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Le caractère illicite des charges face à  la notion d'acte anormal de gestion étude comparée entre la France et le Canada

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par Jamie-Ann Martin
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 2 professionnel en droit européen et international des affaires 2008
  

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B Le traitement fiscal des amendes et pénalités
a) L'évolution jurisprudentielle

Les systèmes fiscaux français et canadien ont tous deux eu à se pencher sur la controversée question de la déductibilité des amendes et pénalités. Les amendes et pénalités sont la conséquence d'actes illicites. À cet effet, elles se distinguent des charges illicites telles que les pots-de-vin et tous types de paiements illégaux. La jurisprudence française illustre bien cette différence dans le cas des amendes pénales : « Les amendes qui ont un caractère pénal ne peuvent venir en déduction du bénéfice imposable, « elles ne constituent pas une charge engagée dans l'intérêt de l'entreprise mais la conséquence subie d'un acte qui en lui-même était éventuellement conforme à l'intérêt de l'exploitation »62(*). La question à se poser est donc de savoir s'il est opportun d'admettre la déductibilité de montants payés à titre d'amende ou de pénalité ? Certes, si aujourd'hui au Canada, la Loi de l'impôt sur le revenu et, en France, le Code général des impôts, consacrent un article sur la non déductibilité des amendes et pénalités, l'évolution commune de ces deux législations diffère en de nombreux points.

Au Canada, l'évolution jurisprudentielle marquée par d'importants jugements, s'est échelonnée sur une trentaine d'années avant que le législateur n'intervienne de manière spécifique tandis qu'en France, l'article 39-2 C.G.I. qui prévoit la non déductibilité de certaines amendes et pénalités était issu pour l'essentiel d'une loi du 23 février 1942 avant d'être tout récemment modifié par la loi 2007-1822 du 24 décembre 2007. Antérieurement à 1976, les tribunaux canadiens refusaient généralement de permettre aux contribuables de porter leurs amendes et pénalités en déduction de leur revenu d'entreprisse63(*). La plupart d'entre eux rejetaient d'emblée la question en affirmant que la déduction des amendes et pénalités était à l'encontre de l'intérêt public. Durant de nombreuses années les tribunaux adoptaient un raisonnement à l'effet que permettre la déduction d'amendes et pénalités imposées à titre d'acte punitif ou dissuasif réduirait l'effet escompté et irait à l'encontre de l'ordre public64(*). Cependant, dans certains cas, les amendes ou pénalités imposées pour des infractions relativement mineures ont été considérées déductibles dans la mesure où elles résultaient des opérations journalières de l'entreprise, étaient indispensables ou inévitables et constituaient une dépense nécessaire. C'est ce qui en ressort de l'affaire Day & Ross (1976)65(*) lorsque le tribunal a donné au contribuable la permission de déduire des amendes versées au titre des contraventions de la route comme le poids excédentaire, la perte de plaque d'immatriculation etc.. Le tribunal a admis la déduction pour deux motifs : les amendes et pénalités avaient été imposées lorsque l'entreprise poursuivait ses activités commerciales (le critère d'objet) et les contraventions ne représentaient pas des violations outrageuses à l'intérêt public (le critère du caractère offensif)66(*). Cette affaire marque les premiers pas vers ce qui semble être une certaine ouverture de la part des tribunaux en ce qui a trait à la déductibilité des amendes et pénalités.

Ensuite, l'affaire TNT Canada inc. (1988)67(*) libéralise sensiblement la règle exposée en l'affaire Day & Ross. En effet, la Cour fédérale a rejeté les prétentions du ministre relativement à l'existence d'une politique générale rejetant l'admissibilité de toutes les amendes et pénalités dans le calcul du revenu d'entreprise. Le juge Cullen a déclaré : « (...) je constate qu'il n'existe aucune autorité adéquate pour une politique générale de rejet de la déduction de toutes les amendes et pénalités »68(*). Ainsi, le rejet de la politique générale contre la déduction des amendes constitue une nouvelle direction de la loi telle qu'elle était avant 1976. De telle sorte que la déduction des amendes et des pénalités n'est plus contraire à l'intérêt public. Mais, comme tout ne peut être claire du premier coup, le tribunal se réserve le droit de rejeter des dépenses en vertu de la règle générale de l'atteinte à l'intérêt public, sans toutefois élaborer sur les circonstances dans lesquelles il peut y avoir atteinte à cet intérêt.. Malgré une certaine évolution de la réflexion sur la question, le contribuable reste devant l'incertitude. Le critère de l'atteinte à l'intérêt public reste comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête du contribuable. Néanmoins, le tribunal reconnaît que son approche entraînera de l'incertitude quant à la loi, mais préfère l'incertitude de sa vague formulation à l'alternative qui est d'admettre la déduction de toutes les amendes et pénalités qui rencontrent le critère d'objet commercial et sont encourues dans le cadre de l'exploitation légale d'une entreprise.

À cette époque, en France, en l'absence de dispositions particulières dans le Code général des impôts, toutes les sanctions autres que celles relatives aux impôts et à la réglementation économique sont, en principe, déductibles. Cependant, ce principe trouve une limite dans la règle jurisprudentielle selon laquelle doit être refusée la déduction des amendes qui sanctionnent un manquement de l'entreprise à une disposition d'ordre public ou qui constituent une peine personnelle pour l'auteur de l'infraction69(*). Au Canada, à ce stade le tribunal reconnaît qu'il n'y a pas de principe général de non déductibilité mais hésite à pousser plus loin la réflexion et se contente d'adopter une solution intermédiaire. Il aura fallut l'avènement de l'affaire 65302 British Columbia Ltd. C. Canada (1999)70(*) pour que le tribunal pousse à terme la réflexion et adopte une position annonciatrice de changement. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a conclu que le prélèvement sur dépassement de quota payé par le contribuable à l'égard de ses poules pondeuses constituait une dépense déductible71(*). S'appuyant sur le texte de la Loi de l'impôt sur le revenu, la Cour conclut que le seul critère applicable consistait à déterminer si la dépense avait été encourue dans le but de tirer un revenu et que, dans un tel cas, à moins d'une disposition expresse à l'effet contraire, la dépense devait être déductible, le rôle des tribunaux n'étant pas de créer des distinctions là où la loi est silencieuse. Ainsi, la Cour détermina sur la base de la preuve versée au dossier que la décision du contribuable d'outrepasser son quota en était une purement commerciale, prise effectivement dans le but de gagner un revenu et puisque aucune disposition expresse n'empêchait sa déduction, cette dépense devait être déductible. En France, les tribunaux auraient peut-être affirmé qu'il s'agit là d'un acte illicite mais « normal », effectué dans l'intérêt de l'entreprise.

Dans l'affaire British Columbia, la décision prise par le producteur de dépasser son quota de production constitue un acte illicite (il a agit à l'encontre de la réglementation) à la suite duquel il a dû payer des taxes compensatoires. Toutefois, la Cour suprême a retenu qu'il s'agissait « d'une décision purement commerciale prise dans le but de gagner un revenu ». Afin de motiver la déductibilité des pénalités imposées, au même titre que le critère fondamental de l'acte normal de gestion est celui de l'intérêt de l'entreprise, le critère retenu a été celui de « décision prise dans le but de gagner un revenu ». À ce stade, l'analogie avec le droit fiscal français est intéressante. Il est à observer qu'en dépit de l'absence de la théorie de l'acte anormale de gestion en droit fiscal canadien, les tribunaux canadiens se sont appuyés sur un critère de base différent de celui de l'acte normal de gestion mais ayant la même finalité : permettre la déductibilité de la pénalité. Cependant, là s'arrête l'analogie car la position adoptée par la Cour72(*) dans l'affaire British Columbia Ltd. mettait en lumière une proposition devant enfin clarifier la situation : le législateur devait intervenir. La Cour suprême du Canada a rappelé aux autorités en place qu'à la faculté de légiférer se rattache la responsabilité de le faire d'une façon claire, elle a invité le Parlement à légiférer expressément de façon à rendre non déductibles les pénalités et amendes si telle était vraiment son intention.

* 62 CE 8 juill. 1998, n° 158 891.

* 63 KRISHNA (V.). La déduction des amendes et pénalités. CGA magazine, sept. 1988, p. 35.

* 64 Amway c. La Reine, 96 DTC 6135.

* 65 Day & Ross Ltd. C. La Reine, [1976] CTC 707 (C.F.).

* 66 Par suite de la décision dans la cause Day & Ross, Revenu Canada publiait, le 5 juin 1978, le bulletin d'interprétation IT-104R dans lequel il est précisé que les amendes et pénalités peuvent être déduites dans le calcul du revenu dans les circonstances suivantes :

a) si des amendes ou pénalités sont un risque ordinaires à courir dans l'exploitation de l'entreprise et que l'imposition de ces amendes et pénalités est inévitable et hors du contrôle du contribuable et de ses employés même s'il prend des précautions raisonnables pour les éviter ;

b) Le manquement ou l'infraction à la loi qui a entraîné l'amende ou la pénalité ne résulte pas de négligence, d'ignorance ni d'une violation volontaire de la loi, ne menace pas la sécurité publique et n'est pas une faute de turpitude morale.

* 67 TNT Canada inc. c. La Reine, [1988] 2 C.T.C. 91.

* 68 Ibid.

* 69 MERCIER ( J.-Y.) et PLAGNET (P.). Les impôts en France. Éd. Francis Lefebvre, 2004, p. 213.

* 70 65302 British Colombia Ltd. c. La Reine, [1999] 3 R.C.S. 622.

* 71 Le contribuable, qui exploitait une entreprise avicole, avait délibérément décidé de produire au-delà de son quota, de façon à répondre aux besoins de son principal client de peur de le perdre, d'où le versement d'une taxe compensatoire pour dépassement de quota d'environ 270 000,00$ qu'il déduisit de son revenu. Il s'était par ailleurs évidemment imposé sur les revenus provenant de la production excédentaire à son quota. Revenu Canada contesta la position du contribuable en prétendant qu'il irait à l'encontre de l'ordre public de permettre la déductibilité de ladite amende. Cinq des sept juges du banc ayant entendu cette affaire rejetèrent les arguments de Revenu Canada et donnèrent raison au contribuable.

* 72 Les principes généraux suivants sont énoncés dans les motifs de la décision :

La caractérisation du prélèvement comme « amende » ou « pénalité » n'a pas d'incidence (c'est-à-dire qu'elle ne rend pas le prélèvement moins déductible) parce que le régime fiscal ne fait pas de distinction entre les prélèvements (qui sont de nature essentiellement compensatoire) et les amendes et les pénalités (qui sont de nature punitive).

- La déduction d'une amende ou d'une pénalité ne peut pas être refusée simplement parce qu'il serait contraire à la politique publique de l'accorder.

- L'interdiction de déduire des amendes et des pénalités est incompatible avec la pratique de permettre la déduction des dépenses engagées en vue de tirer un revenu illégal.

- Pour qu'une amende ou pénalité soit déductible dans le calcul du revenu tiré de l'entreprise ou du bien, l'alinéa 18(1)a) de la Loi exige qu'elle ait été encourue en vue de tirer un revenu de cette entreprise ou de ce bien.

L'alinéa 18(1)a) n'exige pas qu'une amende ou une pénalité soit inévitable pour être déductible.

Même si une amende ou une pénalité peut avoir été encourue en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien au sens de l'alinéa 18(1)a), sa déduction peut néanmoins être interdite par une autre disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld