UNIVERSITE DE YAOUNDE II
THE UNIVERSITY OF YAOUNDE II
INSTITUT DES RELATIONS INTERNATIONALES DU
CAMEROUN
B.P.: 1637 Yaoundé
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INTERNATIONAL RELATIONS INSTITUTE OF
CAMEROON
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Master I/Contentieux
International
Cours de Théorie Générale du
contentieux international
Thème
d'exposé :
Les mesures provisoires en droit
international
Enseignant:
Pr J.L. ATANGANA AMOUGOU
IRIC, janvier 2011Liste des
exposants
1. BANGUE-B Serge Hermann
2. BEMMO Eugénie
3. BISSE MBALA Antoinette
4. EKOBENA ELOMO Marie-Pierre Angèle
5. ETOUNDI Christian
6. KO TSANGA Sylvie
7. MBOLO BEKOUTI Cyrille
8. NDIKUM VUNKENG Sylvie
9. NGUIMBI Rahim
10. NNOMO ZE Stella
11. ONANA Jules Simon
12. ONANA Réginald
13. TONG OMAN Yolande
14. TSOUNGUI TSOUNGUI Thomas Yannick
Sommaire
Introduction
I- L'adoption des mesures provisoires en droit
international
A- Les conditions d'adoption des mesures provisoires
1. Les conditions liées à l'organe
2. Les conditions liées à l'objet
B- La procédure d'adoption des mesures
provisoires
1. La saisine de l'organe et les techniques
d'élaboration
2. Le contenu des mesures provisoires
II- La mise en oeuvre des mesures provisoires en droit
international
A- Les problèmes liés à
l'effectivité des mesures provisoires
1. Les obstacles juridiques à l'application des mesures
provisoires
2. Les obstacles non juridiques à l'application des
mesures provisoires
B- Les sanctions de l'inobservation des mesures provisoires
1. Les sanctions émanant des organes juridictionnels
2. Les sanctions émanant des organes non
juridictionnels
Liste des principales abréviations
- CIJ
la Cour Internationale de Justice
- CJCE la Cour de Justice
des Communautés Européennes
- CADHP la Commission Africaine
des Droits de l'Homme
- CNU
la Charte des Nations Unies
- CPI
Cour Pénale Internationale
- CS
le Conseil de Sécurité
- LGDJ Librairie
Générale de Droit et de Jurisprudence
-OHADA l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit
des Affaires
- OMC
l'Organisation Mondiale du Commerce
- ONU
l'Organisation des Nations Unies
- USA United States of
America ou Etats-Unis d'Amérique
- UNISOM Forces
des Nations Unies en Somalie
- UNITA Union Nationale pour la
l'Indépendance Totale en Angola
Introduction
Les mesures provisoires constituent l'une des nombreuses
catégories juridiques qui composent tant l'ordre interne des Etats que
l'ordre international. A la différence du premier ordre d'où
elles émanent en principe et quasi-exclusivement des organes
juridictionnels, elles paraissent, dans l'ordre international, résulter
aussi bien d'organes juridictionnels que des organes non juridictionnels. Si la
complexité de leur émanation mérite d'être
étayée et cela, au cours des développements qui vont
suivre, il en est de même de leur définition car il n'est pas rare
de faire face à l'emploi indifférent ou indistinct des groupes
d'expressions « mesures conservatoires »,
« mesures avant dire droit » et « mesures
provisoires », le tout dans une sorte de synonymie confondante.
Aussi, convient-il de dire que, si les mesures provisoires
dans leur nature sont des mesures avant dire droit, elles ne demeurent pas
moins, dans leur finalité, des mesures conservatoires qu'il faut
entendre comme celles des mesures qui, sous le sceau de l'urgence, servent
à la préservation d'une situation juridique, des droits ou des
intérêts menacée par le risque d'un dommage ou même,
qui ambitionnent de sauvegarder des conditions de paix menacées, elles,
par des actes d'agression ou des risques de guerre1(*).
Leur étude en droit international importe à
l'égard de leur régime juridique, lequel amène à
s'interroger sur leur condition et mécanismes d'élaboration mais
aussi sur leur effectivité et sur les conséquences de leur
inopposabilité éventuelle. Y répondre n'est pas sans
intérêt, tant pour le profane du droit international dont la
sauvegarde des droits demeure généralement l'apanage du droit
international, que pour le futur spécialiste du contentieux
international dont le maniement incohérent de cette notion ne saurait
être excusé. Et l'on ne saurait éluder la pertinence de la
question aujourd'hui où la menace de paix, la crise que tous les
analystes semblent pronostiquer en Côte d'Ivoire devrait donner lieu
à des mesures provisoires de la part des organes qui ont en charge de
prévenir toute menace de paix.
Aiguillonnés par la logique des interrogations qu'elles
soulèvent, il nous est apparu opportun d'envisager l'examen des
questions relatives à la mise en oeuvre des mesures provisoires en droit
international public (II) subséquemment à celles
inhérentes à leur adoption (I).
I. L'adoption des mesures provisoires en droit
international
Les mesures provisoires résultent de l'application de
diverses règles, parmi lesquelles, celles relatives à leurs
conditions d'adoption (A) puis celles inhérentes à leurs
procédures d'élaboration (B).
A. Les conditions d'adoption des mesures
provisoires
L'examen des conditions d'adoption des mesures provisoires
tant des organes juridictionnels que des instances non juridictionnelles va
porter aussi bien sur la détermination des conditions liées
à l'organe compétent (1), que sur celle des conditions
liées à l'objet (2) nécessaires à l'adoption des
mesures provisoires.
1. Les conditions liées à
l'organe
Les conditions liées à l'organe
intéressent plus généralement la compétence
préalable du juge et/ou de l'organe concerné.
La compétence des organes juridictionnels d'adopter des
mesures provisoires est en principe établie par les textes qui les
créent et qui en régissent le fonctionnement. Il en est ainsi,
entre autres, du statut de la Cour Internationale de Justice (CIJ) en son
article 41, paragraphe 1; de l'article 243 du traité portant
création de la Communauté européenne, pour la Cour de
Justice des Communautés Européennes (CJCE) ; du
règlement intérieur de la Commission Africaine des Droits de
l'Homme et des Peuple (CADHP) en son article 111 ; et en droit d'arbitrage
OHADA par exemple, c'est l'article 13 alinéa 4 de l'Acte uniforme sur le
droit de l'arbitrage qui aide à déterminer la compétence
concurrente entre la juridiction nationale et le tribunal arbitral2(*) OHADA.
Plus généralement, la CIJ a
considéré que la question de la compétence au fond
préjuge celle de la compétence de prendre des mesures
provisoires en ce sens que les mesures provisoires
sont prises par un organe juridictionnel dont l'incompétence au fond
n'est pas manifeste3(*).
Autrement dit, si une cour est incompétente au fond, elle est
incompétente pour prendre des mesures provisoires.
Ce raisonnement a été soutenu par la CIJ dans
l'affaire de la compétence en matière des pêcheries et dans
celle des activités militaires au Nicaragua et contre celui-ci4(*).
Le Conseil de Sécurité des Nations Unies (CS),
quant à lui ressortit sa compétence des dispositions de l'article
40 de la Charte des Nations Unies (CNU). Il ressort en effet, de la lecture
dudit article, qu' « avant toute constatation, le CS peut
préconiser les mesures provisoires qu'il juge
nécessaires ou souhaitables afin d'empêcher la situation de
s'aggraver, par exemple un cessez-le-feu5(*).
A cet égard, la compétence du CS n'est
limitée qu'à inviter les parties intéressées
à se conformer à de telles mesures. Guyen Quoc Dinnh, Alain
Pellet et Patrick Daillier estiment que cet article ne donne au CS que la
compétence d'émettre des recommandations6(*).
Toutefois, la jurisprudence de la CIJ a pu fonder la
compétence du CS d'adopter les mesures provisoires sur l'article 25 de
la CNU. En effet, elle a estimé que cet article, qui donne au CS le
pouvoir de décider dans l'exercice de sa fonction de maintien et de
rétablissement de la paix, doit s'entendre de manière plus
étendue, c'est-à-dire au delà des compétences
prévues par le chapitre VII de la CNU mais
jusqu' « à toutes les mesures jugées opportunes
pour le maintien de la paix »7(*), c'est-à-dire, y compris les mesures
provisoires.
Tout autre chose se rapporte aux conditions liées
à l'objet des mesures provisoires.
2. Les conditions liées à
l'objet
La question ici est de savoir qu'est-ce qui au fond incite
l'élaboration des mesures provisoires. Il convient d'affirmer que les
mesures provisoires doivent, pour justifier leur adoption, résulter du
constat patent, fait par les organes qui en ont la compétence, tel
qu'évoqué ci-dessus, d'un ensemble divers
d'éléments à savoir : l'urgence de conserver les
droits ou les intérêts en cause ; la nécessité
de sauvegarder soit les preuves, soit l'objet litigieux en vue d'assurer les
conditions du déroulement de l'enquête, ou du procès en
cours ou à venir ; le risque d'un dommage du fait d'une menace
contre la paix ou d'une rupture de la paix et d'actes d'agression.
C'est dans cette optique que la CIJ a indiqué
qu'« une mesure provisoire ne s'impose que s'il y a :
- menace de préjudice grave (affaire Congo/France,
ordonnance du 17 juin 2003) ;
- urgence ; et
- menace de dommages irréparables (Argentine/Uruguay,
ordonnance du 13 juillet 2006) »8(*)
Néanmoins, c'est à l'organe compétent
qu'il revient d'apprécier l'opportunité d'une mesure
conservatoire. En effet, la requête portant la demande d'indication de
mesures provisoires ne lie pas l'organe sollicité. Ainsi, dans l'affaire
Congo/France, la CIJ a, par une ordonnance du 17 juin 2003, rejeté la
demande en indication des mesures conservatoires présentée par la
République du Congo, au motif qu'il n'y avait aucun préjudice ou
menace de préjudice grave ou irréparable. Il en est ainsi aussi
dans l'affaire du plateau continental de la mer Egée, dans laquelle la
CIJ a rejeté la demande de la Grèce qui souhaitait que celle-ci
adoptât des mesures provisoires. La cour a estimé qu'il n'y avait
pas un danger imminent (ordonnance du 11 septembre 1976).
En outre, le risque d'un préjudice irréparable
n'a pas besoin d'être certain pour justifier d'une mesure provisoire. Il
suffit qu'il soit potentiel ou virtuel9(*).
Ces conditions ainsi définies ouvrent la voie à
la procédure d'élaboration ou d'adoption des mesures
provisoires.
B- La procédure d'adoption des mesures
provisoires
La procédure d'adoption des mesures provisoires ou
conservatoires repose sur des règles qui régissent la saisine des
organes et les techniques d'élaboration (1), ainsi que leur contenu (2).
1. La saisine de l'organe et les techniques
d'élaboration
Au sujet de la saisine, il semble approprié d'envisager
celle de l'organe juridictionnel séparément de celle de l'organe
non juridictionnel.
Les organes juridictionnels sont saisis par les parties ou
l'une d'elles, d'une demande en indication de mesures provisoires. Dans sa
requête, la partie demanderesse doit indiquer les conditions qui
justifient la mesure demandée. Par exemple, en cas d'urgence, la partie
doit pouvoir justifier l'urgence d'une mesure provisoire. Cependant, en cas
d'extrême urgence la CIJ peut indiquer des mesures provisoires d'office
et sans tenir d'audience.10(*)
L'organe non juridictionnel est saisi mais il peut
s'auto-saisir selon que cette compétence lui est reconnue par les textes
qui l'organisent. C'est le cas du Conseil de Sécurité qui, en
vertu du chapitre VII de la CNU, « peut inviter les parties
à se conformer aux mesures provisoires qu'il juge nécessaires ou
souhaitables ».
Quant aux techniques d'élaboration, il s'agit ici des
techniques de prise de décision en matière de mesures
provisoires. La première d'entre elles c'est le vote. En
général, les mesures provisoires sont adoptées dans les
instances juridictionnelles et non juridictionnelles de manière
collégiale. Certaines imposent la majorité des membres. C'est le
cas du Conseil de Sécurité qui nécessite le vote
affirmatif de neuf membres parmi lesquels les cinq membres permanents. Il en
est de même de la CIJ (article 55 de son statut).
Mais il arrive que les mesures provisoires soient
adoptées de manière unilatérale (c'est le cas de la
Commission africaine des droits de l'homme et des peuples en son article 111,
alinéa 2 et 3 de son règlement intérieur).
2. Le contenu des mesures provisoires
Avant d'aborder proprement dit le contenu des mesures
provisoires, il convient d'indiquer qu'elles sont adoptées à la
CIJ sous la forme d'ordonnance.
Cela étant dit, il importe de soutenir que le contenu
des mesures provisoires est lié à l'objet du litige ou de la
requête. En effet, le contenu des mesures demandées ne doit
être ni éloigné ni sans cohérence avec l'objet.
Dans le cadre de la juridiction internationale l'article 75,
paragraphe 2 du règlement intérieur de la CIJ dispose que
« lorsqu'une demande en indication de mesures conservatoires lui
est présentée, la Cour peut indiquer des mesures totalement ou
partiellement différentes de celles qui sont sollicitées ou des
mesures à prendre ou à exécuter par la partie même
dont émane la demande ».
En réalité, c'est la Cour qui détermine
le contenu d'une mesure provisoire sur la base de son appréciation ou de
sa constatation des faits. Si elle tient compte de la requête, elle n'en
est pas pour autant absolument liée. En guise d'illustration, dans
l'ordonnance de la CIJ du 15 mars 1996, relative à l'affaire de la
frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria
« (...) la cour indique à titre provisoire, en attendant sa
décision dans l'instance introduite comme il est dit ci-dessus, les
mesures conservatoires suivantes : (...) les deux parties veillent
à éviter tout acte et, en particulier, tout acte de leurs forces
armées, qui risqueraient de porter atteinte aux droits de l'autre partie
au regard de tout arrêt que la cour pourrait rendre en l'affaire ou qui
risqueraient d'aggraver ou d'étendre le différent porté
devant elle ».
Quant aux mesures du CS, elles contiennent
généralement des instructions qui demandent aux parties
l'arrêt des opérations militaires, le rétablissement de la
situation antérieure par un cessez-le-feu ou le retrait des troupes.
Ainsi, dans sa résolution 54 du 15 juillet 1948, relative au conflit
israélo-palestinien, le CS « constate que la situation en
Palestine constitue une menace à la paix aux termes de l'article 39,
ordonne aux Gouvernements et autorités intéressés, en
application de l'article 40 de la CNU, de renoncer à toute action
militaire et de donner fin à leurs forces militaires et paramilitaires
l'ordre de cessez-le-feu ».
L'adoption des mesures provisoires suivant les règles
qui fixent ou déterminent les conditions et procédures
afférentes ne garantit pas leur mise en oeuvre qui, elle soulève
des réalités juridiques différentes.
II. La mise en oeuvre des mesures provisoires en droit
international
Les mesures provisoires adoptées en droit international
soulèvent les problèmes de leur effectivité (A) et ceux
relatifs à la sanction de leur inobservation (B).
A-les problèmes liés à
l'effectivité des mesures provisoires
L'effectivité, ainsi que l'affirme le Professeur
Mouelle Kombi11(*) suppose
une praticabilité avérée et une opposabilité
réelle. Celles-ci ne sont pas dénuées de
difficultés qu'il nous revient d'analyser ici en termes d'obstacles
juridiques (1) et non juridiques (2).
1. Les obstacles juridiques à l'application des
mesures provisoires
Les obstacles juridiques à l'application des mesures
provisoires en Droit international sont de plusieurs ordres. Disons d'abord
qu'à l'instar des autres mesures de l'ordre international, l'on ne
saurait trouver dans les mesures provisoires un caractère coercitif en
elles-mêmes. Et c'est là leur principal écueil, le
principal obstacle à leur mise en oeuvre. Ce, d'autant plus que certains
des textes qui octroient la compétence de prendre des mesures
provisoires ont fait usage d'expression pour le moins vagues ou ambiguës.
En guise d'illustration, le texte de la CADHP emploi l'expression
« indiquer » tandis que celui du CS l'expression
« inviter ».12(*) « Quelque soit l'éclairage
interprétatif retenu, ces expressions ne peuvent être comprises
comme attribuant une valeur contraignante auxdites mesures provisoires.
D'ailleurs, si tel avait été le cas, la compétence de la
CADHP notamment à établir à son profit un pouvoir de
coercition à l'égard des Etats parties n'aurait pas manqué
d'être contestée avec véhémence »13(*).
Ces dispositions confèrent tout au plus aux mesures
provisoires un caractère assimilable à des recommandations.
D'où la relativité de leur effectivité. En effet, les
mesures préconisées par la Commission africaine ont plus
nettement été ignorées.
Les Etats allèguent aussi le plus souvent les obstacles
temporels temporaires. En effet, ils ne disposent pas de beaucoup de temps
entre le prononcé de la mesure provisoire et son échéance,
les textes prévoyant une période aussi courte que possible. En
matière commerciale et plus précisément dans l'accord
instituant l'OMC, l'article 17.4 dispose que « l'application des
mesures provisoire sera limité à une période aussi courte
que possible qui n'excèdera pas quatre mois ».
Bien que les mesures provisoires ne soient pas statutairement
contraignantes, elles le sont suivant une analyse téléologique. A
cet égard, leur non respect est considéré comme une
violation des conventions internationales et plus précisément de
la règle pacta sunt servanda.
Cependant il n'y a pas violation des mesures provisoires
lorsque le gouvernement démontre qu'un « obstacle
objectif »14(*)
l'a empêché de se conformer à ces mesures et qu'il a tenu
la Cour informée de la situation.
Ainsi, pour chercher à éviter une condamnation
par la CEDH dans les cas de violation présumée de l'article 39 du
règlement de la CEDH régissant les mesures provisoires, les Etats
avaient affirmé qu'ils n'avaient pas eu connaissance de la mesure
indiquée, en invoquant un manque de temps pour s'y conformer, des
difficultés lors du transfert vers l'aéroport, le manque de
personnel ou en affirmant que l'agent compétent sur le terrain n'avait
jamais reçu l'information15(*). Mais le règlement de la CEDH a
précisé qu'il appartient aux Etats de mettre en place des
procédures pour répondre à ces éventualités.
De plus, des gouvernements et parfois des particuliers ont
déploré l'absence de motivation dans les décisions de la
Cour d'appliquer l'article 39. En effet, la Cour ne formule pas
précisément la mesure ordonnée, ce qui empêche que
son objectif soit atteint dans la pratique et que les besoins
spécifiques du requérant soient satisfaits16(*).
L'application des mesures provisoires rencontre non seulement
des obstacles juridiques mais aussi des obstacles non juridiques.
2. Les obstacles non juridiques à l'application
des mesures provisoires
A l'exception des obstacles juridiques évoqués
ci-dessus, les obstacles non juridiques quant à eux présentent
quelques particularités.
Avant d'évoquer leur particularité,
définissons les obstacles non juridictionnels comme étant des
difficultés de mise en oeuvre des mesures provisoires n'ayant aucun lien
avec les dispositions légales ou conventionnelles.
Au sujet des particularités des obstacles non
juridiques, elles résultent de l'attitude des Etats. Ceci dit, pour
mieux appréhender ces obstacles, il convient de faire apparaitre deux
contextes opposés du point de vue socio-politique et économique,
mais dont le dénominateur commun s'observe dans l'irrespect des mesures
provisoires, notamment en matière des droits de l'homme. Il s'agit,
entre autres, d'illustrer les réactions américaines et
africaines, que ce soit face aux mesures provisoires indiquées par la
CIJ que celles indiquées par la CADHP.
Dans l'affaire Avena17(*) qui opposait le Mexique aux USA, la CIJ a eu à
rendre deux décisions, notamment celle rendue en mars 2004, portant sur
le réexamen des verdicts de culpabilité rendus et des peines
prononcées contre les ressortissants mexicains par les moyens de choix
des USA, en tenant compte de l'article 36 de la convention de vienne de 1963
sur les relations consulaires.
Dans la même affaire, elle édicte aussi, en
juillet 2008 une ordonnance en indication de ces mesures visant à
prévenir l'exécution des accusés. Il en ressort, par
rapport à la position américaine, une mauvaise foi dans la mesure
où ils ont tout d'abord considéré que ces mesures
conservatoires de la CIJ étaient un moyen pour elle de prohiber le
recours à la peine de mort et qu'elle avait agi au delà des
pouvoirs qui lui sont accordés par son statut. Ils sont même
allés jusqu'à reprendre l'argument du juge Oda dans l'affaire
LaGrand selon lequel la cour devait plutôt se préoccuper de
préserver les droits des Etats que de préserver ceux des
individus.
Dans cette même affaire un autre argument avait
été souligné par les américains : la mesure
conservatoire avait été indiquée aux parties 24 heures
avant l'exécution prévue et n'avait pas été
communiquée aux autorités de l'Arizona à temps.
L'affaire Ken Sara18(*), pour évoquer le contexte africain, ressort
tout aussi l'inapplicabilité des mesures provisoires quand on sait que
les faits sont quasi-similaires à ceux de l'affaire Avena
sus-évoquée.
Il apparaît en définitive, en plus de la mauvaise
foi des Etats, un problème d'interprétation d'une loi ou d'une
mesure conservatoire. Le manque de culture de l'urgence,
précisément dans ledit contexte, au vu d'une démocratie
non encore effective, peut être rajouté dans la catégorie
des obstacles non juridiques mettant ainsi en exergue le problème de la
sanction en cas de non respect des mesures provisoires.
B-Les sanctions de l'inobservation des mesures
provisoires
Les sanctions de l'inobservation des mesures provisoires
émanent aussi bien des organes juridictionnels (1) que des organes non
juridictionnels(2).
1. Les sanctions émanant des organes
juridictionnels
Les sanctions juridictionnelles pour non respect des mesures
provisoires s'observent surtout en matière de protection des droits de
l'homme, aussi bien dans les instances juridictionnelles régionales
qu'universelles.
En ce qui concerne les juridictions régionales, la CEDH
a donné une illustration des sanctions pour inobservation des mesures
provisoires, notamment dans l'affaire Mamatkoulov et Askarov c/
Turquie19(*). Il
s'agissait pour la CEDH de juger l'inobservation de la mesure provisoire
édictée par cette dernière relativement à la
demande d'extradition adressée par le gouvernement Ouzbek au
Gouvernement turque en vertu d'accords bilatéraux, de MM Mamatkoulov et
Askarov, accusés d'homicide volontaire et d'attentat contre le
Président Ouzbek. Les accusés prétendaient en cas
d'extradition être victimes de torture et ont saisi la CEDH aux fins
d'annulation de la demande d'extradition. Celle-ci a édicté des
mesures provisoires tendant au sursis à exécution de
l'extradition. Mais la Turquie a passé outre ladite mesure, arguant du
fait que le Gouvernement ouzbek ayant adhéré à la
convention contre la torture ne pourrait y recourir contre les accusés.
Ainsi, la Cour, outre le fait de sanctionner de façon proclamatoire la
Turquie pour violation de l'article 34 de la convention européenne des
droits de l'homme, l'a condamnée à payer 5000 euros pour dommages
et intérêts à chaque accusé.
A l'instar de la CIJ (cf. article 40 de la CNU), les instances
universelles peuvent prendre des mesures provisoires en cas de menace
d'atteinte imminente et irréparable à des droits.
Ceci s'est déjà produit à plusieurs
reprises, notamment dans l'affaire LaGrand où la CIJ affirme que la non
observation des mesures conservatoires engage la responsabilité
internationale des Etats et peut conduire à la saisine du Conseil de
Sécurité. Or, dans la pratique, l'on observe que l'application de
ces mesures dépend de la bonne volonté des Etats, comme l'atteste
le comportement des USA qui continuent d'ignorer les mesures provisoires
édictées par la CIJ dans d'autres affaires. Il en a
été ainsi dans l'affaire Avena et autres ressortissants mexicains
c/ USA ou même l'affaire Breard (Paraguay c/ USA). Ce comportement est
certainement motivé par le fait que toute sanction à l'encontre
des USA ne serait pas possible car les USA sont membre permanent du Conseil de
sécurité dont on sait qu'il dispose du droit de veto.
Si l'effectivité de la sanction juridictionnelle
à l'inobservation des mesures provisoires peut être
discutée, que dire des sanctions d'ordre politique ?
2. Les sanctions émanant des organes non
juridictionnels
Les sanctions émanant des organes non juridictionnels
relatives à la non exécution des mesures provisoires en droit
international s'imposent comme un moyen autre que juridictionnel de contraindre
les Etats à se soumettre à ces mesures dont le but essentiel
reste la stabilité et la prévention contre l'aggravation de la
situation juridique en cause, et plus encore, le maintient pour le
rétablissement de la paix et de la sécurité
internationale.
Ces sanctions sont prévues dans la Charte des Nations
Unies aux articles 41 et 42 relatifs successivement à l'embargo et
à l'usage de la force. Elles sont prononcées par le Conseil de
Sécurité qui détient ce pouvoir du Chapitre VII de la CNU.
A cet effet, aux termes de l'article 41 de la CNU, au sujet de
l'embargo, il s'agit de : « l'interruption complète
ou partielle des relations économiques et des communications
ferroviaires, maritimes, aériennes, postales,
télégraphiques, radio-electriques, et des autres moyens de
communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques».
L'embargo en tant que sanction a dû faire ses preuves
dans diverses espèces connues, notamment en Irak de 1990 à 2003
où il y a été imposé l'interdiction de certaines
marchandises telles que les armes et la rupture des relations
économiques avec les Etats membres de l'ONU.
De fait, un Etat convaincu d'inexécution des mesures
provisoires peut à la suite des sanctions prononcées en vertu de
l'article 41 de la CNU se retrouver isolé et replié sur
lui-même. Il faut cependant souligner que de telles mesures
répressives ont presque toujours des effets négatifs sur les
populations de ces pays dont l'action des gouvernants entraîne souvent
une généralisation des effets politiques sur tout le peuple.
Cette critique a d'ailleurs été soulevée par le
Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations
Unies en 199720(*),
où l'idée de sanctionner des individus (Chefs d'Etat, leur
famille, les ministres, hauts fonctionnaires ou même certaines personnes)
en leur interdisant par exemple de voyager et aussi la fixation d'une
durée d'application des sanctions a été exigée.
Pour ce qui est de l'usage de la force, l'article 42 de la CNU
prévoit qu'en cas d'inefficacité des mesures prévues
à l'article 41, le CS peut entreprendre des actions militaires en vue de
rétablir ou de maintenir la paix et la Sécurité
internationale, notamment par des actions telles : « les
démonstrations, les mures de blocus et d'autres opérations
exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres
des membres de NU ».
Précisons ici que les articles 43 à 51
organisent avec précision les mécanismes et les modes de mise en
oeuvre de l'usage de la force dans le cadre de la Charte. Ainsi, le Conseil de
Sécurité a déjà fait usage de la force,
conformément au chapitre VII de la Charte, dans le cadre
d'opérations de rétablissement et de maintien de la paix lors de
la crise en Somalie - UNISOM I et II - mais aussi au Rwanda en 1994 avec
l'opération turquoise ou encore pour autoriser le recours à la
force lors de la crise en ex-Yougoslavie. Mais le CS peut aussi décider
de prendre des sanctions à l'égard d'une faction (entités
non étatiques) ; dans un conflit armé non international,
comme cela a été le cas à l'égard de l'UNITA en
Angola dans les années 1990 et contre les rebelles du Darfour en 2005.
Notons aussi la résolution du CS n° 1390/2002 contre l'organisation
terroriste Al Qaida.
Il faut néanmoins souligner que la mise en oeuvre des
sanctions internationales à la suite d'inexécution de mesures
prononcées par le CS se heurte, sur plusieurs terrains, aux
intérêts politiques et aux rapports de force dans les Relations
internationales entre les Etats. Ce qui se passe notamment actuellement et
depuis longtemps dans la crise israélo-palestinienne où le CS
émet des mesures à l'encontre des actions israéliennes
sans que celles-ci ne soient respectées. En l'occurrence, aucune mesure
de sanction semble n'avoir jamais été mise en oeuvre à
l'encontre d'Israël. Ceci pourrait s'expliquer par le fait que l'Etat
d'Israël agirait sous le couvert des USA, membre permanent du CS et non
signataire du traité de Rome instituant la CPI. N'oublions cependant pas
que les actions en usage de la force ne manquent pas souvent de déborder
le cadre de leur mission pour affecter à tort les populations civiles
supposées être garanties par l'inviolabilité du droit
humanitaire.
Dans un tout autre cadre, les sanctions peuvent toucher un
Etat en tant qu'entité ou un organe de l'Etat seulement ; ce sera
notamment le cas du gel des avoirs financiers d'un Etat ou d'un de ses organes
à l'étranger. Il peut en outre aussi arriver qu'un Etat membre
d'une organisation internationale, dont la réputation est connue dans le
refus ou le mépris des mesures provisoires prononcées par
celle-ci, se voit suspendu de l'exercice et de la jouissance de ses droits et
privilèges21(*).
Bibliographie
a. Ouvrages
1. Salmon (J) dir., Dictionnaire du droit international
public, Bruylant, Bruxelles 2001 ;
2. Lang (G), l'affaire Nicaragua c/ USA devant la CIJ,
LGDJ, Paris, 1990 ;
3. Balsan (L) « à propos de la portée
contraignante des mesures conservatoires de la CIJ dans le domaine des droits
de l'homme : réaction américaine et
européenne ;
4. Nguyen Quoc Dinnh, Daillier (P), Pellet (A) Droit
International Public, LGDJ, 5e édition, Paris,
1994 ;
5. Ruzié (D), Droit International Public,
mémento, Dalloz, 19e éd., 2008.
b. Articles
1. Flauss (JF) «notule sur les mesures provisoires
devant la CADHP », revue trimestrielle des droits de l'Homme,
n° 55/2003, pp. 923-930 ;
2. Burgorgue-Larsen (L) « retour sur
Mamatkoulov. De l'effectivité des mesures provisoires dans le
système conventionnel européen », un
mélange à l'honneur de Philip Manin, pp. 833-838 ;
c. Dictionnaires et textes
1. CNU et statut de la CIJ ;
2. Règlement intérieur de la CADHP ;
3. Règlement de la CEDH ;
4. Rapport de l'Assemblée parlementaire du Conseil de
l'Europe, novembre 2010 ;
5. Lexique des termes juridiques, Dal., 13e
éd., Paris, 2001;
6. Cornu (G) dir, vocabulaire juridique, PUF, Paris,
2004.
d. Sites
- www.Google.fr ;
-
www.icj-cij;
-
www.legavox.fr/blog/issa-said/place-mesures-provisoires-conservatoires-droit-3
ANNEXE
* 1 Sur la définition,
voir aussi Jean Salmon, (Dir.) dictionnaire de droit international
public, Bruylant, Bruxelles, 2001, pp701-702 et Gérard Cornu
(Dir.), vocabulaire juridique, PUF, 2001, pp 577-578 ;
* 2 Cf. Issa SAID, la
place des mesures provisoires et conservatoires en droit arbitrage OHADA,
www.legavox.fr/blog/issa-said/place-mesures-provisoires-conservatoires-droit-3,
(site visité le 15 décembre 2010);
* 3 David Ruzié,
Droit international public, mémento, 19e éd.,
Paris, 2008, p. 198.
* 4cf. respectivement les
ordonnances du 17 août 1972 et du 10 mai 1984, citées par David
Ruzié, op. cit. ;
* 5 Guyen Quoc Dinnh, Alain
Pellet et Patrick Daillier, Droit international
public, LGDJ, 5e éd., Paris, 1994, p.
931 ;
* 6 Idem.
* 7 CIJ, certaines
dépenses, avis de 1962, p. 167 ; Namibie, avis de 1971, à
propos de la déclaration d'illégalité de l'occupation
sud-africaine en Namibie, Rec. 1971, p. 52-53, cités par Guyen Quoc
Dinnh, Alain Pellet et Patrick Daillier, déjà cité, p.
366 ;
* 8 David Ruzié, op.
cit.
* 9 Cf. affaire anglo-iranian
oil, ordonnance du 5juillet 1951, Rec. 1951, p.93
* 10 Cf. CIJ, ordonnance du 3
mars 1999, affaire LaGrand, Rec., P14, paragraphe 21 ;
* 11 Cf. cours de DIP,
dispensé en diplomatie, master I, IRIC, 2010 ;
* 12 Cf. articles 111 du
règlement intérieur de la CADHP et 40 de la Charte des Nations
Unies ;
* 13 Cf.
Jean-françois Flauss, « Notule sur les mesures provisoires
devant la CADHP », revue trimestrielle des droits de l'homme
(55/2003), p. 928 ;
* 14 Cf. rapport de
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, publié le 09
novembre 2010, Google, décembre 2010 : « Par
obstacle objectif, il faut comprendre les obstacles extérieurs à
l'Etat, qui ne lui sont pas inhérents. »
* 15 Cf. CEDH, Mouminov c/
Russie, cité dans le rapport de l'Assemblée parlementaire du
Conseil de l'Europe : commission des migrations, des
réfugiés et de la population du 9 novembre 2010 ;
* 16 Idem ;
* 17 CIJ, Avena (Mexique c/
Etats-Unis), 31 mars 2003 et 19 janvier 2009, www.icj-cij;
* 18 Cf. Jean-François
Flauss, notule sur les mesures provisoires devant la
CADHP-Communication n° 137/94, international pen c. Nigeria et
n° 139/94 constitutional rights projects c. Nigeria (introduite pour le
compte de M. KEN Sara wiwa et ses compagnons ogoni).
* 19 CEDH, affaire MAMATKULOV
et ASKAROV c/ Turquie, arrêt du 06 fév. 2003, in IEP de Lille,
Conférence de méthode, droit international public ;
* 20 Cf. David Ruzié,
op. cit., p. 164.
* 21 Cf. article 5 de la
CNU.