dans l'affaire Erika traite de cette question.

Le propriétaire du navire, le shipmanager de l'Erika, la société de classification RINA et la société TOTAL arguaient que l'article 8 de la loi du 5 juillet 1983 applicable au moment des faits et réprimant le délit de pollution ne pouvait pas leur être appliqué étant contraire aux Conventions internationales, en particulier à la Convention M.A.R.P.O.L. Mais les incriminations prévues par cet article 8 sont différentes. L'infraction est constituée par la pollution des eaux territoriales consécutive à un accident de mer résultant d'une faute qui, soit l'a provoqué, soit a consisté dans l'abstention de prendre les mesures permettant de l'éviter. La loi se réfère donc expressément à la pollution résultant d'un accident de mer, lui-même défini par la Convention de Bruxelles du 29 novembre 1969 sur l'intervention en haute mer. Cette pollution est bien distincte de celle envisagée par la Convention M.AR.P.O.L. qui dans son article 2 traite de la question des rejets d'hydrocarbures. La loi du 5 juillet 1983 précitée établit une distinction entre l'infraction de rejet illicite et celle de pollution consécutive à un accident de mer, lui-même provoqué par une faute d'imprudence ou de négligence. « Dès lors, l'article 8 de la loi du 5 juillet 1983 prévoyant une incrimination différente de celles édictées en application de la convention MARPOL, il ne peut être fait grief à la loi nationale d'être contraire à cette convention internationale, celle-ci et celle-là délimitant des champs distincts par la détermination qui leur est propre des comportements répréhensibles, des personnes punissables ou d'éventuels faits justificatifs »235.

L'incrimination prévue à l'article 8 de la loi de 1983 réprime non seulement le capitaine du navire, son propriétaire, l'exploitant, mais aussi toute personne exerçant en son droit ou en fait un pouvoir de contrôle ou de direction dans la marche ou la gestion du navire qui par sa faute a provoqué involontairement l'accident du navire à l'origine de la pollution ou à omis de prendre les précautions pour l'éviter.

Par le biais de la visite annuelle de classification, la société RINA a donc exercé en droit et en fait un pouvoir de contrôle sur la gestion du navire236. La rédaction de l'article élargit ainsi le cercle des personnes susceptibles d'engager leur responsabilité pénale aux sociétés de classification.

L'hypothèse de la complicité de ces infractions est également mise de côté car cela impliquerait que l'expert appréciant le navire comme étant en état d'infraction par rapport aux Conventions internationales, émettrait

sciemment un certificat qui maintiendrait le navire dans cet état et donc aiderait et assisterait l'armateur. Monsieur Ferrer considère qu'il faudra une interprétation très large de cette infraction pour retenir la complicité d'une société de classification, ce qui est contraire à la notion d'interprétation stricte des textes répressifs.

235 V. T.G.I. Paris, 10 janvier 2008, jugement Erika, p. 232.

236 V. T.G.I. Paris, 10 janvier 2008, jugement Erika, p. 294.

Le Tribunal de grande instance indique « qu'en renouvelant le 24 novembre 1999 le certificat de classification dans la précipitation et sous la pression de contraintes commerciales [...], et sans prescrire les mesures d'épaisseur à effectuer aussitôt, alors que les zones suspectes de corrosion substantielle qu'il avait observées après la visite spéciale quinquennale étaient, pour un professionnel, le signe manifeste de l'état préoccupant des structures d'un navire transportant habituellement des produits polluants, l'inspecteur de la société RINA a commis une faute d'imprudence »237.

La société RINA invoquait l'existence d'une fissure invisible238, assimilable à un vice caché du navire échappant à tout bon professionnel. Le Tribunal met au contraire en avant l'existence d'une corrosion élevée et généralisée et qui n'aurait pu échapper à la vigilance de la société de l'inspecteur de la société. Les juges ont réaffirmé que cette corrosion généralisée qui se situait précisément là où s'étaient produits les dommages a été, sinon la cause immédiate ou la cause déterminante, sinon la cause nécessaire ou la cause suffisante, du moins l'une des causes qui a conduit le navire à sa ruine.

La responsabilité de la personne morale est retenue car imputable à un inspecteur qui avait le pouvoir de décider seul du renouvellement de la classe, qui l'a visé seul, et qui, à ce titre, était l'un des représentants, au sens de l'article 121-2 du Code pénal239, de la société RINA. La faute d'imprudence de l'inspecteur est de nature à engager la responsabilité pénale de cette personne morale à raison de son activité de classification.

La 11ème chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris, dans son jugement du 16 janvier 2008 déclare pénalement responsable du délit de pollution des eaux ou voies navigables par un navire citerne, l'armateur, le commandant du navire, la société de classification RINA et la société TOTAL FINA ELF. Le Tribunal les condamne solidairement à indemniser les parties civiles des préjudices subis240. Les victimes de la pollution résultant du naufrage se sont réjouies de cette décision, « car la responsabilité pénale de la Société RINA et des personnes

237 V. T.G.I. Paris, 10 janvier 2008, jugement Erika, p. 275. Il s'agit d'un extrait choisi car les développements à ce sujet sont très longs.

238 V. T.G.I. Paris, 10 janvier 2008, jugement Erika, p. 250.

239 Le premier alinéa de l'article 121-2 du Code pénal dispose que « les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement et dans les cas prévus par le loi ou le règlement, des infractions commises, pour leur

compte, par leurs organes ou représentants ».

240 V. T.G.I. Paris, 10 janvier 2008, jugement Erika, p. 300.

morales protagonistes du naufrage, ne pouvait de leur point de vue, être écartée, au profit de la responsabilité de simples lampistes »241.

Les condamnés ont interjeté appel de cette décision et il faudra attendre la décision d'une juridiction supérieure pour confirmer la possibilité d'engager la responsabilité pénale des sociétés de classification pour infractions aux règles pénales de l'environnement maritime. La confirmation de ce jugement serait d'un grand retentissement pour les sociétés de classification. Le lien de causalité entre une pollution et un accident de mer est beaucoup plus simple à déterminer. Le délit de pollution des eaux ou voies navigables par un navire citerne serait alors une nouvelle source de la responsabilité pénale des sociétés de classification.

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