1.1.4 Le son
Le son est le premier aspect du jeu de Young qui attira le
jeune Konitz. Young se distinguait du son robuste, opératique,
doté d'un large vibrato de Coleman Hawkins. Adolescent, il puisa son
inspiration chez les saxophonistes Jimmy Dorsey (1904-1957) et Frankie
Trumbauer (1909-1956) ainsi que chez le cornettiste Bix Beiderbecke
(1903-1931). Il commença sa carrière au saxophone alto,
s'inspirant de Jimmy Dorsey puis de Trumbauer. Il confia dans un entretien avec
Leonard Feather, alors critique pour le Los Angeles Times, son
admiration pour le
saxophoniste: « Trumbauer était mon idole...j'ai
tenté de me rapprocher du son du saxophone
39 YOUNG, Lester, «With the Oscar Peterson
Trio», Verve, New York, Novembre 1952.
en ut au ténor. C'est pour cela que je ne sonne pas
comme les autres. » 40 Ces musiciens sont
connus pour leur style retenu, leur son classique pourvu d'un
délicat vibrato. L'enregistrement de
« Singin' the Blues » en 1927, par Frankie Trumbauer
et son orchestre en compagnie de Bix Beiderbecke au cornet et d'Eddie Lang
à la guitare en est un exemple parfait. Franck Bergerot et Arnaud Merlin
qualifient la sonorité de Young de « lisse, voilée et sans
vibrato. » 41
Malgré une idée reçue, Young utilisait un
vibrato placé en queue de phrases. Pour s'en convaincre, il suffit
d'écouter le célèbre solo qu'il exécuta sur «
Lady Be Good ». Bien que moins émotionnel et plus léger
comparé à celui de Hawkins, il n'en est pas moins plein
d'intensité. D'après Warne Marsh, saxophoniste ténor et
émule de Young, la conception consistant à atténuer le
vibrato provenait de sa pratique de la clarinette classique. Pour Lee Konitz,
le vibrato chez Young, était utilisé uniquement à des fins
musicales et se séparait ainsi de certains saxophonistes tels que Ben
Webster et Coleman Hawkins qui privilégiaient une expression plus
émotionnelle de la musique.
1.1.5 Lester Young : un père du jazz moderne
À l'instar de Louis Armstrong, Young fut un
modèle pour un grand nombre de musiciens du jazz moderne. En effet, sa
liberté rythmique, son phrasé élégant et sa
sonorité lisse furent des éléments précurseurs des
mouvements suivants, be-bop et cool. L'admiration de Konitz pour Young n'a pas
cessé depuis sa première rencontre avec le maitre jusqu'à
aujourd'hui. Pour Konitz, son ami le saxophoniste Warne Marsh était d'un
point de vue musical le plus proche de Lester Young. « Tellement de
types ont basé leur jeu sur Young: Stan Getz, Zoot Sims, Al Cohn, Paul
Desmond, Wardell Gray, Allen Eager...mais Warne ne l'a pas seulement
imité, il incarnait
l'esprit de Lester Young. » 42
Konitz rendit hommage à Young à de multiples
reprises en
40 HENTOFF, Nat, Pres: One Of Jazzdom's Greats
Reminisces, Down Beat, 1956 «He played the C melody saxophone. I
tried to get the sound of a C melody on a tenor. That's why I don't sound like
other people.»
41 BERGEROT. F. et MERLIN A,
L'épopée du jazz, vol. I, Du Blues au bop, Gallimard
Découvertes n°114,
1991, page 96.
interprétant plusieurs morceaux fameux et solos
de Lester. Ainsi « I Want a Litle Girl »,
enregistré au soprano en 1975 sur Oleo43 est un
clin d'oeil à la version originale44 de Young à la
clarinette. Konitz affectionne particulièrement les enregistrements de
Young avec l'orchestre de Count Basie. Il reprend le célèbre
solo de Young sur « Lady Be Good » dans les albums
Tenorlee 45 et Once Upon a Line46. En
outre, Konitz et le saxophoniste Richie Kamuca, en duo, closent une version de
« Tickle Toe »47 en interprétant le solo de Young
comme une coda. Enfin, nous avons pu constater combien Young fut un
modèle essentiel dans la formation de Konitz jusqu'à la
découverte de Charlie Parker.
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