RESUME
Le champ de la psychologie de la sante dans le cadre d'une
équipe de psychiatrie de liaison touche aux situations
psychopathologiques extremes qui dépassent les compétences des
équipes soignantes et psychologues des services médicaux. Ce
travail s'intéresse tout particulierement à une situation oil
l'enjeu vital pour le patient et l'angoisse du malade et de l'équipe
soignante est particulierement importante : la co-morbidité entre une
maladie somatique grave et une dépression severe.
La réflexion s'entendra aux conduites à risque
ainsi qu'aux demandes d'euthanasie et de suicide assisté de ces malades.
Ces conduites auto-agressives peuvent etre con9ues selon différents
points de vue qui influencent l'approche de la prise en charge et la decision
de soins. Les deux extremes de ces approches, d'une part, l'attitude moraliste
et d'autre part l'attitude prTMnant la liberté individuelle, risquent
toutes deux de faire dispara»tre un sujet derri»re une
idéologie.
Afin de nous extraire de ce biais, ce travail s'appuie
à la fois sur un état des recherches, un suivi
psychothérapeutique et des réflexions issues de différents
champs de la psychopathologie.
L'issue positive du suivi selon une approche à
tendance moraliste laisse penser que le choix de la legislation
francaise favorise un principe de precaution coherent avec le devoir
d'assistance d'une personne en souffrance et en état de
désespoir. Ce principe semble adapté à la fois aux
representations sociales en France et aux situations des malades soignés
dans les hTMpitaux généraux.
INTRODUCTION
C'est dans le cadre d'un stage en psychiatrie de liaison au
Centre Hospitalier Intercommunal (ou CHI) de Montfermeil, que nous avons
été confrontés à des troubles psychologiques varies
dans le contexte de conduites à risque ou de maladies somatiques graves.
L'équipe de psychiatrie de liaison (psychiatres, psychologu es et
infirmiéres psychiatriques) est appelée à la demande des
malades eux-mêmes ou de leurs médecins avec l'accord de leur
patient. Cette consultation psychopathologique a pour but d'évaluer ou
d'orienter vers un suivi adéquat des patients dans des situations de
souffrance psychologique là oil les prises en charge psychologiques
classiques que peuvent proposer les équipes soignantes et les
éventuels psychologues de service ne suffisent pas. Les psychiatres de
cette même équipe sont egalement sollicités lorsque la loi
prévoit une consultation d'évaluation psychiatrique, par exemple
aprés une tentative de suicide, dans le cas d'un danger vital ou d'une
maltraitance.
Bien que les cas de patients vus et suivis dans le cadre du
stage aient été trés varies (voir partie B), nous avons
choisi d'orienter notre réflexion sur des cas de patients bien
spécifiques. Il s'agira de patients touches à la fois par une
maladie somatique grave comme le cancer, et une dépression s'aggravant
sur un mode délirant de type mélancolie. Ces situations sont
d'une extreme gravité car elles mettent la vie physique et psychologique
du malade en danger, aboutissant à l'échec de toute tentative de
prise en charge thérapeutique sur les plans psychologiques et
somatiques, alors que les pronostics vitaux sont plutTMt optimistes à un
court et moyen terme.
Nous avons ainsi suivi le déroulement des
différentes phases d'aggravation et d'amélioration de
l'état psychologique d'une malade atteinte d'un cancer et d'une
depression à forme délirante et melancolique. Elle a
bénéficié du soutien psychologique et de plusieurs
reevaluations psychiatriques au cours de son hospitalisation et de son
traitement chimiothérapique. Ce suivi sera présenté plus
longuement dans la 2e partie de ce mémoire.
Les malades touchés par cette forme de
dépression refusent soins et alimentations, mettant en échec
toute tentative thérapeutique et parfois même vont jusqu'à
demander l'euthanasie dans les pays oü celle-ci a été
légalisée. Il s'agit donc de situations où la question se
pose de savoir dans quelle mesure la liberté individuelle de
décision peut ou doit être respectée alors que des signes
délirants sont présents, preuve d'une perturbation de la
conscience du sujet.
Ce cas nous a menés à approfondir
différentes réflexions :
· d'ordre psychopathologique pour le diagnostic
psychiatrique,
· d'ordre éthique pour la place du malade en tant
que sujet,
· et d'ordre psychothérapeutique pour le rôle
du psychologue au sein de l'équipe de soin.
Ce mémoire porte donc sur le theme des actes
suicidaires dans un contexte de maladie physique grave à risque vital
élevé.
Ce mémoire sera ainsi structuré de la mani»re
suivante:
Dans un premier temps, nous présenterons l'état
des recherches concernant les dépressions et conduites suicidaires des
malades touchés par un cancer. La dépression s'accompagne parfois
d'idées noires, d'attirance pour la mort et d'actions auto-agressives de
refus de soins et d'alimentation, de l'ordre des actes suicidaires. Ceci nous
am»nera rapidement à des questions sur les demandes d'euthanasie et
de suicide assisté de la part de personnes atteintes d'une maladie
grave. Doit-on considérer une demande d'euthanasie comme l'acte
délibéré d'un sujet libre ou bien comme le symptôme
d'une dépression dont souffre le sujet ? En réponse, doit-on
répondre au sujet ou bien le soigner de sa dépression?
Dans un second temps, nous présenterons
l'activité de l'équipe de psychiatrie de liaison et le rôle
du psychologue au sein d'une telle équipe, puis nous détaillerons
le suivi d'une patiente en état dépressif grave. Ce cas a
été choisi d'une part pour l'importance de l'implication
personnelle que nous avons pu avoir en tant que psychologue dans un suivi de
plusieurs mois, et d'autre part, pour la gravité de la situation et la
crainte de l'équipe quant à la tournure dramatique que prenait
l'état de cette patiente.
Enfin, nous proposerons une réflexion clinique sur la
dépression de malades touchés par une maladie somatique chronique
et grave. Nous nous proposons de réfléchir à la
difficulté de discerner entre différentes interprétations
de situations très semblables de malades demandant un suicide
assisté ou une euthanasie :
- soit comme des actes symptomatiques d'une
dépression,
- soit comme l'expression d'une grande détresse
psychologique,
- soit encore comme un acte délibéré d'un
sujet en pleine possession de son jugement mais justifiable au vue de la
dégradation de la qualité de vie.
Dans les pays qui pratiquent l'euthanasie, c'est au niveau
sociétal que la demande est éventuellement accordée, selon
des crit»res objectifs d'évaluation, comme c'est le cas en
Hollande. Pourtant nous nous interrogerons sur la difficulté de
discernement que peut avoir une équipe soignante, alors qu'elle
-même se trouve au milieu de processus psychique complexe de
défense contre l'angoisse de mort, ainsi que de représentations
idéologiques.
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