1.1.2 Le langage mélodique
Selon Loren Schoenberg « Ses solos
révèlent une perfection architecturale qui contraste avec leur
apparente simplicité. » 36
Dans l'histoire du saxophone jazz, il existe deux courants
majeurs d'improvisateurs représentés par Coleman Hawkins et
Lester Young. Ce dernier possède une approche linéaire
fondée sur de longues lignes, un débit lâche, comme une
sensation d'écoulement dans le phrasé ainsi qu'un renouvellement
constant d'idées mélodiques. Son solo sur « Lady Be Good
» en donne un exemple parfait. Young développe son solo
logiquement. Ses phrases mélodiques s'enchaînent les unes aux
autres. Contrairement à luiYoung, le style de Coleman Hawkins est
caractérisé par une sonorité large, un son de saxophone
affirmé avec des inflexions bluesy et des riffs.
Ses improvisations sont dites ''verticales'', car il
adhère d'avantage aux harmonies du morceau. On observe un goût
prononcé pour les notes de passages, et les substitutions harmoniques.
Chez Lester en revanche, on ne décèle pas de trace de
pentatonisme, de gamme de blues ni de clichés hot ou be-bop. En
cela son style est passe-partout. Son jeu versatile s'adaptait aux multiples
situations de jeu du jazzman de l'époque et pouvait ainsi s'adonner
à des contrechants magnifiques au côté de Billie Holiday,
swinguer avec Basie, et se confronter aux boppers de l'époque tel
qu'Oscar Peterson et Charlie Parker dans les années 1950. Cette
simplicité mélodique qui est en même temps une richesse,
Young l'a puisée en partie chez le
saxophoniste Frankie Trumbauer.
35 HAMILTON, Andy, Conversations on the
Improviser's Art, op.cit, p. ??
36 KIRCHNER, Bill, Oxford Companion jazz,
Lester Young by Loren Schoenberg, Oxford University
Press, 2005.

Exemple musical 4 : « Jive at Five », Count Basie, 4
février 1939. Seize mesures de
l'improvisation de Lester Young.
Ce qui frappe dans ses improvisations est sa capacité
à se renouveler sans cesse en utilisant un matériel
limité. Pour Konitz, c'est de «l'improvisation totale
diatonique». Si l'on examine les mesures 7 à 12 de l'exemple
musical 4, Young assemble une longue phrase diatonique dans la tonalité
de mi bémol majeur. Son usage de figures rythmiques
particulières telles que les groupes de cinq notes aux mesures 9 et
10, provoquent un déphasage entre les phrases et la carrure du morceau.
Sa capacité a créer de nouvelles combinaisons rythmiques surprend
et captive l'auditeur. En effet, le vocabulaire mélodico-harmonique de
Young dépasse rarement les intervalles de sixte et de neuvième.
1.1.3 Le chant
De par sa tessiture et son expressivité, le saxophone
ténor est un instrument proche de la voix. Bien qu'il soit souvent
joué à des fins de virtuosité pure, certains
improvisateurs tels que Young et Konitz, envisagent le saxophone comme le
prolongement de leurs voix. Ils construisent leurs improvisations en suivant
leur chant intérieur et favorisent ainsi le son et l'expression. Pour
Young, connaître les paroles d'une chanson enrichit l'improvisation du
soliste. « Un musicien doit connaître les paroles des chansons
qu'il interprète. Cela apporte du sens. Ensuite, vous pouvez exprimer ce
que vous désirez en sachant ce que vous êtes en train de faire.
Beaucoup de musiciens de nos jours ne connaissent pas les paroles des morceaux.
En conséquence, ils ne jouent que sur les changements harmoniques. C'est
pourquoi j'aime écouter des chanteurs
quand je suis chez moi. J'apprends le texte des morceaux
à partir du disque. » 37 De plus, le
poème d'une chanson développe l'imagination du
soliste et permet en outre une mémorisation de la mélodie. Young
partageait avec Konitz une passions pour Franck Sinatra (1915-1998).
D'après Konitz « Young chantait avec son saxophone. »
38 Au côté de Bille Holiday (1915-1959), il pouvait
être minimaliste, paraphrasant le plus simplement la mélodie d'une
chanson comme sur
« Foolin' Myself ».
37 HENTOFF Nat, Pres: One of Jazzdom's Greats
Reminisces, Down Beat, 1956 «A musician should know the lyrics of
the songs he plays, too. That completes it. Then you can go for yourself and
you know what you're doing. A lot of "musicians that play nowadays don't know
the lyrics of the songs. That way they're just playing the changes. That's why
I like records by singers when I'm listening at home. I pick up the words right
from there."
38 HAMILTON, Andy, Conversations on the
Improviser's Art, op.cit

Exemple musical 5 : « Foolin' Myself », Billie
Holiday, « Lady Day & Pres 1937-1941,
1937 ». Seize mesures d'improvisation de Lester
Young.
Il existe d'ailleurs un enregistrement de Young sur lequel il
chante accompagné du trio d'Oscar Peterson (1925-2007), « Two to
Tango »39, paru en 1952.
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