I.3.c Origine du terme de
« réanimation »
De même que les techniques sont des indicateurs des
transformations d'une culture, le langage est le témoin de ces
changements que nous pouvons retrouver à travers l'histoire
sémantique de mots médicaux. D'autre part les expressions sur la
mort révélant une représentation ancienne
révèlent que les théories anciennes persistent chez les
individus d'une culture en mutation. Des expressions comme « perdre
l'âme, l'esprit ou la tête » au sens de
« devenir fou », « rendre son dernier
soupir» au sens de mourir, « perdre le souffle» au sens de
ne plus pouvoir suffisamment respirer, etc... ont été souvent
entendus chez malades et soignants.
Le concept de
« réanimation »
Le terme de réanimation possède
aujourd'hui un sens qui correspond à la définition
médicale donnée en en 1954 mais il existait déjà au
sens de « ressusciter », et en anglais resuscitation
est employé pour désigner les gestes de
réanimation.
Cette signification culturelle comporte un sens magique ,
s'opposant au sens rationnel donné par la médecine
contemporaine :
· Aujourd'hui, nous comprenons que la réanimation
suspend un processus morbide et maintient un état de vie organique.
· Au sens traditionnel, la réanimation restaurer
la vie, réintègre l'âme dans le corps, sur un état
de mort avérée, de cadavre privé de son principe vital.
La possibilité de survie en état de coma
n'était pas envisageable, c'est pourquoi, les réveils de comateux
étaient interprétés comme des résurrections
miraculeuses.
Les mots réanimer ou ranimer sont
employés au 16e siècle, au sens de « rendre
la vie, ressusciter », « redonner courage à
quelqu'un », « rendre plus vif »,
« ranimer le feu », au moment de l'Humanisme d'une plus
grande liberté par rapport à la religion.
Ces termes proviennent eux-mêmes du verbe
animer apparu en 1358, emprunté au latin
animare, verbe dérivé de anima
« souffle vital ». Il désigne dans un sens
religieux l'acte divin d'« insuffler la vie » et
dans un sens psychologique l'acte « d'encourager,
d'exciter ». Employé comme adjectif,
« animé » s'est dit des animaux, des
personnes et s'est étendu aux choses non-vivantes.
Il est également intéressant de noter que le mot
« coeur » apparaît aussi au 12e
siècle, provenant du latin cor au sens « organe
central de la circulation sanguine ».
Il s'emploie aussi bien pour la région de la poitrine
que pour la région épigastrique de l'estomac. On dit encore
aujourd'hui « mal au coeur », « dire tout ce
qu'on a sur le coeur », « fendre le coeur » pour
évoquer des sentiments de souffrance,, « de tout mon
coeur » pour les sentiments d'affection, « avoir à
coeur » pour les sentiments de volonté, « apprendre
par coeur » pour la mémorisation. D'autre part, les
émotions intenses provoquent des réactions de douleurs au lieu
latin du « cor ». Rien d'étonnant à ce que le
coeur ait longtemps été considéré comme le
siège des émotions dès l'Antiquité.
Le coeur possède aussi un rapport avec le principe
vital ou « Souffle vital ». Pour les Grecs (Hippocrate,
Platon) il permet sa circulation avec le sang dans l'organisme par le biais de
conduits d'air, les artères. Les Grecs croyaient qu'après la
mort, les artères se vidaient de leur sang mais contenaient encore
l'esprit vital, sous forme d'air.
Le cerveau est un organe à part, car il est
nécessaire à la conscience et la pensée, bien que ne
faisant pas partie des fonctions vitales dans les conceptions
traditionnelles.
Les intuitions qui ont mené aux études
physiologiques sur la fonction respiratoire sont bien des
héritières des intuitions traditionnelles plaçant le
principe vital dans le coeur.
La différence porte sur le psychisme :
· aujourd'hui, nous savons que le siège du
psychisme est situé dans le cerveau et que le coeur peut continuer
à battre alors que le cerveau ne fonctionne plus.
· Avant le 16e siècle, corps et
psychisme n'étaient pas conçus comme fonctionnant de
manière séparé, à la fois pour les conceptions
monistes ou dualistes.
C'est au moment de la période philosophique des
Lumières qu'une rupture épistémologique apparaît
permettant une pensée biologique de la vie indépendante de son
aspect spirituel : le « corps-machine » de Descartes
que les scientifiques s'approprient, reléguant l'esprit à
d'autres domaines.
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